Raelyn & Primrose

Douée pour mettre les gens à l’aise ? S’il ne s’agissait pas de ma patronne, j’aurais certainement éclaté de rire. Si elle pense vraiment que c’est ce qu’elle est en train de faire à l’heure actuelle, elle se trompe royalement, sa froideur et son air calculateur sont les premières choses qui sautent aux yeux. J’ai l’impression que toutes mes paroles sont passées au crible en permanence tout comme la plupart de mes faits et gestes. Je me demande ce que je dois dire ou ne pas dire, la manière dont je dois me comporter pour que ça lui convienne et à chaque instant, je suis ce funambule suspendu au-dessus du vide qui pourrait faire une chute mortelle si son équilibre était perdu. « Peut-être que les gens n’ont simplement pas le cran d’admettre qu’ils ne le sont pas. Je crois que je n’aurais pas osé non plus si les circonstances n’avaient pas été différentes, mais en tant qu’amie de longue date, j’imagine qu’il est de mon devoir de faire preuve d’honnêteté. » Sans trop en faire, bien évidemment, je rentre dans le rôle du personnage qu’elle a inventé pour moi, évidemment, parce que je dois le faire, que c’est mon devoir et que lui montrer que je suis capable d’être plus naturelle avec elle prouve ma volonté de bien faire. Je sais parfaitement qu’à l’issue de cette soirée, notre relation redeviendra parfaitement cordiale avec toute la distante hiérarchique nécessaire. « Un mauvais départ ? Vraiment ? » Mon ton est sarcastique, je ne m’en cache absolument pas mais je n’en fais pas trop non plus, désireuse de rester à la place que je dois tout de même conserver malgré un rapprochement nécessaire pour ma mission du jour. « J’aurais pourtant juré que le chantage était une base professionnelle plutôt correcte. » Ce n’est pas exactement du chantage, plutôt une entente implicite qui m’oblige à m’exécuter par peur de voir ma vie être complètement détruite suite à un simple coup de téléphone. Je n’ai aucunement l’intention de mettre un terme à notre accord, je n’ai pas de raisons de le faire à dire vrai. Je me satisfais pleinement de notre accord qui, certes me demande un dévouement à toutes épreuves, mais engendre également des bénéfices que je ne saurais refuser compte tenu qu’ils me permettent facilement de tripler mon salaire horaire. Les véritables problèmes commenceront si je décide de me retirer du business un jour, mais comme c’est loin d’être le cas à l’heure actuelle, je n’ai pas trop d’inquiétudes.

A dire vrai, je suis étonnée que nous réussissions à avoir une conversation qui se rapproche presque de celles que pourraient avoir deux connaissances dans un cadre normal. J’ai moins peur que d’habitude, mon discours est plus fluide et même si je fais bien évidemment attention aux informations qui sortent de ma bouche, j’estime être dans une position qui me permette de baisser un peu ma garde et d’être plus moi-même. C’est étonnant la manière dont un simple cadre peut changer les relations entre deux personnes. C’est éphémère, certes, mais pas déplaisant. « Je ne sais pas si c’est rassurant mais c’est flatteur, merci. » Je pense que ce n’était pas son objectif, je ne suis même pas sûre qu’elle voulait me rassurer. J’ai l’impression que Raelyn est simplement factuelle, elle ne cherche pas à plaire ou à déplaire, elle dit les choses comme elles sont et c’est une qualité admirable. Je dois dire que je n’ai pas beaucoup de raisons de l’admirer en dehors de ça, si ce n’est pour la place qu’elle a réussi à obtenir, certainement à la sueur de son front. Je commence à connaitre un minimum le milieu dans lequel j’évolue à présent et je sais que rien n’arrive pas hasard et que si elle est à cette place actuellement c’est qu’elle l’a méritée. Je crois aussi qu’elle n’aura jamais la vie facile parce qu’elle va devoir se battre pour conserver cette place si chèrement obtenue. Je crois qu’en réalité, j’ai e quoi être admirative de son parcours même si celui-ci a fait d’elle cette femme froide et calculatrice. « Toutes les questions, vraiment ? » Je suis étonnée qu’elle se mette à nue de cette façon. Elle ne doit vraiment pas me considérer comme une menace si elle se permet de se montrer un peu plus vulnérable qu’à l’accoutumée face à moi mais peu importe, je compte bien profiter de ce cadeau qu’elle me fait. « Est-ce que tu as une famille ? J’entends par là, mari, enfants ? » Je fais attention, évidemment, elle a bien précisé que mes questions devaient être raisonnable donc je me garde bien d’être trop intrusive, mais pour une raison qui m’échappe, je crois que j’ai besoin de prouver que cette femme est humaine malgré tout et que sa vie privée peut éventuellement être celle de madame tout le monde. « Est-ce que tu es capable de te laisser attendrir par quelqu’un ? » Je me demande réellement si baisser sa garde fait partie des choses dont elle est capable. J’ai un peu du mal à envisager qu’elle puisse faire preuve de clémence ou de bienveillance mais peut-être est-elle capable de me surprendre. Cette soirée vient de prendre un tout autre tournant qui, je dois bien l’admettre, est bien loin de me déplaire.

