Noor n'était même pas certaine de savoir pourquoi elle avait accepté. Cette nouvelle année était le témoin de beaucoup trop de premières fois, de ses premières heures en salle de sport à ses premières séances de thérapie. Ne plus boire lui faisait du bien, mais quand les problèmes s'accumulaient et qu'elle avait l'impression de couler dedans, le besoin de boire jusqu'à tout oublier se faisait trop fort et elle avait dû consulter quelqu'un, ce qu'elle avait évité jusque là.

Sa psychologue était une femme adorable et à l'écoute, et visiblement un peu trop convaincante puisqu'elle avait réussi à lui faire accepter qu'elle avait toute sa place dans une assemblée de victimes de violence. Même si elle avait encore du mal à utiliser le terme "violences conjugales" pour décrire sa relation avec Seth - il y avait eu des disputes, des remords, beaucoup de remises en question de sa part, mais elle était encore persuadée que c'était normal, et qu'elle n'en faisait sans doute pas assez, que c'était un peu de sa faute à elle.

Et maintenant qu'elle y était, à écouter une certaine Kirstin raconter son calvaire avec un ex-compagnon, elle regrettait d'être là. Ou de ne pas avoir vidé une bouteille de tequila avant de venir. (Enfin, écouter les malheurs des autres lui donnaient cette familière sensation de vouloir se noyer dans l'alcool, même si elle savait au fond d'elle-même que c'était une très mauvaise idée de retomber dans ses vieux démons.)

« Oh euh... Je m'appelle Noor, j'ai trente-et-un ans, et euh... J'avais vingt ans quand j'ai commencé à sortir avec Seth. C'était ma première relation, et je n'avais pas vraiment de penser que notre relation n'était pas normale. »

Elle en doutait même encore un peu, parce que ses relations suivantes avaient été moins violentes mais pas forcément moins toxiques. C'était Max qui lui faisait prendre conscience de l'absurdité de certaines des situations crées par ses ex-copains, et elle n'était toujours pas convaincue que ce n'était pas de sa faute à elle - après tout, elle était le dénominateur commun de tous ces garçons.

« Il a commencé à boire à un moment, je sais pas exactement quand ou pourquoi. »

Le hochement de tête de la fille juste à côté lui apprit que sa culpabilité à l'égard de l'alcoolisme de Seth n'était pas passée inaperçue, au moins pour celles qui avaient vécu la même chose. Elle ne savait pas ce qui l'avait causé, alors au fond d'elle, elle pensait que c'était sans doute sa faute. Et puis, il le lui avait reproché tant de fois... Difficile de se convaincre que c'était lui le problème, après des années à entendre que c'était elle.

« Il était adorable, et charmant, et il adorait m'amener au restaurant. Mais quand il avait bu... Il était insultant, et il critiquait tout ce que je pouvais faire. Comme si j'étais une moins que rien. Et j'étais persuadée qu'il avait raison, que c'était de ma faute s'il était en colère. Parce que je ratais tout, et j'oubliais souvent ce qu'il me demandait. »

Elle était sensée être étudiante, et travailler en tant que stagiaire dans un cabinet d'architecture tout en ayant un mémoire de fin d'études à rendre. Parce qu'après tout, Seth était dans la même situation qu'elle, et il était stressé lui aussi. Il avait des excuses.

« Et quand il m'a frappé... Je continuais de penser que c'était de ma faute. »

Elle ne savait même plus comment avait commencé leur dispute à l'époque - elle se souvenait juste de la gifle, de cette sensation d'être une petite fille ne faisant que des bêtises. Mais elle restait persuadée, au fond d'elle, que c'était de sa faute. Qu'elle avait franchi une limite qu'elle n'aurait pas dû, ou qu'elle avait oublié quelque chose, et qu'il avait raison de la punir pour ça.

Elle était toujours punie quand elle franchissait les barrières des autres. Elle avait vrillé en voyant Jiyeon et Kai prendre de la drogue presque un an plus tôt, à son anniversaire, et aujourd'hui, si la première lui parlait de nouveau - mais sans jamais évoquer cet épisode, ou son hospitalisation pour abus de substances quelques mois plus tard -, le deuxième l'ignorait toujours. Et elle le méritait.

Noor Guerrero & @Kai Luz