Anwar Zehri & @Amos Taylor

Papers in the roadside tell of suffering and greed, fear today, forgot tomorrow, ooh, here besides the news of holy war and holy need. ☆☆

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L’idée de repasser les portes de l’Octopus ne s’était pas faite en un jour, et pas sans qu'Anwar n'ait tergiversé plusieurs fois avant de se décider (enfin) à prendre le taureau par les cornes. On n'attrapait pas les mouches avec du vinaigre, voilà la vérité, et ce que sept ans à s'en tenir à ses principes n'avait pas su résoudre, ravaler sa fierté pour admettre que sa méthode n'était pas la bonne et que des ressources n'étaient pas suffisantes parviendrait peut-être à le faire. Les ressources matérielles, bien sûr, mais également les ressources financières … Car s'il avait laissé sans broncher Cavanagh fixer ses prix dans l'espoir de la rendre plus efficace, force était de constater qu'il l'avait payée bien trop cher pour le peu de résultat qu'elle lui avait apporté. Son erreur, sans doute, avait été de croire que sous prétexte d'en avoir été chassée avec pertes et fracas, Lucy se serait délestée de tous les réflexes acquis en des années de police ; Mais les habitudes avaient la vie dure, et un détective privé restait avant tout … un détective. Hors Anwar avait besoin d'autre chose, il avait besoin de creuser d'autres pistes, de soulever d'autres pierres … Il avait besoin d'autre chose que d'un flic, en somme. Et Amos Taylor (c'était son nom, il avait fait ses devoirs), avec ses ressources parallèles et ses contacts impossibles à obtenir pour qui représentait l'ordre et la justice, faisait sur le papier office de candidat idéal. Restait à voir si, tant de mois après leur dernier (et premier) face-à-face, il aspirait toujours à l'être.

Espérait-il passer un peu plus inaperçu en choisissant précisément un soir de bal masqué pour venir montrer patte blanche ? Toujours est-il qu’alpagué dès son arrivée par une ouvreuse, il s’était vu remettre un loup noir assurant à ceux qui ne pensaient pas jouer le jeu de la masquarade de tout de même se laisser tenter. Docilement, l’inspecteur s’en était saisi et avait remercié du bout des lèvres avant de l’enfiler, pénétrant dans la salle de jeu où, une fois n’était pas coutume, les machines à sous et les tables de jeu faisaient office de divertissement secondaire au profit de l’orchestre et de la piste de danse déployés pour l’occasion. Ayant troqué ses habituels jeans-baskets-casquette pour un pantalon de ville et une chemise, dans une maigre tentative d’avoir un peu moins “l’air d’un flic” quand bien même vingt ans de maison avaient fini par imprégner jusqu’à sa démarche, l’inspecteur Zehri s’était baladé quelques minutes entre les allées de la salle de jeu, s’était imprégné de l’environnement comme on étudiait l’itinéraire d’un futur voyage, puis s’était finalement dirigé vers le bar où, prenant place sur l’un des hauts tabourets, il avait commandé un verre de Scotch avec des glaçons et attendu que le barman revienne pour demander « Vers qui est-ce que je dois me tourner, pour demander à parler au patron ? » Le toisant quelques instants en silence, l’employé avant haussé les épaules « Tout dépend qui le demande. Mais un inconnu, et sans rendez-vous ? » Aucune chance, c’était ce que le signe de la main qui avait suivi voulait dire. « J’ai pas dit que j’étais un inconnu. Vous n’avez qu’à dire que ça vient d’un ami d’Olivia. » Ami était un bien grand mot, et Anwar le premier avait nuancé la chose dès que le Taylor lui en avait donné l’occasion lors de leur précédent face-à-face … Mais c’était ce qui en faisait un clin d'œil de nature à renseigner “le patron” sur l’identité de son visiteur impromptu.

