Un bruit de klaxon derrière moi me fait violemment sortir de mes pensées. Je ne sais même plus dans quel genre de rêverie mon esprit s'était lancé. Mais mon absence avait duré le temps que le feu devienne vert. Je secoue ma tête pour me réveiller, légèrement déboussolé. Mon regard glisse sur l'intérieur de la voiture, mes mains sur le volant, et la lumière verte devant moi. Nouveau coup de klaxon. A travers le rétroviseur, je fais signe au conducteur derrière moi que j'ai compris le message ; je redémarre la voiture et passe à l'orange, laissant la file de voitures inchangée à l'intersection. Je grimace, amusé. Oups. Tournant à droite, sans trop savoir pourquoi, ma destination ne me revient pas immédiatement en mémoire. Tout est vaporeux dans mon crâne. Je suis pourtant loin de me sentir fatigué. Ce doit être le fait de ces foutus cachets. Depuis deux semaines que je suis la prescription du médecin de Joanne à la lettre, je commence à sentir les effets du lithium, et pas seulement les bons. Mon cerveau me semble terriblement lent. Rester focalisé sur mon travail est parfois difficile. Je suppose qu'une accommodation est nécessaire, mais mon manque de patience est mis à rude épreuve. Manquer d'efficacité dans mon travail est impensable pour moi. La masse de choses est déjà si conséquente lorsque tout fonctionne dans ma tête, je ne peux pas me permettre d'être moins concentré. Je ne me vois pas en parler à mon assistante, afin qu'elle puisse me soulager de quelques tâches qui finiront par prendre du retard. Encore moins à Roxy, ma patronne. Je prends sur moi, sachant que je finirais pas craquer à un moment donné. Le plus tard sera le mieux. Au final, je ne sais toujours pas où je dois me rendre. Mon téléphone sonne à cet instant, affichant le nom de Sophia sur le tableau de bord de la voiture. D'une pression sur un bouton derrière le volant, je décroche. La voix de la rouquine résonne dans tout l'habitacle. Elle demande si je suis en chemin. Visiblement, j'ai du retard. « Oui, oui, j'arrive. Désolé. Je me prends tous les feux rouges de Brisbane. Tu me rappelles ton adresse ? » Elle me l'épelle avant de raccrocher. Je l'entre dans le GPS, histoire de ne plus oublier, et commence à suivre religieusement les instructions. A mon arrivée au pied de l'immeuble de Sophia, détachant ma ceinture, mon regard tombe sur une bouteille de vin sur le siège passager. Châteauneuf du Pape, le genre d'étiquette prestigieuse française dont les bonnes années coûtent une fortune. Je crois me souvenir vaguement, que je devais l'apporter à la jeune femme, amatrice de vins de l’Hexagone. Pour quelle raison, en revanche… Je soupire et vient poser mon front sur le volant de l'Audi. Allez, Jamie, rappelles-toi. Tu ne peux pas être dans le brouillard à ce point. Ca ne revient pas. J'abandonne, attrape la bouteille et sort de la voiture. Sophia saura bien, elle. Je n'aurais qu'à sourire, comme si tout allait parfaitement bien dans mon crâne engourdi. Quelques marches d'escalier plus tard, je me retrouve devant la porte de l'appartement de la jeune conservatrice. Ce n'est qu'au moment de frapper qu'une fulgurance m'apparaît ; Sophia et moi avions simplement convenu de nous retrouver ce soir afin de discuter, de choses et d'autres, notamment de Joanne, de son séjour à l'hôpital, de la suite des événements. Ce fut un choc pour elle et moi, de voir la personne qui nous est le plus cher frôler la mort. Ni elle ni moi ne nous doutions que cela pourrait nous tomber dessus aussi brutalement. Au fond, il est normal que nous nous soutenions l'un l'autre face à tout ceci. Sachant son intérêt pour le vin, je lui avais proposé de profiter de cette bouteille que je ne boirai jamais. Pire, que je ne saurais sûrement pas apprécier à sa juste valeur si je venais à l'ouvrir. J'en ai toute une caisse. A vrai dire, j'ai une montagne de bouteilles de vin, des cadeaux pour la plupart, qui prennent la poussière chez moi, puisque je ne bois pas. Autant en faire profiter les autres. Mes souvenirs revenus, me frappe enfin à la porte. La jeune femme ne tarde pas à apparaître. « Bonsoir ! » dis-je, ravi de la voir, avec un large sourire. « Vraiment désolé pour le retard, le trajet a été… bizarre. » Je me rends compte qu'avant d'être surpris par le klaxon, il ne me reste pas grand-chose de ma route jusqu'ici. Je perds la tête. Je devrais appeler le médecin pour lui poser quelques questions. A moins que ce ne soit autre chose. Je n'en sais rien. Tant pis. « Cadeau, comme promis. » Je lui tends la bouteille, toujours sur le seuil de l'appartement, attendant sagement d'être invité à entrer.

jayphia

good morning, sunshine

J'adore mon travail, vraiment. Mais il est des jours où tout vous chagrine, et où vous avez la douloureuse impression que le monde entier s'est subitement retourné contre vous, sans la moindre explication. Aujourd'hui en faisait partie. J'avais la tête ailleurs depuis quelques temps - depuis l'admission de Joanne à l'hôpital pour être plus précise - et j'ignorais si c'était mon travail qui perdait en qualité ou si c'était l'afflux de touristes inhumains qui s'agglutinait au musée. Aujourd'hui, j'avais eu le droit à deux cars de touristes étrangers qui, sous prétexte qu'ils sont en voyage organisé, se permettent tout et n'importe quoi, tant que ça peut leur faire un souvenir. J'ai même retrouvé une petite tête blonde de cinq ans à peine sur les épaules d'une sculpture datant de la grèce antique, d'une valeur inestimable. Mon estomac se retourna à cette vision d'horreur et, ni une, ni deux, je flanquai le reste des visiteurs à la porte. Il était presque l'heure de fermeture, et aujourd'hui, je n'étais aucunement conciliante. Joanne, qui avait besoin de repos, ne m'accompagnait pas ces derniers temps ; j'étais la seule conservatrice du musée, la seule passionnée, et la seule femme. Autant d'éléments qui faisaient de moi une personne tout à fait inintéressante aux yeux des collègues. Mon humeur exécrable en était probablement responsable pour moitié, aussi. J'avais juste besoin de me changer les idées. Jamie avait dû le remarquer, puisqu'il m'avait discrètement proposé que nous nous retrouvions pour échanger sur nos états d'âme depuis l'accident de Joanne et nous plaindre comme deux pauvres gens autour d'une bonne bouteille de vin rouge. C'était bien là la seule bonne nouvelle de la journée, le moment que j'attendais. J'étais rapidement rentrée sur redcliffe, avais regagné mon appartement et m'étais accordée le temps de faire une belle balade avec Loukoum. Je souris en pensant une fois de plus que son prénom était aussi la petite douceur préférée de quelques habitants, dont Jamie et sûrement cet homme, rencontré au parc, qui m'avait conseillé de ne pas appeler mon chien en public, au risque de mettre en appétit les passants. Après avoir fait le tour du paté de maisons comme on le dit vulgairement, je rentrai dans mon appartement et m'attelai à une nouvelle tâche, qui me plaisait tout autant : la cuisine. J'avais entendu, sûrement au détour d'une conversation, que Jamie aimait les lasagnes ; pas plus de réflexion, ce serait le repas du soir, avec une recette que je connaissais désormais par coeur. Pourtant, ce soir, j'étais trop préoccupée pour réussir ma préparation comme à l'accoutumée. J'oubliais des ingrédients, laissais chauffer la béchamel sur une plaque éteinte, et d'autres péripéties. Et Jamie qui n'arrivait pas ! Je pris mon téléphone pour lui demander où il en était, et il m'annonça qu'il était en chemin. Je trouvais son retard déplacé, mais je n'avais pas le choix. Cet imprévu, le repas gâché : ç'en était trop. Au diable mes talents de cuisinière, ce soir, nous mangerons chinois ! J'appelai le petit restaurant du quartier pour commander. À peine quelques minutes plus tard, un livreur me tendit ma commande en échange de mon paiement. Dans la foulée, Jamie se montra enfin, une excellente bouteille à la main. Il semblait fatigué, mais je ne le soulignai pas. « Je te remercie, elle aurait sûrement été parfaite avec mes lasagnes mais après un petit problème de cuisine... j'ai dû me rabattre sur une livraison du restaurant chinois. » J'affichai une mine désolée. « Je suis un peu à l'ouest, en ce moment. » Je le laissai entrer, et lui proposai de s'installer comme chez lui pendant que j'amenais deux verres à pied. « C'est cool qu'on puisse discuter, vider nos sacs ce soir. Ça va nous faire du bien. » J'étais vraiment sincère. « Et avec ton retard, tu as gagné le droit d'ouvrir la bouteille ! » Une bonne façon de déléguer ce que je n'avais pas envie de faire ; m'étaler dans le fauteuil en attendant que le breuvage soit servi et que nous trinquions au bonheur me plaisait d'autant plus !

