Anwar Zehri & @Millie Butcher

Remember when the days were long and rolled beneath a deep blue sky, didn't have a care in the world, with mommy and daddy standin' by. But "happily ever after" fails and we've been poisoned by these fairy tales, the lawyers dwell on small details since mommy had to fly. ☆☆

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(FORTITUDE VALLEY, STARBUCKS) « C’est pas parce que votre bonhomme s’est foutu en l’air que ça fait subitement de vous les Saint Patrons des causes perdues. » Difficile de dire qui d’Anwar ou de Charlie avait jeté le plus vite un regard noir en direction de leur collègue, mais une chose était certaine : à force de travailler avec lui, la jeune enquêtrice développait quelques tics communs avec son équipier. « Tout ce que je dis, c’est qu’à mon avis … » Lui coupant la parole sans vergogne, l’inspecteur Zehri avait rétorqué d’un ton acide « Tu sais ce qu’on dit, les avis c’est comme les tr- … » – « C’est bon, c’est bon, j’ai saisi le message. » Tant mieux, il évitait donc ainsi à Anwar de se montrer vulgaire à voix-haute … Pas que le contraire l’ait un jour dérangé, cela étant dit. « Bonne chance avec vos fantômes. Après tout, c’est payé avec nos impôts. » N’obtenant d’un roulement d’yeux équivoque de la part de Charlie, le policier avait écrasé son mégot dans le cendrier métallique et marqué deux points en balançant son gobelet vide dans la poubelle, abandonnant les deux équipiers à l’arrière du bâtiment, là où les fumeurs se donnaient rendez-vous pour entretenir leurs cancers. « Crétin. » Peut-être la jeune femme avait-elle attendu que les oreilles de son collègue ne soient plus à sa portée pour exprimer le fond de sa pensée, peut-être pas, toujours est-il qu’Anwar n’y trouvait rien à redire : l’autre l’avait bien cherché, et il n’était pas vraiment d’humeur à arrondir les angles. « Il est frustré parce que les seules enquêtes qu’il arrive à résoudre, c’est celles des qui passent le dimanche soir sur Network Ten. » Qui sait si un jour le karma ne se chargerait pas de rattraper l’inspecteur Zehri pour de telles médisances, mais tandis qu’un sourire narquois s’étirait sur ses lèvres et qu’il terminait cul sec ce qu’il restait de café au fond de son gobelet, cela semblait bien être le dernier de ses soucis.

Il y avait bien un point, cela dit, sur lequel l’inspecteur Rudzinski avait raison : la plupart des dossiers qu’Anwar et son équipière avaient décidé de dépoussiérer étaient des causes perdues. Ce qu’une piste encore chaude n’était pas parvenu à résoudre, une piste refroidie par les années n’avait presque aucune chance de le faire, et les dossiers tombés dans une impasse s’entassaient dans les archives de la police comme autant de tâches disgracieuses dans un CV trop fourni pour pouvoir être parfait de bout en bout. Le dossier Butcher en était un. Et pas des moindres, car peu de dossiers étaient aussi médiatisés que ceux relatifs à des enfants, et la disparition du petit Reggie cochait toutes les cases nécessaires pour titiller la curiosité morbide du spectateur. Tout semblait avoir été fait dans cette affaire, la pression médiatique débloquant souvent ce qui pour n’importe quelle autre enquête serait considéré comme trop coûteux, ou trop gourmand en hommes. Cause perdue, voie sans issue, la disparition de Reginald Butcher resterait peut-être un épais mystère que personne ne résoudrait jamais, mais les dernières semaines et les derniers mois venaient de prouver à Anwar que “jamais” ne voulait pas dire grand chose, et que “impossible” n’était pas une fatalité. Le dernier espoir ne s’évanouissait vraiment que lorsque plus personne n’était là pour l’entretenir, et puisque Millicent Butcher avait accepté de lui accorder quelques minutes de son temps, l’inspecteur Zehri pouvait au moins supposer que la flamme de l’espoir ne s’était pas totalement éteinte chez la jeune femme, malgré les douze années écoulées.

