Sans chercher de prétexte auprès de Joanne, j'ai simplement quitté la maison pour la soirée, la laissant avec Daniel. Je me sens comme le pire père du monde, à partir un des rares soirs où je pourrais passer du temps avec lui alors qu'il est toujours couché à l'heure à laquelle je rentre depuis le début de la semaine. Mais je sais je lui serai de mauvaise compagnie, je ne veux pas qu'il ressente tout ce qui ne va pas et qu'il s'inquiète, ce n'est pas le rôle d'un bébé de canaliser les soucis de ses parents. Il sera bien mieux entre ses jouets et les chiens. Un soir de plus ou de moins sans moi, il ne verra pas la différence. Alors j'ai grimpé dans l'Aston Martin et j'ai conduit jusqu'à la villa où je me suis un temps senti chez moi. Un lieu sûr où je pouvais rentrer tous les soirs et me sentir à l'abri. Mais c'est le genre de pensées qui m'ont attiré les foudres d'Hannah, et ce n'est pas pour les satisfaire que je suis là. Je dois faire ma part d'efforts pour garder cette amitié, je les ferai. Je suis nerveux à l'idée de ne pas être capable de ne pas regarder la comédienne comme elle ne veut pas que je la regarde, et qu'elle m'en veuille pour ça. Je sais de quoi elle parle, mais pas comment m'en empêcher. Qu'importe, c'est un pas après l'autre, c'est ainsi que ça fonctionne. Je suis allé récupérer son amitié, elle est venue vers moi quand j'en avais besoin, maintenant c'est mon tour de prouver que je peux être un ami. J'ai attendu le bon moment pour venir, jusqu'à me rendre compte qu'il n'y aura jamais un moment meilleur qu'un autre. Ce soir, basta. En espérant qu'elle ne soit pas déjà ailleurs. Son Majordome me confirme qu'elle est présente, et il file la chercher pendant que j'attends à la porte ; je n'entre pas, comme ça ce sera plus facile pour elle de me la claquer au nez. Lorsque Hannah apparaît, je lui souris timidement. Je ne fais pas le fier après la dernière fois, elle peut estimer que j'ai tout gâché et elle aurait encore une fois raison. « Je sais que tu n'aimes pas les surprises, mais voilà quand même. J'espère que c'est pardonnable de ma part. Je sais que je t'agace. » Et pas qu'un peu. « Jon n'a la têt à rien à part régler ses propres histoires de coeur, James est trop occupé avec la promo de son livre, Gaby à le suivre, et je ne veux pas me tourner vers ma famille. Alors je n'ai que toi à embêter avec des histoires que tu ne veux pas entendre. » Et puisque je n'ai pas envie de l'embêter avec ça, me voilà bien seul pour tout affronter à un moment où toute ma vie est en stand by, sans personne pour parler. Qu'importe, je lui vide quand même mon sac en bref, elle est mon amie après tout, elle est là pour ça ; « Je n'ai plus de bague, plus de fiancée et plus de mariage prévu. Joanne reste à la maison, mais je ne sais pas pour combien de temps, et quand elle partira, parce qu'elle partira sûrement, il y a de grands chances pour qu'elle emporte mon garçon avec elle et m’empêche de le voir. Je retournerai sûrement en Angleterre quand ça arrivera. » Mon tourment résumé en trois phrases. Incroyable qu'autant de perdition tienne en si peu de mots alors que cette situation me torture depuis bientôt deux semaines. « Donc, maintenant que tu as un aperçu du chaos dans lequel je baigne, sache que je ne veux pas que tu me rattrapes, ni que tu comptes les morceaux avec moi, et je n'évoquerai plus tout ça avec toi. » Même le nom de Joanne ne sera pas prononcé une seule fois. « Je veux me changer les idées, oublier tout ça pour quelques heures, et tu es la personne la plus douée que je connaisse pour ça. » Oui, Hannah toujours su me faire rire. Mais il serait égoïste de dire que je ne suis là que pour lui donner la mission de me remonter le moral. Ca n'est pas le cas. « Mais surtout, je veux juste passer du temps avec toi. » j'ajoute en toute sincérité. Juste elle et moi. Nous pouvons parler de toutes les futilités que nous voulons et nous comporter comme des enfants, nous savons bien le faire. Nous pouvons juste être nous-mêmes, tous les deux, et oublier deux secondes que la vie est beaucoup trop sérieuse. « Je suis invité à un tas de différentes fêtes ce soir auxquelles on peut aller si tu veux. J'ai recoloré mes cheveux, je crois que ça sera plus simple pour toi de trouver une robe pour aller avec ce visage là. Sinon, nous pouvons simplement faire des choses de gens normaux, nous balader en ville, ou à la plage, manger quelque chose de franchement pas diététique, et je peux t'inviter au cinéma, si tu payes le popcorn. » C'est ce que les amis font, non ?

Hannah était sur le point de renoncer avant que Lewis entre dans son champ de vision. Elle pouvait juste remettre ses robes dans sa penderie et oublier le reste du monde pour la soirée et même les prochains jours à venir. Et envoyer tout le monde se faire foutre. Ça lui ressemblait bien. La brune poussa un profond soupir et donna un coup de pieds dans ses Manolo, juste parce qu'elle le pouvait et se laissa retomber sur son lit, ses mèches brunes lui masquant la vue. Hannah savait vraiment où se trouvait le problème, si elle enfilait une robe hors de prix, qu'elle décidait de se prêter au jeu des apparences, elle allait le faire seule, où alors avec son garde du corps dans les parages, ce qui ne l'enchantait pas plus. Elle se voyait mal inviter Saul ou qui que ce soit d'autres à un gala de charité, personne ne trouverait ça amusant ou ironique, et on ne ferait que lui parler de ces quelques pages de magazines où on la voyait heureuse, forte et presque complètement avec Jamie. Encore une fois, il occupait ses pensées, Hannah s'était retenue de l'appeler plusieurs fois de suite au cours de ses derniers jours, se confortant dans son idée qu'il ne la méritait pas. Probablement pas, mais sans lui les jours étaient vraiment sombres et il était difficile d'ignorer tout le reste. « Miss Siede ? Monsieur Keynes est là pour vous.» Hannah émergea de sa torpeur et fixa son majordome, se demandant si Lewis était pris d'un trait d'humour. Non, visiblement non, Jamie était bien là. Hannah considéra la possibilité de le faire patienter des heures devant la porte, juste pour voir s'il se décidait à rentrer, qu'il comprenne qu'ils étaient vraiment trop dépendants l'un de l'autre et qu'il leur fallait de la distance, mais elle finit par se lever. Elle considéra un instant sa tenue, sa robe de chambre quasiment transparente et ses sous vêtements noirs, et finit par sortir de sa chambre avant de changer d'avis. En ouvrant la porte, elle réalisa que Jamie n'était pas venu chez elle depuis une éternité, depuis qu'elle l'avait quasiment banni d'ici et depuis qu'ils avaient partagé un lit. Hannah chassa cette pensée et elle croisa les bras sur sa poitrine, le visage indéchiffrable tandis que Jamie prenait la parole. Il était... honnête, brutalement honnête, ça elle devait le reconnaitre et l'envie de lui claquer la porte au nez s'effaça bien vite, remplacée par autre chose. C'était toujours autre chose pas vrai ? Ce besoin inexpliqué qu'elle avait de lui prendre la main et de le tirer loin de tout et de tous. Juste parce que c'était lui. Hannah passa quelques minutes silencieuse, à peser le pour et le contre avant de déclarer: « Eh bien... j'ai entendu de pires déclarations.» sur un ton qui se voulait ennuyé. Elle baissa les yeux, pas de bague en effet. Avait-il commencé à se délivrer de ses chaines ? Probablement. Mais elle préférait ne pas espérer, et se dire qu'il y avait quelque chose pour eux. Il n'y avait pas de eux pour le moment. « Et je peux définitivement faire quelque chose pour toi... » Elle le jaugea de la tête au pied, remercia le ciel qu'il soit de nouveau brun , et fit une grimace trente secondes plus tard. « À commencer par ses chaussures... et cette veste... juste, rentre, merci.» Hannah poussa la porte pour laisser passer le brun et elle lui indiqua le salon, remontant dans sa chambre sur la pointe des pieds. Il devait trouver quelque chose à faire pour s'occuper en attendant. Une fois de retour dans sa chambre, la brune enfila la première robe de chez Valentino qui lui tomba sous les mains et alla fouiller dans les tréfonds de sa penderie. Elle avait bien gardé quelques articles de leur virée shopping à New York, elle eut un maigre sourire en dénichant enfin une veste noire beaucoup plus approprié et mieux coupée et ce fut les bras chargés, et plus habillée qu'elle refit son apparition devant Jamie. « Tiens.» Elle ne lui demandait pas son avis et elle ne s'attendait pas à le voir protester, elle l'observa se changer avec un air de désintérêt profond et lissa les pans de la veste qu'il venait d'enfiler. « Tu as de la chance, je n'avais pas vraiment envie de jouer les filles de Nathan Siede ce soir, juste Hannah. Et tu peux parler de toi autant que tu veux, ça ne m'a jamais dérangé, c'est bien pour cette raison qu'on est amis, hmm ? » Hannah leva enfin les yeux pour croiser son regard, c'était sa façon à elle de dire qu'ils devaient vraiment essayer, lui comme elle d'être amis. C'était tout ce qu'ils pouvaient être l'un pour l'autre maintenant. « Allez viens. Trouvons un endroit où personne ne nous reconnaitra.» dit la brune en tirant Jamie hors de sa demeure.