Sophia ne semble pas trop me tenir rigueur de mon retard. Ou alors, elle le cache bien. Quoi qu'il en soit, elle est souriante, comme d'habitude, et ce rictus éternel sur ses lèvres suffit à me conforter dans l'idée que j'ai bien besoin d'une soirée en compagnie d'une personne comme elle pour me remonter le moral. Les journées sont terribles. La maison est devenue glaciale, hantée par deux courants d'air. Joanne passe son temps à se reposer, dormir, et moi à travailler. Nous parlons à peine, nous regardons pas beaucoup plus. Il n'y a que dans notre sommeil que nous ressemblons encore à un couple. Quand l'inconscient prend le dessus et nous pousse à être toujours l'un près de l'autre. Je sais qu'il est délicat de venir frapper à la porte de Sophia, sa meilleure amie, pour parler de ce genre de choses. Qu'importe le fait qu'elle soit la seule personne de l'entourage de la jeune femme à m'approuver, elle sera toujours de son côté, et c'est bien normal. Mais le fait est que, aussi délicat cela soit-il, il me semble qu'il n'y a que la rouquine pour m'aider, peut-être comprendre et me conseiller. Il faut dire ce qui est ; elle connaît certaines facettes de Joanne qui ne me sont certainement pas encore apparues, et ses réactions n'ont plus de secrets pour elle. Alors que moi, malgré le mal que je me donne, je reste un nouvel arrivant dans sa vie, avec toutes les difficultés à bien faire qui vont avec. Au delà de ça, j'ai besoin de m'aérer l'esprit en agréable compagnie, et pour cela, Sophia reste toute indiquée. La jeune femme m'avoue d'ailleurs avoir voulu faire des lasagnes, ce qui m'arrache immédiatement un rire attendri. Dommage pour la cuisine italienne, l'invasion chinoise l'emporte cette fois-ci. « Oh, c'est tellement gentil de ta part ! Ne t'en fais pas, le chinois ira très bien. » dis-je avec compassion. Au fond, je ne suis pas compliqué : un bol de riz avec des légumes et de la sauce suffisent amplement à mon bonheur. La rouquine confesse également être un peu à côté d'elle-même en ce moment -sentiment que je ne peux que trop bien comprendre. Continuant de sourire en coin, je pose mes mains sur ses épaules en signe de soutien ; « On est deux dans ce cas, bienvenue au club. » Club qu'on préférerait quitter au plus vite elle et moi. Je fais enfin un pas dans l'appartement de Sophia qu'il me semble découvrir pour la première fois. Ce n'est rien d’extravagant -mais il faut dire qu'en comparaison de ma maison et des autres lieux où j'ai pu vivre, tout semble terriblement modeste. Prenant mes aises sans trop me faire prier, j'enlève ma veste, l'accroche au porte-manteau de l'entrée et défait le premier bouton de ma chemise histoire de pouvoir respirer plus confortablement. La bouteille de vin atterrit de nouveau dans les mains alors que la jeune femme me somme de l'ouvrir pour me faire pardonner de mon retard. « Oui mademoiselle. C'est tout ce que je mérite. » dis-je avec un regard de chien battu, l'air de dire que j'ai compris la leçon. Dans la cuisine, je fouille par-ci par-là pour trouver le tire-bouchon et m’attelle à la tâche. « Vide ton sac avant que je déballe le mien alors, parce que si je commence, je pense que tu n'auras pas l'occasion d'ouvrir la bouche de la soirée. » je lance à son intention pendant ce temps. Quand vient de moment de trouver les verres, j'ai un doute : dois-je en servir un ou deux… Devant les verres à pied, mon regard se fige. Et puis zut. J'en attrape deux. Je fais beaucoup trop d'exceptions à l'interdiction de boire que je m'impose, mais j'avoue ressentir le besoin d'un verre ce soir. Juste histoire de me détendre -et par curiosité de connaître le goût de ce vin. Pendant que je le verse, je continue de parler ; « Tout est si froid entre Joanne et moi depuis qu'elle est rentrée de l'hôpital, et vu que je travaille de la maison pendant sa convalescence, pour être auprès d'elle, je dois supporter cette ambiance en plus du stress du boulot. C'est en train de me tuer. » Voilà, si je commence, je ne m'arrête plus. Je soupire. Je doute finalement que Sophia ait très envie de m'entendre me plaindre de sa meilleure amie. Je devrais trouver une autre manière de formuler les choses, afin de ne pas la mettre mal à l'aise. Un verre dans chaque main, je rejoins la jeune femme au salon avec une mine désolée. « Pardon, j'ai dit toi d'abord. » Je m'assied à côté d'elle et lui donne son verre. Il contient deux fois plus de vin que le mien ; faire une exception, oui, mais en gardant bonne conscience. « Tu me diras s'il est bon, je n'y connais strictement rien en vin. » dis-je en haussant les épaules. Je devrais penser à m'abolir cette stupide règle consistant à ne jamais boire, et commencer à avoir enfin assez confiance en moi pour me permettre un verre de temps en temps. Je me suis imposé cette prohibition à la mort d'Oliver, et aujourd'hui, cela semble perdre peu à peu de son sens. Nous levons nos verres et trinquons ; « A sa santé. » dis-je avec un sourire triste, faisant référence à Joanne.

