La pluie commence à tomber en grosses gouttes sur le pare-brise, balayée par le va-et-vient rythmé des essuie-glaces. La radio est éteinte, octroyant un moment de silence – coupé par des tic tic tic – à un Sami aux dents serrés qui conduit en plein milieu de la nuit. Il se rend à un point marqué sur une carte virtuelle. Un point envoyé par un type dont il n’avait pas eu de nouvelles depuis plusieurs semaines. Eli avait échappé à la récidive, s’était présenté religieusement à tous les rendez-vous fixés le mardi avec son CPIP, alors leur collaboration tumultueuse s’était conclue par une poignée de mains d’hommes qui se promettent, d’un regard, de ne plus jamais croiser le chemin de l’autre. Des choses s’étaient passées entre eux. Des événements que Sami aimerait pouvoir rayer de la chronologie tant ils le couvrent de honte maintenant qu’il y songe avec du recul. Il a cru un instant qu’il était tombé sous le charme de ce type qui n’avait rien pour lui plaire. Un imbécile qui ne sait pas faire la différence entre le bien et le mal, un malotru, irrespectueux, arrogant, égocentrique…

Et pourtant. Pourtant ça arrivait encore à Sami de songer à lui quand il allait à la rencontre de sa dixième date Tinder du mois, cherchant dans les traits de ces personnes, qui passent et qui repartent, ceux d’Eli. Il avait beau se pincer, il ne sortait pas de ce mauvais rêve, et voilà qu’il reprenait forme juste sous ses yeux, une supplication au téléphone et un mystère qui n’attendait qu’à se faire décortiquer. Si Sami avait les dents serrées en conduisant, c’était parce qu’il avait peur de tomber nez-à-nez avec un crime. Dans sa poche, il avait déjà entré le numéro de la police afin de les contacter en une seule touche. Prêt à la moindre éventualité. Son travail l’avait conditionné à rester sur le Qui-Vive tel le chat qui ne dort jamais vraiment.

Devant une ruelle, il ralentit la cadence de sa voiture et scrute le filtre de pluie qui broue sa vision. Il croit être arrivé. Appuyée au raz de la façade d’un établissement, une silhouette subsiste dans la griseur de la scène. Sami stoppe son moteur et quitte le sec de l’habitacle. Lentement, il se dirige vers Eli, qu’il entend sangloter. Il a gardé sa main dans sa poche, où est abrité son téléphone prêt à envoyer un appel d’urgence. Déjà ses cheveux se colles à ses tempes. Ses vêtements alourdis sculptent son corps svelte. Il traverse une flaque d’eau plus large que les autres, ruine ses chaussures, avance prudemment puis lance : « Je suis là. » Pas encore d’empathie pour l’animal qui a peut-être mordu le premier.