running in the night
Dina Esteves & @Stella Ortega    

Les derniers tournages ont été particulièrement éprouvants et pourtant, y a clairement rien de plus gratifiant qu’un travail bien fait. Les dernières scènes des acteurs principaux ont été bouclées, le réal a calé son iconique “and that’s a wrap”, tout le monde a applaudit, s’est serré dans les bras et maintenant, l’équipe de post-prod n’a plus qu’à opérer sa magie jusqu’à la sortie prochaine du film d’ici quelques mois. Bien évidemment, comme souvent, t’es tenue à la confidentialité la plus totale sur ce que t’as vu et ce que t’as fait. Rien de nouveau ou d’inattendu, mais ça t’empêche pas d’avoir hâte de voir le résultat final. En attendant, c’est retour à la maison et, comme à chaque fois, le vol depuis Los Angeles prend une éternité. Quatorze putain d’heures, et comme d’habitude tu te demandes pourquoi tu t’infliges alors que t’es déjà crevée et que tu pourrais sûrement trouver des jobs bien moins érintants et bien plus proches de chez toi. Mais en faisant ça, tu te coupes pas mal d’opportunités intéressantes et surtout, une fois remise du jet lag et de la fatigue du voyage, t’es bien contente d’avoir été jusqu’au bout.
Il est tard, lorsque l’avion atterrit, il l’est encore plus lorsque tu récupères tes bagages et que tu t’affales dans le Uber qui te ramènera à ton appart. La demi heure de trajet est suffisante pour que tu t’assoupisses, tout ça pour être réveillée en sursaut à l’instant où le chauffeur annonce l’arrivée à destination. La tête à moitié dans le cul, tu le remercies, récupères tes affaires et tu t’empresses de rejoindre la porte d’entrée. Pendant un moment, t’as peur d’avoir paumé tes clés, ou pire, que la serrure ait été changée en ton absence. C’est stupide, si ça avait été le cas t’aurais été prévenue en principe, c’est juste ton cerveau trop fatigué qui n’a pas envie de rencontrer de difficultés pour rentrer au bercail. Et puis, aucune envie de devoir envoyer un message à ta soeur ou à ton père pour demander d’être hébergée d’urgence. Heureusement, tout se passe bien, la clé glisse sans faire de chichis et tu peux pousser la porte pour entrer.
Tu poses ton sac en vrac devant ta porte de chambre avant de te diriger à tâtons vers la cuisine, prenant bien garde de ne faire aucun bruit pour ne réveiller personne ; ça serait sacrément mal vu, un retour en fanfare après des mois d’absence. Aussi, tu préfères ne pas allumer la lumière juste au cas-où. D’un côté, t’as juste envie d’aller retrouver le confort de ton lit, et d’un autre, tu sais que t’arriveras pas à dormir vu que t’as passé les presque quinze dernières heures dans l’avion à ça. A la place, tu vas te poser sur une chaise avec ta brique de jus d’orange achetée en duty free et bien trop chère pour ce que c’est, tu dégaines ton téléphone pour prévenir ton père et ta soeur de ton retour en ville, mais visiblement la batterie n’a pas tenu le choc. Dans un soupire, tu croises les bras sur la table avant de poser ta tête dessus et tu fermes les yeux juste un instant.
Tu fais même pas gaffe que quelqu’un s’est glissé jusqu’à la cuisine, tu remarques seulement au moment où la lumière du frigo éclaire la pièce et te tire de ton demi sommeil. L’autre personne n’a visiblement pas vu non plus que t’étais là, ou alors elle fait beaucoup d’efforts pour t’ignorer. « Heu… Hey, » tu commences doucement en te redressant sur ta chaise. « J’espère que j’t’ai pas réveillée en rentrant. » T’es quasi sûre de pas avoir fait de bruit. Encore que, t’as peut-être eu le pas un peu lourd sans t’en rendre compte.