jayphia

good morning, sunshine

Jamie ne rechigna pas à la tâche que, plus ou moins, je lui imposais. Son regard de chien battu me fit sourire et rouler des yeux ; j'en venais presque à regretter de lui en avoir voulu d'être arrivé en retard. Tandis que je hochai lentement la tête de gauche à droite, Jamie ouvrit docilement la bouteille de vin à l'aide du tire-bouchon qu'il peina à trouver dans le bazar des tiroirs infinis de ma cuisine. Affalée dans mon fauteuil, je remarquai toutefois, au premier coup d'oeil, l'étiquette de cette bouteille de vin rouge, et c'était une très belle promesse. « Je crois que tu nous as ramené quelque chose de très bon. » Même si Jamie ne s'intéressait pas vraiment au vin, et à l'alcool en général d'après ce que j'avais compris, il n'avait pas lésiné sur la qualité. Epicurienne dans l'âme, je me régalai à la simple idée de partager ce nectar des dieux ... partager ? Je constatai soudainement qu'il y avait deux verres à pied sur la table, et que Jamie les remplissait de vin, un à un. Il me semblait qu'il s'interdisait de toucher à ce breuvage sacré, mais je ne relevai pas son écart ; après tout, il était assez grand pour savoir ce qu'il faisait et il avait sûrement besoin de ça pour se détendre, au vu des circonstances. « Oh tu sais ... » Ce furent les seuls mots que j'eus le temps de prononcer avant que Jamie n'enchaîne ; je ne lui en tenais aucunement rigueur, car je sentais qu'il avait vraiment, vraiment besoin de parler de l'épreuve qu'il traversait avec Joanne. Je ne m'étais jamais cachée que, quoiqu'il arrive et même si j'appréciais beaucoup Jamie, je soutiendrais ma meilleure amie dans les pires épreuves, qu'elle soit en tort ou pas. Ces derniers temps, leur couple n'était pas beau fixe, et Jamie semblait le vivre très difficilement. Je m'assis au bord du fauteuil, et posai ma tête entre mes mains, très attentive. Je fronçai les sourcils comme si je ressentais son mal-être, tant dans son corps - fatigué - que dans son esprit - à bout. « Ne t'en fais pas pour ça, nous aurons largement le temps de nous morfondre chacun notre tour. » Je tentai une petite boutade qui, je l'espère, pourrait amener un peu de baume au coeur de Jamie. « A sa santé. » répétai-je, priant pour que la destinataire de ce fol espoir reçoive nos bénédictions. « Il est excellent. » avouai-je ensuite dans un murmure, après avoir goûté la première lampée de cet exquis vin rouge. Une solennité certaine me gagna, en aspirant quelques vapeurs d'alcool qui ne s'étaient finalement faites que trop attendre. « Cela ne doit pas être évident pour Jo, tu sais. Elle est confrontée à des soucis médicaux qui prennent leur source dans des angoisses disons ... personnelles, intimes. » J'avalai ma salive comme pour réfréner mon envie de lui faire comprendre clairement que les principales angoisses de Joanne étaient dues à cette psychologue obsédée par lui-même. « Ella a parfois du mal à se livrer, et tu es bien placé pour savoir qu'elle préfère porter sa croix plutôt que de nous inquiéter. » Je bus une grosse gorgée de vin pour cacher ma voix tremblante avant du chuchoter : « C'est bien ça le problème d'ailleurs... » J'aurais tellement aimé qu'elle se confie à moi, non pas pour avoir davantage d'informations, mais simplement pour être plus présente. Malheureusement, c'était un concours de circonstances comme me l'avait dit Felix, et je ne devais pas m'en vouloir, selon lui. « Où en es-tu toi ? » Il était sûrement perdu, mais qu'il m'avoue que ce calme plat était en train 'de le tuer' m'avait sincèrement inquiétée ; j'espérai qu'il n'en soit pas au point de remettre son couple en question, parce qu'il ferait là une sombre erreur.

Spoiler:

Les verres tintent et nous apportons ensemble le vin à nos lèvres. Malgré mes maigres connaissances en la matière, je parviens à mettre quelques mots pour définir les sensations sur mon palais, mes papilles, ma gorge. Me dire qu'en effet, il est très bon. Sophia, elle, hume un instant le breuvage rouge. Je l'observe faire, non sans un sourire en coin. « Tant mieux. Je t'apporterai le reste de la caisse si tu veux. » je réponds lorsqu'elle dit le trouver à son goût. Autant qu'elle s'en empare, chez moi il lui faudra des siècles avant d'être bu. J'aspire une nouvelle fine gorgée avant de reposer le verre sur la table basse, ne regrettant pas de m'être accordé cet écart. Ce peu d'alcool dans le sang, ce goût particulièrement agréable, peuvent suffire à me détendre un peu et reprendre mon souffle lors de cette soirée hors de la maison. Sophia revient sur le sujet qui nous a réunis, à savoir l'état de santé de Joanne. Ses paroles me rappellent les mots du médecin, que j'avais trouvé terriblement accusateurs sur le moment, disant que je devais trouver la cause du mal de ma compagne et y mettre fin à la source. Sauf qu'entre tuer Kelya et la jeter de force dans un avion pour Londres, je ne vois pas vraiment ce que je peux faire. J'ai déjà tenté de la raisonner, et sa comédie à propos de sa compréhension, le fait qu'elle puisse accepter que je ne l'aime pas, avait trop bien marché sur moi. A son sujet, je suis bien faible. Après ce qu'elle a fait subir à Joanne, je sais qu'il est hors de question qu'elle ne s'approche ni d'elle, ni de moi. Mais cette idée reste douloureuse, après les années passées si proches. Je dois tirer un trait sur ma plus ancienne et chère amie, après le pire choc qui soit. Je soupire. « Je ne la blâme pas pour son état de santé, elle n'y peut rien, et je sais que c'est déjà quelque chose de très difficile à digérer pour elle… » Elle doit aussi gérer un homme incapable de la comprendre et préférant être en colère plutôt que de mettre ses états d'âmes de côté et la soutenir. Ce souvenir me hante avec force. « C'est difficile pour tout le monde. » je souffle plus bas. Joanne la première, mais nous sommes tous sur le même bateau. Tous ceux qui tiennent à elle. Toux ceux qu'elle a mis devant le fait accompli. Je sais bien qu'elle a toujours cette peur, irrationnelle, d'être un fardeau pour le monde entier, que personne ne doit connaître ses problèmes. C'est presque comme si elle se sentait persécutée dès que quelqu'un s'approche de trop près. Elle a toujours craint que je puisse la rejeter pour des choses sur lesquelles elle n'a aucun pouvoir. Sa santé s'ajoutant à la liste avec son divorce et sa fausse-couche. C'est une facette d'elle qui m'échappe et me frustre. Sophia et moi nous accordons à dire que sa volonté de vouloir tout affronter seule est le problème de cette histoire. « Comme tu dis. » dis-je en l'accompagnant dans une gorgée de vin. Ce verre va se vider beaucoup trop vite, je le sens. « Elle aurait quand même dû en parler à quelqu'un. Si elle sait que ses angoisses peuvent la mettre en danger, la moindre des précautions c'est d'avoir quelqu'un qui sache ce qu'elle a. » Mais non. Être libre de crever au milieu de la rue si ça lui chante, ça fait partie de son « jardin secret ». Me remémorer cette phrase a encore le don de me mettre hors de moi. Observant le fond de mon verre en silence, j'en aspire la dernière gorgée d'une traite, visiblement contrarié. « Si Mia et son frère n'avaient pas foutu le bordel dans sa confiance en elle, je pense qu'elle n'aurait pas ce foutu complexe d'infériorité. » je fulmine entre mes dents avant de le regretter aussitôt. Je viens cacher mon visage, honteux, entre mes mains. Ce genre de phrase, de langage, ce n'est tellement pas mon genre. Ou peut-être que si. Je n'en sais rien, je ne peux pas en être sûr. Mais je m'en veux d'avoir ce genre de pensées. « Pardon, c'est affreux ce que je dis. Oublie tout ça. » dis-je en glissant mes mains de ma face à mes cheveux, cherchant à me remettre les idées en place. En réalité, la question n'est pas vraiment nécessaire pour savoir que j'en suis… nulle part. Complètement paumé. Un rire nerveux m'échappe. « Je ne sais pas où j'en suis. Je sais que je suis à l'origine de tout ça, et je fais de mon mieux pour que tout aille bien, mais je vois bien que je n'arrive à rien. Elle dort à peine, elle ne mange pas assez. On ne se parle pas, on s'adresse à peine un regard. Je suis débordé, fatigué, et perdu. Et je sais que ce n'est pas ce dont elle a besoin pour aller mieux. Alors je m'en veux encore plus. » A vrai dire, je ne me suis jamais senti aussi seul depuis que nous avons commencé à nous côtoyer. Joanne avait été la seule personne à réussir à remplir le vide en moi, et aujourd'hui, elle est aussi la seule à avoir le pouvoir de tout reprendre -avec des intérêts. Je me lève soudainement pour retourner à la cuisine, récupérer la bouteille de vin, et l'apporter dans le salon. Je me ressers un verre, à peu près la même quantité que la première fois, et la pose sur la table basse. « Il m'arrive de la voir et de me dire que nous n'aurions jamais dû nous connaître. » dis-je avec cette espèce de sourire triste qui refuse de me quitter. Je soupire, le regard dans le vide. Mon verre dans la main, je me laisse enfin m'affaler dans le canapé, le dos étalé sur le dossier, happé par sa surface moelleuse qui détend doucement mon dos et mes épaules endoloris par le stress. Finalement, mes yeux se posent sur Sophia. Je doute qu'elle continue de m'approuver après tout ceci. Comme tout l'entourage de Joanne, et comme Joanne elle-même un jour, elle se rendra compte que, en effet, nous aurions mieux fait de rester à bonne distance l'un de l'autre. La jeune femme n'aurait jamais dû être assez folle pour me suivre au poste de police. Encore moins pour accepter de me parler à la soirée organisée par le musée. « Je me demande parfois ce qu'il se serait passé si le gala du musée s'était passé différemment. Si elle n'avait pas accepté de me donner une chance. » dis-je en faisant tourner le vin sous mon nez, faisant s'envoler les senteurs du vin vers mon nez. Je souris un peu plus largement à la rouquine. « Pas toi ? » Après tout, à en croire les dires de Joanne ce soir là, si elle n'avait pas été intéressée, Sophia l'aurait sûrement été.

