Ce n’est qu’au moment où je confirme le point de rendez-vous au Uber appelé la minute d’avant que je le réalise. Que c’est risqué, que ça sera probablement pas si facile que ça, que c’est absolument pas une bonne idée, loin de là. Mais je peux plus vraiment faire marche arrière. À chaque millimètre que parcourt la voiture animée sur l’écran éclairé de mon portable, je sais que l’inévitable n’est qu’à une fraction de seconde de se produire, et que je dois être plus fort que ça, assumer mieux que ça. Parce que je sais que ce soir, c’est un soir foutument important pour Ginny. Parce que je sais que ce vernissage-là, c’est l’apogée, c’est l'apothéose, c’est le pourquoi du comment, c'est tout ce à quoi elle aspire depuis si longtemps. Et surtout parce que ma place aurait dû être à ses côtés dès le moment où elle a su que tout ceci allait arriver. Pour l’avoir vue grandir un carnet à dessin toujours au bout des doigts, pour avoir aidé à concrétiser son rêve en la forçant à envoyer son formulaire d’inscription une bonne fois pour toute à l’Académie, pour avoir accompagné avec entrain Edward quand il organisait son atelier une fois qu’elle avait décidé de s’y remettre, après la naissance de Noah, à Londres. C’est pas facile de n’avoir rien eu de sa part, aucune mention, aucune nouvelle, aucune invitation, niet, nada. Mais ce soir, j’ose. Rien en tête, rien dans les poches, simplement un drapeau blanc que, je l’espère de tout mon coeur, de tout mon être, elle verra. Une trêve, un aparté auquel j’aspire le plus humblement du monde.  Je suis décidé à make things right, je veux foncièrement que tout aille mieux, je veux faire le pas nécessaire vers elle, je veux qu’on se retrouve. Le reste m’est secondaire.

Les clés du DBD entre les doigts, je finis la clope de sûreté qui a trouvé réconfort au coin de mes lèvres lorsque la voiture finit par arriver à ma hauteur, tourner le coin, se garer face au café. Pas que je prévoyais boire à outrance ou quoi que ce soit ce soir, pas que j’ai pas envie d’y aller avec ma bagnole, juste, j’avais pas le goût de me faire chier à trouver un stationnement à Spring Hill en plus de stresser comme un con tout le long du trajet. Entrant dans le véhicule, je passe sur le siège arrière avec automatisme, saluant le chauffeur, m’installant comme il se doit. Puis, y’a la notion de Uber pool qui me revient en tête, et le fait que la voiture regroupe un paquet de gens, d’inconnus, de mecs et de nanas allant dans la même direction. Ça, et le fait qu’Ezra Beauregard est installé dans mon angle, et que y’a rien qui, en ce bas monde, pourrait me faire plus rager dans l’instant. « Sérieux. » même pas de question supplémentaire, même pas de chance d’expliquer sa présence d'une excuse bidon ou d'une raison valable, et je statue, froid, sec, mon soupir qui concorde avec le bruit du moteur en accélération vers le prochain arrêt. « Tu dégages, et tu dégages tout de suite. » c’est la seule option viable, ma voix trop calme le confirme. Les autres passagers m’importent peu, si ce n’est la gueule écoeurante du blond que je verrais bien passer tout droit par la fenêtre de l’automobile s’il m’en donne la moindre opportunité.

Et je fais l’addition dans ma tête. Et l’horrible vérité me revient de plein fouet, assez pour que mon ton monte, et mon regard s’assombrisse un peu plus. « S’il me confirme qu’on a la même destination... » « Je confirme. »  le chauffeur n’a pas la moindre seconde à perdre avec nos rancunes, je le sens de suite à sa voix qui est tout sauf épatée, étonnée, intéressée. Il freine au feu rouge, je me cale dans mon siège. « T’as du culot, quand même. » la seconde d’après, il m’apparaît plus que clair de préciser que tout ceci, c’est du lourd à un niveau encore jamais exploité. « Parce que c’est à cause de toi qu’elle réalise son rêve 8 ans en retard. » bras croisés, mine impassible, s’il décide de partager le trajet avec moi, va falloir qu’il le partage aussi avec mes accusations qui ne font que commencer.