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Tu sais pas comment ou pendant combien de temps, mais t’es à peu près sûre que tu t’es assoupie sur ton comptoir de cuisine. T’aurais probablement pas dû venir t’assoir là et directement aller te coucher, mais pendant l’espace d’un instant, t’as eu le vague espoir d’être capable de prévenir tes proches de ton arrivée en ville, comme si ça ne pouvait pas attendre le matin que t’aies dormi un peu et qu’ils soient réveillés, quoi. Au moins ça aurait évité la situation à venir avec ta coloc. Peut-être que t’aurais dû t’annoncer autrement ? T’as un peu l’impression d’être une parfaite creep qui vient de surprendre sa victime de choix dans un moment de faiblesse, et forcément, tu grimaces en voyant la réaction de Stella. « Merde, pardon, » tu t’excuses tout bas en levant les mains en signe de défense. Belle première impression pour ce retour non annoncé, vraiment. La jeune femme face à toi a l’air de se calmer un peu, de remettre ta tête et pourquoi tu peux te trouver dans sa cuisine au beau milieu de la nuit et finalement, plus de peur que de mal. Visiblement, la propriétaire des lieux a bien du mal à trouver le sommeil et a préféré cesser de lutter en venant chercher tu ne sais quoi dans le frigo. Maintenant que t’y penses, t’as sacrément la dalle, en fait. C’est pas faute d’avoir eu de quoi manger dans l’avion, mais faut être honnête cinq minutes, la bouffe servie sur les longs courriers est quand même pas le truc le plus nourrissant qui soit. Bon après, t’es pas à cinq minutes pour maintenant. Longtemps ? Tu sais pas trop. Comme pour vérifier, tu jettes un coup d’oeil à ta montre connectée qui s’illumine un peu trop vivement à ton goût, et tu soupires en constatant que, non, ça fait peu de temps. « Genre là dans la cuisine, ça fait heu… J’sais pas trop, j’crois que je me suis endormie un moment. » Avec ton téléphone mort, t’as pas tellement eu l’occasion de checker quand est-ce que t’es rentrée à l’appart. « Mon avion est arrivé vers heu… deux heures, du coup bon, autant dire que j’viens d’arriver quoi. » Tu marmonnes en te passant une main sur le visage, essayant vainement de chasser la fatigue qui t’assaille. « Heu… J’vais peut-être avoir l’air d’abuser, mais y a de quoi manger ? » Ca y est, l’estomac a pris le dessus sur la raison et la bienséance. « Genre un truc à réchauffer ou qu’importe. » Comme pour appuyer tes propos, ton ventre émet un gargouillement sonore que tu tentes de cacher derrière une toux forcée. « J’rembourserai hein, mais juste, là heu… » Ouais, t’abuses un peu, ça se fait pas de demander direct à piocher dans les réserves de nourriture de sa coloc qu’on ne connaît pas encore suffisamment. « Ou alors si tu connais un fast-food ouvert au milieu de la nuit et pas trop loin, j’suis pas contre un peu de gras. » Y a forcément un McDonald ou une épicerie ouverte à une heure pareille, non ? Brisbane est le genre de ville qui ne dort jamais vraiment, des chaînes ouvertes H24, il doit y en avoir. Et juste comme ça, tu te rends compte que tu ne passes clairement pas assez de temps ici. « J’peux même te ramener un truc, si tu veux. » Comme si Stella n’allait pas essayer de se recoucher après la frayeur qu’elle vient d’avoir. Au pire si c’est pas maintenant, tu peux lui payer un truc une prochaine fois pour te faire pardonner.

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Dire que tu es déphasée serait un doux euphémisme tant tes yeux ne sont pas en face des trous. Difficile à dire combien de temps tu t’es assoupie ; si ça se trouve t’as carrément sauté un jour ou deux et personne ne s’en est rendu compte. Enfin t’imagines facilement que Stella l’aurait probablement fait vu qu’elle a l’air de passer à l’appart.