jayphia

good morning, sunshine

Personne ne saurait refuser qu'on lui apporte gratuitement une caisse de ce succulent breuvage ; je n'eus guère besoin d'acquiescer pour que Jamie sache que j'étais toute ouverte à cette proposition. Un grand amateur de vins m'avait un jour fait découvrir les différentes étapes d'une dégustation ; je me souvenais encore de ces paroles, comme s'il me les avait dicté la veille. 'Choisir un bon verre, le remplir au tiers de sa contenance, faire "dandiner" le vin sans brusquerie pour apprécier sa robe, le humer à petits coups pour découvrir son bouquet et enfin, prendre en bouche une petite gorgée de vin, la laisser doucement s'étendre sur la langue pour lui transmettre son message'. En me les remémorant dans m tête point par point, je suivais ces instructions pendant que Jamie se confiait à moi sur l'état de santé de Joanne, sa difficulté à rendre public ses problèmes - évidemment, le terme public serait dans cette hypothèse très restreint et je crois même ne pas trop m'avancer en supposant que la liste ne comporterait, au mieux, que son petit ami et/ou sa meilleure amie. « Ce n'est pas la solution, tu le sais. » avouai-je dans un souffle rassurant à Jamie, tandis que ma main couvrait naturellement la sienne. Il me semblait perdu comme jamais, en proie aux doutes, et à la colère. Cet homme, sanguin, était incontrôlable dans les pires situations : cela s'était démontré à plusieurs reprises, le dernier en date étant malheureusement cet incident à l'hôpital. Que Jamie commence à mentionner le frère et la soeur de Joanne comme uniques responsables d'un suggéré complexe d'infériorité n'avait pour moi aucun fondement. Si je n'avais pas la chance de connaitre personnellement la fratrie Prescott, je demeurais persuadée que ni eux, ni nous, ni personne n'aurait pu faire changer d'avis Joanne sur sa volonté de porter seule son fardeau, envers et contre tous. « C'est oublié, ne t'en fais pas. » Je me reculai pour regagner l'assise de mon fauteuil rouge, juste en face du canapé où mon ami commençait à s'agiter, nerveusement. Un rire lui échappa, ce qui ne me décrocha même pas un sourire. Il était désemparé, et tout ce dont il avait besoin - selon moi - c'était une oreille attentive, qu'il n'avait plus chez lui. De surcroît, j'étais terriblement mal à l'aise de ne pas trouver les mots justes pour le consoler au mieux, et lui promettre que tout irait bien. Je le regardais, attentivement et pleine de compassion, jusqu'à ce qu'il prononce les mots de trop. « C'est absolument idiot, je peux t'assurer que Joanne n'a jamais été aussi épanouie que depuis que tu es à ses côtés, et je pense déceler que tu n'as jamais été aussi heureux que depuis que tu l'as rencontré. Ose m'avouer le contraire. » Je ne lui laissai guère le temps de répondre. « Tu connais les Fourberies de Scapin ? Molière y écrit : 'Vous vous moquez : la tranquillité en amour est un calme désagréable; un bonheur tout uni nous devient ennuyeux; il faut du haut et du bas dans la vie; et les difficultés qui se mêlent aux choses réveillent les ardeurs, augmentent les plaisirs.' » J'ignorais d'où me revenait ce souvenir culturel, mais il était tout indiqué. « Et sinon, tu as aussi de la philosophie de comptoir qui dit que la vie est comme une montagne russe, qu'il y a des hauts et des bas, mais c’est que toi qui décides si tu cries ou tu profites du voyage. » Je marquai une pause suffisamment longue pour que Jamie répète cette phrase dans sa tête. « Il serait temps, autant pour toi que pour elle, que vous profitiez du voyage, tu ne crois pas ? » Cela impliquait que Joanne se confie à lui, et que Jamie parvienne à contrôler ses émotions dans les situations les plus délicates pour qu'elle ait confiance ; à la réflexion, c'était un horrible cercle vicieux. « Même s'il m'est aussi arrivée de me demander la tournure que ce gala aurait pris si elle ne t'avait pas donné une chance.. Tu imagines un peu : le destin aurait pu nous lier. » Je riais légèrement avant de replonger mon nez - et mes lèvres - dans mon verre, pour me condamner d'avoir osé dire une telle chose.

Ayant osé dire ce qui semble impensable, c'est à dire avoir voulu ne jamais rencontrer Joanne, je devine que j'ai prononcé les mots de trop pour une Sophia qui croit si fort en nous -et sûrement parfois plus que nous-mêmes. Je fais face à long monologue, ferme, me prouvant l'idiote de mes paroles. Même si elle m'assure que son amie n'a jamais été aussi heureuse, je ne peux qu'en douter. Peut-être que la jeune femme est au courant pour nos disputes, je ne sais pas ce que Joanne peut lui raconter ou non, mais pour y assister, être au coeur des crises, voir ses larmes, je ne peux que me croire bien plus capable de lui apporter de la peine plutôt que du bonheur. Je ne renie pas tous les bons moments que nous passons ensemble, cette vie agréable que nous avons à deux dans cette maison devenue chez nous, les jours où tout se passe à merveille. Ils existent et je les chéris comme la chose la plus précieuse qui soit. Mais il y a toutes ces tâches sur le tableau, ces épreuves qui nous mettent à mal, et la dernière en date m'ayant fait réaliser que le souhait d'avoir des enfants qu'elle a finira forcément par me mettre au second plan. Viendra le jour où je ne suffirai plus à son bonheur – si bonheur je suis capable de lui procurer. Néanmoins, Sophia n'a pas tort. Pour ma part, Joanne a changé ma vie. Je ne peux pas être plus heureux qu'en sa présence. « Non, c'est vrai... » je murmure en baissant les yeux, me rendant compte de ma bêtise. Sans elle, nul doute que j'aurais quitté Brisbane à cette heure, retournant à la facilité de mon ancienne vie. Je ne dois pas me laisser envenimer par  cette période à vide. Comme la rouquine le dit, il y a des hauts et des bas. Le problème chez nous étant que chaque haut est très haut, et chaque bas trop bas. Ce n'est pas la belle blonde la fautive, seulement moi et mon incapacité à trouver un juste milieu dans mes émotions, lorsque j'accepte de les partager. Quand je m'ouvre, on découvre que je ne suis qu'un ensemble d'extrêmes qui tentent de cohabiter. Malgré la honte que j'ai à devoir prendre mes cachets chaque soir, je compte dessus pour régler la balance et m'aider à être plus modéré. Plus équilibré. Joanne et moi devrions profiter de cette relation que nous avons, ce voyage comme l'appelle Sophia. Je soupire dans mon verre avant de laper un peu de vin. « Il faudrait oui. Mais j'ai peur que vu l'enchaînement des événements, ce qui reste du voyage soit de courte durée. » dis-je tout bas, comme si les mots n'existaient pas vraiment. Cela prendra peut-être quelques années avant que Joanne ne veuille plus d'un homme qui souhaite la garder uniquement pour lui, mais ce moment viendra. Je suis sûrement déjà en train de me préparer à l'idée que cette relation aura forcément une fin trop précoce à mon goût. Le genre de fin que je ne verrais pas venir. Alors autant me préparer à cette éventualité. Préférant balayer toutes ces pensées négatives qui me plombent, je ramène Sophia au soir où nous nous sommes brièvement vus pour la première fois, au gala du musée. Elle m'avoue se demander aussi ce qu'il aurait pu se passer si Joanne m'avait tourné le dos. L'idée la met mal à l'aise, mais j'en ris – et ce simple rire me fait énormément de bien. Je prends l'une de ses mains et la porte à mon visage alors que je capte ses yeux bleus dans les miens. « Si ça se trouve, nous sommes passés à côté d'une belle histoire. » dis-je avec un sourire faussement enjôleur avant de déposer un très léger baiser sur ses doigts. L'idée semble si ridicule que j'en ris à nouveau. Je lui rends sa main et me lève hors du canapé, mon verre à la main. « Appliquons le pouvoir de la musique pour effacer toute cette peine. » je lance en me dirigeant vers la station hi-fi de la jeune femme. Je sors mon téléphone de ma poche, le dépose sur le socle -un bip me fait comprendre que la connexion s'est faite entre les deux appareils- et pars à la recherche d'un bon album à mettre. Je maintiens que cela ne vaudra jamais un bon vieux CD ou un vinyle, mais il paraît qu'il faut faire avec son temps. J'affiche un large sourire amusé lorsque je tombe sur mes téléchargements de Frank Sinatra. Je sélectionne la playlist et laisse Fly me to the moon résonner dans l'appartement. « Parfait... » Je confirme, je suis incapable de faire avec mon temps. Je retourne auprès de Sophia, lui prends les mains et la fait se lever à son tour -sans vraiment lui laisser le choix- pour l'attirer au milieu du salon. Je place un de ses bras sur mon épaule, garde l'autre main fermement entre mes doigts, et pose la mienne sur sa hanche. La danse se résume à un mouvement de balancier de droite à gauche, simplement pour jouer le jeu ; « Reconstitution. Nous sommes au musée, je ne te connais pas, tu ne me connais pas. » J'imagine que ce soir-là, la femme du directeur, plutôt que de me mener à Joanne pour me la présenter, a décidé qu'elle souhaitait me voir en compagnie de l'autre conservatrice. « Bonsoir, je suis James Keynes. » dis-je avec un léger sourire. Juste pour m'amuser, puisque cela n'a rien de réel, j'utilise ce cher prénom -mon vrai prénom qui n'a eu d'utilité que les cinq premières minutes de ma vie, avant que le monde entier décide de toujours m'appeler Jamie- dont personne n'a connaissance à Brisbane. Sauf Sophia, désormais.