Je l’admets, j’avais préparé le coup. Non je n’avais pas noté ma tirade sur un bout de papier pour l’apprendre par cœur, mais je savais ce que je voulais lui dire, ce qui était important. Je ne lui ai pas expliqué ma détresse pour avoir sa pitié, mais je n’ai personne d’autre. J’ai ce besoin vital de me changer les idées, d’être avec elle. J’ai bien compris que lorsque je tente de me débrouiller seul cela ne donne vraiment rien de bon, je ne contrôle pas tout. J’ai besoin d’Hannah parce qu’elle me comprend, elle me complète, et parce qu’elle sait toujours ce dont j’ai besoin. Un conseil, un coup derrière la tête, un sourire, un regard… Une autre veste ? Je réprime un sourire amusé et entre sans rien dire dans la villa. Sagement, je me rends dans le salon où il manque une petite table d’appoint, détruite par mes soins, je m’en souviens. Hannah ne m’en a jamais blâmé. Ce ne sont que des sautes d’humeur à ses yeux ; pour mon médecin, c’est une condition que chacun de ses mots fait sonner comme dramatique. Je préfère la version de la comédienne, et cesser de m’en vouloir d’avoir un esprit malade. De toute manière, j’ai décidé qu’il en était ainsi et pas autrement. La jeune femme revient, habillée, et je reconnais entre ses mains une veste que nous avions acheté ensemble à New-York –ou qu’elle avait choisi pour moi en réalité vu que je n’aurais jamais jeté mon dévolu sur du noir, je n’en porte quasiment jamais. Néanmoins, sans broncher, je troque un habit pour l’autre, et Hannah en semble satisfaite. « Je crois que je n’ai pas envie d’être Jamie Keynes non plus ce soir. Même si je ne sais pas trop ce que je pourrais être d’autre. » J’hausse les épaules. Celui qui voulait à tout prix vivre pour lui-même se définit aujourd’hui bien trop par une relation toxique. Aujourd’hui, il donnerait tout pour être quelqu’un d’autre. Mais il y a des limites aux retours à zéro. Une fois prêts, nous quittons la demeure et partons en quête d’un endroit tranquille. « Parce que ça existe ? » je demande cyniquement. En compagnie de Hannah Siede, je suis assez certain d’être reconnu où que j’aille. Je crois que si ce n’était pas pour notre amitié et notre histoire passée, je serais encore bien moins connu à l’heure actuelle. Je ne suis qu’un type de la radio après tout. Ayant envie de marcher, je propose de ne pas prendre la voiture et simplement utiliser nos pieds pour arpenter Brisbane. Il commence à faire sombre et les oiseaux de nuit s’éveillent. Les rues s’emplissent et s’éclairent. En déambulant, nous finirons bien par trouver quelque chose à faire. Passant devant une porte, je crois reconnaître l’endroit. Finalement, je l’indique d’un signe de tête à la comédienne. « Je suis allé dans ce club l’autre jour, avec des collègues. Je n’avais jamais mis les pieds dans un endroit pareil de ma vie. » Une boîte de nuit comme une autre en apparence, c’est dans la salle du fond que j’ai été mené pour y découvrir des jeunes femmes qui se dénudent dans des salons privés. « J’ai rencontré une ravissante "danseuse" dirons-nous, Poppy. J’ai testé je ne sais quel substance sous forme de comprimé. C’était… du grand n’importe quoi. » Tout cette soirée n’avait strictement aucun sens, et encore moins ce qui avait suivi avec Joanne une fois rentré à la maison aux premières heures du matin. Et dire qu’il y a un an j’étais le type qui ne buvait pas, ne fumait pas, et ne se droguerait jamais de la vie. Certainement pas du genre à se payer une danse privée. Il semble bien loin. Et aujourd’hui tout est très flou. Je soupire, mains dans les poches. « Tu sais, Siede… J’ai l’impression d’avoir raté quelque chose. D’être passé à côté d’expériences parce que je ne m’autorisais pas tout ça avant. Et maintenant j’ai trente-cinq ans, quelques cheveux gris, et un bébé. » Je me sens vieux, alors que je ne me suis jamais soucié de mon âge. Je me sens usé, alors que je n’ai jamais manqué d’énergie. Et je me demande où sont passées toutes ces années.

