Les éclipses étaient un moment privilégié pour les sorciers et sorcières, l’occasion d'absorber les énergies lunaires, de se connecter avec les forces mystiques du cosmos. Que le phénomène se poursuivre permettait donc aux couvents d'engranger toujours plus de pouvoir et ainsi perpétrer certains des rituels les plus puissants. Les cérémonies d'absorption s’étaient multipliées depuis le début de l’éclipse. L’observatoire en était devenu le théâtre de prédilection. L'endroit était plongé dans la lumière chaude et dansante des dizaines de bougies placées de part et d’autre de la salle. Certains, les plus anciens et traditionnels, portaient leurs robes de rituel à chaque fois. Jonah, lui, venant tout juste de fermer l’apothicairerie, ne s’encombrait pas de ces boniments. Il avait abandonné son manteau, sa veste, remonté les manches de sa chemise sur ses avant-bras et conservé son veston aux broderies florales, mélange de bleu nuit, de pourpre et d’argent.

Concentré, ses yeux fixés sur le cercle en craie sur le sol, il murmurait les mots des incantations du bout des lèvres, sa voix se mêlant aux autres dans un chœur harmonieux. Ses mains, tenant celle de sa cousine à sa droite et de sa mère à sa gauche, étaient lourdes et lâches. Bien qu’il sentait les effets de la lune renforcer sa magie, aiguiser ses sens, élever sa conscience et le connecter à chaque sorcier présent, rien de tout cela n'allégeait son cœur ou apaisait son esprit. La chaleur des flammèches, en revanche, lui apportait une sensation de réconfort bienvenue malgré l’atmosphère à la fois solennelle et mystique. Le rituel se conclut sur une gorgée d'élixir de spathiphyllum, la fleur de lune qui en scellait les effets. Puis le cercle se rompit, et avec un sourire de satisfaction, les familles se dispersèrent. Jonah et Mila se rejoignirent dans un coin de la pièce, à l'abri des regards indiscrets. “Je me demande si une énième cérémonie lunaire était encore nécessaire. Nous avions engrangé bien assez d’énergie pour plusieurs jours, hier. Pourquoi en vouloir toujours plus ?” Sa voix était à peine plus qu'un murmure. Un murmure las. Il soupira. “Oublie ça.” Il n’était pas sage de confier ses doutes, pas même à ses proches. “Comment se porte ma cousine ?” il demanda. La jeune femme n’était pas présente la veille, et l’apothicaire s’était demandé où elle pouvait bien se trouver.


@Mila Salvatori

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Mila avait manifestement été choquée par la réticence de Jonah concernant la cérémonie lunaire. « Des sorciers meurent, Jonah, encore et encore, et depuis toujours. Cette éclipse, c’est un avantage pour les vampires et les loups-garous, une sorte de permis de tuer qui leur est accordé 24 heures sur 24 ! Alors si on peut un tant soit peu se protéger, autant saisir l’occasion. » Il soupira, le regard baissé, comme honteux de ses propres paroles. Bien sûr, il reconnaissait le danger imminent que représentaient les vampires et les loups-garous. Il ne voulait pas qu'elle pense qu'il était insouciant ou indifférent à la sécurité de leur couvent. “Je sais. Je sais…” souffla-t-il. « Et visiblement, on n’a pas encore tous assez de force pour faire face … » Lui le premier aurait dû être reconnaissant que tous ces rituels aient lieu pour soutenir sa maigre magie. Il faisait partie de ceux, des rares, qui utilisaient une baguette comme amplificateur. Sans elle, il était à peine en mesure de faire naître une flammèche dans la paume de sa main comme le pouvait sa cousine. Il mentirait s’il niait qu’il ressentait encore et toujours un complexe vis-à-vis de cette béquille magique.

« Je suis terrorisée … » lui intima Mila. Ils se tenaient toujours à l'écart, profitant du calme relatif de l'obscurité tout en continuant leur conversation. Prenant un ton plus préoccupé, il lui demanda : "Pourquoi cela ?” Jonah serra doucement l'épaule de la jeune femme en signe d'encouragement. Ils étaient dans ce combat ensemble, et il était déterminé à faire tout ce qui était en son pouvoir pour les protéger, elle et l’ensemble du couvent, même si c'était un triste, étrange, mystérieux monde; plein de chagrin et de malheur. “Tu as du potentiel et du courage. Et nous sommes tous là pour nous entre-aider, nous protéger. Tu n’es pas seule.” Il savait que la magie de Mila avait été négligée ces dernières années, principalement en raison de son travail au cabaret, mais il croyait en elle. “Je redoute les événements à venir, non en eux-mêmes, mais dans leurs résultats. Mais cette situation ne durera pas toujours. Tout redeviendra comme avant.” Il y croyait, il devait le croire. Il suffisait d’être patient et de ne pas jouer le jeu de ceux qui en profitaient pour semer la terreur, faire couler le sang. Les malheureux peuvent se résigner, mais les coupables ne connaissent aucune paix. Ce n’était qu’une question de temps.

