ready for the colors to burn to gold and crumble away
Megan Williams & @Maisie Moriarty - 2020 ☆ crédit/lonelywolfgifs

« Tu devrais pas boire ce genre de truc, c’est bourré de sucre pour camoufler le goût de l’alcool. » Ce genre de petite remarque anodine – à mon sens – sont monnaie courante dans notre relation, à Maisie et moi. La relation que j’ai avec elle, je ne l’ai avec aucune autre de mes amies, ni Charlie, ni Jo et certainement pas Shiloh. Avec elle, ma langue est acérée, bien plus qu’avec aucune autre de mes amies, je suis plus dure et sévère aussi. Mais est-ce ma faute si Maisie me mange dans le creux de la main depuis notre rencontre ? Est-ce de mon fait si, sans que je n’ai conscience elle répond à tous mes besoins les plus inavoués, ceux d’être admirée, portée aux nues, d’être vue comme bien plus parfaite que je ne le suis. Maisie m’idolâtre la plupart du temps et j’ai bien du mal à ne pas en profiter pour mousser ma confiance en moi et mon amour propre.

Alors, je ne vois pas le problème, lorsque j’attrape le cocktail qu’elle avait jusque-là entre les mains pour l’éloigner d’elle et le déposer sur le comptoir du bar. « On va te commander autre chose, c’est pas possible ça. » Je fais passer la pilule avec humour, pas réellement consciente du nombre de limites que je dépasse en quelques mots seulement. « Le vin c’est le mieux pour garder la ligne. Tu me remercieras plus tard pour les bons conseils. » Je lui adresse un clin d’œil complice, avant de héler le serveur de la boîte de nuit dans laquelle j’ai trainé la brune et, avec un sourire charmant sur les lèvres, je passe commande pour mon amie comme pour moi. Il est mignon, avec ses yeux bleus. Et je ne peux pas m’empêcher de flirter, toujours transie lorsque je sens que je plais et qu’un homme est réceptif à mes charmes. Aiden peut aller se faire foutre. Aiden, qui s’est comporté comme le dernier des enfoirés lorsque j’ai enfin eu l’occasion de le confronter, plusieurs mois après son SMS de rupture, est la principale raison qui m’a poussée à solliciter la compagnie de Maisie ce soir. C’est donc de lui que je parle, quelques secondes à peine après être entrée dans le bar, quelques secondes à peine après avoir salué la brune. « Il m’a balancé que j’étais avec lui que pour me sentir bien dans ma beau, que parce que ça boostait ma confiance en moi d’avoir un pauvre con qui me regardait avec des étoiles dans les yeux. T’y crois ? » Maisie est l’amie d’Aiden bien avant d’être la mienne, sa meilleure amie même, mais la solidarité féminine n’est-elle pas supposée prévaloir ? Ne se montre-t-il pas distant et prétentieux avec elle aussi, depuis que sa carrière d’acteur démarre d’une façon qualifiée par la presse de prometteuse ? « Qu’est-ce qu’il croit, que j’ai besoin d’un looser comme lui pour avoir confiance en moi ? » M’a-t-il bien regardée ? L’attaque m’a fait mal, certainement parce qu’elle contient un fond de vérité que je refuse de voir, qui est trop dure à accepter.

tw : troubles du comportement alimentaire

(FLASHBACK).
(tenue) « Tu devrais pas boire ce genre de truc, c’est bourré de sucre pour camoufler le goût de l’alcool. » - « Oh, oui, c’est vrai. » Je le sais. C’est la raison pour laquelle j’ai commandé ce cocktail en premier lieu, parce que c’est bourré de sucre ; parce que je dois avaler des calories, parce qu’avec un peu de chance, le goût sera suffisamment écœurant pour me couper l’appétit. J’ai passé des semaines à anticiper toutes les situations qui pourraient se présenter à moi, avec l’aide de mon psychiatre, pour prendre les meilleures décisions pour ma santé. L’alcool n’en est évidemment pas une, pas alors que je suis encore sous antidépresseurs, mais le professionnel n’est pas aussi rigide que je peux l’être ; il sait que je suis jeune et que j’ai une adolescence à rattraper. Il m’a fait tout son laïus pour me déconseiller les mélanges, mais n’a pas posé d’interdiction, car il sait que c’est un mot à proscrire avec les gens comme moi ; parce que ce sont de ces mêmes interdictions que les dérives naissent. J’ai pris un cocktail pour me donner bonne conscience, pour me convaincre que quitte à boire, ce sera le choix le plus adapté pour mon corps à défaut qu’il soit sain. Et plus c’est sucré, plus vite ça monte à la tête ; c’est une leçon que j’ai apprise et j’ai besoin des effets de celle-ci ce soir, alors que je suis, au fond de moi, terrorisée à l’idée de sortir. Ce n’est pas la compagnie de Megan que je crains, non. J’ai pas pu m’empêcher de sourire quand j’ai reçu son message, me maudissant rapidement d’avoir accepté compte tenu de sa rupture avec Aiden, mais ne pouvant cacher ma joie quant à l’idée qu’elle ait pensé à moi, alors que rien ne l’obligeait à le faire. Elle ne fréquente plus Aiden et par conséquent, elle aurait dû m’oublier. Mais elle s’est souvenue de moi. Elle m’a demandée, elle a voulu passer du temps en ma compagnie et je ne pouvais pas refuser. Non, ce que je crains, c’est le monde extérieur. J’en ai été coupée pendant longtemps, au point où je ne suis pas sûre de pouvoir me faire confiance dans ces circonstances-là, parce que je ne maîtrise plus les codes sociaux. Ce n’est pas que je déteste les gens, c’est qu’ils passent au second plan alors que mes pensées sont encore trop souvent accaparées par des détails sans importance pour le reste du monde, mais qui sont cruciaux pour moi. Comme la quantité de sucre dans ce cocktail, ou ce que pensent les gens dont le regard s’attarde deux secondes de trop sur ma silhouette maladroitement mise en valeur par une robe que j’ai choisie en compagnie de Megan. J’ai pensé que ça lui ferait plaisir de me voir avec des vêtements qu’elle m’a conseillés, et je ne doute pas que la pénombre au sein du club est la seule raison pour laquelle elle n’a pas encore complimenté ma tenue.

« On va te commander autre chose, c’est pas possible ça. » - « Je te fais confiance. » Et je me laisse faire, parce qu’en vue de l’aisance dont fait preuve Megan, je ne doute pas qu’elle est bien plus à sa place que moi dans cet endroit, alors je me laisse guider. « Le vin c’est le mieux pour garder la ligne. Tu me remercieras plus tard pour les bons conseils. » - « T’es déjà ma source d’inspiration numéro une. » Je plaisante pour masquer ma gêne, mes doigts qui jouent avec le bas de ma robe collée à mes cuisses, regrettant rapidement le geste alors que le tissu en a profité pour remonter légèrement. Megan interpelle le serveur et commande pour nous, alors qu’il n’a d’yeux que pour elle pendant les quelques secondes durant lesquelles dure l’interaction. « Il m’a balancé que j’étais avec lui que pour me sentir bien dans ma beau, que parce que ça boostait ma confiance en moi d’avoir un pauvre con qui me regardait avec des étoiles dans les yeux. T’y crois ? » Outch. La méthode n’est pas la plus adéquate, mais le nom avec lequel elle désigne mon meilleur ami me heurte. Je ne dis rien ; elle a bien le droit d’être en colère et je ne voudrais pas qu’elle dirige cette rancœur contre moi. « Qu’est-ce qu’il croit, que j’ai besoin d’un looser comme lui pour avoir confiance en moi ? » - « Je crois que t’as besoin de personne pour ça, Megan. » Non, c’est bien la première chose qui m’a frappée quand je l’ai rencontrée ; elle respire la confiance en elle et je rêve d’en possède le dixième. « Mais Aiden n’est pas à ce soir. » Je souligne, autant par envie de ne pas envenimer les choses que de préserver mon meilleur ami de réflexions qui m’attendraient par extension. « Et il y a un barman qui a l’air de t’avoir déjà repérée. » Je glisse, amusée, avant que mes yeux ne balaient le bar et que je puisse lui glisser, sur le ton de la confidence en me penchant vers elle alors qu’il s’agit pourtant d’une évidence : « comme à peu près les trois quarts des hommes présents ici ce soir. » Et j’en viens à craindre qu’elle m’abandonne ce soir, parce qu’elle trouvera meilleure compagnie, plus masculine, plus charmante, plus divertissante. Alors quand nos verres arrivent, je m’empare du mien que je lève pour mieux le faire tinter contre le sien. « À toi, parce que t’es celle qui perd le moins dans toute cette histoire. » Je m’amuse, l’honorant en déshonorant mon meilleur ami ; il me pardonnera l’affront, mais en vue des propos de Megan, j’imagine que ceux-ci sauront captiver son attention. Je l’espère, du moins.