C’est amusant de voir que depuis le temps où tu es supposée avoir emménagé ici, tu n’as jamais participé aux courses. Faut dire, ça va probablement être la première fois que tu restes sur place plus d’une semaine consécutive, un nouveau record. Enfin t’imagines que ça arrange bien Stella d’avoir une coloc comme toi, elle a la paix la moitié de l’année tout en touchant son argent, clairement y a pas mieux pour rester au calme tout en s’assurant un revenu constant. T’as bien conscience que c’est pas le meilleur investissement pour toi, que tu ferais probablement mieux d’acheter une maison ou un appart, mais d’un autre côté ça t’emmerde de te dire qu’il n’y aura personne à voir les rares fois où tu feras acte de présence. Au moins là, t’as un peu de compagnie et c’est pas plus mal. Parlant de ça, ça te donne une idée pour peut-être faire connaissance avec le reste de la troupe, il serait plus que temps. « Oh, bonne idée ça. J’ferai les prochaines si tu veux. J’pourrai même cuisiner un truc pour l’occasion, histoire d’au moins rencontrer les autres. Faudra juste que je sache si y a des préférences ou heu des allergies, tout ça quoi. » Te connaissant, tu vas te retrouver à acheter plein d’ingrédients pour faire des plats épicés, mais tu sais très bien que tout le monde ne le supporte pas alors bon. Et puis ça serait con qu’il y en ait un qui soit mortellement allergique aux poivrons ou à tu ne sais quoi d’autre, t’as déjà vu quelqu’un faire une réaction et c’était vraiment pas joli. Enfin pour le coup, c’était pas toi qui avait fait la bouffe, mais voilà. Pour l’heure, tu te retrouves à proposer plutôt proposer un fastfood, juste histoire de manger un truc rapide et pas prise de tête. Pâtes au beurre, si t’aimes bien ça d’habitude, t’aimerais assez bien éviter, finalement. Tu plisses légèrement le nez en acquiesçant tout de même, « j’peux patienter un peu ouais, je suis plus à ça près. » Qu’est-ce que quinze petites minutes lorsqu’on a 15 heures de sommeil en retard ? Rien du tout. Mais est-ce qu’elle a vraiment envie de sortir maintenant, Stella ? « Mais t’es sûre que tu veux mettre le nez dehors à cette heure là ? » Pas qu’il fasse froid ou qu’il pleuve, c’est même tout le contraire, mais quand même. « Au pire on s’fait un Uber Eats, quoi. » T’es à peu près sûre et certaine que tu t’endormiras avant que la livraison soit faite, mais ça t’embête un peu moins que de la faire bouger à une heure pareille.  

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Aucune idée de pourquoi tu proposes de cuisiner un truc pour tes coloc dans un futur pas si lointain. T’es tout juste capable de suivre une recette et t’es pas certaine de réussir à tous les avoir en même temps, de toute façon. Au pire faudra faire des trucs à congeler qu’ils prendront à l’occasion, mais ça restera forcément moins fun que d’avoir tout le monde autour d’une table.
Finalement et après un démarrage plutôt mitigé, t’arrives presque à convaincre Stella de sortir bouffer un truc avec toi. Sauf que tu la vois bailler et pas tout à fait réveillée et instantanément, tu te dis que c’est sans doute pas le meilleur moment pour ça. A la place, tu proposes l’alternative de la livraison, décidant ainsi d’embêter un pauvre livreur qui attend sûrement de pouvoir rentrer chez lui. Tant pis, tu lui fileras un bon pourboire en cash, au moins ça sera direct dans sa poche.
T’acquiesces lorsque ta coloc accepte de commander et tu te fais pas prier pour la suivre jusqu’au canapé qui sera effectivement plus confortable que ton lit de fortune. Sur le chemin tu t’étires pour chasser la fatigue et réveiller tes muscles, puis tu t’installes en soupirant d’aise. Bon sang, t’aurais pu faire un effort et te traîner jusqu’ici plutôt que de t’endormir comme t’as fait, là. « Heu j’sais pas, genre un tacos ou un burger, qu’importe j’suis pas difficile. Avec supplément frites. » Ou peut-être double supplément ? Non, ça serait clairement de l’abus. Mais en même temps, t’as une dalle de chien, là. Allez, autant rester raisonnable.
T’hésites un instant avant de déballer le genre de boulot que tu fais, puis finalement, tu prends un air mystérieux, faisant mine de regarder aux alentours d’un air méfiant avant d’approcher et de dire à voix basse « j’deale de la drogue au Brésil, » et t’es presque trop sérieuse dans ton attitude. Après quelques secondes, ton visage se fend d’un sourire suivi d’un haussement d’épaules, « lus sérieusement, je suis cascadeuse. » Enfin ça, c’est le terme général, celui qui met directement les gens sur la piste. « J’double des actrices sur les scènes d’action, parfois j’fais un peu de figuration, aussi, genre les personnages pas importants. » Ceux qui se font dézinguer en deux temps trois mouvements et que tout le monde a oublié une scène plus tard, mais qui ont tout de même leur importance dans le grand schéma des choses. « On voit plus trop ma tête à l’écran, maintenant. » Tu souris brièvement en haussant les épaules, n’en ajoutant pas vraiment plus. A une époque, on la voyait trop à ton goût et aujourd’hui, t’es plus ou moins retombée dans un anonymat que t’apprécies beaucoup. « J’étais sur un tournage de série les derniers mois, c’pour ça que j’étais pas là et que je rentre à une heure pareille. » Promis c’est pas tout le temps comme ça. « Du coup je vais être là un petit moment avant de repartir, et t’en fais pas, j’aurai des horaires normaux quand j’aurai repris le rythme. » C’est dingue comme la fatigue te fais trop parler.  « Et toi ? J’me rends compte qu’on a même pas trop eu le temps de parler depuis qu’on a signé le bail. » T’es venue, t’as vu, t’as signé et t’as recroisé quasi personne depuis.