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Raelyn & Primrose

Je ne me sens pas sur le même pied d’égalité que Raelyn et ce ne sera sûrement jamais le cas, mais voir qu’elle fait l’effort que nous nous mettions à la même hauteur pour avoir enfin une conversation qui, d’un œil extérieur, pourrait presque sembler amicale, est un progrès que je ne peux que saluer. Lorsqu’elle plante son regard dans le mien, je parviens pour la première fois à le soutenir sans rougir ou baisser les yeux, certaine d’avoir acquis, au moins pour un soir, une certaine légitimité. Elle reste ma patronne, je n’aurais jamais aucun doute sur le fait qu’elle est ma supérieure et que je dois lui parler avec un respect et une retenue évidente, mais cette presque trêve est franchement agréable et j’en profite sans m’en cacher. De toute façon, elle peut lire mes émotions tellement facilement que j’ai abandonné l’idée de les lui dissimuler. C’est sûrement quelque chose sur laquelle je devrais travailler si je dois continuer à évoluer dans ce milieu. Être trop prévisible est quelque chose qui risque évidemment de me desservir. « Analyser les gens, ce n’est pas vraiment mon truc. Du coup, je pars du principe qu’ils sont sincères et transparents et je me rends compte bien plus tard que ce n’était pas le cas. » Etrange de la part d’une fille qui mène une double vie et est tout sauf transparente. Je crois que je suis tout simplement nulle pour comprendre les êtres humains et que j’ai fini par renoncer à essayer de le faire parce que ça me prenait trop la tête. J’aurais peut-être dû passer un CAP petite enfance au lieu d’essayer d’entrer dans l’univers le plus sombre de Brisbane sachant mon incapacité chronique à comprendre les gens. Il faut croire que j’aime plus vivre dangereusement et gagner plus d’argent que d’assurer ma propre sécurité. « Tu veux dire que la plupart du temps, tu joues un rôle ? » Est-ce que ça m’étonne vraiment ? Je ne crois pas, je n’arrête pas de dire que c’est impossible d’être aussi froide pendant cent pour cent du temps. Elle est en train de confirmer mes doutes et étrangement ça me rassure. « Bien sûr que non. A partir du moment où mon contrat de travail n’existe pas, je ne me fais aucune illusion. » Elle l’a dit tout à l’heure, elle n’a pas embauchée une cruche, je sais pertinemment que je suis entrée dans une spirale dont je ne ressortirais que si elle le décide et dans l’état dans lequel elle le décide. Dire que ça m’inquiète serait mentir, je vis au jour le jour, l’avenir me parait pour le moment être tellement flou que je me fiche bien d’être enchainée à vie à quelque chose dont j’ignore pourtant toute la puissance et l’impact. Je suis une goutte d’eau dans l’océan. Ma vie a peu d’importance aux yeux des gens que je côtoie et c’est à moi de me battre pour qu’elle en ait.