@Megan Williams

ready for the colors to burn to gold and crumble away
Megan Williams & @Maisie Moriarty - 2020 ☆ crédit/lonelywolfgifs

Je n’ai pas la moindre idée de ce que Maisie faisait pendant ces derniers mois pour ne pas avoir donné signe de vie et, comme la plupart des choses qui ne tournent pas autour de moi dans notre relation, cela ne m’intéresse de toute façon pas plus que ça. Je devrais, lui accorder un peu plus d’attention. Je devrais la traiter comme autre chose qu’un faire-valoir, mais est-ce ma faute si elle a presque l’air de supplier pour que je lui donne ce rôle ? Je suis humaine, et Maisie appuie sur tous les boutons les plus mauvais et toxiques de ma personnalité, sans que ni elle ni moi n’en ayons complètement conscience. Elle se porterait certainement mieux si nos routes ne s’étaient jamais croisées mais, après tout, elle peut toujours choisir de couper les ponts, si notre relation ne lui convient pas. Ce n’est pas comme si elle était ma captive ou comme si je la forçais à trainer avec moi : elle aurait pu se barrer elle aussi, quand Aiden m’a jetée.

« Je te fais confiance. » Evidemment qu’elle me fait confiance. Elle n’est jamais aussi jolie que lorsqu’elle me laisse choisir ses tenues, et c’est moi qui ai choisi cette robe pour elle. En guise de réponse, je lui adresse un sourire radieux. « T’es déjà ma source d’inspiration numéro une. » - « Evidemment. C’est pas bien difficile, vu le genre de personne que tu fréquentes à part moi. » Et évidemment qu’il s’agit d’une pique directement dirigée vers Aiden, notre point commun à l’origine, la personne qui a réuni les deux personnes aux antipodes et certainement pas vouées à se rencontrer que nous sommes. « Arrête de toucher ta robe. Elle est très bien et c’est pas grave si elle remonte. T’as des jolies jambes. » Je le pense, elle a pris quelques kilos mais reste une brindilles Maisie, une brindille avec de longues jambes qui plairaient à beaucoup d’hommes si elle prenait la peine de sortir de sa coquille. « Je crois que t’as besoin de personne pour ça, Megan. Mais Aiden n’est pas à ce soir. » Non, mais il me donne l’impression d’être omniprésent lorsque je sors avec Maisie. Bon sang, mais que trouve-t-elle à ce raté qui, en plus, commence à traiter tous ses proches comme s’il était trop bien pour trainer avec eux. « Et il y a un barman qui a l’air de t’avoir déjà repérée. » Un coup d’œil au type en question – plutôt mignon – me permet de confirmer qu’il me jette des coups d’œil bien trop fréquents pour que ce ne soit pas volontaire. Mon sourire se reforme, mes joues rosissent d’une façon calculée et maîtrisée. Je garde le contact visuel avec lui juste ce qu’il faut, avant de me concentrer à nouveau sur la brune. « Comme à peu près les trois quarts des hommes présents ici ce soir. » - « Ce qui laisse un quart pour toi ! Je suis pas sûre d’avoir envie de remonter en selle tout de suite. » Oh si, après quelques verres, je laisserai le barman ou n’importe quel autre homme mignon me ramener chez moi s’il me donne l’impression que je suis la plus belle chose qu’il ait jamais vue de sa vie. « Vu comme tu t’es apprêtée, tu me feras pas croire que c’est juste pour moi ! Et ça me dérange pas d’être ta wingwoman, si t’es ici pour trouver quelqu’un avec qui passer un peu de bon temps. » Peut-être se remet-elle d’une relation compliquée, ou quelque chose du genre : je ne peux pas concevoir qu’elle ne soit peut-être simplement pas intéressée. Nos verres arrivent, et je trinque volontiers avec la jeune femme. « À toi, parce que t’es celle qui perd le moins dans toute cette histoire. » Mon sourire s’agrandit – elle me flatte – mais elle me relance aussitôt sur un sujet qui lui déplait : je l’ai senti. Une autre amie se serait empressée d’appeler Aiden par tout un tas de noms d’oiseau mais pas elle, elle est loyale à son ami et si c’est une qualité, j’aurais préféré qu’elle reconnaisse les torts de l’acteur. « Je sais même pas pourquoi t’acceptes la façon dont il te traite. Dont il traite tout le monde depuis que le succès lui est monté à la tête. C’est pas toi qui me disais qu’il arrive à peine à trouver cinq minutes dans son emploi du temps pour toi ? » J’ai besoin d’une alliée, alors je tente de m’en fabriquer une. Aiden n’est pas là ce soir, elle l’a dit, il n’entendra rien de ce qu’elle pourra dire, de toute façon.