S'il allait y être à l’aise ? Telle était la question gagnante du jour. Ezra avait plutôt l’impression, pour le moment, de foncer tête baissée dans le mur. Tout son corps lui disait de faire demi-tour, de retirer cette stupide chemise et de rester chez lui à commander une pizza. Cependant, une promesse était une promesse et il ne pouvait pas faire faux-bon. Pas de soir. Même si elle serait très occupée à droite, à gauche car elle allait être le centre de l’attention, il savait que Ginny jetterait une oeillade aux alentours pour voir si les personnes qu’elles connaissaient s’étaient pointées. Ezra en faisait partie. Et ça lui permettrait de voir Noah une fois de plus cette semaine - et ce détail n’était pas négociable. Depuis qu’Edward avait enfin trouvé sa nouvelle maison so fancy, il savait que Noah aimait bien y passer du temps. Et puis, ça lui permettait de voir Edward aussi. L’idée ne plaisait toujours pas à Ezra, cette garde plus ou moins partagée à trois, mais il devait s’en accommoder pour le moment. Soupirant, il vérifia l’heure d’arrivée de son Uber avant de venir fermer à double-tour son appartement. Le temps qu’il prenne l’ascenseur et qu’il se rende en bas de l’immeuble, la voiture serait là. Pour ce soir - et vu les finances récentes -, il avait décidé de la jouer UberPool, la nouvelle fonction en vogue qui permettait de partager des trajets, et donc de partager les frais. Premier monté à bord, Ezra en profita pour prendre la place passager et être ainsi tranquille pour le trajet - il n’était pas réellement d’humeur à faire la conversation ou quoi que ce soit. Le chauffeur passa récupérer un couple qui monta à l’arrière, laissant plus qu’une place de libre et apparemment réservée, par rapport au chemin qu’était en train de prendre la voiture. De toutes façons, Ezra n’était pas en retard et cela lui permettait… « Sérieux. » Relevant les yeux de la route, comme par réflexe ou comme si on venait de le brûler au fer chaud, Ezra tourna son regard vers la voix qui venait de parler - qu’il ne connaissait que trop bien, malheureusement. « Tu dégages, et tu dégages tout de suite. » Un des sourcils d’Ezra vint se hausser, avant qu’un petit rire ouvertement moqueur ne fasse son apparition. Il vint secouer la tête avant de se tourner de nouveau vers la route. « Il manquerait plus que ça. » Le chauffeur était déjà reparti alors que les paroles d’Ezra vinrent raisonner dans la voiture. Il hallucinait de voir à quel point Matt se prenait pour le roi du monde. Parce-que Monsieur n’était pas content de la tournure des événements, il lui demandait presque poliment de sortir de leur véhicule commun. Il manquerait réellement plus que ça. « S’il me confirme qu’on a la même destination... » « Je confirme. » Le chauffeur semblait déjà agacé par la tournure des événements - Ezra avait envie de lui dire qu’il s’en savait encore rien sur l’enflure qui occupait la banquette arrière. Les seuls qui semblaient intéressés par ce qu’il se passait, c’était le couple occupant les deux autres sièges. Comme s’ils étaient au spectacle - Ezra les voyait glousser dans le rétroviseur. « T’as du culot, quand même. Parce que c’est à cause de toi qu’elle réalise son rêve 8 ans en retard. » Ezra finit par se retourner en furie. « Moi j’ai ? » Il eut un rire grave, de ceux qu’on emploie qu’en cas de dernier recours. « Oh non, ça ne marchera pas comme ça aujourd’hui, McGrath. » Levant les yeux au ciel, il jeta un coup d’oeil pour vérifier où ils en étaient sur le trajet - mais les embouteillages avaient décidé de jouer contre eux. Ce qui n’était pas Ezra pour se retenir de parler. Plus il passerait du temps dans cette voiture avec Matt, plus ç a risquait de finir en fracture du nez à la fin de la course. Le chauffeur semblait avoir compris ce qu’il était en train de se passer car il cherchait déjà un itinéraire bis sur son GPS. « A cause de moi ? T’en as pas marre de te satisfaire des mêmes conneries depuis presque dix ans, Matthew ? On sait très bien tous les deux que je l’ai jamais forcé à prendre cet avion, moi. » Est-ce vraiment nécessaire d’en rajouter une couche à cette conversation ? Ezra avait l’impression de devenir fou à lui répéter toujours la même chose, sans qu’il ne semble vouloir remettre sa version - et lui même par la même occasion, ça ferait pas de mal - en cause.

Je me maintenais, je jure. Entre le café et la voiture, j’avais eu le temps de fumer une clope, de respirer profondément, d’être prêt à toute éventualité. Pas faire de vague, pas faire de scène, m’assurer une fois arrivé à la galerie de rester en retrait pour ne pas troubler Ginny, lui laisser le temps de réaliser ma présence, de voir si elle était à l’aise ou pas. La tête dans mes pensées, c’était suffisant pour que je ne remarque pas tout de suite qui se trouvait sur le siège à mes côtés, et surtout, où on s’en allait tous les deux. « Toi t’as, ouais. » j’insiste sur ses mots, je me cale sur mon siège, vrille mon regard sur lui et n'ai pas la moindre intention de le lâcher avant d’avoir élucidé le pourquoi du comment il se croit tout permis à ce point. Étrangement, j’ai totalement oublié que ma présence à moi n’était pas du tout approuvée, que la principale intéressée n’avait pas encore levé le drapeau blanc entre nous deux et que de ce fait, mon discours avait tout pour m’être renvoyé à la tronche dans la seconde, mais passons. Parce que j’étais trop con pour l’assumer ; parce que ça faisait trop mal, aussi. « Et pourquoi ça, hen? » qu’il se défende me donne juste envie d’éclater de rire, un rire mauvais, un rire qui dénote avec le silence de plomb qui se trame à l’arrière maintenant que les deux paires d’yeux des autres passagers sont dédiées à la scène que l’on joue. Son discours que je connais par coeur pour l’avoir anticipé - et à tout le moins détesté, et le blond qui répète, qui se défile encore de la faute que j’ai pris un malin plaisir à lui étaler sur la gueule, à en défoncer son nez. « Pas forcée à prendre l’avion non, mais pas foutu de venir la chercher non plus. On a déjà fait le tour de tes grands moments de gloire. »

S’il se la joue lassé, c’est que je peux bien faire pareil, et en mieux. Pourtant, j’aurais tout autant la rage de lui faire cracher qu’il n’est qu’un lâche pas foutu de mériter ma soeur. N’en reste qu’il y a un point sur lequel, dans toute ma naïveté de mec croyant qu’il avait vraiment Gin à coeur et qu’il ne voulait plus la messed up comme il l’avait fait, il n’a pas respecté. « Et sinon, t’as pas pris tes distances aussi. Je remarque. » parce que c’était clair que si Ginny me sortait de sa vie, si elle voulait recommencer sur de bonnes bases, si elle voulait se laisser une chance à Noah et elle, Ezra avait tout autant que moi le potentiel d’être de la mauvaise herbe à arracher d’un trait. « C’est cool, tu pourras pas dire que je t’aurai pas averti la prochaine fois que tu passeras régler tes comptes au café. » et il est mauvais mon sourire, ils résonnent presque dans l’habitacle mes cils qui battent sous l’impulsion. J’avais été très clair : ma rancune d’il y a 8 ans avait le potentiel d’être réglée s’il encaissait la réalité qu’à mes yeux, il avait agit aussi gravement là-dedans que ce que j’assumerai pour ma part un jour, peut-être. Mais maintenant, c’était un tout autre chapitre, même si les motivations étaient identiques. J’avais connu Ezra sous toutes ses coutures, je le prévoyais, je l’anticipais. Je l’avais vu avec les filles, je l’avais vu au naturel, je l’avais vu en tout et pour tout, et même si les années avaient passé, pour sûr que je n’étais pas convaincu qu’il soit worthy d'elle. Ça changeait pas, ça. Il ne m’avait rien prouvé à ce sens, et honnêtement, même s’il essayait, je me ferais un plaisir de le réfuter du revers. « Alors quoi, t’as prévu reprendre ta place de père comme si de rien était? L’épauler là pour racheter à ta conscience ton absence d’avant? La faire retomber amoureuse pour mieux faire éclater sa vie quand elle sera acquise? Ou tu veux juste un autre héritier parce que Noah te blase déjà? » les possibilités sont infinies, et j’arriverai probablement jamais à concevoir qu’il dit peut-être la vérité, qu’il n’a pas de mauvaises intentions, qu’il veut juste rattraper le temps perdu. C’est beaucoup trop facile d’encore une fois lui mettre toute la faute du monde sur les épaules, plus logique, plus salvateur. Ça me donne le contrôle, avoir une place dans cette histoire, lui rentrer dans la tête qu’on traite pas les filles comme ça, et encore plus ma soeur. « Anyways elle m’écoutera pas si je vais lui partager ton plan machiavélique. Vas-y, raconte, on a le temps et je suis curieux. » les embouteillages qui longent la bagnole m’encouragent à arquer la nuque, à être bien attentif à la suite, à attendre patiemment là où il va encore une fois faire descendre la pauvre estime que j’ai jadis eue pour lui à des niveaux encore jamais égalés.  