Laissé seul avec son whisky, Anwar n’avait pas insisté, mais suivi des yeux le barman et ses quelques mots échangés avec un gros bras à l’allure de bouledogue. Patient, il avait fait mine de savourer son verre comme s’il s’était agi d’un nectar divin quant en réalité, chaque minute qu’il laissait aux glaçons de fondre était une minute à diluer l’alcool qui l’accompagnait, et donc un sacrilège à la hauteur du prix que lui avait coûté le dit verre. Mais lorsqu’enfin le bouledogue était venu à sa hauteur et avait posé une main sur son épaule, non pas pour lui montrer la sortie mais pour lui demander de le suivre, Anwar avait su avoir remporté la première bataille – pas de quoi s’emballer, donc, car elle était la plus simple. Dirigé vers un salon privé où on l’avait laissé seul quelques instants, Anwar avait fait quelques pas à travers la pièce son verre à la main, observant le mobilier et les choix décoratifs comme un inspecteur le ferait dans le logement d’une victime (ou d’un suspect). « Bienvenue chez moi. » Arraché à sa contemplation du tableau accroché face à la porte d’entrée, le policier avait opéré un quart de tour pour faire face à celui qu’il était venu rencontrer, et tendu une main mesurée à celle que présentait l’homme d’affaire. « Vous avez bien fait de venir … Si vous êtes là pour ce que j’imagine. Alors ? Que voulez-vous savoir exactement ? » Arquant brièvement l’un de ses sourcils, Anwar s’était autorisé une gorgée du verre amené avec lui depuis le bar, avant de rétorquer « Pas de préliminaires, je vois. » d’un ton badin et de s’installer sur l’un des fauteuils, se passant volontiers d’attendre d’y avoir été invité par son hôte. « J’espérais me faire au moins offrir un autre verre avant, après tout vous me devez au moins ça … Vous m’avez ravi une enchère sur laquelle je comptais beaucoup, j’ai appris. » Quelles étaient les chances ? Cette guitare aurait été du plus bel effet sur l’un des murs du Jazz Club, mais apprendre ensuite le nom de celui qui avait remporté la mise en bout de course avait fait à l’inspecteur l’effet d’un signe. Un signe qu’il ne parvenait pas à interpréter, cartésien qu’il était. « Mais vous imaginez bien. Ce n’est pas pour cette raison que je suis là. » Il n’avait que faire de cette guitare, d’autant plus maintenant que l’affiche du Jazz Festival promettait quelques beaux jours au club. « Et si vous me permettez une question … J’avoue que j’ai du mal à saisir vos motivations. » Celles de l’inspecteur étaient limpides, il cherchait justice et vengeance dans un équilibre que le temps et la frustration faisait varier, et courrait après une quête personnelle sur fond de deuil. L’homme face à lui, en revanche, n’avait à priori rien à gagner de cette association, et émettre des réserves ne servait qu’à prouver la volonté d’Anwar, en dépit de tout le reste, à ne pas foncer tête baissée dans la gueule du loup.

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La proposition n’en était pas vraiment une, mais du reste, Anwar s’était amusé du ton sur lequel son hôte avait proposé « Vous pouvez même avoir la bouteille, si vous voulez. » comme on plaisantait pour tenter de mettre à l’aise celui que l’on accueillait pour la première fois dans sa demeure. Elle était au moins celle de ses affaires, à défaut d’abriter ce que l’homme avait de plus personnel, et puisqu’ils étaient justement là pour parler affaire Anwar n’avait pas attendu d’y être invité pour s’installer dans l’un des fauteuils, son attention n’en restant pas moins tournée vers ce qu’Amos Taylor avait à dire. « Pour la guitare, je ne peux rien faire. Je ne l’ai plus. Je l’ai offerte à une vraie fan de Sterling. » Marquant une brève pause, que l’inspecteur avait utilisée pour tremper ses lèvres dans son verre, l’homme avait repris aussitôt « J’en déduis que vous aimez sa musique … » et obtenu du policier un balancement  de la tête, signe que la chose était à nuancer. « Disons plutôt que j’aime la musique. » Sous toutes ses formes et pour à peu près tous les styles, les goûts d’Anwar en la matière se révélant aussi éclectiques que son sens du rythme était aiguisé. Rien ne l’agaçait plus que le snobisme musical, et la grimace que faisaient certains face à ce qu’ils estimaient ne pas être de la “bonne musique” au seul prétexte qu’elle indifférait leur oreille et leur âme, comme si elles avaient valeur d’étalon. « Mais je suppose que vous ne m’avez pas invité ici pour que je vous partage mes goûts en la matière. » Lui-même n’était pas là pour cela, et quand bien même il s’agissait d’un sujet sur lequel il était infatigable, Anwar aspirait à ce que sa visite au casino porte avant tout ses fruits sur les sujets qui l’y amenaient en premier lieu.