Je lui fais confiance, c’est une certitude alors que Megan m’a prouvé à plus d’une reprise qu’elle était bien mieux armée que moi pour affronter des situations comme celles de ce soir. D’être dans un bar, de savoir se mettre à son avantage, surtout, pour attirer les regards et s’assurer de combler la solitude. Je ne pense pas qu’il s’agit de ça la concernant, il est évident que Megan n’a qu’à lever le petit doigt pour que les garçons se précipitent à ces pieds ; et je ne doute pas qu’elle possède des amis par dizaines, de quoi être toujours accompagnée. Me concernant, c’est une autre histoire. Les garçons ne me regardent pas, mes amis se comptent sur les doigts d’une main et ce n’est même pas une façon d’être pessimiste : rares sont ceux s’étant rendus jusqu’à l’hôpital ou s’étant manifestés après ma sortie. Megan l’a fait, même si elle n’était pas au courant de ma situation ; elle l’a fait. Elle a pensé à moi, d’une façon ou d’une autre mon prénom s’est imposé à elle pour passer cette soirée ensemble et c’est bien plus que d’autres ont pu faire pour moi au cours des dernières semaines. Je ne pouvais pas refuser, même si je ne suis pas dans mon élément, même si je devrais sans doute être plus prudente et ne pas brûler les étapes. Je ne les brûle pas ; je réapprends à vivre et Megan m’a suffisamment dit qu’il fallait profiter de la vie, des garçons, de sa jeunesse, pour que le programme du soir me semble être cohérent avec celui que je dois tenir au quotidien. « Evidemment. C’est pas bien difficile, vu le genre de personne que tu fréquentes à part moi. » - « Aiden n’est pas mon seul ami, tu sais. » Je mentionne en riant doucement. Je sais qu’elle parle d’Aiden, mais je ne compte pas profiter de l’absence de mon meilleur ami pour l’enfoncer plus que de raison. Il a peut-être été moins présent qu’à une époque, mais fut un temps où il était là et pour cette raison, je ne pourrai jamais me détourner de lui. À l’exception d’Aiden... les autres ne sont pas aussi importants que Megan, c’est sûr. Pas à mes yeux, non, mais vis-à-vis de leur place dans le monde ; personne ne suscite l’admiration comme elle le fait, personne n’a des ambitions comme elle, et ce n’est pas dévaloriser mes amis que d’en avoir conscience. Megan a une place dans ce monde que personne, et surtout pas moi, n’aura, et de la côtoyer et ce qui me rapproche le plus d’une certaine importance que je ne peux pas acquérir par moi-même. « Arrête de toucher ta robe. Elle est très bien et c’est pas grave si elle remonte. T’as des jolies jambes. » - « Désolée, j’ai pas encore l’habitude. » Je me justifie avec un sourire, alors que je me redresse, bombe un peu le torse pour... j’en sais rien, ce n’est pas comme si mes seins inexistants allaient mieux ressortir. Mais le fait est que la robe est très bien ; pas moi. Si Megan ne me voit pas, comme d’autres le pourraient ? Alors qu’elle, il ne lui a pas fallu plus de deux minutes pour attirer le regard du barman. « Ce qui laisse un quart pour toi ! Je suis pas sûre d’avoir envie de remonter en selle tout de suite. » - « Oh, attends, ça veut dire que j’ai des chances ? » J’use de l’humour pour détourner ma gêne ; la vérité est que même si j’aimerais moi aussi attirer les regards, je ne sais pas comment m’y prendre, je ne sais même pas si je le veux vraiment, car la simple idée m’angoisse autant qu’elle m’interpelle. « Vu comme tu t’es apprêtée, tu me feras pas croire que c’est juste pour moi ! Et ça me dérange pas d’être ta wingwoman, si t’es ici pour trouver quelqu’un avec qui passer un peu de bon temps. » - « Wingwoman ? » Je demande un peu honteuse, parce que l’expression me dit rien ; signe que ma vie sociale a connu un sacré temps d’arrêt. « Mais pour être honnête, hm, je crois que personne m’attire. » C’est là toute la distinction. Certains me plaisent, mais personne ne m’attire. Physiquement, je ne peux pas nier que certains hommes (et certaines femmes, pour être honnête) captent mon regard de par leur beauté, quand je fais passer celui-ci dans la pièce et que je m’accroche quelques secondes de plus que nécessaire à une silhouette ou l’autre. Mais personne ne me donne irrémédiablement envie de me lever, d’entamer un jeu de séduction dont je suis capable si je me donne les moyens. Je crois. J’ai eu des copains, par le passé, c’est bien que je ne suis pas si nulle, n’est-ce pas ? Même si ma tête tend à être rentrée dans mes épaules, que mes jambes sont collées l’une contre l’autre et non croisées, que mon sourire est large et non pas mystérieux. Je suis moi-même, c’est ce qui compte. Nos verres arrivent et ça me donne une diversion plutôt que de continuer à paraître coincée parce que je suis dans un bar sans réelle intention de conclure. Je trinque à sa santé, tentant d’alléger l’atmosphère qui suit sa rupture avec Aiden, mais sa réponse me laisse interdite un instant. « Je sais même pas pourquoi t’acceptes la façon dont il te traite. Dont il traite tout le monde depuis que le succès lui est monté à la tête. C’est pas toi qui me disais qu’il arrive à peine à trouver cinq minutes dans son emploi du temps pour toi ? » - « J’étais saoulée. » Je corrige avec un rire, tentant une fois encore de prendre la chose avec légèreté. « Il a ses mauvais côtés, oui, mais il en a aussi des milliers de bons, et à la fin, ça reste mon ami. » J’admets, parce que c’est la vérité ; malgré tout ce qu’il peut faire, il reste mon meilleur ami, celui qui est le plus important à mes yeux, celui qui est toujours là, quelque part, même s’il peut avoir du retard, celui qui me délaisse, mais qui, lorsqu’il est là, me fait sentir comme la personne la plus importante qui soit. « On est pas obligées de parler de lui, tu sais. » Je ne veux pas lui donner l’impression d’insister, mais je ne veux pas la mettre mal à l’aise non plus. « D’autant que je prendrai pas parti, je vous apprécie tous les deux. » J’annonce, en prenant une gorgée de mon verre de vin. « Et puis t’es pas là pour te morfondre. » Que je précise avec un clin d’œil et un signe de tête vers un homme accoudé à deux sièges de nous, qui regarde dans notre direction. Nul doute qu’il fait des œillades à Megan – qui ne le ferait pas ?

@Megan Williams

ready for the colors to burn to gold and crumble away
Megan Williams & @Maisie Moriarty - 2020 ☆ crédit/lonelywolfgifs

« Aiden n’est pas mon seul ami, tu sais. » Peut-être mais il méritait la pique mesquine que j’ai lancée dans sa direction. Il ne saurait pas différencier un champagne grand cru d’un mauvais crément, la preuve en est : il m’a laissée tombée alors qu’il ne pourra pas faire mieux, il ne trouvera pas une seule femme qui attirera plus l’envie et la convoitise de ses pairs lorsqu’il se présente avec elle à son bras. Aiden ne mérite pas plus l’amitié de Maisie qu’il me méritait moi, et c’est bien de ça dont je tente de la convaincre. « T’en as jamais présenté aucun autre. » Je hausse les épaules, comme si le sujet était de toute façon clos, quoi qu’elle trouve à redire et pour cause : au fond, sa réponse ne m’intéresse pas. Pas si elle ne m’offre pas la perche que j’attendais pour pouvoir maudir Aiden comme il convient que je le fasse. Je passe donc à autre chose, et la réprimande parce qu’elle touche à sa robe, prouvant donc au monde entier qu’elle n’est pas à l’aise dedans. « Désolée, j’ai pas encore l’habitude. » - « Qu’est-ce que je t’ai dit ? Ce qui compte, c’est d’avoir l’air sûre de toi. C’est pas en rongeant tes ongles et en touchant ta robe toutes les deux minutes que tu vas renvoyer cette impression. » Et ce n’est pas comme ça qu’elle va attirer le regard de qui que ce soit. Et ce soir, j’ai besoin qu’elle m’offre une distraction bienvenue en m’autorisant à me focaliser sur sa vie amoureuse. Tout plutôt que de penser au fait que je suis seule et que j’ai déjà foncé droit dans les bras de Scott, quel que soit la désagréable impression qui colle à la peau que j’en retire à chaque fois.

« Oh, attends, ça veut dire que j’ai des chances ? » - « Souris un peu, on dirait que t’enterres quelqu’un, pas que t’es en train de passer une super soirée. Et crois-moi, tu veux pas attirer un de ces types bizarres qui fantasment sur les femmes tristes et désespérées qu’ils imaginent pouvoir sauver. » Je lui adresse un grand sourire qui dévoile mes dents, comme pour appuyer mes propos. « Mais oui, si tu mets mes conseils en pratique, bien sûr que t’as une chance. » Je ne suis pas douée pour garder un homme et le pousser à prendre soin de moi durablement et quoi qu’il arrive, mais je n’ai jamais eu de problème à faire tourner les têtes. « Wingwoman ? Mais pour être honnête, hm, je crois que personne m’attire. » Elle s’interroge devant l’expression, et j’éclate d’un rire cristallin. « Tu sors de quel siècle ? » Elle me donne toujours cette impression de ne pas réellement comprendre de quoi je parle, Maisie, c’est amusant et distrayant. « T’es adorable punaise. Ta copilote si tu préfères, mais pour la drague. » Et qu’on se le dise, elle en a toujours autant besoin que lorsque nous avais fait connaissance. « Impossible. Y’a trop de monde dans le bar pour que y’ai vraiment personne personne. » Est-ce un problème de manque de confiance en elle ? Elle a un corps magnifique Maisie. Peut-être manque-t-elle de forme, mais pleins d’hommes aiment les femmes petites et menues.  