Espérant sans doute la mettre plus à l’aise, Anwar avait donné rendez-vous à la jeune femme dans un coffee shop de son quartier, dont le décor serait assurément moins austère que celui d’un commissariat. Au téléphone il s’était montré succinct, et s’était contenté d’indiquer que comme cela arrivait parfois, le dossier de disparition de son petit frère était rééxaminé pour tenter d’y apporter un nouvel œil, une vision nouvelle qui permettrait peut-être de déceler ce qui ne l’aurait pas été auparavant. « C’est gentil à vous de m’accorder quelques instants. » n’avait-il d’ailleurs pas manqué de faire remarquer à la jeune femme, lorsque tous les deux s’étaient attablés après avoir récupéré leurs cafés. « Je préfère être honnête avec vous, je ne suis pas là pour vous faire de fausses promesses … Mais j’essaye d’avoir un regard neuf. » Et s’il se sentait le devoir de le lui préciser de façon un peu abrupte, c’était parce qu’il ne voulait pas lui donner la moindre occasion de se faire de faux espoirs à cause de lui. « On m’a suggéré de plutôt contacter votre sœur, compte tenu du livre et de … tout ça. Mais j’ai trouvé très peu d’informations et de déclarations émanant de vous dans mon dossier. » Aussi lui avait-il semblé plus pertinent de la contacter, elle, l’action de combler les blancs lui semblant plus utile que de repasser les informations déjà obtenues et décortiquées mille fois par d’autres que lui – et même plus, tant le succès du livre en question avait dépassé les frontières du Queensland et de l’Australie.

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@anwar zehri

lieu: starbucks, fortitude valley.
(c): khadijha (gif), luleaby (codage).

***
Millie faisait partie de ces personnes à l’aise avec les imprévus, les situations qui n’étaient pas entrées dans le calendrier initialement et les coups de fil qui semblaient sortir de nulle part. C’était aussi pour ce talent là que James l’avait embauchée: elle était capable de faire face à toute situation, toujours une idée et une carte de sortie dans sa poche au cas où elle aurait besoin de l’abattre sur le tapis pour quelconque raison. Son téléphone était son meilleur ami, l’extension de son propre bras et toujours au bout de ses doigts, prête à répondre à n’importe quel questionnement qui pourrait lui tomber dessus. Un numéro inconnu qui appelait n’était qu’une étape quotidienne dans ses occupations, et elle décrochait sans aucun mal lorsque l’un de ces derniers s’affichait sur l’écran. Mais toute cette version là des faits s’appliquaient uniquement malheureusement lorsqu’il s’agissait du travail; parce-que lorsque son téléphone portable personnel avait affiché un numéro qu’elle ne connaissait pas alors qu’elle n’attendait pas d’être rappelée par quiconque, Millie était venue froncer les sourcils et son rythme cardiaque avait augmenté quelque peu en l’espace d’une fraction de seconde. Ce n’était pas le genre de bonne nouvelle, lorsqu’un inconnu l’appelait sur son téléphone à elle; elle avait appris même avec les années à se méfier et à apprendre à avoir peur de ce genre d’imprévu. « Allo ? » C’était avec une voix peu assurée et beaucoup d’appréhension dans le regard qu’elle avait pris l’appel, les sourcils froncés sur son visage.