jayphia

good morning, sunshine

Je ne pouvais me résoudre à l'idée que Jamie transforme sa relation à durée infinie en une belle mais simple aventure temporaire, craignant que le voyage prendrait bientôt fin. Je les avais tellement soutenus, coûte que coûte et face au reste du monde - toutes proportions gardées - qu'il m'était impossible d'imaginer que ce soit l'un d'entre eux l'auteur de leur décadence amoureuse. Par ses propos pessimistes, j'avais la douloureuse impression qu'il commençait à baisser les bras ; il glissait sur la mauvaise pente, mais ce n'était plus à moi de le retenir cette fois. Car même sans le vouloir, les circonstances faisaient que, en ces moments difficiles, je m'immisçais un peu trop dans leur relation. Je n'en avais parlé ni à l'un, ni à l'autre, puisqu'ils semblaient avoir besoin de mon oreille attentive, mais je craignais que cette proximité - certes, mon rôle en tant qu'amie - ne me porte prochainement préjudice. J'aurais prié pour qu'ils parviennent à raviver la flamme de leur amour égaré, mais cela n'aurait guère suffi, tant le problème semblait profond. Je me contentai alors de sourire timidement, ouvrant la possibilité à un quelconque changement de sujet qui serait sûrement bénéfique à Jamie - et à moi aussi. Il saisit cette opportunité au vol en émettant l'hypothèse d'une soirée différente de celle que nous avions passés le soir du gala : m'imaginer à la place de ma meilleure amie, c'était ça l'idée. Je découvris un Jamie que je n'avais évidemment pas l'habitude de côtoyer. Faussement enjôleur, son attitude me décrocha un petit rire incontrôlable. Un petit rire gêné par le plaisir que ce simple baiser de main m'avait procuré. Je chassai immédiatement ce sentiment de trahison qui me répugnait : comment pouvais-je, ne serait-ce qu'une seule seconde, jouer au chat et à la souris avec le petit ami de Joanne ? C'était absolument interdit. « Comment sais-tu que Sinatra est un de mes artistes favoris ? » Je m'étais retournée pour tomber nez à nez avec Jamie, qui ne tarda pas - sans un mot - à prendre le rôle de mon cavalier au bal du lycée. « Curieux. » Une reconstitution ? Cela me plaisait. L'imprévisibilité de Jamie me plaisait. Ce soir, il me plaisait. C'est absolument interdit : ces mots résonnaient en boucle dans ma tête. « Enchantée James, je suis ravie de faire votre connaissance. » Sans réfléchir au côté malsain de ce jeu de rôles, je rentrai immédiatement dans la peau de mon personnage. « Je suis Sophia Cadwell. » Cette soirée prenait une tournure tout à fait inédite, dont je ne m'étais pas doutée un seul instant, et qui pourrait faire chavirer ma vie - et la sienne - en une poignée de secondes. « Vous avez un regard troublant, M. Keynes. » Cette révélation s'imposait à moi à mesure que je plongeais dans ses sombres iris, perçants et mystérieux - un regard auquel je n'avais jamais prêté attention avant ce soir. « Êtes-vous venu ... accompagné ? » Un petit sourire coquin se dessina dans le creux de ma joue, attendant faussement qu'il m'avoue son célibat et son irrésistible attirance pour ma chevelure flamboyante. Nous continuions nos quelques pas de danse sur le rythme de Fly me to the moon, indéniablement la meilleure chanson au monde - et toutes époques confondues. J'avais l'étrange impression que ce que nous faisions là n'était pas qu'un jeu, que c'était un peu plus que ça. C'était terriblement dérangeant, absolument interdit ... mais horriblement délicieux. Il faut croire que l'interdit me stimule.