« Toi t’as, ouais. » Ezra qui refusait de jouer à ce jeu qui se retirait de la partie aussi bien qu’il le pouvait. Il savait comment ça finirait s’ils continuaient dans cette direction, il avait déjà participé - non merci pour le second round. « Et pourquoi ça, hen? » Parce-que tu n’es qu’un petit con Matt furent les mots qu’Ezra réussit à retenir de cracher au visage du jeune homme, préférant partir sur autre chose, remettre une accusation sur la table qui concernait l’autre plutôt que lui. « Pas forcée à prendre l’avion non, mais pas foutu de venir la chercher non plus. On a déjà fait le tour de tes grands moments de gloire. » Les mâchoires qui se serraient alors que la circulation autour d’eux se densifiait. Foutus embouteillages. Foutu Matt aussi, incapable de prendre un Uber différent, de faire quelque-chose de son côté sans trouver un reproche à lui abattre sur le coin de la gueule. « Et sinon, t’as pas pris tes distances aussi. Je remarque. C’est cool, tu pourras pas dire que je t’aurai pas averti la prochaine fois que tu passeras régler tes comptes au café. » Le rire mauvais se fit entendre du côté d’Ezra une fois de plus. Petit joueur, petit con., les mots en boucle que son cerveau lui répétaient et qu’il réfrénait tant bien que mal. « Parce-que tu croyais vraiment que j’allais t’obéir comme un bâtard ? » Il était loin le temps où Ezra aurait tout fait pour les beaux yeux de Matt. Il était loin le temps où le son de la voix du McGrath était assez envoutante pour le rendre fou. « Londres t’a vraiment ramolli les neurones, alors. » Et même s’il ne voulait pas rentrer dans ce jeu là, Ezra ne pouvait s’en empêcher. Le regard tourné vers Matthew, les yeux noirs et les mâchoires qui dansent des claquettes de rage dans pas longtemps. « Alors quoi, t’as prévu reprendre ta place de père comme si de rien était? L’épauler là pour racheter à ta conscience ton absence d’avant? La faire retomber amoureuse pour mieux faire éclater sa vie quand elle sera acquise? Ou tu veux juste un autre héritier parce que Noah te blase déjà? » Ezra doit agripper un côté du siège avec sa main pour ne pas la laisser se balader très près des dents de Matt - le siège de la voiture n’était pas équipé pour le mode dentiste. « Tu parles pas de mon fils comme ça toi. » La corde sensible, le coeur qui saigne dès qu’un mot de travers était prononcé et que Noah était mentionné dans la même phrase. « Anyways elle m’écoutera pas si je vais lui partager ton plan machiavélique. Vas-y, raconte, on a le temps et je suis curieux. » Matt qui s’amusait de la situation, qui gagnait du terrain une fois de plus, qui entamait bien comme il savait la partie. Ezra ne pouvait pas s’empêcher d’y tomber, à chaque fois. De laisser sa patience être mise à mal, de laisser son coeur y croire si fort à en faire mal. « Qu’est-ce que tu peux en avoir à faire, sérieusement, Matthew ? » Il soupira, levant les yeux au ciel, se tournant face à la route et lâchant du regard M le maudit. « Genre ma vie est si intéressante que tu m’en demandes des nouvelles ? » Parce-qu’il lui avait bien fait comprendre qu’il n’avait plus aucun intérêt envers lui depuis belles lurettes, et d’un coup les derniers news étaient importantes à entendre. La voiture finit par s’arrêter net sur la route, les Klaxons se faisant entendre de tous les côtés, les nerfs d’Ezra se roulant sur eux même un peu plus. Ce fut avec grande force qui vint ouvrir la portière, finalement. « Continuez sans moi, j’vais y aller à pieds. » Il s’adressait au chauffeur, ne jetant pas un regard à Matt resté sur la banquette arrière. Il préférait se taper la moitié de Brisbane à pieds pour rejoindre le vernissage de Ginny plutôt que de supporter l’idiot de service un instant de plus dans cette boite de métal.