Et c’était suite à ce dernier qu’elle se retrouvait au Starbucks de Fortitude Valley pour avoir rendez-vous avec un certain inspecteur Zehri. Elle se détestait - elle le détestait par extension aussi d’avance, mais elle se détestait surtout d’avoir accepté de le rencontrer. Elle savait parfaitement qu’à chaque fois qu’elle effectuait une rencontre qui avait comme centre d’intérêt son frère, elle en ressortait épuisée et complètement lessivée pour plusieurs jours - surtout que ces dernières semaines, elle ne pouvait réellement se permettre de perdre du temps ou de l’énergie à droite et à gauche. Mais parce-qu’il s’agissait d’un appel concernant son frère, justement, elle n’avait pas su refuser ou dégainer quelconque excuse qui pourrait lui permettre de d’extirper de cette situation: Millie se tenait face à l’inspecteur de police, au milieu des personnes dont le quotidien continuait de tourner normalement. « C’est gentil à vous de m’accorder quelques instants. » Elle fit rouler ses lèvres l’une sur l’autre, secoua quelque peu sa tête de gauche à droite, attrapant son café entre ses deux mains. « Votre appel sonnait plutôt sérieux, alors je me suis dit que je ferais mieux de me rendre disponible. » C’était là des paroles qu’elle avait appris à répéter et à connaitre par coeur avec les années et les rencontres au fil de ces dernières. « Je préfère être honnête avec vous, je ne suis pas là pour vous faire de fausses promesses … Mais j’essaye d’avoir un regard neuf. » Son regard se reporta sur ses mains, dont la pulpe des doigts jouaient nerveusement avec la porcelaine floquée de l’emblème du café dans lequel ils se trouvaient. « Vous seriez pas le premier à le faire au pire, vous savez. De faux espoirs. » Parce-que lorsqu’il s’agissait de son frère, une fois sur deux cela se ramenait à de faux espoirs: elle avait appris à avoir l’habitude malheureusement. « On m’a suggéré de plutôt contacter votre tante, compte tenu du livre et de … tout ça. Mais j’ai trouvé très peu d’informations et de déclarations émanant de vous dans mon dossier. » Millie laissa échapper un petit rire sans amusement, à moitié soufflé par le nez, haussant un brin ses épaules. « Je serais curieuse de savoir qui vous a donné de telles recommandations, inspecteur Zehri. » Le regard qu’elle releva dans le sien était celui d’une enfant ayant grandi bien trop rapidement contre son gré, trop habituée à regarder la véritable horreur que pouvait être la vie dans les yeux. « Il y a peu d’informations de ma part parce-que j’étais mineure à l’époque et que vos collègues en charge à ce moment là ont jugé que ma version du récit n’était pas assez intéressante pour être prise en compte dans les rapports officiels. » Elle haussa brièvement les épaules. « Vous ne faites pas partie de cette catégorie là si vous vous êtes déplacés jusqu’ici, j’en déduis ? »

Anwar Zehri & @Millie Butcher

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Il n’y avait pas mieux (ou pire) que les lieux publics pour vous rappeler qu’en dépit des embûches et des déceptions que chacun rencontrait dans sa propre vie, le monde pour sa part continuait de tourner de la même manière, et à la même vitesse. Cette injustice-là, chaque personne ayant un jour connu le deuil y était un jour confrontée : un être cher qui disparaissait, c’était le monde entier de ses proches qui s’écroulait momentanément, pendant que chez n’importe qui d’autre le quotidien continuait de s’égrainer comme si de rien n’était. Cet après-midi là, au Starbucks du coin, des étudiants scrollaient sur Tik-Tok en faisant mine de réviser leurs examens, un homme seul lisait un journal pour accompagner son gobelet de café, deux amies rattrapaient les derniers potins de leurs vies respectives … et une jeune femme au regard éteint s’apprêtait, elle, à dépoussiérer la disparition irrésolue de son unique frère. Qu’elle accepte seulement de le faire représentait déjà pour Anwar une première victoire : depuis que Charlie et lui avaient décidé de prendre un peu de leur temps pour remettre le nez dans des dossiers restés trop longtemps archivés, l’entreprise ne s’était pas faite sans quelques déconvenues, et outre les affaires dont tous les protagonistes étaient morts et enterrés avec leurs secrets, d’autres proches de victimes avaient simplement refusé d’en entendre parler à nouveau. L’inspecteur les enviait un peu, ceux-là ; être suffisamment en paix avec l’idée de ne jamais obtenir de réponses à ses questions, savoir entamer un nouveau chapitre même sans que le précédent n’ait obtenu son point final … Des choses dont lui-même ne se sentait toujours pas capable, condamné à continuer de courir après ses propres fantômes, et les épaules alourdies par une promesse qu’il ne tiendrait peut-être jamais.