Ma première question me paraissait être totalement anodine et la réponse sèche et directe que je reçois me prouve qu’elle ne l’est pas tant que ça. Je me garde bien de rebondir là-dessus, ne souhaitant pas les limites qu’elle m’a imposée dès le début de cette conversation. Si je veux pouvoir poser toutes les questions qui me viennent en tête, il faut que je fasse extrêmement attention à ne pas la braquer. La deuxième question est plus concluante mais j’admets que savoir qu’elle éprouve réellement des sentiments humains par moments est plutôt rassurant. « Qu’est-ce qui te plait vraiment dans tout ça ? Je veux dire, dans la position que tu occupes ? » Certes, elle a du pouvoir et de l’influence, mais je ne suis pas assez stupide pour ne pas me rendre compte que la position qu’elle occupe au sein de ce monde si sombre n’est pas sans risque et qu’elle doit certainement faire très attention au moindre de ses faits et gestes pour pouvoir assurer sa propre sécurité. « Comment as-tu fait pour gagner le respect des gens ? » Encore une question pas trop personnelle sur un sujet qui m’intéresse réellement. Je sais que Raelyn n’est pas un modèle que je peux copier pour arriver à sa place, je ne suis même pas sûre de le vouloir, en réalité, mais je crois que je serais rassurée d’apprendre qu’elle est partie de loin, qu’elle a fait des erreurs, qu’elle a rebondit, qu’elle a recommencé et ainsi de suite. Dans cet univers, c’est moi la novice et elle la femme forte et expérimentée. J’ai conscience d’avoir énormément de choses à apprendre à son contact et puisqu’elle a la gentillesse de m’en offrir l’opportunité, je ne me prive pas. Bien sûr, j’ai compris qu’il fallait à tout prix que j’évite le domaine des relations privées alors je laisse ce sujet de côté, mais le domaine professionnel m’intéresse tout autant et j’espère que les réponses qu’elle m’apportera seront à la hauteur de mes attentes. « Dernière question… Enfin, pour l’instant, est-ce que tu as déjà dû mettre une de tes menaces à exécution ? » Evidemment, je ne veux pas savoir si elle a commis un meurtre ou commandité un meurtre, ça n’a aucun intérêt, j’espère juste savoir si elle est ce genre de femme qui va au bout de ses idées ou si sa simple réputation lui permet d’obtenir le respect qui lui est dû sans jamais qu’elle ait à se salir, directement ou indirectement, les mains. Cette femme m’intrigue et l’idée de pénétrer, ne serait-ce que d’un demi-orteil, dans son univers, est une opportunité que j’apprécie à sa juste valeur.

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Raelyn & Primrose

Je grimace, pas étonnée du conseil donné par Raelyn mais pas ravie de devoir faire ce travail sur moi pour autant. Je crois que mon gros problème c’est que je ne m’intéresse aux autres que parce que j’en ai besoin et que quand ce n’est pas le cas, je ne cherche pas à leur accorder plus d’attention que nécessaire. Par conséquent, il doit être aisé pour quelqu’un qui a de mauvaises attentions de m’approcher et de se jouer de moi sans que je m’en rende compte puisque je ne suis pas sur mes gardes. C'est un vrai problème lorsqu’on évolue, comme moi, dans un milieu où les gens n’ont que de mauvaises intentions. Je crois que j’aurais dû essayer de gagner plus d’argent en me mettant à la couture, ça aurait été moins lucratif mais ça m’aurait au moins permis d’assurer ma propre sécurité. Je dois moi aussi apprendre à jouer, à manipuler et à faire dire ce que je veux aux personnes qui deviennent mes cibles. Ça viendra, je ne me fais pas d’illusion, un peu de travail et d’assiduité seront nécessaires, mais tous les grands de ce monde étaient petits au départ et je ne fais pas exception. Je pars du principe qu’avec un peu de bonne volonté et beaucoup de pratique, on peut évoluer et s’améliorer. Je suis ambitieuse, bosseuse et je n’ai pas froid aux yeux, je prouverais à Raelyn que je peux être autre chose qu’une petite chose fragile. Pas aujourd’hui, bien sûr, aujourd’hui je me contente de suivre les règles et de jouer mon rôle car c’est ce que ma patronne attend de moi. Il ne faut pas être trop pressé de gravir les échelons, c’est en grimpant trop vite le long de l’échelle qu’on finit par louper un barreau et j’ai moi aussi appris les fables de La Fontaine à l’école primaire et ai donc pris conscience que la rapidité n’est pas un gage de réussite. Au fond, j’ai hâte de vivre cette vie, de ne plus être le petit pion de l’échiquier et de pouvoir tirer les ficelles à mon tour.