Qu’il garde un ton calme me donne pas plus envie d’être poli, encore moins d’y aller dans la douceur avec lui. Y’a plus rien qui reste du fait que jadis Ezra était mon meilleur ami, plus rien, pas une seule miette autre qu’une profonde aversion pour sa gueule de connard, et plus il articule, plus ça se confirme. Ça reviendra jamais autrement, ça sera jamais autre chose entre nous deux, c’était voué à rester une belle grosse haine de s’être fait jouer dans le dos, de s’être fait mentir par mon frère pendant aussi longtemps. Le bruit de son nez qui craque arrive à me contenir, l’espoir de le cogner à nouveau motive le reste. « Tu l’as bien déjà fait une fois. On peut pas me blâmer d’espérer. » qu’il me fasse pas pleurer en soulignant qu’il obéira pas à ce que je lui demande. Encore une preuve qu’il s’en fiche de ma soeur, qu’il a jamais eu pour vrai son bonheur à coeur. Sinon, il risquerait pas encore de la briser, il ferait pas le con à battre des cils dans sa direction en jouant du violon et en espérant qu’elle retombe dans le panneau comme c’est déjà arrivé jadis. L’entendre parler de Londres pique, et je renchéris, tout aussi salé. « Et Brisbane a cramé celles qui te restaient. » s’il pensait qu’évoquer ces 8 années là-bas à broyer mon mal m’assagirait, il se met le doigt dans l’oeil et au contraire, le goût acide au fond de ma gorge ne fait qu’être plus virulent, plus agressif. « Ton fils, la blague. » toujours ce point important pour moi d’avoir le dernier mot, toujours cette importance de claquer ma langue à la seconde où il pense avoir eu la mainmise sur le truc. Connard. Et bien sûr, le spectacle se poursuit quand je le confronte sur ses intentions, et qu’il se la tâte à être bien larmoyant, grattant le peu de pitié que même mon cul lui accorderait pas. « C’est que t’as rien compris, Ezra. » je me ferai jamais chier à demander de ses nouvelles, autrement que si on m’apprenait qu’il venait de crever d’une mort lente et douloureuse. Autrement, son quotidien n’avait pas la moindre importance pour moi, et comment il peuplait son agenda aurait très bien pu remplacer mon papier toilette. Pourtant, y’a un détail qu’Ezra a omis, et ce n'est pas sans me confirmer une nouvelle fois sa stupidité transcendante. Dire qu’à une époque, ce mec était mon double. « J’m’en balance de ta vie. Par contre, de la sienne, c’est assez clair que je m’en soucis, surtout quand t’es pas loin. »  et j’arque la nuque, mauvais au possible, le sourire trop forcé pour que ce soit bon signe. « T’es nocif pour elle, dude. »  comme si c’était pas assez clair, comme si c’était pas assez évident.

J’éclate de rire lorsque le Beauregard feel drama queen et ouvre la porte à la volée quand la voiture finit par s’immobiliser complètement dans la file de trafic monstrueuse qui nous précède. « Déjà?! Tu bats ton record de vitesse avant de te tirer en lâche ça, c’est épatant. » c’est à ce moment que choisit le conducteur pour finir par s’adresser à nous deux, à travers le rétroviseur qu’il use à bon escient, un regard noir qui alterne entre Ezra et moi sans qu’on le remarque vraiment. Ce n’est que lorsqu’il parle que je finis par reporter mon attention au programme principal. « Bouge pas de là. Je vais prendre un autre chemin. » déjà, sa grosse voix garde le blond de faire quoi que ce soit d’autre que de rentrer sa jambe dans la bagnole qui repart dans une ruelle à proximité, s'asseoir sagement. Et dans l’attente qu’il réagisse, c’est maintenant à moi qu’il parle, aussi autoritaire. « C’est bon, vous pouvez vous tenir ou je dois en installer un à l’avant? »  il nous parle comme à des enfants grondés, ce qui suffit pour que je lâche un soupir, me cale dans mon siège, roule des yeux. « Comment tu veux que j’en pense moins de toi si t’agis toujours comme le pire des connards à te ficher la tête dans le sable? » ma voix est basse, elle chuchote, elle pique aussi, à demi-mot dans l’habitacle qui reprend un semblant de vie maintenant que l’intervention du chauffeur a ramené le couple à l’arrière sur leur propre conversation. « Si tu gâches sa soirée, j’te jure, t’auras pas le temps de t’enfuir avant que je te règle ton compte pour de bon. » et même si ma menace glisse sur mes lèvres dans un chuchotement, mes intentions sont claires et mon regard est on ne peut plus hargneux.

Les mots de Matt se faisaient à la fois d’autant plus présents qu’insignifiants. Certains venaient glisser comme si de rien n’était sur Ezra - d’autres, en revanche, lui arrivaient en plein coeur sans aucun pitié. « Ton fils, la blague. » Les dents qui se serraient toujours davantage alors que Matt ne pouvait s’empêcher de parler, de débiter connerie sur connerie, comme s’il voyait toujours flou à travers ce voile de mensonges, après toutes ces années. « C’est que t’as rien compris, Ezra. J’m’en balance de ta vie. Par contre, de la sienne, c’est assez clair que je m’en soucis, surtout quand t’es pas loin. T’es nocif pour elle, dude. » Les tempes qui se contractaient et qui se tiraient, en parfait parallèle au souffle d’Ezra qui n’en pouvait plus que de s’accélérer, de se chauffer. Le gars n’avait rien compris; pas maintenant, pas avant, jamais. Ezra savait bien qu’il n’en avait que peu faire de sa vie, de ses aventures quotidiennes et qu’il ne prétendrait avoir d’yeux que pour Ginny - dans le bon sens des choses. Il n’en croyait cependant toujours pas une seule parole. Avoir joué contre elle, lui avoir mis des bâtons dans les roues pendant tant d’années et revenir désormais la bouche en coeur comme si de rien n’était ? Ca ne passerait pas auprès d’Ezra, qui préféra d’ailleurs attendre que la voiture se retrouve à l’arrêt complet pour initier une descente. Il avait prévu de continuer le chemin à pieds, quitte à ne pas voir la moitié de la soirée - au moins il n’aurait plus le regard jugeur de Matt en permanence sur lui. « Déjà?! Tu bats ton record de vitesse avant de te tirer en lâche ça, c’est épatant. » Les yeux d’Ezra qui roulèrent à une vitesse affolante, qui vinrent de nouveau toiser Matthew - il n’eut cependant pas le temps de répliquer, de dire la moindre chose; le chauffeur avait décidé qu’il était grand temps qu’ils en finissent avec leurs gamineries. « Bouge pas de là. Je vais prendre un autre chemin. » Ezra lutta un instant, gronda intérieurement, résista pour la seconde d’après - et finit par se résigner et par remonter à bord de la voiture. Le regard noir du chauffeur en disant long, ils étaient en train de lui faire perdre son temps et commençaient à lui taper sur le système. « C’est bon, vous pouvez vous tenir ou je dois en installer un à l’avant? » Levant les yeux au ciel, Ezra finit par se concentrer sur le paysage dehors, sur les alentours et les bouchons qui s’éloignaient au fur et à mesure que le chauffeur trouvait un nouvel itinéraire pour se rendre sur le lieu de la soirée. « Comment tu veux que j’en pense moins de toi si t’agis toujours comme le pire des connards à te ficher la tête dans le sable? » Soupirant sans même le cacher, le ton que prit Ezra par la suite était un poil moins énervé - principalement parce-qu’il était pas à l’abris de ne pas se faire jeter par le chauffeur d’un moment à l’autre. « Dit-il. » Nouveau soupire, regard tourné désormais vers Matt. « Faudrait vraiment que t’arrêtes de croire que tout tourne autour de toi, Matthew. Je m’en fous de ce que tu penses de moi maintenant, si t’avais pas compris. » Tant qu’ils camperaient chacun sur leur position, de toutes façons, ils seraient deux parfaites autruches. Et ils leur faudraient du temps pour s’en apercevoir, apparement. « Si tu gâches sa soirée, j’te jure, t’auras pas le temps de t’enfuir avant que je te règle ton compte pour de bon. » Les mots à peine murmurés, presque pas assumés, tirèrent un petit rire mauvais de la part du Beauregard. Leurs pupilles qui s’accrochèrent à la suite, rien qu’assez pour qu’Ezra mesure le degrés de sérieux de l’autre idiot. Il jouait plus, ne sortait plus la carte du grand frère un peu trop protecteur - il ne semblait que rien ne pourrait le faire hésiter cette fois ci. Ezra coupa alors cours à son rire pour se tourner vers Matt, se déplaça d’un pouce pour qu’ils puissent se toiser avec toute l’envie dont ils étaient transcendés. « Moi, gâcher sa soirée ? » Il secoua légèrement la tête. Matt ne comprenait rien, du tout. Jamais, ô grand jamais Ezra se permettrait de gâcher une telle soirée pour Ginny. Il savait ce qu’elle représentait, il savait les enjeux ici - alors même si la folie le prenait, il ne se permettait pas. « De nous deux, Matthew, je te rappelle que je suis le seul à avoir été invité. » Parce-qu’il ne pouvait pas continuer de faire le paon de la sorte alors qu’il n’avait rien dans son jeu pour s’en permettre. Et avec Matt, Ezra ne se gênait pas de le remettre en place. « Alors vas pas pleurer si elle te refoule à l’entrée. »