Hannah roula des yeux à la remarque de Jamie alors qu'il marquait des points, est-ce que des gens comme eux pouvait encore être invisibles. Enfin surtout Hannah dont la réputation n'était plus à faire. Jamie aurait été surpris, pour l'instant leurs précédentes virées nocturnes s'étaient résumées à marcher dans le sable ou dans les rues de Brisbane en échangeant des anecdotes toutes plus ridicules les unes que les autres. Et en riant bien sûr. Mais si Jamie voulait oublier le reste du monde, Hannah connaissait également le moyen pour ça, après tout, c'était son activité favorite et la brune ne se faisait pas d'illusions, il était là pour ça ce soir. Parce qu'elle était passée maitre dans l'art d'évoluer dans un monde hostile et où tout le monde pointait du doigt de ses erreurs et la moindre de ses fautes. Et pourtant, Hannah respirait, elle continuait de vivre et elle allait bien. Dans le fond, elle n'aurait troqué sa place avec quelqu'un pour rien au monde et cela la peine légèrement de voir que Jamie ne comprenait pas quelle chance il avait. Il avait l'air beaucoup trop triste, même sous les couleurs de Brisbane alors qu'ils déambulaient dans les rues en ce début de soirée. C'était la bonne heure selon Hannah, la plupart des gens étaient assez sobres et ils ne pensaient qu'à une seule chose, oublier la mauvaise journée qu'ils venait de se passer. Les yeux de la jeune femme venaient de se poser sur un jeune couple en plein baiser passionné quand elle fronça les sourcils aux mots de Jamie. Définitivement trop triste. Elle avait entendu des hommes beaucoup plus heureux après leur expérience dans ce genre d'établissement, mais elle soupçonnait que Joanne n'avait pas dû apprécier de le voir rentrer comme ça. Sa conclusion fit l'effet d'une douche froide à Hannah et elle s'arrêta net et croisa les bras sur sa poitrine. « ... Mon dieu tu vas vraiment être comme ça toute la soirée ? » Le ton d'Hannah pouvait paraitre cassant mais c'était totalement voulu. Ça, ce n'était pas son Jamie, défaitiste au possible et près à se faire dévorer par cette triste fatalité qu'était la vie.  « Et oui c'est une vraie question Keynes.» Hannah se passa une main dans les cheveux, visiblement, les problèmes de Jamie étaient beaucoup plus grands que ce qu'il lui avait suggéré. « Tu sais, c'est une chose de déprimer, ça en est un autre de s'apitoyer dans son malheur et tout ce qui va avec, l'actrice c'est moi je te rappelle donc si tu pouvais éviter de jouer les dramaturges, ça serait bien. » poursuivit-elle, son regard dans celui du brun. Qu'il réponde ou qu'il envoie se faire foutre, peu importe, Hannah voulait une réaction, pas qu'il courbe l'échine et s'avoue vaincu. « Jamie, tu n'es pas vieux et tout n'est pas fini pour toi. Je sais que tu t'es mis en tête que tu devais avoir une vie parfaite, avec une famille parfaite et des enfants parfaits, et si ça arrive, tant mieux pour toi, mais ça peut arriver dans dix ans, comme dans trente ans, ça peut ne pas arriver et tu sais quoi... ce n'est pas grave. Parce que le reste du monde continuera d'exister quoi qu'il se passe.» Hannah n'estimait pas être la mieux placée pour donner des conseils de vie, mais s'il y avait bien une chose qu'elle avait comprise après avoir eu le coeur brisés à deux reprises au cours de l'année qui venait se passer... c'était que justement, tout continuait, le temps passait toujours. « Si tu veux mon avis c'est bête de faire des plans aussi loin dans le temps, on finit forcément par être déçu, tu devrais plutôt te concentrer sur des choses simples. Commence par une journée déjà, ça serait bien.» Un certain silence suivi ces propos, il était bien rare qu'Hannah soit aussi sérieuse et elle finit par hausser les épaules. « Enfin, ce n'est que mon avis.»  Son regard s'éloigna enfin de celui de Jamie et elle récupéra une cigarette dans son sac et l'alluma, se remettant enfin à marcher. « Et un lap dance vraiment Keynes ? L'avantage d'avoir notre âge c'est qu'on a plus besoin de ce genre de plaisir.» And again, se retint d'ajouter Hannah, if you wanted a lap dance all you had to do was ask; mais elle n'était pas certaine que son trait d'humour soit bien placé au vu de leur dernière rencontre. « Et puis je préfère l'alcool personnellement, et en parlant de ça.» Jamie était trop sobre et trop rationnel pour elle et maintenant qu'ils arrivaient dans le quartier des boites de nuits et autre bar, Hannah le tira dans le premier endroit où on ne risquait pas de les retrouver ou de les reconnaitre. Le genre de bar où personne ne posait de question à personne, ou qu'Hannah aurait pu racheter en vendant juste la robe qu'elle portait mais ce fut avec nonchalance folle, comme si l'endroit lui appartenait que la Siede s'accouda au comptoir, adressant un clin d'oeil au barman« De la tequila s'il vous plait.» Elle se tourna ensuite vers Jamie.« On va t'empêcher de réfléchir, tu seras beaucoup intéressant ensuite, promis, c'est pour ton bien.  »

Qui me connaît reconnaîtra immédiatement que ce genre de discours, ce n'est pas moi. Jamie est un type optimiste et parfois un peu naïf qui trouve le moyen de voir le bon côté des choses ou de tirer profit de toutes les situations, trouver des choses à apprendre, à améliorer ; bref, refaire le monde en permanence. Je ne me reconnais pas moi-même dans dans cet homme trop vieux pour son âge qui commence à perdre goût à tout, qui se renferme, qui a peur de tout et se laisse dévorer par cette angoisse. Honnêtement, me voir ainsi me déprime un peu plus. Moi estime de moi-même est un immense poids en chute libre attaché à mes jambes et qui me tire de plus en plus vers le bas. On ne peut pas dire que la moindre de mes actions ne contribue à me faire remonter. Sauf peut-être ce pas fait vers Hannah dans l'espoir de garder au moins une chose positive dans la bataille. Quelqu'un avec qui déambuler et ne penser qu'aux futilités. Néanmoins, pour le moment, mon esprit est trop encombré. Oui, je m'offusque un peu de la question qu'elle me jette à la figure. Je la regarde en fronçant les sourcils, l'air de lui demander comment ose-t-elle. Mais c'est Hannah, la question ne se pose même pas. « Oh pardon, je pensais avoir clairement exposé tout ce qui peut me donner matière à me plaindre. Ce n'est pas du Hamlet, mais je crois que j'en tiens une bonne couche. » Je ne suis jamais qu'en train de perdre tout ce que j'ai passé à construire pendant l'année passée. Et encore, si la solitude ne me fait pas peur, c'est la perspective que l'on m'interdise de voir Daniel sous prétexte que je serais dangereux qui me hante le plus. Je ne peux pas le perdre. « Si le monde continue de tourner, tant mieux pour lui. Mais c'est ma vie, la seule que j'ai, et j'en ai déjà gâché quoi, quasiment la moitié. Je ne demande pas la perfection, juste… d'avoir le droit d'être heureux. » Je ne sais pas pourquoi je me justifie, Hannah s'est fait son avis sur la question. Pour elle le bonheur réside dans la capacité à traverser chaque journée. Ce n'est pas vraiment une option envisageable lorsqu'il y a un enfant au milieu de ce bazar. Pourtant, faute de mieux, je laisse la situation s'éterniser. « C'est un peu ce que je fais en ce moment, faute de savoir la stratégie à adopter pour la suite. » Rester, partir, me battre, abandonner, vraiment, le choix est impossible. J'attendais de Joanne qu'elle tienne la barre, qu'elle se bouge un peu, mais elle ne fait qu'attendre ma décision. Je lui ai pourtant dit que tout cela ne dépendait plus de moi. Ces pensées bien trop sérieuses sont interrompues lorsque nous entrons dans un bar sans prétention, et où j'imagine que l'alcool est banal ; mais ce n'est pas vraiment ce qui est recherché, seul le résultat importe. Hannah commande donc deux tequilas. Les shots atterrissent devant nous et le serveur les remplit en arrosant légèrement le comptoir. « Je crois que c'est une terrible idée. » Mais vu le regard que la comédienne me jette, je n'ai pas le choix. C'est la thérapie de choc, ou je rentre chez moi. « D'accord, d'accord. Je cesse d'être rabat-joie. » Et puisqu'il me faut un coup de pouce pour ça, je gobe mon verre cul sec. Je ne comprendrai jamais pourquoi les gens s'infligent cela, et encore moins pourquoi je le fais aussi, mais l'heure n'est plus à ce genre de questions. Je me contente de faire signe au barman qu'il faut déjà faire le plein. « Ca prendra quelques tournées avant que mon cerveau cesse de fonctionner, je suis un grand gaillard. » Oui, c'est une mise au défi, Hannah le devinera facilement. Il faut bien un jeu pour commencer cette soirée. « Et qu'est-ce que tu feras de moi une fois que je serai enfin intéressant ? » je demande, déjà curieux de savoir ce que intéressant signifie à ses yeiux. La comédienne a peut-être un plan. Qui se résume peut-être à boire, et aviser ensuite.