"Qui sur cette planète n'aime pas Sinatra?" je demande avec un large sourire. Certainement pas moi, qui suis un très grand amateur de l'artiste, du jazz en général. Sophia dans mes bras, je suis heureux de la voir jouer le jeu que je lui propose. Elle se présente à son tour. "Irlandaise, n'est-ce pas ? Vous êtes trahie par votre nom et votre accent." dis-je en sachant d'avance que j'ai vu juste. Mon regard coincé dans le sien, je remarque cette paire d'yeux bleus. Différents de ceux de Joanne qui sont d'une incroyable clarté. Les siens sont plus profonds. La jeune femme trouve le mien troublant. "Vraiment ?" je demande avec un sourire amusé. "Je crois que la seule chose troublante dans ce regard, c'est le reflet de votre beauté." J'en fais des caisses et cela m'amuse grandement. Mon rire me trahit malgré mon air sérieux. J'oublie ainsi mes idées noires, je chasse mes pensées, ne me concentrant que sur l'instant présent. Dans ce jeu, cette autre réalité qui est proposée, les problèmes de ces derniers jours n'existent pas. Et je n'ai pas envie de garder un pied dans la réalité. J'efface doucement cette relation qui s'étiole avec Joanne, laissant une chance à cette soirée avec Sophia. J'ai conscience de l'étrangeté de la situation -elle aussi à en juger par ses rires légèrement nerveux. Cela ne me freine pas. J'ai bien trop besoin d'une compagnie, d'un instant capable de me couper du reste du monde. De Joanne, de l'hôpital, des cachets. Sophia me demande si je suis accompagné. Je prends une moue faussement attristé ; "Malheureusement non. L'amie devant me servir de cavalière m'a fait faux bond." Chose vraie. Ce soir là, si elle ne m'avait pas laissé tomber a la dernière minute, j'aurais sûrement été accaparé par cette jeune femme pendant toute la soirée. "Mais je ne suis pas si malchanceux que ça finalement. Je me retrouve en délicieuse compagnie." dis-je avec ce sourire complice qui est bien la seule chose rappelant que ceci est censé être un jeu. A la fin de la chanson, même si cela est terriblement cliché, je fais légèrement pencher le buste de la belle rousse vers l'arrière. Lorsqu'elle retrouve sa place initiale, son corps s'est collé au mien, nos fronts apposés l'un contre l'autre. Je viens poser la main de Sophia, que je tenais dans la mienne jusqu'à présent, sur mon épaule. Ainsi, ses bras encerclent mon cou et les miens ses hanches. Le morceau suivant ne tarde pas à prendre le relai. Même si ce genre de proximité avec une autre femme que Joanne me semble bizarre, le fait qu'il s'agisse de sa meilleure amie, une personne en qui elle peut avoir confiance, me laisse naïvement penser que tout ceci est parfaitement innocent. Ni elle, ni moi, ne pourrions la trahir de la pire des manières. Je laisse la musique apaiser mon esprit, mon coeur battre en rythme. Tranquillement. Puis je glisse mon visage à côté de celui de la jeune femme, joue contre joue, afin de souffler à son oreille ; "Vous réussissez à redonner des couleurs à cette soirée, Sophia. Merci... D'être là." Phrase à la frontière entre le jeu et la réalité. La belle est véritablement un rayon de soleil qui n'a pas besoin de s'armer d'autre chose que de son sourire pour éclairer une pièce. Je viens déposer un baiser tendre sur sa joue. Yeux fermés, ce simple contact avec sa peau pâle vient enflammer mes joues. Une douce chaleur qui descend jusqu'à mon coeur qui, surprit, accélère sensiblement sa cadence. C'est le moment précis où la seule chose à laquelle je devrais penser est Joanne. Mais son nom m'évoque tellement de peine en ce moment que mon esprit se refuse à entendre sa sonorité, ce hurlement sourd qui me demande d'arrêter ce jeu qui a assez duré. Pourtant je laisse mon visage contre celui de Sophia, trouvant là la chaleur qui manque cruellement à mon foyer depuis des jours, et cela me fait trop de bien pour que je daigne m'en défaire. Je garde les yeux clos pour profiter de l'instant. Les secondes passant, je sens malgré moi un magnétisme qui tourne très lentement ma tête. Je ne sais plus vraiment où je suis. Jusqu'à ce que je sente le souffle chaud de Sophia glisser de sa bouche entrouverte sur ma peau. Je sens mes lèvres frôler les siennes à une distance irraisonnable. "Ce n'est pas..." pas une bonne idée. Du tout. Néanmoins, je ne parviens pas à m'extirper de là. Et je ne saurais dire qui de nous deux a franchi le pas, mais la seconde suivante, nous nous embrassions.

jayphia

good morning, sunshine

Sinatra était un choix judicieux au possible : il était non seulement un de mes artistes favoris, mais aussi l'auteur de nombreuses mélodies qu'il me plaisait de jouer sur scène - notamment lorsque je jouais dans ce petit bar jazzy de Dublin. Récemment, j'avais pu remonter sur les planches pour un plaisir indicible à fortitude valley, et là encore il était au programme. J'avais l'impression que, tout ce temps, Jamie avait été une petite souris et avait épié les moindres de mes mouvements, me connaissant désormais par coeur. « Un accent chantant agréable à vos oreilles, je l'espère. » Plus sérieusement, j'avais entendu à maintes reprises que l'accent irlandais typique comprenait des voyelles souvent plus "rondes" que l'accent anglais. Par ailleurs, nombreux avaient été les habitants de Brisbane à me faire part de ma tendance à avoir un débit de paroles extrêmement rapide, avalant parfois même mes fins de phrase. Sur ce plan, mes huit années passées ici m'avaient grandement faite progresser ; même si mon accent me trahissait toujours. « Oui certainem... » Rattrapée par l'espièglerie de Jamie qui prenait très à coeur son rôle de beau parleur, je ne parvins à prononcer la dernière syllabe de ce mot. Son rire accompagne le mien, avant qu'il ne m'avoue - faussement ? - qu'il appréciait ma compagnie. « Nous sommes donc les deux grands chanceux de la soirée. » Je me sentis doucement valser à la renverse, le buste fermement maintenu par les mains chaudes de mon partenaire, qui me releva lentement jusqu'à ce que nos corps se frôlent, puis se touchent. Nous étions si proches l'un de l'autre que je tentai son souffle chaud sur ma peau, un sentiment qui me mettait en émoi. À cet instant, et contre tous principes et valeurs, il n'était plus le petit ami de Joanne, mais un homme séduisant. Terriblement séduisant. Nous n'étions que deux âmes égarées sur le point de commettre l'irréparable. Son souffle se déplaça jusqu'à mon oreille ; ses murmures, frôlant délicatement ma peau, firent battre mon coeur à folle allure. Pendant une seconde de lucidité, j'aurais aimé lui retourner ce compliment, lui avouer que même si nous commencions seulement à nous connaitre par mon soutien sans faille au couple qu'il formait avec Joanne, avoir son soutien me permettait de maintenir le cap. Mais il n'y eut aucune seconde de lucidité. Une vague de chaleur, incontrôlable, s'empara de mon corps lorsque nos lèvres brûlantes se frôlèrent avec indécence. J'étais prisonnière de cette envie que je ne parvenais à réfréner. Comme si la Terre toute entière s'était arrêtée de tourner et que je plongeai dans un brouillard profond, cet envoûtement s’attaqua à mon aura, mon corps émotionnel puis mon corps physique. Nous franchîmes le pas, sans que Jamie ne puisse se rétracter, lui non plus. Ce baiser était une terrible erreur, mais je ne pensai pas une seconde aux conséquences désastreuses qu'il pourrait engendrer ; en moi ne brûlait que la flamme de mes désirs ardents dont la férocité me fit vaciller, comme si, tout au fond, une force me poussait vers lui. « Ce n'est pas une bonne idée. » répétai-je, pleine d'audace, dans un souffle après m'être arrachée à la bouche de Jamie, avec qui il semblait que le jeu de rôles ait pris une toute autre tournure. La balle était dans son camp. Le coeur débordant d'ardeur, je restais pendue à ses lèvres, que je suppliais de conquérir à nouveau. Un mot, un geste de lui, et nos destins pourraient être bouleversés.  