Mariner ma rage pendant 8 ans et des poussières, laisser infuser toute ma haine, toute ma hargne envers le Beauregard rend nos échanges beaucoup moins fun qu’ils étaient une décennie plus tôt - pas de surprise ici. Pour sûr que je ne manque pas de répéter tout ce qui a eu le temps de rouler dans ma tête, inspiré par ma soeur en larmes la nuit, de l’autre côté de sa porte à croire qu’on l’entendait pas. Par Noah qui a cru tout le début de sa vie que son père était en fait un type choisi par mes parents. Par toute la famille en standby à déblatérer le même discours à qui voulait bien l’entendre et qui, à force de le répéter, s’est mise à y croire. Par le corps inerte de Gin, cette nuit-là. Par le retour explosif d’Ezra dans ma vie, au café, et mon poing sur sa tête d’autruche de mes deux. « Tout tourne pas autour de moi, tout tourne autour d’elle. » tout tournait qu’une petite voix dans ma tête précise, par contre. Parce que j’essaie vraiment fort, de me dissocier d’elle. De base à sa demande, maintenant parce que je réalise que c’est tout ce qu’il y a pour le mieux. Le vernissage de ce soir n’est qu’une énième confirmation : sans moi, Ginny s’en sort particulièrement bien. Aussi douloureux cela est, aussi fier je suis d’elle. Étrange dualité. « Alors elle te l’a dit. »  ma réflexion part de suite quand, dans un murmure, Ezra envoie sa vanne bourrée d’acide dans ma direction. Bien sûr qu’elle lui a dit, bien sûr qu’il hésite pas une seule seconde à le mentionner avec son sourire de con bien fier, bien imbu en prime. « C’est que tu dois jubiler hen. » à sa place, je ferais surement de même, le pire.  

Coup d’oeil dans le rétroviseur de la part du conducteur qui s’assure qu’on a arrêté nos conneries, ou qui est énervé qu’on se chuchote dessus avec autant de violence que nos remarques acérées d’avant. Je fais pas nécessairement attention, parce que l’instant d’après il râle sur une bagnole qui le coupe, occupé à klaxonner son mécontentement et à nous prendre dans une voie bourrée de construction à travers, ralentissement considérablement le véhicule. « Après toutes ces années où t’as voulu m’exclure de votre vie à tous les deux. Après m’avoir menti à la gueule avec le sourire aux lèvres quand tu me jouais dans le dos comme un hypocrite. » autant la façon dont il a lâché ma soeur me répugne, autant notre amitié qui, pour moi, était évidente, et qu’il avait jetée sans jamais penser à tout le mal que ça causerait d’agir ainsi me sidère. Ezra qui jadis avait été comme un frère, Ez le jumeau, Ez celui qui lisait dans ma tête comme je lisais dans la sienne. J’avais une confiance aveugle en lui, plus qu’en quiconque; et regardez où ça nous a mené. Un vol plané vers de la désillusion, et une déception considérable en échange. « Comment on se sent, quand on a tout ce qu’on veut et qu’on le mérite que dalle? » question rhétorique, pleine de sarcasme mauvais. Parce que je le sais, qu’il se sent bien, dans son déni confortable, dans son rôle de prince charmant immaculé. Seule ombre au tableau, et toute une. « T’arrives à la regarder dans les yeux en sachant qu’elle doit encore flipper qu’un jour tu les abandonnes à nouveau? »