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Quand il s’agit de bouffe forcément, les grands esprits se rencontrent souvent autour d’un plat bien calorique à commander. Les demandes sont posées, le deal est signé, et comme dirait l’autre, y a plus qu’à. Presque comme s’il avait compris que t’allais bientôt bouffer, ton estomac se manifeste bruyamment et tu ne peux t’empêcher d’afficher une légère grimace crispée, l’air de t’excuser de la gêne occasionnée.
La glace se brise doucement à coups de blagues foireuses et de révélations pas si ouf que ça. « Pardon c’était super tentant, » tu t’esclaffes face à sa réaction avant de dévoiler le vrai job qui te sert à payer ton loyer. C’est pas aussi exotique mais ça n’en reste pas moins quelque chose de peu commun qui a tendance à intriguer les gens quand le sujet arrive sur le tapis.
Forcément, elle s’intéresse, pose quelques questions et ça n’est pas réellement une surprise. Cela-dit, elle a l’air d’avoir des goûts très spécifiques en actrices qu’elle souhaiterait rencontrer. « Houla, plein. » La liste est longue et ça prendrait probablement le reste de la nuit pour tout énumérer. Dans le lot t’as tes régulières, celles avec qui t’es appelée quasiment tout le temps tant pour la ressemblance que pour le feeling avec le reste de l’équipe. Tu fais mine de réfléchir avant d’acquiescer doucement, « T’as vu Tomb Raider ? » le dernier film en date, forcément, pas ceux avec Angelina Jolie. Même si t’aurais adoré bosser dans ceux-là, t’étais un poil trop jeune à l’époque. « Ça remonte un peu et j’ai pas rebossé avec elle depuis, du coup je suis pas certaine que ça soit encore le bon numéro que j’ai par contre. » Probablement que si, mais bon, t’es quand même pas supposée filer tous les numéros que t’as dans ton répertoire sinon t’es grillée pour bosser ensuite. Et toi, soit trop innocente soit juste trop conne pour capter l’innuendo pourtant pas si subtil et qui t’aurais probablement causé une sacrée gay panic, tu te contentes d’hausser les épaules d’un air désinvolte. « Boh, c’est sympa aussi de bosser dans l’ombre. » Au moins maintenant t’es plus obligée de te promener avec un garde du corps comme quand t’étais gamine. Aujourd’hui, t’es ton propre gardien quand y en a besoin. « C’est pas confidentiel, non. Là c’était pour une série Marvel, Echo, c’est supposé sortir début 2024. » Encore quelques mois de post-prod, donc. Pas impossible qu’il y ait des reshoots de prévus mais ça, tu sauras pas avant la dernière minute. « Par contre c’est vraiment tout ce que je peux dire, ils rigolent vraiment pas avec les NDA chez Disney. » Nouvelle grimace. De toute façon tu n’as que peu d’informations sur le plot et tout les détails, même en ayant bossé au coeur du projet, tu ne connais pas les tenants et les aboutissants. « Du coup si dans la semaine y a Kevin Feige qui débarque ici c’est parce qu’on était sur écoute. » Paraît qu’on est à l’abri nulle part du président des studios Marvel.
T’acquiesces lorsque Stella constate que vous allez enfin pouvoir apprendre à vous connaître, « il était temps, » tu continues en récupérant le téléphone, bien trop heureuse à l’idée de bientôt pouvoir te remplir la panse. Tu pauses cinq secondes alors qu’elle annonce être voyante, relevant les yeux vers elle d’un air perplexe. « Ah ? » c’est tout ce qui sort avant qu’elle ne brise le personnage et avoue s’être fichue de toi. Tu ricanes en acquiesçant, acceptant le retour de bâton plus que mérité. « Bien joué, bien joué, » tu concèdes en validant ta commande et en lui rendant son téléphone. « Oh c’est pas commun ça, » tu t’étonnes sur son vrai job. « C’est pas ce que j’aurai dit en te voyant, » quoi que là, à quatre heure du mat ça se discute. « Là comme ça, j’aurai sûrement dit que t’étais genre photographe. » Ou qu’elle faisait un quelconque métier artistique dans la même branche. « J’peux te demander comment t’en es venue à faire ce job ? C’était une vocation pour aider les gens en deuil ou y a autre chose… ? » Peut-être que t’es trop curieuse et que ça te regarde pas. « Enfin si c’est pas trop indiscret. »