Hannah avait roulé des yeux face à son ton défaitiste. Tant pis, le mal était déjà fait, cela ne servait à rien. Et puis de toute façon, la brune ne pouvait pas porter Jamie sur ses épaules toute sa vie. C'était trop éreintant et fatiguant et tout ce que cela lui avait apporté pour le moment était uniquement des problèmes. Oui, elle l'aimait, mais cela ne devait pas dire qu'elle devait pardonner toutes ces erreurs, et elle ne serait certainement pas elle qui allait le remettre sur ses deux pieds ou lui redonner l'envie de se battre. Elle espérait qu'il réussisse à le faire tout seul ou alors qu'une femme avec plus de courage parvienne à le faire. Ou alors est-ce que la douce et innocente Joanne avait également abandonné le navire ? C'était ce que Jamie lui avait avoué il y a quelques minutes de ça... Oh Hannah pouvait boire à ça. À dire vrai, les shots de tequila disparaissaient vide face à la brune, qui aurait pu faire passer ça pour de l'eau, surtout avec l'air satisfait qu'elle affichait. "Oui Jamie je le sais que tu es grand, quand tu auras fini de compenser, tu me le dis." répliqua t-elle en l'observant de la tête au pied encore une fois. Si l'endroit n'était pas à son gout, il était de celui d'Hannah. Elle et Jamie étaient similaires et si par moment, il était bon d'avoir un ami et quelqu'un qui pouvait la comprendre d'un simple hochement de tête, parfois, cela pouvait être néfaste et ils avaient souvent tendance à faire ressortir le pire chez l'un l'autre. Et si cela devait arriver, Hannah préférait mettre ça sur le coup de l'alcool. Jamie semblait en avoir besoin plus qu'elle dans tous les cas. "Et je te rappelle mon grand, que je tiens mieux à l'alcool que toi... mais je ne le dirai à personne promis." Hannah lui donna une tape sur l'épaule, de manière légèrement condescendante, mais elle était certaine que le sourire qui passa sur son visage quelques secondes après aiderait Jamie à oublier la légère pique. Elle releva le verre qu'elle avait devant elle et le fit claquer contre celui de Jamie avant de s'expliquer : "Le but n'est pas que tu sois bourré, non, ça serait trop facile, mais juste que tu perdes un peu de cette tension que tu as dans tes si larges épaules." N'importe quel idiot pouvait boire jusqu'à en perdre la raison et finir par s'étaler quelque part et ne pas se souvenir de la soirée qu'il venait de se passer. L'amusement ne se trouvait pas là selon Hannah, l'exercice était beaucoup plus difficile et libérateur quand on buvait jusqu'aux limites. Aux limites de la raison, aux limites de la folie meme, juste pour s'oublier un peu, et c'était précisément de dont il avait besoin. S'il ne voulait pas de sermon parfait, elle cesserait d'essayer d'être un ange sur son épaule et se contenter d'être Hannah. "C'est pour ça que je vais commander un peu plus de verres et que nous allons parler toi et moi, j'ai l'impression que tu as beaucoup de choses à dire, beaucoup trop si tu veux mon avis." Encore une fois, elle le devinait assez facilement parce qu'elle le connaissait, ce qu'il lui avait dit sur le pas de sa porte n'était que la surface de l'iceberg. Et s'il n'évacuait pas ça d'une quelconque façon que ce soit, en se plaignant, soit en hurlant, les choses n'avanceraient jamais. Il fallait qu'il s'en prenne physiquement ou verbalement à quelque chose, c'était certain. Est-ce qu'Hannah allait l'énerver juste pour l'énerver ? Hmm... Surement. Un fin sourire se dessina sur le visage de la brune tandis que leurs prochains verres arrivaient. Le genre de sourire qui n'annonçait absolument rien de bon pour Jamie. "Et je n'ai pas l'intention de juste t'écouter donc... nous allons jouer à un de mes jeux préférés. Un petit jeu qui s'appelle action ou vérité. " C'était surement cliché au possible, mais la brune avait assez d'expérience en la matière pour dire qu'elle n'avait jamais été déçue par le passé. Et c'était suffisamment ridicule et immature pour qu'il dise oui. "Oh et sachant que tu as déjà utilisé ton action en venant me chercher dans mon humble demeure, il ne te reste que vérité." précisa t-elle en battant des cils. Hannah ne lui laissa pas une seconde de répit et enchaina aussitôt."Donc première question Keynes, et réponds honnêtement... ça te dérange tant que ça de savoir que James et moi on a couché ensemble ? Enfin je veux dire ce n'était qu'une seule et unique fois mais quand tu lui lui as refait le portrait l'année dernière mon nom a été mentionné donc... réponds à ma question." Et oui, elle savait exactement où appuyer.

« Compenser ?! » je m'exclame en écarquillant les yeux. Oh, une seconde, compenser quoi au juste ? Oh mais Hannah n'a pas terminé de m'envoyer des piques. Je me sens comme la cible d'un jeu de fléchettes sur laquelle la jeune femme va jeter tous ses projectiles. C'est peut-être le but de la soirée ; si je veux me plaindre, autant me donner des munitions supplémentaires. J'essaye de ne pas me montrer aussi vexé que je ne le suis réellement -sensation qui finira par vite s'évaporer, je crois que je ne suis pas vraiment capable d'en vouloir à Hannah pour quoi que ce soit, si elle veut attaquer, qu'elle attaque. Elle ne manque pas l'occasion d'ajouter une couche en soulignant le fait que je tiens bien moins l'alcool qu'elle. « Nous n'avons pas le même bagage. » dis-je avec un sourire amusé, pour me justifier. Après tout, je n'ai pas commencé à boire depuis longtemps, mais j'estime que je ne m'en sors pas trop mal, aidé par un bon métabolisme. Je suis les gestes d'Hannah et lève également mon verre pour trinquer à cette soirée qui, je pense, a bien des chances de mal tourner vu mes derniers déboires une fois en état d'ivresse. Je suppose qu'être un grand garçon sert aussi à savoir se tenir, alors prions pour ça. « Je croyais que tu ne voulais pas m'entendre m’apitoyer. » Et je crois que rien de joyeux ou drôle ne peut traverser mes lèvres s'il est question de parler de moi. Mais c'est Hannah qui mène la barque, et je la laisse nous faire naviguer à travers cette nuit, sans savoir et sans me préoccuper de la destination. Je pouffe légèrement en l'entendant proposer un jeu vieux comme le monde. Action ou vérité, admettons, pourquoi pas. Je pensais attendre un peu avant de gober ce second verre, mais lorsque la comédienne annonce la couleur avec sa première question, mon corps se crispe si bien que je comprend qu'une dose de tequila ne sera pas de trop. « T'es dure. » je murmure en reposant le shit vide sur le comptoir, grimaçant un peu. Quelques secondes, je cherche la version politiquement correcte de ma réponse honnête, et tout ce qui me vient, c'est un ; « Tu fais ce qui te plaît, Siede. Et tu n'as pas besoin de mon accord pour ça. » bourré de vraie fausse bonne foi qui sonne si faux que je reprends immédiatement ; « Et puis ça n'était pas que ça. Je devais digérer le même soir que James avait embrassé Joanne, qu'il se tapait ma sœur sans que je n'en sache rien, et qu'il s'était permis de lui briser le coeur… en couchant avec toi ! » Certes, que ce soit elle m'avait touché plus que si n'importe quelle autre femme avait été impliquée. « Alors oui, que mon amie soit utilisée pour faire du mal à ma sœur, dans ce contexte, ça me dérange. » Et je veux me faire croire que ce n'est que cela. Un principe en somme. Et une trop grosse somme d'informations indigestes à avaler. Comment aurais-je pu simplement passer l'éponge et ne rien dire ? Ne rien faire ? Il avait touché les trois femmes de ma vie, cela ne pouvait pas passer. « Et tu sais comment je suis... » jaloux, possessif, exclusif, égoïste, qu'importe le terme choisi. Ce qui est à moi est à moi. « Ton père ne sera pas le seul à faire vivre un enfer à tout homme voulant te passer la bague au doigt. Je me fiche que ça te déplaise. Moi aussi, je suis un peu l'homme de ta vie, je ferais toujours attention à toi, alors j'ai mon droit de veto. » Je pense que même si Hannah ne l'avouera jamais, et si elle me dira d'aller me faire voir, avoir quelqu'un qui tienne à elle de cette manière lui plaît. Quelqu'un qui s'accroche, qui la connaît sous toutes les coutures, et qui sera toujours prêt à se mettre entre elle et le monde -ou entre elle et elle-même. « A ton tour. Oh, et puisque tu as utilisé ton action en m'amenant ici, il ne te reste que vérité. » dis-je avec un petit sourire mutin, fier de retourner les propos de la jeune femme contre elle. « Qu'est-ce que tu as ressenti quand tu as su que j'avais couché avec Nyx ? Vu que la nouvelle a été… éclipsée par le reste, je me posais la question. » Je garde les autres, plus piquantes, pour plus tard. La liste s'est échafaudée dans un coin de ma tête.