« J’étais saoulée. » - « T’avais raison. » Les rôles s’inversent : lorsqu’elle a critiqué Aiden un peu durement, c’est moi qui lui trouvais des excuses et des circonstances atténuantes. Aujourd’hui, voilà qu’elle rechigne à confirmer ce qu’elle a pourtant pensé à une époque pas si lointaine. « Il a ses mauvais côtés, oui, mais il en a aussi des milliers de bons, et à la fin, ça reste mon ami. » - « Il a changé et tu le sais aussi bien que moi. » Voire même bien mieux. Elle le connaît depuis plus longtemps encore, elle l’a connu avant qu’il ne fasse ses premiers pas en tant qu’acteur, lorsqu’il n’avait pas la moindre raison d’avoir la grosse tête et de s’estimer mieux que tout le monde. « Tout ce qui l’intéresse, c’est de se faire bien voir par les grosses têtes du milieu. Faut croire qu’il est trop bien pour toi et moi maintenant. » Je ne cherche pas consciemment à monter la jeune femme contre son amie. Comme beaucoup lorsqu’elles traversent une rupture, je cherche du soutien, l’appui de mes congénères. « On est pas obligées de parler de lui, tu sais. D’autant que je prendrai pas parti, je vous apprécie tous les deux. Et puis t’es pas là pour te morfondre. » Amère, je fais claquer ma langue contre mon palais. C’était évident pour tout le monde sauf pour elle, que je venais ici dans le but de me faire plaindre et de l’entendre dire que j’ai raison, que Aiden a tort et qu’il n’aurait jamais dû me traiter comme ça. « Il m’a larguée par texto Maisie. Par texto. Comment tu peux ne pas prendre parti. ? » Je suis agacée qu’elle n’aille pas dans mon sens, parce qu’elle ne le fait pas souvent. « Je te demande pas de plus lui parler. Mais c’est pas parce que tu l’apprécies que tu peux pas reconnaître qu’il s’est comporté comme un sale con. » Manipulatrice sans même m’en rendre compte, je me rembrunis puisque je n’obtiens pas d’elle ce que je veux.

« T’en as jamais présenté aucun autre. » Je fronce les sourcils, reste muette un instant, pas certaine de la manière dont je suis supposée interpréter ce constat. Après un instant de silence, j’ose lui demander : « ça t’intéresserait ? » alors que je peine à réprimer le sourire qui prend place sur mes lèvres. Je ne lui ai jamais présenté aucun autre ami parce que je n’ai jamais supposé que cela pourrait l’intéresser. Et parce qu’il s’agit de deux univers que je ne suis pas certaine de vouloir mélanger. Ce n’est pas que j’ai honte de mes amis, bien au contraire. C’est seulement que je n’arrive pas à les imaginer dans la même pièce que Megan, encore moins à partager une conversation engagée et plaisante pour tous les partis. Le fait qu’elle puisse être intéressée change la donne et me fait croire que j’ai été dure avec Megan, en supposant qu’on se classerait plus volontiers dans la catégorie « connaissances » qu’« amies ». À vrai dire, je l’ai toujours considérée ainsi, mais sans croire qu’on pourrait être liées autrement que par des sorties de temps à autre, quand l’une – souvent moi – se rappelle à l’autre. Je suis déstabilisée, et cela se traduit dans ma nervosité que je peine à cacher, accentuée par cette robe qui en dévoile beaucoup trop selon moi. « Qu’est-ce que je t’ai dit ? Ce qui compte, c’est d’avoir l’air sûre de toi. C’est pas en rongeant tes ongles et en touchant ta robe toutes les deux minutes que tu vas renvoyer cette impression. » Je sais qu’elle est déçue. Je le perçois dans sa voix, dans ses mots, dans son attitude qui se referme. Et je ne comprends pas. Pas sa critique, non, mais mon propre comportement. J’ai passé des années à avoir le contrôle sur tout, surtout sur mon corps, sur mon apparence ; et aujourd’hui, je suis incapable de le reprendre. Ce n’est qu’un rôle à jouer le temps d’une soirée ; j’en ai joué tellement plus au cours des derniers mois que celui-ci ne devrait pas me terroriser à ce point. Pas alors qu’il ne s’agit pas uniquement de moi, mais également de Megan, et de la nécessité de lui assurer que j’écoute ses conseils. Je me redresse sur ma chaise, croise mes jambes, relève le menton. Les actes valent plus que des mots, et mon regard glisse sur Megan dans l’attente de son approbation. Je ne suis pas sûre de moi. Je ne le serais sans doute jamais. Mais je suis une excellente comédienne, lorsque je m’en donne les moyens.

« Souris un peu, on dirait que t’enterres quelqu’un, pas que t’es en train de passer une super soirée. Et crois-moi, tu veux pas attirer un de ces types bizarres qui fantasment sur les femmes tristes et désespérées qu’ils imaginent pouvoir sauver. » Est-ce qu’elle pense que c’est ce que je suis, une femme qui a besoin d’être sauvée ? Est-ce qu’elle croit que je ne peux pas l’être ? Je projette mes propres questionnements sur elle, tandis que j’observe son sourire s’élargir et que je le reproduis, à la façon d’un miroir, même si ma bouche n’est pas aussi pulpeuse, et mes dents pas aussi alignées. « C’est peut-être mon genre, t’en sais rien. » Je suggère, avant qu’elle n’ajoute : « Mais oui, si tu mets mes conseils en pratique, bien sûr que t’as une chance. » Bien sûr que j’ai une chance. Aussi minime soit-elle, j’en ai une. La possibilité de me sentir désirée, la possibilité de vivre ce que Megan ressent au quotidien, la possibilité de ne pas être invisible. Mais c’est loin d’être ce que je veux ; autant que c’est mon désir le plus enfoui. « Si ce n’est pas le cas, je t’en voudrais beaucoup. » Je l’informe, avant d’être perdue face aux termes qu’elle utilise, alors même qu’on a presque le même âge. « Tu sors de quel siècle ? » Elle rit, Megan, elle se moque de ma maladresse et je m’en veux de ne pas avoir compris ce qu’elle m’a dit. « T’es adorable punaise. Ta copilote si tu préfères, mais pour la drague. » Je n’ai pas envie d’être adorable. Je n’ai pas envie d’être mignonne. Je n’ai pas envie de tous ses qualificatifs que l’on m’adresse simplement pour éviter de m’avouer que je ne suis rien. Ce n’est pas beaucoup plus clair, pour être honnête ; alors je me contente d’une question qui a tout à fait sa place concernant la drague. « C’est quoi, ta technique d’approche imparable ? » Je l’interroge, avant de me raviser aussitôt, songeant à la critique qu’elle pourrait me faire. « Enfin, plutôt, ce qui fonctionne pour faire venir les hommes à toi. » Car je doute qu’elle soit celle qui passe à l’offensive. Quoi que, elle m’en paraît capable, mais dans ma vision des choses – peu expérimentée, je le reconnais – je serais tétanisée à l’idée d’avoir à faire le premier pas. « Impossible. Y’a trop de monde dans le bar pour que y’ai vraiment personne personne. » Mais il n’y a personne. Il n’y a personne et comme elle le dit ; c’est impossible. C’est impossible de ne pas ressentir d’attirance, de désir, ou seulement de l’intérêt. C’est impossible et c’est sans doute décevant, alors mon regard passe en revue le bar à la recherche de la moindre silhouette qui saurait m’offrir une réponse acceptable à défaut de papillons dans le ventre. Le silence dont je fais preuve en dit long sur le succès de la mission.