C’est la première fois que je trouve que les mots « brutale » et « honnêteté » sonnent bien ensemble mais il n’est pas étonnant que ce qualificatif s’applique parfaitement bien à Raelyn et j’apprécie qu’elle joue le jeu des questions et réponses qu’elle m’a elle-même proposé quelques instants auparavant. Je crois que je commence à cerner un peu plus le personnage et ce que j’apprends d’elle me plait bien parce qu’elle me permet de la voir sur un autre jour. Bien sûr, elle reste cette femme froide et calculatrice qui a seulement besoin de claquer des doigts pour obtenir ce qu’elle veut mais au-delà de ça, j’ai aussi l’impression que tout ne lui est pas tombé tout cuit dans le bec et c’est une perspective très rassurante. Forcément, parce qu’elle se montre relativement réceptive, je creuse, je cherche à en apprendre davantage, je profite de cette pause qu’elle m’accorde pour être davantage moi-même sans pour autant laisser tomber mes barrières. Après tout, c’est quand même elle qui m’a dit qu’il fallait que je me méfie en toutes circonstances donc j’imagine que même une conversation pseudo amicale n’est pas propice à ce que je baisse totalement ma garde. « Je me renseigne simplement, sans aucune arrière-pensée. » Ou, en tout cas, sans aucune arrière-pensée qui pourrait être immédiate. Je sais que je ne dispose pas, à l’heure actuelle, des clés qui me permettraient d’occuper une telle position sans être destituée de mes fonctions ou envoyée six pieds sous terres dans les jours suivants. Je suis avide de pouvoir, il ne faut pas se mentir, mais je suis également lucide sur ma capacité à occuper une place aussi importante. En revanche, puisque je suis au côté d’un maitre en la matière, j’ai conscience que les informations que je peux obtenir sont précieuses et me serviront plus tard. « C’est vraiment comme ça que tu le vois ? Comme un jeu ? » Je ne suis pas sans ignorer des risques permanents qu’elle doit supporter et pourtant, elle a l’air parfaitement à l’aise mais j’imagine que c’est parce qu’elle maitrise totalement la situation. J’apprécie cet élan de sincérité à sa juste valeur et emmagasine également tous les conseils qu’elle me donne pour pouvoir évoluer dans ce milieu si dur. « Je vois, pas d’attache et de la détermination. » Ça ne me parait pas inconcevable, les attaches, je n’en ai effectivement pas et pour ce qui est de la volonté de réussir, je n’en ai jamais manqué.

