@Eve Daxson

Faute que le temps ne soit plus rythmé par le cycle des jours et qu’il n’y ait plus ni matin, ni soirée, les boutiques et commerces de bouche de la rue commerçante n’étaient jamais tout à fait fermés. L’apothicaire, depuis le début de l'éclipse, s’était accordé peu de repos et encore moins de sommeil. Lorsqu’il fermait les yeux, il n’était que plus troublé, perturbé par la situation actuelle, hanté car la cruauté et la sauvagerie qui s’étaient emparés de la ville. Il s’était fait une mission d’être utile à la communauté, de soutenir la santé des humains, et ils avaient besoin de ses mixtures plus que jamais. Cela pouvait aisément justifier le sacrifice de ses heures de sommeil. Jonah ne saurait donc dire à qu’elle heure du jour ou de la nuit ils étaient supposés se trouver, et cela n’avait guère d’importance. Entre deux lignes d’inventaire, il jetait un coup d’oeil à la porte d’entrée de l’apothicairerie, s’attendant à tout moment à ce que la clochette résonne dans la pièce. Mais la femme dont il avait senti la présence depuis quelques mètres plus haut dans la rue ne franchit finalement pas le seuil du magasin. Sourcils froncés, étonné et curieux, il décida de quitter son comptoir un instant et de suivre sa silhouette, attirée dans le coin de la rue par une autre présence. Une présence dont l’odeur métallique trahissait la nature.

Il perçut un mouvement dans l'ombre de la ruelle. La vampire venait de plonger ses crocs dans sa victime lorsqu’il tourna à son tour à l’angle du bâtiment. Elle en savourait chaque goutte de sang avec une allégresse visible, tel que le voulaient ses instincts. Jonah la regarda avec une expression mélange de surprise et de réprobation. "Qu'est-ce que vous faites ?" dit-il d'une voix calme, mais empreinte de reproches. La lueur de la lune éclairait le visage d'ange aux yeux de prédateur de la femme en plein festin, ses crocs encore visibles, confirmant le camp auquel elle appartenait. “Lâchez-la.” il ajouta en indiquant la victime d’un signe de la tête. La vie s’échappait doucement d’elle, mais il n’était pas trop tard pour espérer qu’elle reparte d’ici en vie, que son existence ne se termine pas en repas pour monstre dans une allée obscure. “J’ai des onguents plus efficaces qu’une saignée pour aider les gens. Et j’aimerais autant ne pas retrouver les cadavres de ce qu’il me reste de clients derrière ma boutique.” Derrière le cynisme, le jugement. Non pas de la nature de la brune pulpeuse, mais du comportement que celle-ci avait visiblement décidé d’opter face à l'éclipse : faire de la ville un immense terrain de chasse. Une lâche facilité qui lui inspirait autant de dégoût que de jalousie.

Joseph observe son reflet dans le miroir. Il a une sale gueule. Les cernes qui creusent des cratères sous ses paupières sont de la couleur de l’encre. Ses ongles imparfaits et amochés se coincent dans ses cheveux hirsutes et lui arrachent constamment des grimaces. Il prend le temps de ses observer. Leur forme n’est plus triangulaire, mais des traces d’écaillement et de sang ceinturent leur courbe. Il ne pense pas avoir tué un humain, cette nuit (nuit, jour, après-midi, matin, qu’importe, il n’arrivait pas à comprendre comment fonctionnaient ses transformations aléatoires). Il a seulement vu un chien, éventré, la mâchoire manquante, en plein milieu du ruisseau dans lequel il avait plongé dès le moment où il a senti les premiers symptômes de la malédiction. Voilà trois mois qu’il déambule sans savoir quoi faire. Il a tenté d’entrer en contact avec des personnes qui le ressembleraient, mais, pour l’instant, ses recherches l’ont laissé pantois.  

Lavant ses mains avec l’eau boueuse s’extirpant de l’évier, il ne cesse de fixer sa prunelle à l’allure dorée. Lui qui a toujours eu les yeux bleus, il constate une légère différence dans leurs reflets. Il soupire. Il ne sait pas s’il pourra continuer longtemps dans cette voie. Il n’a pas l’impression qu’il trouvera une issue de secours à la fin du chemin. Il n’a pas trouvé de crème, de baume ou de pilule dans les allées de l’apothicairerie alors il a fait une halte à la toilette et, désormais, il se prépare à partir. De retour dans la salle principale, entouré de médicaments en tout genre, il constate que l’endroit est tout à fait vide. À la sortie, il aperçoit deux silhouettes… Ou plutôt trois. La dernière est étalée au sol et semble inanimée. Déglutissant, il se râcle la gorge, s’excuse aux deux personnes qui se sont tournées vers lui, un homme et à une femme au teint blafard, et il entreprend de disparaître au coin de la rue en faisant mine de n’avoir rien remarqué.  