« T’avais raison. » Je pince les lèvres, je refuse de considérer que j’avais raison, parce qu’Aiden et moi sommes amis : cela implique de ne pas être saoulé par l’autre, ou du moins, jamais bien longtemps. « Il a changé et tu le sais aussi bien que moi. » - « On change tous. » Le monde entier, Aiden, moi. Je suis seulement plus lente que lui ; ce qui fait que nous ne sommes plus sur la même longueur d’onde. Mais c’est temporaire, le temps que je parvienne à le rattraper. « Tout ce qui l’intéresse, c’est de se faire bien voir par les grosses têtes du milieu. Faut croire qu’il est trop bien pour toi et moi maintenant. » D’abord pour Megan, ensuite pour moi. L’ordre des mots à son importance, et je pince les lèvres, attristée. Si même Megan n’est pas assez bien pour lui, comment je peux continuer à exister dans son univers ? « Tu sais aussi bien que moi qu’il faut capitaliser sur son succès, dans ce milieu-là. » Je rationnalise avant de l’informer que je ne prendrai pas parti, bien que cela puisse lui déplaire. Le son de sa langue qui claque contre son palais me provoque un nœud dans l’estomac, pendant que je m’empare d’une gorgée de mon verre - elle l’a dit, c’est bon pour la ligne. « Il m’a larguée par texto Maisie. Par texto. Comment tu peux ne pas prendre parti ? » Elle est agacée, je le perçois, tout comme je perçois le vent qui tourne quant à cette soirée. Megan qui part, et moi qui me retrouve seule. Encore. « Je te demande pas de plus lui parler. Mais c’est pas parce que tu l’apprécies que tu peux pas reconnaître qu’il s’est comporté comme un sale con. » - « C’est un sale con. » Que j’admets, sans me laisser le temps de la réflexion alors que Megan serait sans doute prête à quitter les lieux en réalisant que je défends Aiden. Je n’ai pas à le défendre, pas alors que son comportement m’a effectivement exaspérée moi aussi. Mais j’ai considéré que ce n’était pas mes affaires, et même si c’est toujours le cas, cela ne m’interdit pas de faire le constat qui s’impose. « Il a vraiment pas géré sur ce coup-là. » Un constat. Pas une prise de position. Juste un constat. « Le blond appuyé contre le mur du fond. » Que je finis par suggérer sans préavis ; parce que j’ai besoin de rassurer Megan autant que j’ai besoin de me rassurer moi-même. Et de toutes les personnes présentes dans ce bar, il est sans doute le moins pire, parce qu’à défaut de me plaire, il dégage une aura plus sympathique que d’autres. Megan dira sans doute que pour considérer qu’Aiden est mon meilleur ami, je n’ai pas le nez fin.

@Megan Williams

ready for the colors to burn to gold and crumble away
Megan Williams & @Maisie Moriarty - 2020 ☆ crédit/lonelywolfgifs

« Ça t’intéresserait ? » Je fronce les sourcils sans pour autant que la lumière amusée qui brille dans mes yeux ne s’éteigne. « Je t’ai déjà donné l’impression que j’étais une asociale ? » Je ne le suis pas. Oh, je ne prétendrai pas non plus que j’ai toujours rêvé de rencontrer l’entourage de la jeune femme, mais sa question, qui témoigne d’à quel point elle est à l’aise avec moi sans que je ne m’en rende réellement compte, reste étonnante. « Je te fais honte c’est ça Maisie ? » Je me penche vers elle, un sourire sur les lèvres et l’air provocateur. Un homme à sa place aurait pensé que je l’aguiche. Sauf qu’il s’agit de ma façon de m’adresser à tout le monde, j’en ai bien peur. « T’as pas l'air super entourée, c’est ça que je voulais dire. Mais ouais, pourquoi pas, si tu m’invites je viendrai. » Sous-entendu, si elle m’invite aux genres de soirée qu’elle organise avec ces proches au sujet desquels elle est bien discrète. Dans mon esprit, je ne suis toujours pas persuadée qu’ils existent, pour être tout à fait honnête.

« C’est peut-être mon genre, t’en sais rien. » J’écarquille les yeux, amusée par la répartie de la demoiselle. « Si c’est ton genre, t’es plus timbrée que t’en as l’air alors. » J’éclate de rire, employant sans me soucier des conséquences des mots qui sont forts. Heureusement, je n’ai pas suggéré à la demoiselle de se faire interner : je l’ignore, mais sans doute aurait-elle apprécié ma compagnie un peu moins, d’un coup. « Si ce n’est pas le cas, je t’en voudrais beaucoup. » - « T’as de quoi plaire Maisie. » Si elle se sort le balai qu’elle a dans le cul. « Mais faut que tu te décoinces. Souris, respire, et tout va bien se passer. » Pour qu’elle m’imite, je me redresse, prends une longue inspiration avant d’esquisser un sourire radieux, dévoilant mes dents blanches encerclées par de jolies lèvres rouges. « C’est quoi, ta technique d’approche imparable ? Enfin, plutôt, ce qui fonctionne pour faire venir les hommes à toi. » Je pense la tête sur le côté, esquisse un sourire en coin avant de désigner ma poitrine du bout des doigts et de façon nonchalante. Finalement, j’éclate d’un rire franc avant de secouer la tête. « Non, je plaisante. » Bien que, la plupart du temps, mes courbes font réellement le travail à ma place. « Deux mots : contact visuel. Et sourire en coin aussi. Si un mec te plait, cherche à croiser son regard, mais jamais trop longtemps à la fois. Si tu le fixe pendant deux minutes avec des yeux ronds il va te prendre pour une tarée. » Comment expliquer simplement quelque chose qui, pour vous, a tout d’une seconde nature ? « Je te montre, je crois que c’est le mieux. » Et, sans attendre une quelconque réponse, j’attrape mon verre à cocktail du bout des doigts en me lançant dans un petit manège du genre avec le serveur. C’est innocent et, surtout, je ne fais après tout de mal à personne, non ?  

« On change tous. » Le sujet d’Aiden m’amuse bien moi, même si c’est moi qui l’ai abordé. Je pense que je m’attendais à un peu plus de solidarité féminine de la part de Maisie. Aiden est son ami, mais j’espérais qu’elle soit capable de percevoir que je suis blessée et que ça compte tout de même un peu. Bien sûr, c’est puéril, de me rembrunir parce qu’elle n’abonde pas dans mon sens et que je ne me sens pas soutenue. Certains crieraient même à la manipulation. Mais rien de tout ça n’est fait de façon consciente et mes émotions sont aussi fortes qu’impossibles à dissimuler. « Tu sais aussi bien que moi qu’il faut capitaliser sur son succès, dans ce milieu-là. » - « Capitaliser sur son succès oui. Mais rejeter les personnes qui étaient là quand il était personne, c’est être un putain d’ingrat. » Deux femmes, occupées à parler d’un homme lors d’une sortie à deux. Nous échouerions au test de Bechdel sans l’ombre d’un doute mais ai-je un jour prétendu que ce genre de chose m’importait ? La validation masculine est importante à mes yeux, aussi indépendante que je prétende être. « C’est un sale con. » Maisie cede, et mon joli visage reprend des couleurs. Mon sourire l’illumine à nouveau pas parce que je suis ravie qu’elle abonde dans mon sens, mais parce que je suis soulagée qu’elle oublie un instant sa loyauté pour comprendre ma peine. Aiden ne m’a pas brisé le cœur. En revanche, ma confiance en moi en a assurément pris un coup. « Il a vraiment pas géré sur ce coup-là. » Je hoche la tête, les yeux dans le vide, en guise d’assentiment. Un peu de soutien : c’est tout ce dont j’avais besoin, ça aurait pu être aussi simple que ça.