Impossible pour moi de comprendre ces très étranges sensations qui me traversent. Cette chaleur, douce, apaisante que je ressens si près de Sophia. Ce désir d'en avoir un peu plus à chaque seconde qui passe, comme si découvrir ce sentiment d'ivresse à ce contact avait mis en évidence un manque que je n'avais pas remarqué jusqu'à présent. Je suis soudainement, et malgré moi, avide de cette aura qu'émet la jeune femme. Mon esprit ne semble pas vouloir me donner de réponses -à vrai dire, je n'en cherche pas. Je suis perdu dans ces émotions étranges qui ne me ravagent même pas. Ces envies interdites qui sont comme autant de lucioles dans le brouillard : je ne sais pas vers quoi elles mènent, mais je les suis sans réellement me poser de questions, intrigué, curieux, et hypnotisé. Leur lumière est trop agréable pour avoir envie de faire demi-tour, de leur résister. Il y a forcément quelque chose au bout du chemin, et je veux savoir ce que c'est. Sophia et moi savons que tout ceci est la pire idée qui soit. Le genre d'idée qui ne devrait même pas traverser nos esprits. A quoi pensons-nous ? Je ne saurais le dire, il me semble que ma tête est parfaitement vide de tout questionnement, de tout doute, de toute peur. Je me contente d'avancer, instinctivement, pas à pas dans la brume, guidé par une force qui me dépasse. Un murmure doucereux et suave qui résonne dans mon crâne dénué de volonté d'opposition. Sophia semble avoir plus d'esprit que moi et parvient à détacher ses lèvres des miennes. Leur manque se fait immédiatement ressentir à travers mon corps. Un grondement, une complainte s'élève immédiatement dans ma tête comme autant de voix m'ordonnant de remédier immédiatement à cette soudaine distance entre nos visages. Ce n'est pas une bonne idée. Ces mots suffisent à peine à me faire réaliser l'erreur qui vient de se passer. Et puis, ce n'est pas une bonne idée pour qui ? Pour Joanne qui nous a tous les deux écartés d'un problème de la plus grande importance, de sa vie ? Cette même Joanne qui pensait que garder tout ceci secret, que nous laisser nous retrouver devant le fait accompli, était une bonne idée ? Si telle en est la définition à ses yeux, elle et son jardin secret, alors le concept de m'intéresse pas. Je la balaye de mon esprit dans un courant d'air ; elle, ses cachotteries, son égoïsme. « Je sais... » C'est une mauvaise idée. Ce n'est ni raisonnable, ni sain. Ce n'est plus un jeu ; c'est une chose sérieuse et grave. La pire idée qui soit. Je ne m'en blâmerai pas. « … mais je m'en fiche. » dis-je avant de prendre le visage de Sophia entre mes mains pour récupérer ses lèvres, et qu'elle ne s'en échappe plus. Je ne suis pas aveugle, elle le veut autant que moi. Et je sais que la barrière ne mettra pas longtemps à tomber. Je me souviens bien de son regard au gala -au vrai gala- et ce genre de choses était prédestiné à arriver, Joanne ou pas. Doucement, mes bras enlacent la fine silhouette de la jeune femme, la serrant contre moi pour en sentir la chaleur et les formes à travers ses vêtements. Une poignée de secondes, mon visage se détache du sien. Un doigt sous son menton, je relève son regard pour le coincer avec le mien. Remords ? Sûrement pas. Je lui fais comprendre que je ne compte pas me contenter de baisers, si elle m'autorise à aller dans de sens, défaisant un à un les boutons de son chemisier, veillant à voir une lueur d'approbation dans ses yeux à chaque étape. Je ne quitte pas ses iris bleus pendant ces longues secondes qui s'écoulent. Et je ne m'autorise à l'embrasser à nouveau qu'après avoir terminé. Les mains peuvent se poser directement sur sa peau à présent et trouvent place dans son dos. La chaleur du corps de Sophia se fait sensiblement plus ressentir à travers ma chemise, et l'envie de la sentir directement contre ma peau se fait de plus en plus oppressante.

jayphia

good morning, sunshine

Un baiser furtif sur les lèvres, cela aurait-il la même valeur qu'une franche poignée de main entre amis ? Dans des romans à l'eau de rose pour jeunes filles en fleur, des arguments pouvaient s'entrechoquer en faveur de cette idée. Mais il y avait autre chose dans ce baiser, comme si Jamie me laisser découvrir son âme avec ses lèvres et m'invitait à lui rendre la pareille. Il m'était absolument impossible de le refuser. Quelques délicieuses minutes interdites. Envoûtée, je posai ma main sur sa joue rugueuse et l'embrassai sans retenue ... jusqu'à être traversée par un éclair de lucidité, qui me ramena une seconde à la réalité : quel mal étions-nous respectivement en train de causer à Joanne ? Les remords n'eurent pas le temps de me happer vers les bas fonds de ma conscience puisque la chaleur des doigts de Jamie caressant mon visage me vida de toute considération respectueuse. Mon corps s'aimanta au sien, que je brûlais de découvrir davantage. Les yeux fixés sur les siens, l'âme suspendue à ses lèvres, je ne fis aucun mouvement pour échapper à cette étreinte passionnée. Sentir ses mains viriles se promener sur mon dos augmentait sensiblement mon rythme cardiaque, et je mourrais d'envie de sauter le pas, de commettre l'irréparable. J'enfouis mes mains dans ses courts cheveux bruns. Et dans une fièvre incontrôlable, alors que notre baiser s'intensifiait, que nos lèvres se dévoraient, je laissai ma main se balader jusqu'à sa chemise que déboutonnais avec vigueur jusqu'à me retrouver contre sa peau brûlante. J'effleurai du bout des doigts son torse musclé, m'attardant sur ses abdomi​naux saillants, avant de descendre vers sa taille. Plus rien autour de nous n'existait ; nous venions de créer notre propre espace-temps, d'une liberté sans nom. Je plongeai mes iris dans les siens, avide de goûter à tous les plaisirs offerts par l'existence. Je décelais dans son regard sensuel les mêmes envies que les miennes ; lentement je déboutonnais à mon tour ce qu'il me restait sur la poitrine, me retrouvant dans le plus simple apparat. J'aurais dû me sentir terriblement gênée, affreusement honteuse de jouer à ce jeu dangereux avec Jamie. J'aurais dû. Mais si seulement j'avais pu. Une force impalpable me poussait irrémédiablement vers lui, comme l'attraction de deux aimants. Sans détacher mon regard du sien, je me glissais dans ses bras qui me serraient à mesure que l'excitation grandissait. Sentir sa peau contre la mienne fit monter le désir de plusieurs crans. Il ne restait plus qu'une barrière, et cette barrière était sur le point de tomber. Sans songer à rien d'autre qu'à l'instant charnel que nous nous apprêtions à partager par cette parenthèse sensuelle, je lui glissai quelques mots affriolants à l'oreille qui firent s'élever nos respirations déjà haletantes. De mon côté, je ne pouvais plus reculer. Je ne voulais plus reculer.

(et là, faut plus regarder, ça part en cacahuète.)

Je ne vois pas l'intérêt de se refuser l'un à l'autre, retenir cette envie mutuelle et se condamner à la frustration avec un unique baiser échangé. Si on considère que le mal était déjà fait à ce moment là, qu'importe jusqu'où nous allons. Il est trop tard. Il y a eu désir, il y a eu faiblesse, il y a eu l'acte. La trahison est faite, elle a existé, qu'importe que nous allions plus loin ou non. Alors autant aller jusqu'au bout des choses, puisqu'en notre fort intérieur, tel est notre souhait. Envoyer valser le respect, les conventions, les règles, tout ce qui devrait nous pousser à rester sages et raisonnables plutôt que de se pendre au cou l'un de l'autre. Il n'y a que cette force qui nous aimante et à laquelle nous nous abandonnons. Peut-être la curiosité, peut-être l'excitation de interdit. Cette petite part d'adrénaline lorsque notre conscience nous hurle le nom que nous jetons dans un coin de la pièce. Ou le désir de bel et bien savoir ce que nous avons raté le soir de ce fameux gala. Peut-être un peu des deux. Je n'ai pas de sentiments pour Sophia, pas d'amour inavoué, rien qui puisse justifier une attitude pareille, si ce n'est une basique attirance physique pour une très belle femme. Je sais seulement qu'à cet instant précis, j'ai besoin d'elle, et je ne veux qu'elle. Je suis aveuglé par cette soif, cette envie de l'avoir pour moi, contre moi, avec moi. Je me laisse complètement fondre, désarmer, par le passage de ses mains dans mes cheveux, ma nuque, puis sentant chaque bouton de ma chemise sauter sous ses doigts. Quand je sens le contact direct de sa peau sur la mienne, je perds définitivement la raison. Mes dents passent sur sa lèvre inférieure, trahissant un désir devenu incontrôlable. Ma respiration se coupe sous ses caresses. Je laisse tomber le vêtement le long de mes bras et atterrir sur le sol pour mieux attraper de nouveau le corps de Sophia, elle aussi dénudée. Chaque craquelure causée par ses baisers vient briser toute volonté de ma part. Je me surprends néanmoins à être attentif à ne pas reproduire les gestes qui sont propres à ces moments d'intimité avec Joanne. Les baisers dans le cou, certaines caresses auxquelles elle seule a droit, lui restent dédiés. Je m'arrache quelques secondes des lèvres de la jeune femme afin qu'elle nous mène jusqu'à la chambre. Les quelques pas qui composent le trajet suffisent à créer un manque que je m'empresse de combler une fois arrivés dans la pièce. Doucement, je la fais reculer puis tomber sur le lit. Profitant de cette position de force, au dessus de Sophia, je parcours son corps brûlant de multiples baisers, de ses épaules à sa poitrine, le long de son ventre, suivant ses mouvements, la courbure de son dos. Mes doigts se serrent une seconde autour du draps, trahissant ce désir de plus en plus puissant. Sans plus attendre, je termine d'ôter un à un les quelques vêtements qui peuvent constituer une barrière entre elle et moi, la débarrassant également de ses sous-vêtements, la laissant ainsi parfaitement nue. J'ai leur coeur galopant, la respiration terriblement forte. D'une main baladeuse, je glisse le long de la courbe de sa silhouette, le long de ses côtés, ses hanches, ses jambes. Elle vient finalement se plaquer entre ses cuisses. Un contact qui suffit à m'arracher un soupir sonore alors que je capture à nouveau les lèvres de la jeune femme pendant de longues minutes.