La dernière réponse qu’elle m’accorde est particulièrement vague mais je n’ai pas le temps de la questionner davantage que le fameux Oliver, homme charmant, certainement bien plus âgé que moi mais pas nécessairement plus expérimenté dans le domaine qui nous intéresse, fait son apparition. Je suis étonnée de me rendre compte qu’il n’a pas du tout l’air aussi impressionnant que Raelyn. Sa présence ne me met pas mal à l’aise et je ne le quitte pas des yeux, observant son attitude pour pouvoir adapter la mienne à son mode de fonctionne puisque c’est exactement ce que la jeune femme attend de moi. « Ravie. » Dis-je lorsque ma patronne et amie pour ce soir, me présente à notre nouvel interlocuteur. Je tends une main vers lui, soutenant son regard alors que mes doigts s’attardent sur les siens juste assez pour lui faire comprendre que je ne suis pas venue enfiler des perles mais pas suffisamment pour qu’il m’imagine prête à me jeter sur lui. Je ne joue pas les prostitués ce soir, je ne l’ai pas oublié, et chacun de mes gestes est évidemment calculé. « Le plaisir est pour moi. » Il soutient mon regard alors qu’il prend place à notre table. « Qu’est-ce qui vous amène à Brisbane ? » Question basique, à laquelle je m’étais évidemment attendue et ma réponse est toute prête. « L’université a fait appel à moi pour que j’intervienne dans un module de droit pendant quelques jours, Raelyn a eu la gentillesse de s’assurer que mon séjour à Brisbane soit mémorable et je dois admettre que je ne suis pas déçue. » Mentir sans mentir pour être sûre de ne pas commettre d’impair est une règle de base qui m’a toujours permis d’éviter les faux-pas. En l’occurrence, mes connaissances de droit me permettraient évidemment d’argumenter en cas de besoin mais j’ai bien conscience qu’il se fout complètement de ce que je fais dans la vie et qu’il s’agissait d’une simple entrée en matière. Le sourire qui ne quitte pas son visage me confirme que je suis bien partie. Rendue plus assurée par ce succès, je poursuis sans la moindre gêne. « Vous n’êtes pas d’ici… Etats-Unis, je présume ? » Je n’ai aucun mérite, son accent parle pour lui et j’ai conscience qu’en termes de questions que je peux me permettre de lui poser, il faut que je fasse très attention car les affaires l’unissant à Raelyn ne me regardent nullement et un faux-pas à ce sujet serait regrettable. « Perspicace. » La soirée est lancée et elle promet d’être excellente.

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Raelyn & Primrose

Au moins, sur ce point, nous sommes d’accord. Ce n’est pas un jeu, nous jouons avec nos vies à chaque instant et il est tout à fait possible qu’un simple faux-pas suffise à entrainer notre chute. Cette idée me fait peur autant qu’elle suscite un certain enthousiasme. Je ne devrais pas du tout trouver plaisant de risquer ma vie, et ce n’est pas le cas, d’ailleurs, mais j’aime le risque parce que c’est ce qui provoque cette montée d’adrénaline si plaisante. Malgré tout, j’ai conscience de ne pas être prête pour me lancer là-dedans pour le moment et je vais donc rester en dehors de tout ça jusqu’à ce que je sois apte à assurer ma propre sécurité ou à manipuler assez de personnes pour qu’elles s’en chargent à ma place. Autant dire qu’il me reste encore de belles années devant moi avant d’arriver, comme Raelyn, sur les premières marches du podium. Cependant, savoir que même après plusieurs années passées dans ce milieu et quelques expériences, bonnes ou mauvaises, accumulées, je ne m’amuserais pas avec ma propre vie, me jouant des risques comme si mourir n’avait pas la moindre importance, me rassure. Raelyn parait sûre d’elle et je suis sûre qu’elle l’est, mais j’imagine que ça ne l’empêche pas d’avoir peur, par moment, elle sait juste le dissimuler bien mieux que moi. Un jour, je lui ressemblerais, au moins sur ce point, je m’en fais la promesse. J’ai beau ne pas aimer jouer avec ma vie, ce n’est pas pour autant que je n’aime pas le jeu en règle générale et ces questions-réponses sont instructives et je stocke toutes ces précieuses informations dans un coin de ma tête, sûre et certaine qu’elles me seront utiles un jour, lorsque j’aurais un peu plus de bouteille. Ne pas minimiser ou oublier les risques, mais ne pas non plus les laisser me contrôler. Lorsque ces paroles sortent de sa bouche, ça parait presque une évidence mais évidemment il n’en est rien. Il doit être extrêmement compliqué de trouver le juste milieu afin de ne jamais se laisser dominer par ses peurs sans pour autant en faire totalement abstraction. J’ai du travail, une tonne de travail, même, mais je suis une bosseuse, la montagne à gravir ne m’a jamais arrêtée et je sais que ce n’est pas parce que je n’ai pas la tête de l’emploi que je ne pourrais pas aller loin si je m’en donne les moyens.