« Le blond appuyé contre le mur du fond. » Bien sur que je sais ce que Maisie est en train de faire. Je ne suis pas une enfant que l’on distrait pour éviter les sujets difficiles. Toutefois, j’ai obtenu ce que je voulais alors je rentre dans son jeu. Je jette un œil au jeune homme, et je l’observe en plissant les yeux. « Il a l’air tout seul. Soit il a perdu ses potes, soit il est venu pour rencontrer du monde. » Et par du monde j’entends une fille. On ne vient pas dans un bar dansant pour se faire de nouveaux amis. Doucement, j’attrape les épaules de Maisie pour la placer face à moi. Je me mets dos au jeune homme en question pour qu’elle, elle puisse facilement croiser son regard, et je me décale d’un pas. « Il regarde dans notre direction ? » Je l’interroge, trop professionnelle pour faire l’erreur de me retourner. « Essaie de créer un contact visuel avec lui. Si vos regards croisent, souris et ramène une mèche de cheveux derrière ton oreille. » Trépidante, je lutte contre l’envie de jeter un coup d’œil par-dessus mon épaule pour voir si mes leçons ont porté leurs fruits. « Alors ? Il a l’air ferré ? »

« Je t’ai déjà donné l’impression que j’étais une asociale ? » J’écarquille aussitôt les yeux, désolée de l’avoir vexée, alors que j’essaie déjà de songer à la manière de me rattraper. « Quoi ?! Non, mais pas du tout, Megan ! » Je m’offusque, plus face à ma maladresse que sa question, ajoutant par la suite : « t’en es même l’opposé. » Je n’ai jamais vu quelqu’un posséder autant d’aisance qu’elle avec les inconnus, gravitant d’un cercle à l’autre avec une facilité déconcertante. « Je te fais honte c’est ça Maisie ? » Je ravale ma salive, mal à l’aise à l’idée qu’elle puisse croire une telle ineptie. « T’es pas quelqu’un dont on peut avoir honte, Megan. » Je l’informe, au cas où cette information lui manquerait. Ce n’est pas le cas et ça ne le sera sans doute jamais ; elle est de ceux dont on se vante d’avoir à ses côtés. Non, c’est plus de moi que j’ai honte. « T’as pas l'air super entourée, c’est ça que je voulais dire. Mais ouais, pourquoi pas, si tu m’invites je viendrai. » Oh. C’est comme ça, qu’elle me voit, alors. Comme sa cause caritative du moment ? Comme la paumée qui a bien besoin qu’on lui file un coup de main et qu’on lui donne un peu d’attention, parce que personne d’autre le fait. Elle n’a sans doute pas tort, en réalité. « C’est noté, et ce jour-là, je veux pas d’excuses pour te désister. » Je souligne avec un clin d’œil, et un sourire plus timide. Parce que je ne sais pas quand exactement ce jour arrivera, je ne suis pas réputée pour organiser des fêtes de folie et certainement pas celles dont Megan a l’habitude. Mais maintenant, je ne me sens plus le choix que de le faire, et il faudra sûrement que je me force à sortir de ma zone de confort pour écumer les bars et agrandir mon carnet d’adresses pour ne pas me ridiculiser face à elle, comme je le fais sans doute déjà très bien.

« Si c’est ton genre, t’es plus timbrée que t’en as l’air alors. » Elle ne le sait pas, Megan, à quel point je suis timbrée, et peut-être que c’est le seul genre auquel je peux prétendre. Des hommes qui m’aimeront pour ce que je renvoie plus que pour ce que je suis ; parce que je n’ai pas grand-chose à offrir, et que le compromis me paraît en réalité être le bon. Ils n’attendent rien de moi si ce n’est de se glorifier auprès des autres en accentuant leur rôle de sauveur, et de mon côté, j’accepte cette position si cela me permet de ne pas être contrainte à d’autres. « T’as de quoi plaire Maisie. » Un instant, j’ai envie de lui demander si elle le pense vraiment. Celui d’après, je me retiens parce que ce n’est certainement pas cohérent avec l’assurance que je tente de feinter en sa compagnie. « Mais faut que tu te décoinces. Souris, respire, et tout va bien se passer. » - « C’est parce que j’ai pas encore terminé mon verre, ça. » Je dis en le portant à mes lèvres, me servant de l’alcool comme défense ; bien sûr qu’après un verre je suis tout de suite plus ouverte. Je suis une bonne comédienne dans bien des domaines, mais pas dans celui-ci ; évidemment que Megan m’a cernée et qu’elle appuie sur un défaut qui m’est constamment reproché. Par mes amis, par les garçons que je tente de fréquenter ; je suis une frigide, une coincée et autres joyeusetés. J’écoute, j’enregistre et aujourd’hui face à Megan, j’ai l’impression qu’il serait temps de changer les choses. J’imite ses gestes, un peu plus maladroitement, mais y mettant toute ma bonne volonté malgré mon manque d’aisance dans le domaine. Lorsqu’elle désigne sa poitrine, mon rire se joint au sien, bien qu’il ne soit pas aussi clair. « Non, je plaisante. » À d’autres, Megan. Bien sûr que ses seins font une partie du travail, mais je ne pourrai jamais en dire autant. « Deux mots : contact visuel. Et sourire en coin aussi. Si un mec te plait, cherche à croiser son regard, mais jamais trop longtemps à la fois. Si tu le fixe pendant deux minutes avec des yeux ronds il va te prendre pour une tarée. » Et je pense que je m’en sors très bien toute seule sans accentuer cet aspect-là de ma personnalité, oui. « Je te montre, je crois que c’est le mieux. » Restant en retrait quelques instants, je l’observe mettre en place ce conseil avec le serveur, déjà bien accroché à elle depuis son entrée. Même si je n’ai pas d’expérience dans le domaine, je sais reconnaître un regard charmeur et c’est très exactement ce qu’il offre à Megan, avec un léger coup d’œil, un second quand il repart vaquer à ses occupations parce qu’un client l’a interpellé. « C’est dommage, parce que fixer avec des yeux ronds, c’est ma spécialité. » J’essaie encore une fois la carte de l’humour, alors que je répète ses conseils, comme pour me convaincre de l’utilité que je pourrais en faire : « posture droite, contact visuel, léger sourire... Okay, ça m’a pas l’air si compliqué. » Ça ne l’est pas. Sauf quand on a pas envie de tout ça. « Ça a l’air tellement naturel pour toi. » Et c’en est agaçant, pour être honnête. Je suis timide, je sais, mais ça n’empêche pas que j’aurais cru qu’on devenait plus à l’aise avec les années ; c’est loin d’être mon cas. « Tu crois que je devrais me faire opérer ? » Je demande ensuite pour alléger la discussion, alors que sans être réfléchie sérieusement, l’idée s’est déjà frayée un chemin dans mon esprit à plusieurs reprises. Même si je peux me permettre certaines tenues, ça ne change rien au fait qu’une planche à pain, c’est pas ce qui fait fantasmer les hommes.

« Capitaliser sur son succès oui. Mais rejeter les personnes qui étaient là quand il était personne, c’est être un putain d’ingrat. » Je ne suis pas sûre qu’il soit ingrat, Aiden. Je ne veux pas reconnaître que ça puisse être le cas, surtout. Il est occupé, il a d’autres priorités et j’imagine que si j’étais à sa place, je m’en rendrais mieux compte. Mais je ne le suis pas, ce soir je suis celle qui accompagne son ex dans un bar et qui finit par admettre qu’il s’est planté, parce que c’est la vérité. Sans même qu’il sache les propos que j’ai pu tenir sur lui, demain je serai sans doute en train de me rattraper auprès de lui, ma conscience ne me permettant pas de l’insulter sans conséquences. Ça, Megan n’a pas à le savoir. Je reste muette quelques instants, mon regard qui vient chercher une parade que je trouve en la personne d’un grand blond esseulé, qui n’est pas à tomber, mais qui est moins intimidant que la plupart des autres hommes présents dans ce bar. « Il a l’air tout seul. Soit il a perdu ses potes, soit il est venu pour rencontrer du monde. » J’ai envie de lui demander ce qu’elle en pense, si elle valide, c’est important pour moi d’avoir son avis, mais Megan m’attrape déjà les épaules pour me déplacer, et j’obéis. C’est elle l’experte, après tout. « Il regarde dans notre direction ? » Je fais voguer mon regard dans le bar, ayant écouté ses conseils : jamais trop longtemps, et tandis que je passe en revue les groupes, je constate que c’est le cas. Mais sans doute regardait-il Megan, comme tout le monde le ferait, et qu’il se frustre qu’elle lui tourne désormais le dos. « Oui. » Je murmure, comme s’il pouvait m’entendre, ou lire sur mes lèvres, et comprendre que mes gestes me sont dictés. « Essaie de créer un contact visuel avec lui. Si vos regards croisent, souris et ramène une mèche de cheveux derrière ton oreille. » Je n’en ai pas envie, mais Megan pense déjà que je suis peu entourée, si ce n’est pas pour dire désespérée et je n’ai pas envie qu’elle soit déçue, qu’elle réalise après cette soirée qu’elle n’a définitivement aucun intérêt à traîner avec moi. Je me repasse la scène avec le serveur, tentant de l’imiter du mieux que je peux, croisant son regard quelques secondes, souriant pas aussi naturellement que Megan, puis glissant ma main dans mes cheveux. « C’était comment ? » Je demande à Megan qui a sûrement jaugé la scène, alors que je me saisis de mon verre pour couper le contact visuel. Si l’exercice s’arrête-là, j’en suis satisfaite, mais je ne crois pas qu’il en sera de même pour Megan. « Alors ? Il a l’air ferré ? » Ni pour l’homme en question qui reporte à nouveau son attention sur nous, comme je le constate quand je glisse à nouveau mon regard vers lui. Et alors que je comprends qu’il n’est pas seul, quand il tourne la tête pour faire un signe à un de ses amis puis vers nous, comme pour s’excuser, je comprends alors que l’inévitable va se produire. « Merde, je crois ! » Je panique un instant avant de croiser le regard de mon amie, me reprenant et me justifiant faussement : « je pensais pas que ça marcherait aussi vite ! » Je force un sourire, évidemment satisfaite par les conseils qui ont porté leurs fruits. « Ok, t’as deux minutes pour me résumer la suite. » Avant qu’il n’arrive. Ou que je parte en courant.