« Dis moi quelque chose que je ne sais pas déjà Keynes. » répliqua rapidement Hannah alors que Jamie lui faisait remarquer qu'elle n'était pas tendre. Il manquait légèrement de répartie, mais le lui dire n'aurait fait qu'enfoncer le couteau dans la plaie. Et puis c'était trop facile n'est-ce pas ? Autant l'observer jongler avec ses mots pour répondre à sa question. Plus que James, c'était donc bien la jalousie qui avait guidé ses coups... lui qui aimait pourtant lui dire qu'elle était libre de faire ce qu'elle voulait. Hannah n'y croyait pas une seule seconde et elle aurait préféré que Jamie soit parfaitement clair et honnête sur le sujet, mais ils étaient juste amis pas vrai ? Dans tous les cas, la brune devait avouer que cela la dérangeait, certes, elle ne prévoyait pas de se jeter dans les bras du premier inconnu et de s'envoler loin de tout avec lui. Mais, c'était envisageable. Tentant même, penser qu'elle pouvait fuir tout ça et envoyer se faire foutre le reste du monde. Personne ne pourrait la retrouver et ce serait certainement ça le plus beau. Elle finirait par s'échapper de sa cage en or, c'était certain, et personne ne saurait quand ni comment... Hannah jeta un coup d'oeil au verre vide de Jamie, un fin sourire sur les lèvres à cette pensée, qu'elle rangea bien loin car elle n'avait pas vraiment sa place ici. « Mon père et toi vous avez la naïveté de croire que je vous présenterai l'homme avec qui je compte finir ma vie... c'est adorable dans un sens, vraiment, tu devrais voir ta tête. » Le ton d'Hannah était vraiment compatissant et elle fut presque satisfaite par la réponse de Jamie. Et pas du tout étonnée par sa prochaine question. Après tout, c'était elle qui avait commencé à lui envoyer des piques, il était naturel qu'il se défende du mieux qu'il pouvait. Sa question était prévisible au possible et Hannah ne se gêna pas pour rouler des yeux et hausser les épaules. S'il voulait la vérité, il l'aurait... « Honnêtement ? J'ai été blessée... parce que je me suis retrouvée dans tes pompes Keynes, et que vouloir que quelqu'un nous appartienne à ce point, ce n'est absolument pas sain. Et puis j'ai été légèrement vexée, moi qui pensais que je serais la première à rompre notre petit pacte silencieux. Sans compter le fait que Nyx et moi on a failli couché ensemble. Et puis tu l'avoueras, j'aurais pu l'apprendre d'une meilleure façon. »   C'était censé être son grand moment après tout et elle s'était surtout sentie très idiote et déçue d'avoir cru qu'elle pouvait être un tant soi peu importante pour que Jamie ne soit pas tenté d'aller voir ailleurs. Hannah vida un autre verre après sa confession, l'honnêteté n'allait définitivement pas de pair avec la sobriété, avant de se retourner pour s'appuyer contre le comptoir « Satisfait ? J'espère bien parce c'est à mon tour. » Hannah scanna rapidement le bar avec son regard inquisiteur, à la recherche d'une bonne idée et d'un défi à la hauteur de Jamie. Et quelque chose d'assez amusant à regarder, il fallait bien l'avouer. Elle finit par repérer un groupe d'hommes à quelques mètres d'oeil, et un en particulier qui ne cessait de détailler Jamie du coin de l'oeil. La brune ria intérieurement et peut-être même extérieurement, elle ne le savait pas, mais elle pouvait dire sans aucun problème que ça n'allait pas plaire à Jamie. « Alors alors, pour la partie action, tu peux sois aller voir ce charmant gentleman là bas, celui qui est en train de te déshabiller du regard... et faire en sorte d'obtenir son numéro de téléphone ou alors...  » Hannah fit un coup de tête plus que suggestif vers la table en question avant de se rapprocher de Jamie pour lui annoncer sa question .« Tu peux répondre à une question qui me trotte dans la tête depuis un bon moment Keynes...» La brune marqua une pause car elle savait qu'il attendait le prochain coup. « Qui est meilleure au lit : Joanne ou moi ? »

Mes prunelles roulent vers le plafond tandis qu'un rictus cynique anime le coin de ma bouche. Ce n'est pas que je crois naïvement que Hannah me présentera son cher et tendre, si un homme a un jour le courage de se mettre à la conquête de son coeur, c'est que je sais qu'elle le fera. Et mon avis à son sujet importera peu tant qu'elle sera heureuse avec cette personne, c'est évident. Mais nous serons présentés, et je m'assurerai que la jeune femme aura trouvé quelqu'un qui soit digne d'elle. A ma question, puisque le jeu le veut ainsi, la comédienne me répond en toute franchise. Ses premiers mots caressent mon ego je dois bien l'avouer, puis je passe par la surprise et renoue avec la culpabilité. « Certes. » Les conditions auraient pu être meilleures. Non, à vrai dire, elles ne pouvaient pas être pires. C'était le mauvais endroit, le mauvais moment. Hannah aura bien d'autres soirées à sa gloire où elle sera le centre de l'attention, mais j'ai ruiné celle-ci, et ce n'est pas excusable. Qu'importe, le passé est passé. Je reviens légèrement en arrière et, me pinçant les lèvres pour ne pas rire devant l'ironie, demande ; « Vous avez vraiment failli coucher ensemble ? » Mon tour de poser une question est passé mais elle peut bien me donner plus de détails. Ou juste acquiescer d'un signe de tête et me laisser me faire des films. « Eh bien... »  Je ne m'attarde pas sur le fait que Hannah pensait qu'elle mettrait un terme à notre relation avant moi, je préfère laisser sa voix répéter dans ma tête qu'elle voulait que je lui appartienne. Vraiment. Même si cela n'est pas nécessaire, je me sens obligé de me justifier, puisque je n'en ai jamais eu l'occasion ; « Pour ma défense, à ce moment, je ne pensais pas que nous étions ensemble… ensemble. Je le voulais, vraiment, mais je ne sais pas, je pensais que ça n'était pas ton genre de te caser. J'étais persuadé que tu voyais de ton côté d'autres hommes, ou femmes du coup, et que je pouvais bien faire pareil. Je ne voulais pas être l'idiot qui serait blessé par une relation qui n'allait que dans un sens. » Au final, dans ce quiproquo, c'est moi qui ait tout gâché. Pas de quoi ruiner la soirée actuelle, Hannah reprend le jeu où nous l'avons laissé, à son tour donc, et je me permets de vider un shot en prévision d'une nouvelle avalanche de piques. Néanmoins la comédienne m'accorde presque une trêve dans les reproches et me propose un défi ou une question qui me font tous deux bien rire. « Tu sais quoi, je me sens inspiré. Je vais faire les deux. » Pas pour impressionner la galerie, mais parce que cela m'amuse. Je jette un coup d'oeil du côté de la table où je repère sans aucun mal l'homme qui ne cesse de me fixer -ou plutôt d'accorder toute son attention à mon postérieur. Cela me permet de savoir rapidement à quel genre de personne j'ai affaire. Je défais les premiers boutons de ma chemise, et peut-être même un en trop pour laisser entrevoir la marchandise. « Et la réponse à ta question est Joanne. » je glisse à Hannah avant de quitter le comptoir pour m'avancer vers ma proie.  