Devant Oliver, j’oublie ces luttes de pouvoirs et les autres questions que je pouvais avoir à poser à Raelyn. Cette complicité éphémère laisse place à un jeu de rôle dans lequel je suis bien plus à l’aise. Depuis le temps que j’exerce ce métier, il est évident que je maitrise très bien cet art et je suis dans mon personnage, imperturbable, souriant quand il le faut, minaudant devant le bel Oliver que je ne verrais sûrement qu’une seule fois dans ma vie mais à qui je dois faire extrêmement bonne impression pour que Raelyn apprécie mon travail. J’espère que son idée de me demander des conseils législatifs n’est pas réelle parce qu’elle va être déçue d’apprendre que je me suis spécialisée dans les affaires familiales. En tout cas, Oliver a l’air ravi du compliment, il a presque des étoiles dans les yeux et je suis totalement détendue en me rendant compte que la tâche est à la hauteur de mes compétences. J’accepte le faux compliment avec un léger sourire et laisse la conversation se poursuivre en m’adressant évidemment davantage à Oliver qu’à Raelyn. De ce fait, le départ de la jeune femme ne parait pas arriver comme un cheveu sur la soupe. Je peine à lui rendre son étreinte – il ne faut pas trop m’en demander quand même – et feins la déception. « Déjà, quel dommage, j’aurais aimé que tu profites davantage de cette merveilleuse soirée avec nous… Mais les affaires sont les affaires. » Et en l’occurrence, j’ai ma propre affaire à régler de mon côté avant de pouvoir retrouver ma liberté. Enfin, je ne sais pas si on peut réellement parler de liberté dans mon cas sachant que dès qu’elle aura de nouveau besoin de moi, elle m’appellera de nouveau et tout comme ce soir, je ne pourrais pas dire non. « Evidemment, je t’appelle, je serais bien incapable de repartir sans venir te remercier encore une fois pour ce merveilleux séjour. » Ou lui faire un compte-rendu détaillé de la soirée que nous avons passé ensemble, Oliver et moi.

Lorsque j’ouvre les yeux quelques heures plus tard, le soleil se lève à peine devant les grandes baies vitrées de la suite beaucoup trop luxueuse que nous occupons. J’ai à peine fermé l’œil durant les quelques heures de récupération que nous nous sommes accordés. Je déteste dormir avec un homme que je côtoie dans le cadre de mon travail mais en l’occurrence, je n’ai pas oublié que je devais jouer le rôle de l’amie de Raelyn et non pas de la professionnelle qui passe à autre chose dès le travail accompli. En revanche, il est évident qu’il y a un juste milieu à tout cela et je n’ai aucunement l’intention de prendre le petit-déjeuner en tête à tête avec Oliver, aussi sympathique soit-il. Mon travail ici est terminé. La respiration de mon client est régulière et me rassure. Morphée n’est pas prêt de le lâcher. Je me lève doucement pour ne pas le réveiller, réunis mes affaires éparpillées sur le sol, galère à remettre ma robe, un peu trop froissée d’ailleurs, noue mes cheveux en une queue-de-cheval approximative et attrape mes talons pour sortir pieds nus de la chambre. La porte se referme doucement derrière moi et je reprends le chemin de mon chez-moi, satisfaite d’avoir accompli mon devoir. J’ai conscience d’avoir bien réussi ce qui me rassure quant au rapport que je vais devoir faire. Dans le bus que je prends pour rentrer chez moi, j’attrape mon téléphone, ignorant les éventuels textos de mes proches pour en envoyer un à ma patronne « Oliver était très content de sa soirée, je répondrais à vos questions quand vous le souhaiterez ». Le ton est redevenu formel mais étrangement je ressens une pression beaucoup moins importante à l’idée de la voir de nouveau.

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The end