jayphia

good morning, sunshine

(attention là c'est chaud patate)

Le jardin des délices s'ouvrait à nous comme la plus belle des pièces de théâtre dont nous étions les protagonistes. D'une volupté sans égale, nous nous glissions vers une union charnelle que nous ne serions pas prêts d'oublier. Cette liaison dangereuse éphémère était absolument imprévisible ; l'interdit - cet interdit qui me faisait perdre toutes mes valeurs - me stimulait aujourd'hui. Telle une ingénue libertine, j'oubliais mon sens de l'amitié, de la fidélité. J'oubliais Joanne. Il l'oubliait aussi. Cette passion érotique exquise nous dénuait de tout sentiment de culpabilité, que nous retrouvions sans doute au petit matin comme une gifle en pleine figure. Jouant mon rôle de courtisane rebelle, j'emmenais Jamie jusqu'à ma chambre où nous passâmes à un stade supérieur. Il parcourut mon corps de dizaines de baisers charnels. À mesure qu'il effleurait ma peau claire, mon corps se courbait, oubliant toutes les censures qui m'auraient ramenées à la réalité. Sa main, délicieusement baladeuse, se glissa jusqu'aux zones les plus érogènes qu'une femme puisse connaitre. Je me courbe davantage. Nos respirations, haletantes, suggéraient l'oppression du désir qui s'était emparé de nous. Jamie étouffa un nouveau soupir sonore - chose que je ne parvenais à faire - lorsque, dans cette promiscuité charnelle, peau contre peau, je sentis sa virilité se tendre davantage. Gagnée par une frénésie érotique incontrôlable, je m'engage dans un tourbillon de plaisirs inattendus, inavouables, en laissant mon partenaire s'emparer de mon corps. La redoutable précision de ses baisers sensuels, de ses légères morsures, de ses lèvres sensiblement gonflées et de ses mains brulantes parcourant les moindres courbes de mon corps fébrile ... tout ne contribue qu'à rendre plus ardent le feu qui m'animait. Sans qu'il ne soit jamais question de sentiments, nous entamions avec ferveur une gestuelle dansée. Mes sens étaient en émoi, mon coeur galopait, nos corps se mouvant vigoureusement pour satisfaire un appétit charnel, dévorant et farouche qui exigeait d'être assouvi. Un cri aigu jaillit de ma gorge sous cette excitation qui ne cessait d'accroitre. Mes mains s'accrochaient au corps viril de Jamie, tantôt effleurant ses muscles saillants, tantôt griffant son dos - sans m'en rendre compte - de mes ongles vernis. Submergée par une bouffée de désir, mes doigts quittèrent le dos de Jamie pour se refermer autour de ses poignets. Je grimpai à un niveau d'excitation indicible, lorsque, tremblante, les paupières closes, je savourais chaque seconde de cette explosion charnelle soudaine et excitante. Une apogée du plaisir charnel que je ne serai pas prête d'oublier.

Spoiler:

(suite et fin du cours de gym)

La frénésie est telle que l'attente est de courte durée. Le fait est que tout en moi ne désire qu'une seule chose : elle. Cette obsession m'a sauté dessus, s'est emparée de moi à la seconde même où j'ai frôlé ses lèvres la première fois. Rapidement, mon corps hurlant son besoin de s'emparer de celui de Sophia, j'abandonne les derniers centimètres qui me séparent d'elle. Je capture ses lèvres plus passionnément alors je franchis le pas, ce point de non retour. Désormais, nous ne pourrions être plus proches. Mes doigts se resserrent sur la peau pale de la jeune femme, les premiers mouvement débutant. La vague de sensations procurée par cette union charnelle quasiment contre nature me traverse de long en large, rendant l'acte, la trahison, l'interdit d'autant plus réel. Je la dévore du regard, avide de consumer la totalité du corps de la belle dans ce brasier qui nous anime tous les deux. L'erreur étant devenue palpable, irréparable, j'entends les premiers doutes se semer dans mon esprit. Quelques graines de poison. Balayés par les irrésistibles soupirs de Sophia près de mon oreille. Il s'accrochent. Reviennent. Murmurent. Mais ce n'est pas lorsqu'il est trop tard que vient le moment de faire marche arrière. J'ai déjà traversé la frontière, je m'enfonce pas à pas dans la traîtrise à chaque aller et venue supplémentaire qui me donne envie d'aller toujours plus loin. Je la sens pleinement mienne, son corps se mouvant lascivement contre le mien, ondulant, suivant la cadence. Ma respiration m'échappe, quelques soupirs sonores traversent mes lèvres. Mon coeur frappe sur mes tempes, noyant complètement les pensées qui traversent furtivement mon esprit. Quelques regrets, quelques flagellations qui disparaissent dans la seconde, dès que la jeune femme s accapare mes lèvres. Repoussant avec toujours plus de détermination la moindre once de doute, je me fais plus vigoureux dans mes mouvements, mettant définitivement fin à toute forme de frustration. Mon corps, brûlant, fiévreux, s'est doucement recouvert d'une fine pellicule de sueur. Je me laisse emplir par ses gémissements, ses caresses, nourrissant mon être de chaque centimètre carré de la peau de Sophia. Je remarque que sans amour pour ma partenaire, je ne suis rien d'autre qu'un être abstrait cherchant à tout prix à assouvir ses pulsions, sans émotions, uniquement de grandes vagues de sensations, laissant le plaisir prendre le dessus sur tout le reste. A vrai dire, les minutes passant, à mes yeux, l'acte se vide de tout sens. Une fois la satisfaction d'avoir eu ce que je voulais passée, ce plaisir dont j'étais avide prend peu à peu la forme de remords et se glisse dans mes veines pour détruire tout contentement dans mes gestes. Pourtant, je n'arrête pas. Bien au contraire. La houle se fait toujours plus intense, brisant le dos de Sophia. Je ne sais pas ce qui me pousse à continuer. Sûrement l'excitation, l'exaltation du moment, grimpant un peu plus alors que je sens Sophia proche du point de non retour. Je me sens craquer moi-même un peu plus à chaque seconde, ne parvenant plus à contenir mes propres gémissements entre mes dents. Derrière mes paupières closes, son cri résonne.

Quand j'ouvre les yeux, en sueur, essoufflé, son écho persiste encore quelques secondes. Mais elle n'est plus là. Je me redresse soudainement, désorienté, essayant de calmer mon souffle hors de contrôle. Mon regard s'adapte à l'obscurité de la pièce afin que je reconnaisse ma propre chambre. Mes mains agrippées aux draps du lit cherchent à s'ancrer dans la réalité. Me faire réaliser, peu à peu, que tout ceci n'était qu'un rêve.

TADA.