L'homme ne me connaît pas, mon visage ou ma voix ne lui disent rien, et c'est tant mieux, cela aurait été bien trop facile d'avoir son numéro. Micah est un grand gaillard qui me ferait presque passer pour une brindille. Trop de sport, peu dans son petit périmètre crânien, mais pas méchant, voire même vraiment sympathique. Nous parlons peut-être une dizaine de minutes, ou un peu plus, pendant lesquelles je pose une main sur la sienne, sur son bras, son épaule. Je me suis toujours trouvé calamiteux en matière de flirt, mais j'imagine que l'alcool augmente mes performances et rend mon interlocuteur moins exigent. Je finis par lui expliquer que je suis avec une amie et qu'il serait impoli de l'abandonner plus longtemps, mais que j'adorerais que nous allions boire un verre un de ces jours et que nous pourrions rester en contact. J'enregistre le numéro dans mon téléphone, le remercie, et repars en ayant droit à une main aux fesses. « J'espère que tu as filmé, tu pourrais te faire un paquet sur mon dos en vendant ça à je sais pas quel torchon. » dis-je en essayant d'oublier la trace de cette main sur mon jean. Je pose mon téléphone sur le comptoir pour montrer ma petite victoire à Hannah. « Tu sais, je devrais peut-être l'appeler en effet, me mettre aux hommes. Les femmes ne me réussissent pas. » Non, bien sûr que non, cela n'arrivera pas. Au pire, je finirai sel avec mes chiens. « Bon, c'est à moi. » Je réfléchis un instant, regardant un peu ici et là pour trouver de l'inspiration en  matière de gages -ils sont toujours les plus difficiles à trouver, nous devrions vraiment jouer à vérité ou vérité, je suis certain que nous aurions un tas de choses à nous dire ou à découvrir sur l'autre. « Ton action sera… de jouer un très bruyant remake de Quand Harry rencontre Sally. » Je verra bien évidemment de quoi je parle, et ce n'est sûrement pas un défi à sa hauteur, mais j'avoue ne rien avoir de mieux en tête pour le moment. Et puis, si elle le fait, cela sera assurément très drôle. « Sinon, ma question est… Quand je me suis disputé avec Joanne, elle m'a dit que tu étais encore amoureuse de moi. Tu l'es ? »

« Oh vraiment ? » avait murmuré la brune à la réponse de Jamie. Elle ne l'avait pas dit assez fort pour l'interrompre dans sa nouvelle mission mais assez pour également rouler des yeux et allumer une autre cigarette. Elle préférait ne pas admettre que cela l'atteignait et repousser ça avec un peu plus de nicotine et le spectacle qu'offrait Jamie en train de flirter. À quand remontait la dernière fois qu'il avait fait ça ? Sûrement à des décennies, un homme comme lui n'en avait pas vraiment besoin dans le fond et elle l'imaginait très mal dans le rôle de l'homme entreprenant, du moins pas avant d'arriver dans la chambre à coucher... Hannah laissa échapper un léger rire en voyant la façon dont Jamie se permettait de toucher ce parfait inconnu, signe plus qu'évident que l'alcool fonctionnait bien. Elle l'accueillit de nouveau à ses côtés avec un franc sourire et manqua de faire tomber sa cigarette à sa réflexion. « Toi avec un homme ? Nan Keynes, ton ego mal placé ne pourrait vraiment pas supporter un minimum de compétition, tiens toi en aux petites blondes c'est ce que tu sembles faire de mieux.» répliqua l'actrice avec une pointe de sarcasme dans la voix. Ce qui ne dérangerait certainement pas Jamie, s'ils devaient être tous les deux honnête ce soir, Hannah ne ferait absolument pas semblant d'apprécier Joanne. Et elle ne lui ferait pas l'affront de lui demander ce que Joanne avait de plus qu'elle non, Hannah se sentait suffisamment à l'aise dans ses propres chaussures pour lui épargner ça. C'était juste une question de goût après tout. Mais leur jeu n'était pas fini et si Hannah arqua un sourcil intéressé à sa première proposition, la dernier question lui donna moins envie de sourire et elle écrasa sa cigarette avec une certaine vivacité pour le prouver. « Just for the record, you're an asshole just for asking that question.» Elle ne mâcha pas ses mots et elle s'empara du verre que Jamie s'apprêtait à porter à ses lèvres pour le vider à sa place. Juste parce qu'elle le pouvait. Et parce qu'elle était irritée de voir cette question revenir sur le tapis. Comment ne pouvait-il faire pour douter quand tout le monde autour d'eux semblait bien s'être rendu compte des sentiments d'Hannah à son égard. Hannah ne voyait pas comment elle pouvait choisir, elle allait probablement accepter de relever les deux défis comme lui, peut-être que les vraies règles ne fonctionnaient pas ainsi mais depuis quand suivaient-ils les règles ? Aussi, Hannah reposa le verre vide et elle prit un profonde inspiration avant de poser ses mains à plats sur le comptoir. Il s'écoula probablement trois secondes avant qu'Hannah ne rompe le silence et que des premiers sons lui échappent. Juste quelques intonations au début, qui se transformèrent en véritables gémissements de plaisir quand le barman arriva à sa hauteur et Hannah fut bien consciente qu'il arrêta tous ses gestes à cause d'elle et elle en rajouta une couche, laissa échapper un oh god et elle prétendit que ses genoux était en train de flancher. La brune avait plus que conscience que plus d'une dizaine d'hommes était en train de la fixer et elle se mordit la lèvre inférieure avant de gémir de plus belle, cette fois-ci aussi fort que ses cordes vocales le lui permettaient. Et elle reprit sa position initiale quelques secondes plus tard, comme si de rien était. « Ça s'est fait. » déclara Hannah, elle offrit ensuite un sourire au barman qui venait de lui offrir un verre sur le compte de la maison, bien évidemment. Hannah aurait pu regarder Jamie et éclater de rire, mais il attendait toujours la réponse à sa question. « Et en ce qui concerne mes sentiments envers toi...  »  Elle se tourna vers lui avec un air plus que déterminé sur le visage et elle n'hésita pas une seule seconde à tirer les pans de sa veste pour les rapprocher, il était toujours trop grand à son goût mais cela ne dérangea absolument pas Hannah qui se mit sur la pointe des pieds pour l'embrasser. Et là elle ne mentait pas, cela n'avait rien avoir avec la performance d'il y a quelques minutes, là, elle était plus que sincère. « Je t'aime Jamie Keynes et ce n'est pas juste un amour d'adolescente qui va finir par passer après un été. Je t'aime, tu fais partie des seules personnes qui pourrait me demander l'impossible et je le ferais. Je le sais, tu le sais, je ne pense pas que je peux être plus claire que ça.» Hannah avait murmuré ces mots contre les lèvres du brun et elle finit par reculer, comme si rien ne s'était passé. À croire qu'elle et Jamie étaient incapable de rester à une distance respectable l'un de l'autre, c'était comme elle l'avait dit à Saul, plus elle le fuyait et plus ils se rapprochaient encore et toujours. Sauf qu'Hannah ne comptait pas faire quoi que ce soit, elle avait toujours été claire au niveau de ses sentiments, c'était lui qui hésitait, pas elle. Hannah croisa les bras sur sa poitrine et remarqua une silhouette qui s'éloignait et elle eut un léger sourire en reconnaissant l'homme qui partait, visiblement dépité. « ... Oh et ton admirateur s'en va, quel dommage, tu devrais l'appeler à l'occasion qui sait, et je crois que c'est mon tour non... sauf si tu préfères qu'on trouve un endroit plus tranquille ? »

J'attendais un mensonge, je dois l'admettre. Après ce joli numéro qui valut à Hannah tous les regards du bar ainsi que des rires de toutes les couleurs, je m'attendais à ce qu'elle garde le masque de la comédienne. Non pas qu'elle le fasse tomber -ou plutôt, qu'elle le jette aussi soudainement. Son expression avait joué du tout au tout et je ne saurais plus dire si la jeune femme jouait encore ou non. Mais pour ma part, lorsque ses lèvres touchèrent les miennes, la partie était terminée. Ne réponds pas, ne réponds pas, me répétais-je alors que ce baiser me semblait infiniment long. Et pourquoi ? Parce que j'y répondais, bougre d'abruti que je suis jusqu'au bout des ongles. Mon coeur se mit à détaler, jouant à la balle de flipper dans mon crâne et me faisant perdre tous mes moyens. C'est l'effet que Hannah a sur moi à chaque fois qu'elle s'approche de trop près. Et elle me sert sur un plateau cette déclaration d'amour qui est certainement ce que je voulais entendre en posant cette question, mais à vrai dire, je ne sais plus vraiment. Je ne parviens même pas à déterminer si ces mots me plaisent ou me font du mal. Un peu des deux. Paralysé, fixant la comédienne, je ne prête aucun attention à l'homme qui quitte le bar, je n'en ris pas, je ne souris plus. La belle brune vient juste de tout faire voler en éclats parmi mes quelques convictions bancales, afin de m'achever et me laisser un peu plus perdu que je ne l'étais en frappant à sa porte. Complètement perdu. « Tu fous en l'air mon cerveau, Siede. » je murmure en passant mes mains à travers mes cheveux, comme si cela pourrait m'aider à garder l'esprit clair. Mais entre l'alcool et ce baiser, je suis foutu. « Je t'embrasse, tu me jettes. Je viens en ami, tu m'embrasses. Franchement, je crois que je ne saisis pas tout. » Il doit y avoir une mystérieuse logique typiquement féminine dans ce comportement et qui m'échappe complètement. Quelque chose que je ne peux pas comprendre même si j'y mettais toute la bonne volonté du monde. A moins que la comédienne ne se fiche de moi. « Sérieux, à quoi tu joues Hannah ? » je demande, puis lâche un soupir exaspéré. J'ai bien du mal à sauter dans le train en marche de mes pensées, et cela m'agace profondément. Je ne peux pas faire comme elle, comme si de rien n'était juste dans la seconde. Pourtant je suis particulièrement doué pour cela, un grand amateur de cette pratique dont j'use et j'abuse au quotidien. Il y a des moments où ce n'est tout simplement pas possible. Je n'avais pas prévu ça. Et, ce n'est pas un secret, j'aime avoir le contrôle de la situation. Néanmoins, cela fait quelques semaines que j'ai perdu tout contrôle sur ma vie et que j'erre en attendant que quelqu'un prenne les manettes à ma place. « Je me suis répété pendant tout le trajet jusqu'à chez toi qu'il n'allait rien se passer ce soir. Je voulais prouver que nous pouvons n'être que des amis. » Le prouver à qui ? A Hannah qui a certainement su dès le départ que cette prétendue amitié était une mauvaise idée. A Joanne qui est incapable de me faire confiance à ce sujet et tombe en dépression dès que j'évoque la brune. A moi-même qui, dans le fond, ai parfaitement conscience que si la comédienne a le statut de meilleure amie c'est uniquement parce qu'il n'est pas autorisé d'aimer deux personnes à la fois. Le regard rivé sur tous ces shooters vides sur le comptoir, je réalise que le seul point sur lequel j'avais raison, c'était que tout ceci était une mauvaise idée. Je me trouve bien trop lucide pour quelqu'un ayant bu au-delà de ses capacités. C'est une des illusions que sait donner l'alcool. « Et maintenant… » Je déteste ce que je m'apprête à dire, mais je capitule, je ne peux pas le dissimuler de toute manière ; « Maintenant tout part en vrille dans ma tête, tout ce que je veux c'est attraper ton visage et t'embrasser, qu'on aille finir la soirée dans ta chambre parce que dieu sait que tu me manques, et que tu ne me laisses plus jamais repartir cette fois. » Est-ce que je veux vraiment, ou ce que le pathétique Jamie excédé par le champ de bataille qu'est son existence souhaite ? Est-ce que cela fait la moindre différence maintenant ? Quoi qu'il en soit, ce scénario ne peut pas avoir lieu. Je ne peux pas être le grand perdant à ce point, celui qui a toujours eu faux sur toute la ligne. « Joanne avait raison. Et tu avais raison. Même si j'essaye… je t'aimerais toujours bien trop. Il y aura toujours un regard ou un sourire pour en dire trop. » Alors, qui dois-je rayer de ma vie ? Hannah ? Joanne ? Les deux ? Qui sait, peut-être qu'aucun membre d ce foutu triangle n'est fait pour cohabiter avec les deux autres. Peut-être qu'il n'y a pas d'avenir pour qui que ce soit dans cette formation. Aucun gagnant, aucun perdant, et juste des morceaux de coeurs brisés un peu partout sur le sol.