Milicent Butcher, elle non plus, n’avait pas jeté la clef du coffre dans lequel s’enfouissaient ses questions. Ou au moins était-ce la première conclusion tirée par Anwar, tandis qu’elle lui indiquait « Votre appel sonnait plutôt sérieux, alors je me suis dit que je ferais mieux de me rendre disponible. » d’un ton égal, et posait sur lui le regard de celle qui espérait bien s’entendre dire, désormais, qu’elle ne s’était pas déplacée pour rien. « Vous seriez pas le premier à le faire au pire, vous savez. De faux espoirs. » Durant un bref instant, il avait semblé à l’inspecteur Zehri que la jeune femme le jaugeait en silence, cherchant peut-être à entrevoir quelle réaction serait celle de son interlocuteur face à ce qui avait tout l’air d’un reproche déguisé. Envers la police, peut-être, plus généralement envers toutes les personnes avaient remué cette histoire plus que de raison, et sans respecter le rythme et la volonté de ceux qui en avaient été les victimes collatérales. « J’en suis navré. » s’était-il pour sa part contenté de répondre, impuissant devant les impairs d’autrui, mais soucieux de ne pas commettre les mêmes à son tour. La première de ses erreurs n’avait pourtant pas tardé à suivre, la mention détournée de Ottie Butcher posant sur la regard de la jeune adulte un voile d’amertume, que le « Je serais curieuse de savoir qui vous a donné de telles recommandations, inspecteur Zehri. » rétorqué aussitôt s’était chargé de confirmer. « Tout le monde et personne à la fois … ça ressemblait à la solution de facilité pour débuter. » Car quoi de plus simple, pour obtenir des informations, que d’aller les quémander auprès de celle qui, depuis douze ans, ne laissait jamais passer une occasion d’en distiller ? Bonne volonté exacerbée ou simple besoin d’attention, le temps avait trop filé pour que la différence n’ait pas fini par s’estomper.

Les mots ne semblant lui échapper qu’après avoir été minutieusement pesés, la jeune Butcher avait pour sa part eu l’air de considérer la remarque autant que sa justification initiale, puis seulement avait ajouté « Il y a peu d’informations de ma part parce-que j’étais mineure à l’époque et que vos collègues en charge à ce moment-là ont jugé que ma version du récit n’était pas assez intéressante pour être prise en compte dans les rapports officiels. » en haussant vaguement les épaules. « Vous ne faites pas partie de cette catégorie-là si vous vous êtes déplacés jusqu’ici, j’en déduis ? » Blâmer, sans le recul nécessaire, ceux de ses collègues dont le tort n’avait été que de ne pas mettre le doigt sur la solution était une des limites qu’avait décidé de se fixer Anwar en se mettant à feuilleter de vieux dossiers. Tout pouvait changer en l’espace de dix ou vingt ans : la technique, les méthodes, les mœurs, l’expérience … Bien trop de paramètres pour que juger avec ses yeux de deux mille vingt quatre les actions entreprises avec un regard daté ne soit autre chose qu’injuste. « Disons que si quelque chose n’a pas fonctionné la première fois, je ne vois pas bien l’utilité de le refaire à l’identique. » Et le dossier Butcher était épais, aussi pouvait-on difficilement reprocher à qui que ce soit de n’avoir pas mis l’énergie ou les moyens pour tenter de résoudre le mystère. « J’ai participé aux recherches, à l’époque, mais comme à peu près tous les flics de la ville à un moment ou un autre. Pour le reste, je découvre le dossier comme s’il était neuf … Un autre cold case est peut-être en passe d’être résolu, ça facilite la vie de ceux qui voudraient en profiter pour en rouvrir d’autres. » L’inspecteur Zehri s’avançait un peu, en réalité … La bénédiction de la hiérarchie se limitait au fait que les dossiers récents, eux, n’en soient pas négligés pour autant, et il ne fallait rien espérer de plus que cette tolérance implicite. « Et si vous avez le sentiment que votre version n’a pas été entendue comme elle le méritait, alors je peux au moins vous promettre d’y accorder le crédit dont elle a manqué la première fois. » Le seul avantage indéniable aux affaires non-résolues, c’était qu’il n’y avait jamais rien de plus à perdre, mais parfois quelque chose à gagner.

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L’appel de l’inspecteur sonnait sérieux, alors elle répondait présente - il n’existait pas réellement d’autre alternative aux yeux de Millie. Elle avait appris et compris avec le temps que la moindre chance pouvait se trouver dans des détails qui lui semblaient insignifiants sur le moment mais qui, pris au sérieux, pouvaient faire une différence; alors par précaution, elle accordait assez facilement son attention à ces détails là. Elle savait pertinemment que ce n’était pas qu’une bonne idée, et que cela pouvait effectivement mené à de faux espoirs - ce ne serait pas la première fois, elle s’en remettrait. « J’en suis navré. » Elle haussa quelque peu les épaules: ce n’était pas de sa faute à lui pour toutes les fois précédentes, ce ne serait pas véritablement sa faute non plus s’il n’avait pas vraiment d’avancement à lui faire part aujourd’hui ou dans les jours à venir.