« Tout tourne pas autour de moi, tout tourne autour d’elle. » Ezra se permit un haussement de sourcil, mettant presque au défi Matt de prononcer de nouveau ses paroles. Tout tournait autour de lui, il ne démordrait pas là dessus. La preuve en était, Matt ne pouvait pas s’empêcher de ramener sur la tapis leur amitié perdue alors qu’ils étaient tout deux en route pour le vernissage de Ginny. Et que cette soirée tournait autour d’elle, autour des histoires et événements qui l’avaient toujours entouré. « Alors elle te l’a dit. » Il dut retenir un nouveau petit rire moqueur. « Bien sûr qu’elle me l’a dit. » Bien sûr qu’il en profitait pour provoquer Matt également. Ce dernier semblait sciemment ignorer le fait que sa soeur reparlait à Ezra, et qu’ils avaient eux réussi à recoller les morceaux au mieux. « C’est que tu dois jubiler hen. » Seul l’infime sourire en coins de ses lèvres répondit à Matt sur ce coup là. Ezra n’avait pas besoin de le dire, ils savaient tous les deux qu’effectivement, il se délectait de cette situation. Et imaginait sans grand mal la scène à venir lorsqu’il pourrait, lui, passer les portes du vernissage sans accrochage alors que Matt risquait de venir remettre de l’huile sur le feu avec Ginny. Ce n’était pas bon, de s’amuser du malheur des autres de la sorte. Mais après les aveux, après avoir appris le coup que Matt lui avait fait - il se disait que tous les coups étaient désormais permis. Le chauffeur finit par tourner et virer à travers les routes de la ville, choisissant tant bien que mal - et surtout mal vu l’état de la route - le chemin le plus rapide menant à la fête. Les autres passagers avaient cessé de regarder les deux mâles se crêper le chignon, comme si dorénavant, ils avaient entendu assez de l’histoire pour comprendre que rien de mieux n’allait arriver sur le champ. C’était sans compter l’égo de Matthew qui ne savait décidément pas se mettre en veille. « Après toutes ces années où t’as voulu m’exclure de votre vie à tous les deux. Après m’avoir menti à la gueule avec le sourire aux lèvres quand tu me jouais dans le dos comme un hypocrite. Comment on se sent, quand on a tout ce qu’on veut et qu’on le mérite que dalle? » Finissant par lever les yeux au ciel et par détourner son regard de son compagnon de voyage d’une soirée, un soupire échappa des lèvres d’Ezra. Il ne s’arrêterait donc jamais. « T’arrives à la regarder dans les yeux en sachant qu’elle doit encore flipper qu’un jour tu les abandonnes à nouveau? » Le goût amer de la bile qu’il avalait avec difficulté. Et les nerfs qui se permirent de se tendre un poils plus. Ne comprendrait-il donc jamais qu’il n’était pas l’abandonnant mais l’abandonné dans cette histoire ? Que c’était bien lui, Ezra, qui était resté sur le carreau toutes ces années durant, bloqué dans le même décor qu’était Brisbane alors que toute la petite famille s’était faite la malle sans dire mot de plus ? « Et toi, t’oses encore lui adresser la parole alors qu’il est clair qu’elle veut plus de toi dans les parages ? » C’était peut-être un peu forcé, un peu exagéré. Il venait du sud, après tout. Pas que Ginny était particulièrement réjouie de devoir croiser Matt ces derniers temps, mais elle n’était pas acide envers lui au point de ne plus vouloir le voir du tout. Il restait son frère, et malgré les sales coups qu’il pratiquait à la perfection, elle l’aimerait toujours et l’admirait toujours autant. Ce qui fendait sans complexe le coeur d’Ezra, au passage. La voiture finit par tourner une dernière fois au coin de la rue pour se ranger le long du trottoir, là, à une dizaine de mètres de l’entrée du vernissage. Ezra était prêt à bondir hors de la voiture quand, contre toutes attentes, le chauffeur finit par se tourner de nouveau vers les deux enfants assis derrière. Un soupire las se glissant d’entre ses lèvres. « Je sais pas ce qu’il s’est passé, entre vous deux. Mais vous devriez arranger ça car c’est vraiment ridicule votre petite querelle. » Ezra resta bouche-bée un instant avant de s’éclipser de l’auto. Il n’avait ni l’énergie, ni l’envie de répondre à cet homme qui semblait bien trop se mêler des affaires des autres. Les convives semblaient affluer de tous les côtés du quartier, tant en transports qu’à pieds, et déjà Ezra se sentait respirer un peu mieux de nouveau. Il allait pouvoir entrer et laisser Matt - et la tonne de problèmes qu’il amenait à chaque fois - de côté à peine le seuil passer. Il comptait sur Ginny pour le recaler comme il se doit. « Tu devrais demander à la seule personne qui se soucie de toi de rester là un instant, vu que tu vas repartir bien plus vite que tu es venu d’ici. » Il en avait profité pour désigner de la tête la voiture et le chauffeur.

Sur le même ton de connard qu’il emploie, je me gâte à rétorquer, la bouche en coeur et l’oeil brillant, haineux. « Je serais pas le même si j’osais pas, tu le sais aussi bien que moi. » parce que peu importe ce qu’il dira, ses discours sur la façon dont je devrais me comporter avec ma soeur me passent bien haut, bien bas. Il avait absolument aucun mot à dire sur comment Ginny réagirait, sur comment elle prendrait mon passage, sur tout ce qui venait d’elle et l’impacterait, seule. Il n’avait pas sa place, ni avant, ni maintenant, et encore moins dans le futur à ses côtés. Et s’il fallait que je passe ma vie entière à le lui faire comprendre par tous les mots et tous les maux possibles, soit. J’m’en plaindrais pas le moins du monde. Apparemment, le chauffeur choisit ce moment pour prendre un autre tournant, profiter de notre silence à grogner chacun de nos côtés pour finir la course, trouver la destination, se poser devant la galerie. Si Ezra s’extirpe plus vite que possible de l’habitacle, je suis tout de même encore à moitié à l’intérieur de la voiture lorsque j’entends le type au volant y aller de son propre conseil. Oh, mon gars. Tu pars de loin, si tu crois que je vais ne serait-ce que daigner penser redonner une chance à un hypocrite fini doublé d’un lâche sans honneur. No shade. Le blond qui s’en donne à coeur joie à préciser la voix qui chante que ce serait le bon moment pour moi de réserver mon trajet de retour, et si son ton ne m’était pas aussi désagréablement agressant, jamais je ne lui aurais accordé la moindre attention, trop occupé à avoir attrapé au vol la silhouette de ma soeur à travers les baies vitrées. « Regarde-la bien, Ezra. »  que je m’entends lui dire, attendant patiemment de voir sa nuque se vriller dans la même direction que moi, et qu’à son tour, il ait repérée ma benjamine dans le lot des gens présents.    