Laissant la subtilité au placard, ni l’un ni l’autre n’ayant besoin qu’on leur rafraîchisse la mémoire quant à ce qu’ils pouvaient espérer (ou non) s’apporter, l’inspecteur entendait plutôt en apprendre un peu plus sur les motivations de l’homme qui lui faisait face, ces dernières lui semblant moins limpides que ne pouvaient l’être les siennes. « Vous avez peur que je vous manipule ? » Le coup d'œil posé sur son interlocuteur sans sourciller répondait à la question, aussi Anwar l’avait-il laissé poursuivre. « Je ne suis pas le même genre d’homme que Mitchell. Je n’ai pas autant de cadavres dans mon placard. » Lui était d’avis que l’on ne prenait pas la place d’un truand sans se salir les mains, aussi l’inspecteur doutait-il sincèrement que celles d’Amos Taylor puissent être propres – ou plutôt, il avait la certitude qu’elles ne l’étaient pas, peu importe que des preuves existent ou non à ce sujet. « Mais, j’en ai, comme tout le monde. Ma fille est décédée, de façon très injuste à mon sens. » Y’en avait-il de justes ? La question lui avait presque échappé, mais pour que s’y substitue plutôt un « J’en suis désolé. » plus sobre, mais qui se voulait au moins sincère. « Mitchell n’est pas étranger à son accident. » Et les gens qui tombaient comme des mouches autour de Mitchell déjà du temps où Anwar travaillait pour les stups ne mourraient pas “par accident” – tout comme ceux qui se volatilisaient du jour au lendemain ne partaient pas refaire leur vie sur une plage balinaise. « Quand je peux faire mieux que lui, quand je suis meilleur que lui, je me sens mieux … c’est une autre forme de vengeance. » Les lèvres s’étirant en un mince sourire qui aurait pu signifier tout et son contraire, Anwar s’était finalement permis une remarque « Je reste assez peu réceptif aux exploits de Strange, quel que soit le domaine. Vous m’excuserez. » Nul besoin de se perdre en explications, elles coulaient de source.

Que l’homme recherché par Anwar puisse également être une épine dans le pied du Club, peu importe ce qui s’y tramait depuis que l’inspecteur avait cessé de travailler sur le (gros) dossier que cela représentait, n’était rien de plus qu’une opportunité pour lui de ratisser plus large. L’éventualité de rendre service au Club même de façon détournée, même pour une cause qu’il estimait plus juste, restait une épine dans son pied à lui, et le ton poli sur lequel se déroulait sa conversation avec Amos n’enlevait rien au fait qu’il ne soit pas ici de gaité de cœur. « En ce qui me concerne je ne marche pas à la vengeance, seulement à la justice. Je sais que ça n’est pas trop le genre de la maison, alors je préfère que ce soit clair. » Anwar voulait des réponses, pas semer des cadavres dans son sillage. Des réponses pour lui-même, des réponses pour Norah, des réponses pour les enfants de Frank. Il voulait qu’Aidan et Julie puissent se construire en tant qu’adultes avec le sentiment que justice leur avait été rendu pour avoir été privés de leur père, et que cette justice-là ne se résume pas à un cadavre balancé dans la Brisbane River. « Vous avez intérêt à ce que l’homme que je recherche ne traîne plus dans vos pattes, et j’ai intérêt à ce que le dossier pour meurtre que j’ai à lui mettre sur le dos soit clos. Je ne me contenterai pas d’un non-lieu. » Et donc pas d’un cadavre, c’était le réel propos de sa remarque, et libre à l’homme d’affaire de jouer les vierges effarouchées en prétendant que jamais une autre option que celle-ci ne lui avait effleuré l’esprit.

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Les mondanités n’étaient pas le fort d’Anwar, qui avait pourtant appris à en jouer le jeu lorsque la situation l’exigeait, comme tant d’autres choses apprises sur le tas. Elles auraient pu lui amener un autre genre de carrière, des postes plus prestigieux ou des risques plus grands (et plus payants), mais acquis de gré ou de force au rôle du parent présent, le brun n’avait jamais fait ses choix autrement qu’en accord avec le temps qu’il voulait (et devait) accorder à son fils, à défaut d’un partage équitable de la charge avec une épouse absente. Reste que sa versatilité lui permettait d’apparaître à son aise même dans des lieux ou des situations qui auraient dû lui donner l’air méfiant, et si parler un brin musique avec l’une des têtes pensantes du Club n’était pas l’idée qu’il se serait fait de son samedi soir, il tentait d’en tirer le meilleur parti pour mieux poser les pièces nécessaires au sujet qui les intéressait réellement. Pour autant, le « J’aimais ça aussi, à une époque, mais il y a longtemps. J’ai fini par la fuir justement pour ce qu’elle véhicule en émotions. » obtenu après quelques échanges ne lui avait inspiré qu’un hochement de tête silencieux, préférable sans doute à la première pensée ayant traversé son esprit : celle que jouer les gros durs imperméables à toute forme de sentiment sonnait bien comme un truc de mafieux, avec tout ce que cela comportait de clichés plus ou moins légitimes.