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Jonah se tenait toujours à l'entrée de la ruelle sombre, observant la vampire d'un œil scrutateur. Ses sens magiques étaient en alerte, même s'il ne disposait pas de la puissance de beaucoup de créatures qui peuplaient ce monde. Cependant, sa capacité à détecter les énergies lui permettait d'avoir un certain avantage tant que la sauvagerie avait pris le dessus sur la ville. La vampire finit par relâcher sa proie et le corps de la femme, toujours en vie, glissa au sol, faible et désorienté. Jonah prit une profonde inspiration, essayant de contrôler le malaise qui montait en lui à la vue de la victime inanimée. Il se sentait moralement obligé de protéger ces mortels innocents des créatures qui rôdaient, mais il était également conscient de la puissance de ces dernières. La vampire, malgré son acte, semblait étonnamment calme et dédaigneuse. Elle releva même un sourcil face à son intervention. Jonah avait rarement croisé des créatures surnaturelles aussi confiantes et nonchalantes par le passé, mais les choses avaient bien changé, n’est-ce pas. « Moi qui croyais que la nuit sans fin vous avait apporté de nouveau clients... » répondit-elle avec sarcasme à ses paroles. « Je m'en voudrais de faire couler votre affaire, » continua-t-elle.

La créature semblait perplexe quant à la nature du jeune homme, et il s'attendait à cela en intervenant de la sorte. Il n'était pas un chasseur de créatures, mais il n'était pas non plus l'un des leurs. "Je ne suis pas un chasseur," précisa-t-il. Tirer à vue et se prétendre justicier n’était pas sa politique. « Es-tu même humain ? - Plus que vous. » Il savait qu'elle avait repéré quelque chose d'inhabituel en lui. N’importe quel mortel n’aurait jamais osé l’interrompre -comme cet inconnu qui, en passant sur l’avenue, eut le malheur de laisser son regard glisser sur la scène et préféra accélérer le pas. “En tout cas, je n’ai jamais oublié ce que cela signifie.” Être humain. Le Fletcher pouvait percevoir la menace sous-jacente, mais il était déterminé à faire preuve de tolérance et de compréhension autant que possible. Les temps étaient sombres, et il savait que la violence ne ferait qu'aggraver la situation. “Je vais emmener cette femme à l’intérieur, maintenant.” Il fit un pas en avant, armé d’une certaine détermination. Il n’avait pas l’intention de laisser la victime de la vampire agoniser sur le sol. C’était contre sa nature.

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Shakespeare pourrait être fier depuis sa tombe, à les entendre reprendre le fameux refrain d’Hamlet, une réécriture de son “être ou ne pas être”. A l’heure où les humains étaient les proies, les victimes collatérales du terrain de chasse ouvert par l’éclipse, Jonah persistait à en porter l’étendard et en faire une force. « Et qu'est-ce que cela t'apporte ? » demandait la vampire qui, après des années, peut-être des siècles, arrachée à sa première nature, avait sans doute tout oublié de cette condition. De la grâce de vieillir avec dignité. De la beauté dans tout ce qui était éphémère. Du goût particulier des premières fois. En cela, l’apothicaire la plaignait. “Je peux toujours me regarder dans le miroir.” Pun bloody intended. La compassion n’allait quand même pas empêcher un brin de provocation. Au rictus qui animait discrètement le coin de ses lèvres, il était clair de Jonah était fier de sa joute. Cependant, il retrouva rapidement son sérieux ; la femme à leurs pieds demeurait entre la vie et la mort, et il n’avait pas l’intention de jouer avec son état précaire plus longtemps uniquement pour avoir raison dans un concours d’orateurs avec la vampire. « Et si je n'en ai pas envie ? » opposa celle-ci. « Si je ne te laisse pas l'amener... Es-tu trop humain pour faire quelque chose ? - Au contraire. » répond-t-il d'un ton calme, bien que sa détermination soit palpable. “Je le suis assez pour prendre les mesures qui s’imposent pour sauver quelqu’un.” Une lueur de défi dans son regard soulignait la véracité de sa déclaration. Jonah était loin d’être le sorcier le plus puissant et il évitait la confrontation autant que possible. Néanmoins, il saurait se défendre. “Votre dédain pour la vie humaine ne m’impressionne pas, et m’intimide encore moins.” Elle qui en avait l’air si fière, avec son air supérieur, sa condescendance, son sarcasme. Comme l’ensemble de ses semblables, elle voyait le reste des êtres peuplant la planète comme du bétail. Et c’était cette indifférence qui les déshumanisait, bien plus que leurs canines aiguisées. “Vous avez eu ce que vous vouliez d’elle.” Il invoque la raison, tout en ayant conscience qu’il a peu de chances de la convaincre avec de simples mots. La menace de l’empêchera pas de faire ce qu’il avait à faire. Alors Jonah avança lentement, gardant une distance prudente entre lui et Eve, respectant son espace personnel. Il ne souhaitait pas la provoquer davantage, mais il ne reculerait pas non plus.