Et elle arbore presque un sourire complet, et elle arrive avec courage à contenir son malaise. Je reconnais ses doigts qui enserrent la coupe de bulles qu’elle ne gobera jamais, ses prunelles qui brillent autant que ses lèvres se ferment, scellées, stressées. « Regarde-la bien, et sois honnête avec toi-même. » faisant un pas dans la direction d’Ezra, je poursuis rapidement, lui évitant tout espace de contradiction, de justification. L’entendre me fera gerber, à ce point. « Si t’avais mis une capote, cette soirée-là elle l’aurait eue y’a 8 ans. » pointer la puérilité de son geste est une chose, lui montrer du menton tout ce dont il a privé Ginny par inconscience ça, ça n’a pas de prix. « Si t’avais été responsable et digne d’elle, sa vraie vie, elle la vivrait déjà à plein. Elle l’aurait pas hypothéquée pour élever toute seule ton gamin. »  elle n’aurait pas été catapultée à Londres par ma faute, par celle des parents. Personne n’aurait douté qu’elle soit capable de mener son quotidien de front, personne aurait eu peur qu’elle s’écroule sous la pression, sous la déception, sous les responsabilités qui à nos yeux étaient trop lourdes à porter pour elle seule. « Et j’ai compris. » je prenais mes torts, je le faisais pour elle. Mais à se cacher la tête dans le sable en se disant le pauvre rejeté de l’équation, le pauvre laissé pour compte, Ezra ne faisait qu’éloigner l’inévitable. « Faut que je lui laisse le temps de se retrouver elle-même avant de revenir dans sa vie, de la laisser vivre comme elle l'entend pour une fois. » je présente le tout d’une voix calme, mes prunelles qui suivent la silhouette de ma soeur passant d’une toile à une autre, retrouvant un petit groupe de dos qui ne me dit rien qui vaille. Sûrement de nouveaux potes, de nouvelles têtes qu’elle a connues depuis que je suis hors de sa vie. « Faut que je la laisse grandir, voir, tester, échouer et réussir, sans intervenir. » humblement, je ne me gêne pas pour faire résonner à son oreille mon mea culpa pour Gin, mais certainement pas pour lui. Dédaigneux, je finis par tourner la tête à son intention. « C’est là où toi, tu as tort. » et j’insiste, et je presse, et je sens la chaleur qui bouille dans mon ventre, l’envie de creuser mon poing contre sa mâchoire qui me reprend. « En restant dans sa vie, tu l’empêches de passer à autre chose. Tu la bloques, tu lui coupes les ailes. » comme si c’était l’évidence et en quelque sorte, ça l’est pour moi depuis si longtemps. « Et le jour où elle réalisera que t’es que du passé, qu’aujourd’hui elle n’a pas besoin de toi, qu’elle mérite tellement mieux, tu viendras me trouver. » un fin sourire naît sur mes lèvres. La moquerie à son paroxysme, la mauvaise graine qui germe. « Peut-être même que je me retiendrai de mentionner que je te l’avais déjà dit. »

Et alors qu’il pensait qu’il avait enfin réussi à clouer le bec de l’autre emmerdeur, alors qu’il pensait pouvoir passer le reste de la soirée tranquille, le voilà qu’il sortit à son tour de la voiture, le rattrapant, accélérant même le pas. Ezra ne se retint pas de lever les yeux au ciel un instant lorsque la voix de Matt se fit de nouveau entendre, telle une torture aux oreilles du jeune homme. « Regarde-la bien, Ezra. » Finissant par soupirer - non sans se soucier qu’il puisse entendre -, il finit par tourner le regard, changer la tête de direction, pour laisser tomber ses prunelles sur la silhouette de la jeune femme. Là-bas, à travers les grandes vitres, entourée de toutes ces personnes qui semblaient admiratives devant elle. « Regarde-la bien, et sois honnête avec toi-même. Si t’avais mis une capote, cette soirée-là elle l’aurait eue y’a 8 ans. » La mâchoire d’Ezra vint se serrer davantage, mais il ne fit pas un geste de plus. Car si futiles puissent elles être, les paroles de Matthew venaient de commencer leur chemin vers son cerveau, vers son coeur, vers ce tout que formait Ginny à l’intérieur de lui, qui avait le don de lui faire autant de bien que de mal. « Si t’avais été responsable et digne d’elle, sa vraie vie, elle la vivrait déjà à plein. Elle l’aurait pas hypothéquée pour élever toute seule ton gamin. » Les mots qui claquaient aux oreilles, qui faisaient mal à entendre mais qui avaient déjà été tant de fois imaginés, rejoués, jusqu’à en devenir déformés aux yeux d’Ezra. Ces paroles qu’il s’était de nombreuses fois répété dans le miroir, les jours où il était au bout du bout et où la misère du monde entier lui était retombé dessus. Les jours où il s’était senti plus que jamais seul au monde. Alors il ne trouva, pour une fois, même pas la force de venir répondre à Matt. Pas un seul mot ne sortit de sa bouche, trop occupé à contempler Ginny de loin, et son coeur brisé qui semblait refaire surface dans sa poitrine. « Et j’ai compris. Faut que je lui laisse le temps de se retrouver elle-même avant de revenir dans sa vie, de la laisser vivre comme elle l'entend pour une fois. Faut que je la laisse grandir, voir, tester, échouer et réussir, sans intervenir. » La dernière fois que les dires de Matt avaient pris un sens similaire, ils avaient fini par s’échanger prunes et pêches, toute la salade de fruits, au beau milieu d’un bar. Parce-que le pire dans toute cette histoire, ce n’était pas la colère qu’Ezra éprouvait envers le jeune homme, ce n’était pas le fait qu’il soit tellement pourri qu’il était intimement persuadé qu’il n’y avait plus rien à récupérer chez lui. Non, le pire, c’était qu’il arrivait encore à trouver des pièces de vérité dans ce qu’il s’osait à dire. Ezra savait qu’il ne s’amusait à jouer avec ces mots là que pour le tester, pour le faire sortir de ses gonds. Et que ça marchait à merveille, que ça lui faisait serrer davantage les mâchoires pour être sûr de ne pas en venir une nouvelle fois aux mains. « C’est là où toi, tu as tort. » « Comme si tu pouvais savoir. » Mots prononcés, à voix basse, comme à peine assumés. A peine pensés. « En restant dans sa vie, tu l’empêches de passer à autre chose. Tu la bloques, tu lui coupes les ailes. Et le jour où elle réalisera que t’es que du passé, qu’aujourd’hui elle n’a pas besoin de toi, qu’elle mérite tellement mieux, tu viendras me trouver. Peut-être même que je me retiendrai de mentionner que je te l’avais déjà dit. » Fermant un instant les yeux, inspirant un grand bol d’air aussi discrètement que possible - comme si Matt n’avait pas son radar à connerie braqué sur lui en permanence -, Ezra finit par déposer, une dernière fois, son regard sur Matt. « Ce jour n’est pas prêt d’arriver, crois moi. » Parce-qu’il ne voulait pas se battre, qu’il ne voulait pas donner encore plus de grain à moudre à Matt qu’il ne l’avait pas déjà fait. Parce-qu’il se sentait vidé de répondre à cette personne qu’il connaissait, dans le fond, si bien - et qu’une part de lui ne pouvait cesser d’apprécier. Et que ce soit à propos de Ginny, cerise sur le gâteau. « Parce-que ce que tu comprends pas, c’est que je suis pas là pour la retenir en arrière, Matt. » Il secoua légèrement la tête. « Je veux l’aider à retrouver ses ailes, comme tu le décris si bien. » Parce-qu’importe tout ce que Ezra pouvait ressentir, en son sein, à l’attention de la jeune femme. Qu’importe ce que leur histoire avait écrit jusque maintenant. Qu’importe le passé, il ne pouvait rien y changer. En revanche, il pouvait faire en sorte que le futur de Ginny soit plus beau, avec un ciel plus dégagé. Il pouvait faire en sorte d’être là pour elle, cette fois ci. « Par contre je me gênerai pas de te dire que je t’avais prévenu quand elle te refoulera, une fois devant la porte de la galerie. » Et alors Ezra finit par parcourir les quelques mètres qu’il restait avant d’entrer dans la galerie. La chaleur humaine, mais aussi la bonne humeur, vinrent le frapper de plein fouet, lui redonnant une petite poussée d’énergie nouvelle. Il voulait laisser l’altercation qu’il avait eu avec Matt derrière lui pour le reste de la soirée. Il était là pour Ginny, pour la soutenir, l’accompagner dans cette nouvelle partie de sa vie - et rien d’autre. Qu’importe si l’autre tronche de cake décidait d’aller jusqu’au bout de sa démarche et d’entrer ici, finalement. S’il le fallait, il romprait sa promesse du jour et irait de nouveau lui refaire le portrait pour que Ginny puisse être tranquille.