« Tout le monde et personne à la fois … ça ressemblait à la solution de facilité pour débuter. » - « Elle fait en sorte que ce soit le cas, aussi, n’ayez pas peur de le dire. » Bien sur qu’elle avait une dent contre sa soeur et qu’elle ne passait pas son temps à le cacher; ce n’était pas nécessaire, et il était plutôt simple de comprendre pourquoi une fois que le contexte était planté et expliqué. Ce n’était pas parce-qu’il s’agissait d’un représentant des forces de l’ordre qu’elle changerait sa façon de voir les choses, bien au contraire.

Mais l’inspecteur Zehri ne ressemblait pas à tous les autres inspecteurs qu’elle avait pu croiser jusque maintenant - que ce soit dans le temps présent ou au passé -, puisque les autres avaient tendance à prendre les mots de sa soeur comme argent comptant sans comparer sa version des choses à celles que d’autres pouvaient apporter. Aujourd’hui pourtant, c’était ce que celui posté en face d’elle souhaitait faire. « Disons que si quelque chose n’a pas fonctionné la première fois, je ne vois pas bien l’utilité de le refaire à l’identique. » Il eut au moins le mérite de la surprendre: elle appréciait l’idée et la réflexion derrière cette dernière. « J’ai participé aux recherches, à l’époque, mais comme à peu près tous les flics de la ville à un moment ou un autre. Pour le reste, je découvre le dossier comme s’il était neuf … Un autre cold case est peut-être en passe d’être résolu, ça facilite la vie de ceux qui voudraient en profiter pour en rouvrir d’autres. » Peut-être que son coeur accéléra quelque peu à cette idée, à cette promesse faite, même si elle savait qu’elle se devait d’être raisonnable de ce côté là. Les faux espoirs elle les connaissait, elle venait de lui dire - ce n’était pas pour autant que cela était agréable de les vivre. « Et si vous avez le sentiment que votre version n’a pas été entendue comme elle le méritait, alors je peux au moins vous promettre d’y accorder le crédit dont elle a manqué la première fois. » Remontant son regard dans le sien, Millie resta de nouveau quelques instants silencieuse. Pas qu’elle ne savait pas quoi dire - elle avait toujours eu une bonne répartie -, mais elle était très observatrice et elle avait toujours besoin d’un instant pour enregistrer ce qu’elle avait sous les yeux, pour consigner les informations qui se donnaient en silence. « Et qu’est-ce que vous attendez vous ? Je veux dire, pour désirer vous plonger dans des dossiers comme ça… » Elle marqua une pause, inspira un brin plus longuement que d’ordinaire. « Qu’est-ce que vous avez à y gagner ? » Il ne pouvait agir de la sorte simplement pour le plaisir de rendre des réponses à des familles; personne n’arrivait à être simplement si bon, si généreux et bienveillant. Elle était curieuse de savoir ce qui était à la clef pour l’inspecteur avait de continuer cette conversation.