Au moment même où il avait répondu à son baiser, Hannah avait compris, il n'y avait plus aucun moyen de revenir en arrière, plus aucun moyen de faire semblant et continuer de prétendre que cette petite soirée était juste sans aucune conséquence. Ça ne l'était pas, il y avait toujours des conséquences avec eux, toujours avec Jamie et Hannah. Ils avaient beau prétendre du mieux qu'ils le pouvaient ils en revenaient toujours au même point. Et puis la brune l'écoutait parler, plus elle avait envie de s'éloigner de lui et de tout simplement disparaitre. À l'entendre, on aurait dit qu'Hannah était le pire des poisons, quelqu'un qu'il ne fallait surtout pas faire entrer dans sa vie au risque de périr. Est-ce qu'elle l'avait brisé pour de bon ? C'était la fin ? Il jetait les armes, il s'avouait vaincu et ne reviendrait plus jamais se battre ? Non, ce n'était pas juste, elle s'était toujours relevé, à chaque fois qu'il avait jugé qu'elle n'était pas digne de l'avoir elle, Hannah avait toujours fait en sorte de continuer et maintenant que Jamie se retrouvait de l'autre côté, c'était tout simplement insurmontable ? Ça n'tait pas juste.  "Je ne joue pas... tu m'as demandé la vérité, je te la donne, tant pis si elle te déplait Keynes, c'est comme ça je..." Hannah ravala la réplique acide qui semblait lui brûler la gorge et elle préféra l'écouter parler. L'écouter parler d'une fin de soirée qui n'allait certainement pas être la leur. Le pire dans tout ça, c'était qu'Hannah l'aurait sûrement laissé faire, elle l'aurait laissé la soulever et l'embrasser comme si elle était sa dose personnelle d'oxygène. Comme s'il n'y avait rien d'autre qu'elle. Elle l'avait déjà fait par le passé, elle ne voyait pas vraiment où était la différence entre avant et maintenant. C'était juste une nuit comme les autres, une nuit qui finirait forcément par s'éteindre comme eux aussi. Mais non, car si Jamie lui donnait envie de se dépasser, il ravivait aussi le pire chez elle. D'où l'alcool, les cigarettes et ce besoin latent de le voir flancher. "Arrête de dire ça comme si c'était une mauvaise chose..." Ça l'était et Hannah le savait, ils étaient trop similaires, deux reflets quasiment identiques du même miroir et quand les choses fonctionnaient, c'était merveilleux, c'était parfait et être dans les bras de Jamie était l'évidence même. Mais il suffisait d'un rien pour que tout bascule et qu'ils soient à la gorge l'un de l'autre. "Tout ce que tu ressens, c'est ce que je ressens en permanence vis-à-vis de toi Jamie, exactement." On disait bien fou amoureux pour quelque chose et Hannah finit par inspirer un grand coup et se rapprocher du brun pour poser sa main sur la sienne. Peut-être que c'était un contact de trop, peut-être que ce n'était pas assez, Hannah ne savait plus à cet instant. Elle-même n'avait pas l'esprit clair, rongé par la peine et les échecs du passés et tout ce qu'ils ne seraient jamais. Elle rêvait d'une autre vie, d'un univers où Joanne n'aurait jamais existé, où ils auraient eu le temps de panser leurs blessures respectives et apprendre comment être meilleur ensembles. Mais non, même pour ça, ils n'avaient pas le temps. "Si tu m'aimes trop comme tu le dis, il faut bien que tu me rayes de ta vie alors, ou que tu songes vraiment à ce que tu dois faire. Peut-être que tu as juste besoin pour réfléchir à tout ça, à toi." Ces mots lui coûtaient beaucoup, beaucoup trop et Hannah finit par s'écarter, un air de profonde lassitude sur le visage. "Mes sentiments pour toi n'ont pas changé, en dépit de tout ce que tu m'as fait Jamie, peut-être que tu devrais songer ça et ... savoir ce que tu veux. Je crois que je ne l'ai pas fait avant parce que j'avais peur mais je crois que je ... Oui je te demande de choisir entre elle et moi." Parce qu'il n'y avait pas d'autre moyen d'y arriver, il était impossible de contenter tout le monde et espérer que tout irait mieux. Hannah hocha la tête forte de sa conviction et elle eut même l'audace de vider un autre verre. C'était bien la seule chose qu'elle n'avait jamais exigé de lui et jamais elle n'aurait songé prendre ce rôle. "Mais je n'irais pas mieux, tant que je sais qu'il y a la moindre possibilité, même la plus infime pour un nous... oui, tu m'as réduite à ça, je n'en suis pas particulièrement fière ... Il faut juste que ça cesse, je ne peux pas être ton amie Hannah." La brune poussa un soupir et se passa une main dans les cheveux, fixant un point au dessus de la tête de Jamie, elle ne pouvait pas concevoir que ces mots-là venaient de quitter ses lèvres. "Si tu me veux vraiment c'est tout ou rien."  Elle se pencha une dernière fois pour déposer un baiser au coin des lèvres du brun et elle s'écarta enfin. "Tu sais où me trouver." lâcha simplement Hannah avant de tourner les talons, mettant déjà de la distance entre eux.

C'est vrai, encore une fois. J'ai posé une question, voilà la réponse. Je voulais un joli mensonge auquel croire pendant un jeu consistant à dire la vérité. Je suis bien crétin et complètement naïf. Je ne peux pas blâmer Hannah d'avoir répondu en toute honnêteté, c'est bien le but de la manœuvre après tout. Ce n'est que moi, encore une fois, qui récolte ce que je sème. Un jour il faudra que je me rende compte. Non, les ennuis de me tombent pas dessus comme ça, sans raison ; je les cherche, je n'arrête pas de creuser. A plus d'un titre je ne peux m'en prendre qu'à moi-même, mais personne n'est prêt à avaler ce genre du vérité du jour au lendemain. Ce doit toujours être de la faute de quelqu'un d'autre. Un humain ou une notion abstraite ; si l'on veut un coupable, on en trouve un. Pas cette fois. Ce sont mes envies, ce sont mes propres émotions, mes sentiments qui me font tourner en bourrique. « C'est totalement différent. » je réponds sèchement lorsque la comédienne se permet de comparer nos deux situations. Hannah n'a pas l'autre moitié de son coeur qui l'attire irrémédiablement vers une personne qui fait plus de mal que de bien. Elle n'a pas de mariage annulé. Elle n'a pas de fils dont une partie de sa vie pourrait dépendre de la manière dont la situation actuelle se dénouera. Ce qu'elle ressent, aussi tiraillée soit-elle, n'aura jamais de conséquences sur qui que ce soit d'autre qu'elle-même et sa petite vie. Je subis à cet instant un des nombreux courts-circuits qui font griller mon cerveau à chaque fois que je m'approche de la conclusion implacable, absolument inévitable à laquelle je refuse de faire face : choisir. Chaque chose que je fais n'a pour but que de retarder l'échéance, voire la nier. Je me suis toujours juré que je ne choisirai pas, que rien ne m'y obligeait, et que personne n'a le droit de me mettre face à pareil ultimatum. Joanne, Hannah, aucune, mais jamais les deux. Mon regard s'est posé sur la main que la jeune femme a mise sur la mienne. Mais elle, j'ai bien du mal à la regarder dans les yeux. Je sais que je m'y perdrai encore plus, que je m'y noierai complètement. Ils m’envoûteront, et je ne serai plus capable de penser. Savoir ce que je veux. A cet instant, c'est Hannah. Et quand Joanne est là, c'est elle. Si l'on me mettait les deux jeunes femmes dans la même pièce, j'exploserai. Finalement, la comédienne me met face à ce choix. Ma tête se relève, je la dévisage. Jamais, jamais je n'aurais pensé que ce serait elle qui me demanderait de choisir entre elle et Joanne. « Ne me demande pas ça, Hannah... » je murmure en secouant la tête. « Ne me fais pas ça. » Elle sait parfaitement ce que j'en pense. Qui m'impose de choisir n'a qu'à partir, je m'en détournerai sur le champ. C'est ce que je me suis toujours dit. Une étincelle de colère passe furtivement dans mes iris ; à mes yeux, me demander une telle chose relève quasiment de la trahison, d'autant plus parce que c'est elle, elle qui est censée comprendre que je ne peux pas choisir et le respecter jusqu'au bout. Hannah valait tellement mieux que cela à mes yeux, mieux que d'être celle qui me met au pied du mur. Après cette colère, et la déception, vient la peine. Je la supplie presque de retirer ses paroles. Qu'elle colle ses lèvres aux miennes et allons faire des choses que nous regretterons dès le matin afin de nous blesser toujours plus, cela vaudra toujours mieux que ça. Qu'elle me demandant de faire un choix impossible. Mais Hannah persiste et signe, scellant mon dilemme dans un dernier baiser discret. « Hannah... » je souffle, ce qui ne l'empêche pas de s'en aller. Alors elle me laisse, seul face à ce choix, et en prenant avec elle cette moitié de moi qui n'est qu'à elle.