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L’attitude provocante et le mépris apparent de la vampire rendaient chaque interaction incertaine et potentiellement dangereuse. Cependant, l’apothicaire ne pouvait pas laisser la victime inconsciente sur le sol sans rien faire. Sa conscience le sommait d’agir. « Elle mérite donc ton humanité mais pas moi ? » Non, la vampire ne méritait ni empathie, ni sympathie. Car Jonah ne voyait rien d’humain chez elle, juste une créature démoniaque ayant pris l’apparence d’une femme pour se fondre dans la masse, traquer et attaquer ses proies. Un prédateur dont les crocs trahissaient la nature animale. “Agissez comme un monstre, souffrez les conséquences.” Les êtres comme elle méritaient la haine des mortels, d’être traqués, de vivre dans l’ombre et la honte de ce qu’ils étaient. Mais c’étaient ces mêmes monstres qui vivaient librement, et lui qui se sentait plus prisonnier que jamais du rôle qu’il s’était donné. S’il y réfléchissait trop, il pourrait douter de vouloir sauver la victime de la vampire pour de bonnes raisons.

Lorsque la brune se positionna obstinément sur son chemin, Jonah s'arrêta. Il voyait clairement que la vampire voulait jouer, tester ses limites, et il n'était pas disposé à se laisser manipuler. “Et qu’est-ce que vous voulez de moi ?” il demanda en haussant les épaules. Non, il n’avait aucune intention de tendre poliment le cou pour être vidé par la jugulaire. “Tout ce que j’ai à offrir, c’est la possibilité pour vous de partir d’ici indemne.” De l’intérieur de son manteau, l’apothicaire sortit une fiole que sa précédente bataille contre un loup-garou lui avait appris à toujours avoir sur lui. De l’elixir d’argent pour les lycanthropes. De l’eau bénite pour les vampires. Et même de la poudre incendiaire contre ses propres semblables, s’il le fallait. Il l’avait dit, il ferait ce qu’il fallait. Et les animaux, on les matait.

@Eve Daxson

Jonah, bien que perturbé par l'étrangeté de la situation, ne se laissait pas impressionner par les manœuvres théâtrales de la brune. Cependant, la provocation constante de la vampire commençait à éroder sa patience. Il n'était pas du genre à s'engager dans des jeux de pouvoir, mais il devait trouver un moyen de mettre fin à cette confrontation sans compromettre sa propre sécurité. Il pouvait sentir le jeu qu'elle essayait de jouer, son désir de le pousser à bout, mais il n'était pas prêt à se laisser entraîner dans ses provocations. La femme gisant derrière eux était sa priorité, et il ne laisserait pas la vampire l'utiliser comme un pion dans son jeu malsain.

La mention de la fiole qu'il brandissait suscita une réaction mitigée chez la vampire. Il perçut sa déception, mais il n'avait nullement l'intention de révéler l'étendue de ses capacités, surtout face à une créature qui semblait prendre un malin plaisir à semer le chaos. « C'est vraiment tout ce dont tu es capable ? C'est tellement dommage... » Il garda ses distances avec elle, surveillant chaque mouvement de près. Sa priorité était de mettre fin à cette confrontation sans violence inutile, mais il devait rester sur ses gardes. La vampire, avec son attitude imprévisible, pouvait basculer d'un moment à l'autre. “Une situation aussi ennuyante ne devrait pas mériter votre attention plus longtemps, alors.” ajouta-t-il, espérant ainsi raisonner la créature et la dissuader de prolonger cet échange stérile.

Malheureusement, Jonah ne pouvait prédire la réaction de la femme, mais il espérait qu'elle comprendrait qu'il ne céderait pas à ses provocations et qu'il était prêt à défendre ceux qui étaient en danger. « Je vous conseille de laisser cette affaire ici, » ajouta-t-il, choisissant ses mots avec soin. « Une vulgaire proie ne mérite pas que vous finissiez blessée, n’est-ce pas ? »