Car peu importait, en vérité, que l’homme face à lui ne distille les tristes détails de ses motivations à détester Strange, et l’héritage qu’il avait laissé derrière lui. Aux yeux d’Anwar, dont le métier lui conférait une vision binaire ce qu’était le bien et le mal, le simple fait de s’inscrire dans l’histoire et le fonctionnement d’un système qui fonctionnait sur la faiblesse, la débauche et le malheur des uns plaçait son interlocuteur du mauvais côté de la barrière. Amos Taylor avait fait ses propres choix, comme Anwar décidait de faire les siens, l’un et l’autre probablement persuadés de n’avoir de comptes à rendre qu’à leur conscience. « Seul un fou le tiendrait en estime. Néanmoins, vous attendiez quelque chose de lui et il s’avère que moi, je peux le donner. » avait-il finalement repris, le policier lui faisant l’aveu de son peu d’intérêt – et surtout d’admiration – sur les prouesses de leur ancienne connaissance commune. « Et je le ferai, sans doute, quand lui aurait choisi de vous mener en bateau. Ça ne signifie peut-être pas grand-chose à vos yeux, mais pour les miens … » Déroulant le fil de sa pensée, l’homme avait sorti de son chapeau un dossier qu’il avait gardé à la main, comme on tentait de mettre la boîte de biscuits à hauteur d’enfant en lui promettant qu’il en aurait un s’il promettait d’être sage. « C’est me sous-estimer que de me croire suffisamment crédule pour avaler sans réfléchir toutes les couleuvres qu’aurait tenté de me servir Strange. » en avait alors profité pour faire remarquer l’inspecteur, sans animosité, mais soucieux néanmoins de remettre l’église au milieu du village. « Moi, je peux agir et c’est tout ce qui m’intéresse sur le palmarès Strange. » Alors soit, peut-être la motivation de l’homme qui lui faisait face n’était-elle guidée que par son ego, et le besoin de jouer dans son coin à qui pissait le plus loin avec l’ancienne tête pensante de leur association de malfaiteurs.

Presque à la limite de sa patience, Anwar avait fait tournoyer un instant ce qui restait de whisky au fond de son verre, le regard allant de cela à la paire d’yeux de son interlocuteur, mais sans passer par le dossier qu’il tenait à la main – allez savoir, il était peut-être même vide et seulement destiné à détourner son attention d’autre chose, et aussi courtoise était la conversation Anwar n’en oubliait pas pour autant qu’il se trouvait actuellement en terrain adverse. Mais enfin, Amos Taylor s’était décidé à en venir au fait : « Et je pense déjà faire mieux que lui. Alors, je vous écoute. Que voulez-vous savoir en premier lieu, ce que vous pourriez faire pour moi ou ce que moi, je peux réellement faire pour vous ? » Seul le “réellement” avait attiré l’attention d’Anwar, ses motivations lui semblant jusque-là suffisamment limpides pour que que son interlocuteur n’ait pas à y voir d’autres éléments de celui déjà évident. « Vous savez ce que je veux. Retrouver quelqu’un qui, de toute évidence, a semé un peu de grabuge chez vous mais sans vous inquiéter suffisamment pour que vous ayez creusé la question. » Et ce “vous” là valait autant pour l’homme qui se tenait en face de lui que pour la précédente tête pensante du Club. On lui opposerait que depuis sa cellule de prison, Strange était à l’époque limité dans ses possibilités, mais Anwar avait enquêté suffisamment longtemps sur ses trafics pour savoir que les tentacules du mafieux s’étendaient à l’époque bien au-delà des barreaux de sa prison. « La vraie question, c’est de savoir ce que vous vous attendez de moi, et qui vous intéresse suffisamment pour envisager de faire ce pourquoi personne dans vos rangs n’a levé le petit doigt en l’espace de sept ans. » Anwar n’était pas dupe : tout cela aurait un prix. La vraie question pour lui était donc de savoir jusqu’où il était prêt à aller pour arriver à ses fins, et si sa limite et celle de l’homme d’affaire étaient compatibles.