@Megan Williams

ready for the colors to burn to gold and crumble away
Megan Williams & @Maisie Moriarty - 2020 ☆ crédit/lonelywolfgifs

Personne n’a honte de moi, je n’ai pas douté, lorsque je me suis penchée vers elle pour lui poser la question, ce n’est pas de ça qu’il s’agissait. Je provoque, je joue, je fais en sorte de récolter de la flatterie qu’elle m’apporte à tous les coups. C’est comme ça que marche notre relation, mais c’est innocent, non ? A mes yeux, je ne fais pas de mal en me conduisant comme ça avec elle, parce que je suis persuadée qu’elle retire elle aussi quelque chose de cette relation, celles entre les êtres humains sont rarement désintéressés. Ses amis, je ne les rencontrerai peut-être jamais, et nous savons toutes les deux qu’il y a peu de chance que nos promesses en l’air se concrétisent.

Le barman n’a pas la moindre chance de rentrer avec moi. Lui aussi est là pour remplir un besoin maladif de recevoir de l’attention, de la même façon que Maisie, au final. Il est là pour prouver à Maisie et pour me prouver à moi-même que, même si Aiden a mis un coup à ma fierté en étant celui qui a dit stop, je suis toujours aussi désirable, séduisante et attractive pour la gent masculine. « C’est dommage, parce que fixer avec des yeux ronds, c’est ma spécialité. » Je ris sans être trop certaine qu’il s’agisse réellement d’humour, mais envisager le contraire à voix haute aurait un petit quelque chose d’insultant. « Posture droite, contact visuel, léger sourire... Okay, ça m’a pas l’air si compliqué. Ça a l’air tellement naturel pour toi. » - « On s’en fiche que ce soit pas naturel. Ça doit juste être assez convaincant pour que les hommes pensent que ça l’est. » Et les hommes ne vont généralement pas chercher plus loin lorsqu’une jolie fille leur fait du charme. Pour moi, ça l’est, évidemment. C’est même une seconde nature. Mais la brune ne doit pas être paralysée parce que ça n’est pas le cas ; ne dit-on pas qu’il faut prétendre jusqu’à ne plus avoir besoin de le faire ? « Tu crois que je devrais me faire opérer ? » Naturellement, mes yeux descendent jusqu’à sa poitrine, incriminée par cette question. Je ne ressens pas la moindre gène, après tout,  c’est elle qui a attiré l’attention sur son manque d’atout à ce niveau. « T’as déjà envisagé de le faire ? » Je ne perçois pas l’humour tout de suite. A sa place et pour plaire, je pense que j’aurais été sérieuse à ce sujet, que j’aurais été prêt à tout faire, tout changer pour attirer les regards masculins que je récolte sans mal avec un corps comme le mien. « J’ai une amie qui a pas grand-chose de plus que toi à ce niveau et qui irradie la confiance en elle. Un peu trop même parfois. » Jo n’a jamais semblé avoir le moindre complexe, à aucun niveau. « Je crois pas que ça tienne qu’à ça. Mais si t’es sérieuse et si ça peut aider, pourquoi pas ? » Je hausse les épaules, abordant le sujet de la chirurgie esthétique pour plaire comme si c’était anodin, comme si ce n'était pas signe d’un dysfonctionnement dans le rapport aux relations humaines.

La demoiselle me divertit comme j’aime l’être : elle repère un homme et se plie à mes consignes. « Oui. » - « Bon, très bien, il a dû te remarquer alors. » Ou moi, je le pense fort mais en silence. C’est Maisie qui est l’objet de mon expérience sociale ce soir de toute façon, c’est donc sur elle que je me concentre. Je l’observe tenter de m’imiter avec une maladresse qui doit sembler touchante pour certains hommes, je suppose. « C’était comment ? » - « C’était a-do-ra-ble. » Sexy aurait été mieux. Diablement attirant ou séduisant aussi. Mais adorable, c’est un bon début et puis, sa robe peut gérer le reste pour elle non. « Merde, je crois ! » Elle panique déjà, et je ne peux pas résister à l’envie de jeter un coup d’œil en arrière, dans la direction de l’homme dont elle parlait visiblement : il se détache déjà de son groupe d’amis. « Je pensais pas que ça marcherait aussi vite ! » - « Il vient vers nous, c’est ça ? » J’éclate de rire, touchée par la panique qui semble s’emparer d’elle alors que la scène qui se joue ne sort pas réellement de l’ordinaire et appartiendrait à ma zone de confort, si j’étais à sa place. « Ok, t’as deux minutes pour me résumer la suite. » - « Sois naturelle, parle pas de tes potes masculins, rigole quand il fait une vanne, et ferme la bouche. » Je me moque gentiment en glissant mes doigts sur son menton et en mimant un geste inutile : la brune n’a pas la mâchoire qui se décroche. Il est simplement amusant de prétendre le contraire. « Mesdemoiselles. » Le jeune homme arrive à notre niveau, son verre à la main, et nous salue d’un sourire chaleureux. Moi, j’ai bien l’intention d’abandonner Maisie à son sort et de l’observer de loin : je ne voudrai pas attirer toute l’attention. « Mince, Maisie, Shiloh attend à l’entrée depuis tout à l’heure ! » Shiloh ne mettrait pas les pieds dans une boîte de nuit, Shiloh ne connaît pas Maisie et l’inverse est tout aussi vrai et, surtout, il n’a jamais été question qu’elle soit là ce soir. De toute évidence, il s’agit d’une excuse pour m’éclipser. « Le videur lui fait des misères. Je vais essayer d’aller voir ce que je peux faire. Garde ton téléphone près de toi ! » Je joins le geste en levant le mien, avant d’esquisser un geste de recul pour les laisser ensemble, elle et l’inconnu.