Les inspirations sont plus profondes, presque douloureuses dans l’air humide de Brisbane. La nuit est illuminée par les dizaines de voitures qui se cumulent les unes derrière les autres, qui se klaxonnent, ajoutent une bonne part de distraction à une scène qui aurait très bien pu rester ainsi sans qu’on se fasse plus de mal, sans que je ressasse, sans que j’ose le défier du regard et des mots, acide encore malgré mon ton sensiblement plus calme que bien des fois depuis nos retrouvailles. Mais je le déteste. De pas répondre, de mâcher ses mots, de suivre mes prunelles même si je l’invite à le faire. Je le déteste d’être encore là, de toujours revenir, et je le devine, de toujours la troubler malgré les années. Il l’avait marquée au fer rouge, j’en ferais des cauchemars toute ma vie. « Ça fait longtemps que j’ai arrêté de te croire, Ezra. » que je rétorque du tac au tac, sourcil haussé par dépit. La confiance était cassée, peu importe ce qu’il disait, prenait de suite l’intention de me défendre l’opinion inverse. Le frère d’avant n’est plus, le jumeau, le double est long gone - et tant qu’il ne m’aura pas prouvé que ses intentions sont aussi nobles que ce qu’il me crache à la tête, je vois aucun scénario possible où je pourrai sincèrement le croire à nouveau. Ez le pote, Ez l’allié, Ez le meilleur est décédé, enterré, oublié.  « Prouve-le. » je rétorque, gamin, stupide, provoquer pour seule raison, toujours complaisant dans mon poise à l’anglaise, bras croisés et nuque arquée. Qu’il le prouve, qu’il est pas là pour lui nuire, qu’il est pas là pour agiter les vieux souvenirs du passé en espérant rattraper leur temps perdu en dépit du coeur brisé de ma benjamine.

Et devant les réflexions à deux balles d’Ezra, devant ses discours qui me montent à la tête pour mieux les lui recracher au visage d’un soupir bien senti, j’insiste, mauvais, l’accusation facile.  « Parce que ce que je vois là, c’est juste un type qui s’accroche. Ce que je vois là, c’est le regard d’un mec nostalgique. » je le sais, parce que je l’ai tout autant. Je le sais parce que je l’arbore à chaque fois que je capte la silhouette de ma soeur par la vitre. L’imaginant rire et s’enflammer, s’inspirer comme la gamine qu’elle devenait du moment où on la laissait libre dans une galerie.  « La refait pas tomber amoureuse de toi Ezra - elle a failli pas y survivre la première fois. » la menace est aussi répétitive qu'agressive, et ma voix claque dans la nuit, ma voix est le dernier et seul, unique avertissement. Après il sera trop tard, il l’est déjà. Et il est lâche Ezra, il est lâche et il renvoie du revers, il provoque, il m’interdit l’accès le sourire aux lèvres. « Pas ce soir, pas comme ça. » parlant plus à moi, plus à elle qu’à lui. Je suis venu, j’ai vu, j’ai pas envie de gâcher ça. Parce que je sais que si Ezra est là, je verrai rouge. Parce que je sais que je risque gros, et qu’un premier pas dans la vie de ma soeur additionné du Beauregard dans l’angle, c’est du suicide, c'est une bombe à retardement.  « Elle mérite de vivre ça pour elle. Moi, j’l’ai compris. » et il est déjà en train d’ouvrir la porte du bâtiment que je glisse mes mains dans mes poches, lui dédie un dernier regard noir avant de reprendre ma route. Et à ma soeur, j’envoie toutes les forces qu’il me reste ; comme si elle en avait besoin, alors que je sais pertinemment que toute seule, que sans moi, elle est invincible.