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Anwar n’était ni un débutant ni la moitié d’un imbécile, et que son intérêt pour le dossier Butcher soit récent ne signifiait pas pour autant qu’il se soit rendu à ce rendez-vous la fleur au fusil, et sans avoir fait la moindre recherche au préalable. Il n’avait pas (encore) lu le livre écrit par l’aînée des enfants Butcher et érigé depuis au rang de succès littéraire, il y viendrait peut-être, mais avait au moins levé un sourcil dubitatif lorsque les résultats Google les plus récents lui avaient appris l’existence prochaine d’une série télévisée dérivée – dubitatif, mais aucunement surpris. La première de ses conclusions n’était en tout cas pas allée chercher bien loin : il était à priori bien plus facile d’accéder à la soeur aînée qu’à sa cadette, et en représentant farouche de l’esprit de contradiction c’était donc vers la seconde que s’était automatiquement porté l’intérêt de l’inspecteur, certain que l’écrivaine et scénariste avait suffisamment eu le temps et l’opportunité de s’exprimer pour que rien de ce qu’elle ait à dire ne soit de nature à lui apprendre quoi que ce soit que le dossier poussiéreux consacré à la disparition de son frère ne contienne pas déjà. “Tu verras, c’est vraiment deux salles, deux ambiances cette famille” lui avait pour sa part seulement indiqué l’assistante du bureau du procureur au téléphone, n’ayant pas plus de quelques minutes à lui accorder tout en faisant promettre à l’inspecteur de l’inviter à déjeuner un jour prochain pour qu’elle lui en dise plus. Et Millicent Butcher, par son « Elle fait en sorte que ce soit le cas, aussi, n’ayez pas peur de le dire. » posé avec une animosité à peine masquée envers son aînée, plaçait les premiers pions d’une situation à laquelle Anwar s’était mentalement préparée : celle de devoir naviguer entre quoi dire et quoi garder pour lui pour ne pas froisser dès le départ la personne la plus à même de l’aider à aborder toute cette histoire par un nouvel angle. « J’en conclus que votre sœur et vous n’avez pas vraiment le même point de vue à ce sujet ? » La disparition du petit Reggie en était-elle la cause, ou le désamour venait-il d’ailleurs, d’avant ? Et quelle place les parents occupaient-ils dans tout cela, sa première lecture du dossier ayant au moins appris à l’inspecteur que leur mariage n’avait pas survécu au drame ?

Prudent par nature, et conscient que déterrer de vieilles affaires pouvait aussi amener son lot de désillusions et de dommages collatéraux, Charlie et lui ayant eu l’occasion d’en (re)faire l’amère expérience quelques mois en arrière, Anwar n’entendait pas promettre monts et merveilles à son interlocutrice, et refusait même de se placer en solution à l’impasse dans laquelle se trouvait ce dossier depuis plus d’une décennie. Il avait passé l’âge de se croire plus malin que d’autres collègues avant lui, mais savait qu’à cerveaux égales déductions parfois diamétralement opposées, et que là où les éléments d’une énigme ne parvenaient pas à en venir à bout, le puzzle que chaque esprit construisait avec pouvait parfois faire la différence. « Et qu’est-ce que vous attendez vous ? Je veux dire, pour désirer vous plonger dans des dossiers comme ça … » Les dossiers désespérés ? « Qu’est-ce que vous avez à y gagner ? » Le choix des mots était intéressant, et donnait à Anwar l’impression que malgré elle Ottie Butcher avait ouvert la voie au fait que toute cette histoire ne soit plus vue que sous le prisme de ce qu’elle pouvait rapporter. En argent, en notoriété, en opportunités … Et haussant finalement les épaules, le policier s’était alors contenté de répondre « Rien du tout. » avec une honnêteté non feinte. « Pas plus que je n’ai quoi que ce soit à y perdre non plus. Un cold case c’est pas une grosse prise de risque pour un flic, si je dois être honnête. » Dans le meilleur des cas le dernier à s’y coller trouvait quelque chose que les précédents n’avaient pas décelé, dans le pire des cas il ne faisait que s’ajouter à la longue liste de ceux qui s’y seraient cassé les dents, et de la même manière qu’un demandait à un médecin de soigner mais pas nécessairement de guérir, on demandait à un enquêteur d’enquêter mais pas nécessairement de résoudre. « Mais je vous l’ai dit, c’est rare d’avoir la bénédiction de ceux qui sont en haut de la chaîne de décision pour remettre le nez dans de vieilles affaires, leur boulot à eux c’est de réfléchir en termes de coûts et de rendement … Quand y’a une opportunité, faut savoir la saisir. » Particulièrement quand, comme Anwar, on se doutait que la fenêtre ne resterait pas ouverte longtemps, et que le regain suscité par la découverte du cadavre d’une auto-stoppeuse recherchée depuis plus de vingt ans finirait par s’essouffler. « Je suis désolé, j’ai conscience que tout ça manque un peu d’humanité, je vous parle de coûts et de statistiques alors que pour vous c’est un pan entier de votre histoire. » Mais ce n’était pas lui, où elle, qui allait se mettre en travers de décennies de bureaucratie et de décisions prises par des individus n’ayant jamais mouillé eux-même la chemise. Il fallait faire avec, et faire au mieux.