« On s’en fiche que ce soit pas naturel. Ça doit juste être assez convaincant pour que les hommes pensent que ça l’est. » C’est ce que me confirme également Megan alors que c’est bien le fond du problème. C’est difficile de prétendre alors que c’est quelque chose qui me dérange autant. J’aime mon célibat, et si je ne ressentais pas une pression incessante à y mettre un terme, j’arriverais à m’en satisfaire. Mais je sais aussi que si je reste coincée – littéralement – dans cet état, je ne vais faire que repousser l’inévitable, jusqu’au moment où j’aurai l’air définitivement ridicule à ne pas pouvoir me vanter de mes relations de couple, du haut de mes trente ans – voire pire. Si je veux essayer de changer les choses, c’est maintenant que je dois m’y mettre. Je suis majeure, maintenant, et il est sérieusement temps que je cesse de me cacher derrière des excuses. Je ne suis plus une adolescente, je suis une femme et pour cette raison, je dois apprendre à étendre mes horizons, et mes intérêts, et peut-être même à y mettre les moyens. « T’as déjà envisagé de le faire ? » - « Pas vraiment. » Je pourrais me montrer plus convaincante. « Je veux dire, oui, j’y ai déjà pensé. Souvent, en fait, mais jamais très sérieusement, c’est ça que je veux dire. » Parce que ça coûte cher, parce que je ne suis pas sûre que ça aiderait beaucoup quant à l’image que j’ai de moi-même. Ça m’aiderait à attirer les garçons, oui, mais comme ce n’est pas forcément ce que je recherche, ce n’est pas une raison qui pèse beaucoup dans la balance. Je crois surtout que c’est pour ne plus avoir le droit à des commentaires désobligeants sur le fait que même une asperge est mieux formée que moi. « J’ai une amie qui a pas grand-chose de plus que toi à ce niveau et qui irradie la confiance en elle. Un peu trop même parfois. » Mais dans mon cas, je ne sais plus quoi faire pour avoir confiance. « Je crois pas que ça tienne qu’à ça. Mais si t’es sérieuse et si ça peut aider, pourquoi pas ? » Et ce qui devait être une boutade devient un vrai sujet, tandis que je suis encore plus confuse qu’autre chose. « Ouais, pourquoi pas. » J’en ai sûrement besoin, sans quoi elle m’aurait dit ‘’oh, tu es très bien comme ça’’ ou ‘’attends un peu, t’es encore jeune’’ ou n’importe quelle excuse que j’aurais aimé entendre de sa bouche. « Il y a quelque chose que tu aimerais modifier chez toi ? » Bien sûr que non. Elle est magnifique, Megan, et même si je ne suis pas dans sa tête, objectivement je ne vois pas ce qu’elle voudrait changer.

Et à choisir, j’aurais préféré qu’on discute de ma probable future chirurgie esthétique pour éviter d’en arriver à ce stade-là ; celui où mon regard se porte sur un homme que je juge à peu près mignon et certainement sympathique, me basant sur une première impression, alors même que ce n’est pas un domaine qui me réussit. « Bon, très bien, il a dû te remarquer alors. » Génial. J’ai hâte qu’il vienne ici, que je balbutie quelques mots avant de finir par m’excuser et, tout ça, sous le regard d’une Megan qui ne pourra qu’apprécier l’humiliation. Vraiment, chouette idée de soirée. J’imite de manière hasardeuse les consignes dictées par Megan, sans conviction que cela fonctionne. Mon sourire n’était pas assez grand, pas assez naturel et c’est peut-être parce que j’espérais ne pas cocher toutes les cases et ainsi le dissuader de s’approcher. « C’était a-do-ra-ble. » Sauf que je ne veux pas être adorable. Je veux être autre chose qu’un terme qu’on lance à tout va aux idiots du village autant qu’aux gamins sages. C’est paradoxal avec mon désir d’être invisible, mais si je veux vraiment me faire une place dans le cœur – ou le lit, putain – de quelqu’un, il me faut plus de « sexy » et moins « d’adorable ». Et je ne risque pas de l’être alors que, déjà, je panique à l’idée qu’il s’approche de nous. « Il vient vers nous, c’est ça ? » - « Oui ! » Que je dis, toujours aussi inquiète, l’envie de fuir étant réprimée par le rire de Megan. Je dois l’impressionner, lui montrer que je ne suis pas aussi pathétique qu’elle le pense sans doute, alors je l’invite à me briefer rapidement quant à la suite. « Sois naturelle, parle pas de tes potes masculins, rigole quand il fait une vanne, et ferme la bouche. » La bouche ?! Elle a quoi ma bouche ? Mes dents sont pas assez alignées ? Trop jaunes ? Mes gencives trop visibles ? Megan passe ses doigts sur son menton, me surprenant de manière visible par un sursaut de recul, et j’ai envie de lui hurler de m’expliquer ou de me donner plus d’informations, alors que, déjà, la voix masculine est à nos côtés. « Mesdemoiselles. » Le pluriel, c’est pas tant de la sympathie qu’un vieux fantasme – je suis sûre que Megan en suscite beaucoup, et déjà, je me dis que c’est elle qui l’intéresse. Ça se comprendrait. « Mince, Maisie, Shiloh attend à l’entrée depuis tout à l’heure ! » - « Shiloh ? » Putain, c’est quoi pour un prénom, ça, Shiloh ? Inventée à la der’ comme fausse excuse, me laissant seule avec cet homme que je n’ai pas envie de côtoyer ? « Le videur lui fait des misères. Je vais essayer d’aller voir ce que je peux faire. Garde ton téléphone près de toi ! » Et déjà, elle disparaît devant mon regard paniqué, dont j’essaie de reprendre le contrôle quand je le pose sur celui de l’homme, qui ne me quitte pas des yeux, suscitant toujours plus mon malaise. J’ai pas l’impression d’être un bout de viande à travers ses prunelles, mais... je suis pas à l’aise.

Mais je fais semblant de l’être. J’obéis aux bons conseils de mon amie, mimant les gestes qu’elle m’a appris. Ma main passe dans mes cheveux, mon sourire est affirmé, mais pas trop voyant, et mon dos est bien droit, ma poitrine faiblement mise en avant, quand je lui demande : « Tu passes une bonne soirée ? » Si j’en crois les films, il va appuyer son coude contre le comptoir, pencher la tête doucement sur le côté pour mieux affirmer que « maintenant que je suis là, oui ». Mais l’homme ne bouge pas, et déjà, dans son regard je peux y voir de la gêne, qui se traduit bientôt par ses gestes tandis qu’il fait un pas en arrière, avant que son regard ne me quitte pour suivre des yeux le chemin que vient de faire Megan. « Ecoute, je suis désolé et sans vouloir te vexer car t’es mignonne et sûrement très gentille, mais c’est ta pote que je venais voir, à l’origine. » - « Oh. » Oh. Je ris nerveusement, baissant les yeux pour masquer la détresse dans ceux que je peine à contenir. Je suis soulagée autant que je suis blessée ; je ne voulais pas l’intéresser, mais je voulais au moins qu’il me regarde. « Je veux dire, t’inquiète, je comprends, elle fait tout le temps cet effet-là. » Je force un peu plus mon rire, désignant d’un signe de la tête une serviette déposée sur le bar. « Tu peux m’écrire ton numéro, ça l’intéressera sans doute. » Je lui dis avec un sourire qui n’a rien d’égal au sien quand il griffonne quelques chiffres sur le papier avant de me le tendre. Quand il tourne les talons, le soulagement qui s’est emparé de moi est désormais remplacé par un sentiment de honte que je connais que trop bien ; pourquoi je n’arrive pas à être normale ? Pourquoi je ne suis pas comme Megan ? Prête à séduire, à rebondir, à rentrer avec un illustre inconnu pour une bonne partie de jambes en l’air, avant que nos chemins se séparent dans l’indifférence. Pourquoi tout ceci ne me provoque qu’une boule coincée dans la gorge, des palpitations qui n’ont rien à voir avec du désir et un sentiment anxiogène d’incompréhension alors que je comprends pas pourquoi je n’ai envie de personne dans ce bar ? Je sirote mon verre lentement, guettant l’horloge pour ne pas quitter les lieux de manière précipitée, alors que je joue avec la serviette. En envoyant un message à Megan pour l’inviter à revenir, je ravale ma fierté ; c’est donc ça. Les filles comme moi seront toujours invisibles, et Megan a raison d’essayer de me sortir de ma zone de confort, car je ne trouverai jamais personne si je ne me force pas. Alors, quand elle arrive, mon plan me paraît infaillible, quand je reprends contenance, agitant ma serviette en l’air. « Devine qui a été une bonne élève ! » Je m’exclame, avec un large sourire, qui n’est pas si feint – je suis contente d’être seule, malgré ce que je prétends.

@Megan Williams