@Mila Salvatori

Dans les palpitations du coeur de Mila qu’il ressentait au creux de sa main, Jonah devinait l’anxiété qui grandissait en elle. La deviner aussi terrifiée lui inspirait une immense peine. Il n’aurait jamais voulu voir, un jour, autant de peur dans le regard innocent de sa cousine. L’impuissance alourdissait le dos de l’apothicaire. Tout ce qu’ils pouvaient faire, c’était attendre. Cependant Mila voyait les choses autrement ; « Viens avec moi ! Partons ! L’éclipse ne peut pas exister partout, elle ne peut pas être totale partout … Il y a bien un endroit où il doit faire jour … » Surpris, choqué par la proposition de la jeune femme, Jonah se redressa. Ses sourcils froncés durcissaient les traits de son visage. Elle suggérait de fuir. Il ne pouvait en croire ses oreilles. “Mais qu’est-ce que tu racontes ? Tu n’y penses pas !” s’exclama-t-il en étouffant les intonations contrariées de sa voix, la faisant rester dans le volume d’un murmure soufflé avec conviction. Il ne pouvait s'empêcher de penser à tout ce qu'il laisserait derrière lui, à tout ce qu'il avait construit dans cette ville, y compris son apothicairerie. Il avait travaillé trop dur, il s’était dévoué trop longtemps, et il ne pouvait pas s’imaginer une autre mission que celle de protéger la communauté. “Ma vie est ici, la tienne aussi. Notre famille est ici. Bon sang, le couvent est ici !” C’était leur devoir, de rester unis. Il n’y avait qu’ensemble qu’ils pouvaient traverser cette nuit, aussi longtemps que celle-ci durera. Ce n’était pas par hasard que les sorciers s’étaient toujours organisés en groupes ; séparés, isolés, leur magie était pauvre, leur pouvoir amoindri. “Tu voudrais que je laisse tout derrière moi pour fuir parce que des créatures ont décidé de profiter de la situation ? On devrait se punir par leur faute ?!” Se déraciner, et pour quoi ? Pour poursuivre la folle hypothèse que les choses seraient meilleures ailleurs. La situation était beaucoup plus vaste qu'ils ne pouvaient l'imaginer. Ici ou ailleurs, le combat serait le même. “Je comprends tes inquiétudes, Mila. Mais nous devons être plus solides que cela. Toute son existence, notre espèce a été forcée de fuir. Tu voudrais répéter l’histoire ?” La communauté des sorciers de Brisbane ne devait pas être laissée à elle-même. Il était prêt à chercher des solutions pour protéger ceux qui survivaient coûte que coûte et pour maintenir leur culture et leurs traditions vivantes malgré l'éclipse. Aucun vampire, aucun lycan ne le détournerait de ce devoir.

@Mila Salvatori

« Ce n’est pas notre vie qui est ici, Jonah, c’est notre mort ! - Nous savons parfaitement nous défendre ! » Je campe sur ma position. Même si je comprends ses craintes, elle ne veut pas entendre mon point de vue en retour, persuadée que sa solution est la bonne, l'unique chose à faire. Et cela me désole profondément. Une frustration que je n'arrive à exprimer qu'en haussant le ton, malgré mes paroles soufflées tout bas. « Notre famille peut venir avec ! On pourrait … constituer un petit groupe de personnes de confiance … - Et vous ferez quoi si la situation est la même partout ? Tu te seras mise en danger loin des tiens pour rien ! » Ne voit-elle pas mon inquiétude ? Que je ne pense qu’à son bien et à celui des nôtres ? Son égoïsme peut nous coûter bien plus qu’elle ne l’imagine. « Des tas de gens déménagent en tout temps, Jonah, et recommencent une vie ailleurs. Ca n’a rien d’une punition … - On ne parle pas de changer d’air pour le plaisir de voir un autre paysage, Mila. Tu veux nous déraciner pour fuir le problème. Tu veux nous arracher à notre chez nous par peur. » C’est déjà la peur qui a dicté la manière dont je vis ma vie. La peur d’être découvert, la peur qu’un chasseur passe la porte de ma boutique à n’importe quel moment pour m’emporter et me juger pour sorcellerie. Malgré cela, je me suis trouvé une raison d’agir dans l’ombre, une mission. Impossible pour moi d’admettre que s’en aller ne serait que la continuité de cette existence de peur. Peut-être que j’en ai assez, de ce sentiment. Ou peut-être que mon orgueil ne peut tolérer de voir ma propre couardise depuis dix ans déjà. « Tu as raison, c’est … c’est la peur qui parle. Oublie ça. » Une forme de soulagement s'immisce doucement dans mes pensées alors que Mila semble accepter mon point de vue. Je n’aurais pas pu supporter l'idée de la voir partir, de laisser derrière elle tout ce qui leur est cher, y compris leur famille, pour courir dans un monde inconnu et incertain. Je suis un être loyal, attaché à ma famille, à mon couvent, et l'idée de les abandonner m’est insupportable. Tant et si bien que, parfois, je force ce principe sur mon entourage, qu’ils le veuillent ou non. “Promets-moi que tu n’iras pas au bout de cette idée, Mila. C’est tout le couvent que tu risques d’affaiblir si on se divise.” Je marque une pause, mes yeux plongeant dans ceux de Mila avec détermination. "Je t'aime, tu le sais, et je ne veux pas te perdre. Je ne veux perdre personne de notre famille. Nous trouverons un moyen de traverser tout cela, mais nous devons le faire ici, avec les nôtres." Reconnaissant que les circonstances ne nous permettent pas de continuer notre conversation plus longtemps, mon regard glisse en direction du couvent qui se disperse peu à peu. Plus bas encore, j’intime à Mila ; “J’ai eu une visite de Corey l’autre jour. Il avait l’air en quête de réponses à propos de ce qu’il se passe. Peut-être que tu devrais lui parler.” Le meilleur moyen pour qu’elle ne parte pas est encore de la rassurer en lui assurant que d’autres sont en train de chercher des solutions. Qu’elle réalise que la résolution de cette éclipse n’est qu’une question de temps.

je te laisse clôturer si tu veux, sinon on peut archiver en l'état