We are the end of the world
Raelyn Blackwell & @Amos Taylor - premiers jours de l'épidémie

« Je sais de quoi je parle, même ce dont toi tu parles. » A ça, je ne réponds que d’un haussement d’épaule innocent. Je ne doute pas une seule seconde qu’il sache mais, pour l’heure, alors que nous approchons dangereusement d’un village, nous devons prendre une décision pour la suite.

Bien sûr, je nourris d’abord l’espoir que toute l’Australie n’ait pas connu le même sort que Brisbane. Après tout, les épidémies ont toujours d’abord rongé les villes et j’ignore si les métropoles ont été bouclées et confinées. Peut-être le virus n’en est-il pas sorti ? Puis je repense à la horde que nous avons croisée en chemin et je me ravise : s’il n’est pas déjà partout, il le sera rapidement. « Non ! Je crois qu’il est partout. Mais, je pense aussi que si on est clean, il y en a d’autres. On parle d’un petit village où tout le monde se connaît et l’instinct grégaire de l’être humain veut qu’ils ont fait comme nous : ils se sont organisés. Je suis pas certain qu’on aura pas la figure de l’ennemi pour eux. » « Nos semblables. C’est de eux que tu as peur. » Je m’en veux de ne pas y avoir pensé avant lui puisque c’est une évidence : nous sommes des étrangers pour eux, et des étrangers bien équipés. Sans réfléchir, je sors la carte pour trouver une alternative, puisqu’il n’est plus question de prendre de risque : nous dormirons dans la voiture, et de préférence loin d’une zone de population. « Je n’aime pas avancer à l’aveugle. » Il a raison et, à nouveau, je hoche la tête. « Contournons. Regarde sur la carte s’il n’y a pas une étendue comme une forêt… quelque chose qui ne serait pas trop exposé. CE serait dangereux. » Mon doigt glisse sur le papier et je tente de nous trouver un autre chemin. « Dans cinq kilomètre environ il devrait y avoir un panneau ou quelque chose pour indiquer le parc zoologique du comté. Il faut suivre cette direction, au nord, avant de bifurquer à l’est au bout d’une quinzaine de kilomètres, et on évite la ville. » Ensuite, il nous faut trouver ou dormir, et je contine pour ça à parcourir la carte. « Ensuite y’a plus que des champs sur une cinquantaine de kilomètres. On devrait pouvoir trouver quelque chose d’isolé non ? Une ferme ? Une grange ? » Tant que le coin est désert.

We are the end of the world
Raelyn Blackwell & @Amos Taylor - premiers jours de l'épidémie

« Oui ! Parce qu’ils sont bien plus intelligents que les seuls ennemis que nous avons rencontrés jusqu’ici. Et toi aussi, ils te font peur, je me trompe ? » Il n’a pas tort et si nous nous connaissons encore mal, ou en tout cas pas assez bien pour lire les regards de l’autre et comprendre ce qu’il pense, il pointe une évidence : comme lui, j’ai appris à ne pas avoir grande foi en mes semblables. Encore moins lorsqu’il sont mis au pied du mur et j’ai, sans aucun doute, aucune fois en la capacité de l’humanité à gérer cette crise avec intelligence. « Tu te trompes pas. » Mon sourire, il est amer, j’aurais préféré que nous nous trompions tous les deux, mais j’ai trop côtoyé les bas fonds de l’humanité pour nourrir le moindre espoir.

« Le parc zoologique pourrait faire l’affaire aussi. Ça veut dire, grande grille, passage pour entrer la voiture et la cadenasser. » Je fais la moue. « Tu crois que les animaux seront encore dans leurs enclos ? Depuis combien de temps ça aura été laissé à l’abandon ? » Je n’ai pas envie que notre nuit tourne au cauchemar. « Au pire, un parking bondé de voitures vides dans lesquelles nous pourrons nous fondre dans la masse. Au choix. La grange et les champs ou le parc. » Le parking est une bonne idée mais je crois que la part la moins raisonnable de ma personnalité préférerait que nous soyons seuls. Je ne pourrais m’empêcher de me faire des films toute la nuit durant le cas échéant. « On a qu’à continuer à rouler ? Il nous reste deux heures de soleil encore on avisera d’ici une heure. » Si ça lui convient bien entendu. Je n’ai pas l’habitude de me laisser porter et guider, mais je fais confiance à son passé de militaire. « J’avoue que j’aime l’idée d’être isolés. Et pas uniquement parce qu’on sera plus tranquilles. » Je lui adresse un coup d’oeil mutin, autant voué à me rassurer qu’à nous entraîner à nouveau sur la voie de la séduction.

We are the end of the world
Raelyn Blackwell & @Amos Taylor - premiers jours de l'épidémie

« Tu crois que les animaux se… relèvent eux aussi ? » Je suis prise d’effroi alors qu’il plante dans ma tête une nouvelle crainte, une éventualité à laquelle je n’avais pas du tout pensé. Et si les animaux se relevaient eux aussi ? « On en aurait croisé non ? » Le ton est hésitant, il est clair que je cherche à me rassurer, que je ne suis certaine de rien. « Et si on évitait d’aller confirmer ? De toute façon transformés ou pas, j’ai pas envie d’avoir à faire à un animal sauvage laissé à l’abandon. » Et non nourri, potentiellement assez enragé pour s’échapper de son enclos. Je n’en sais rien et je cesse d’imaginer la chose pour éviter d’en faire de mauvais rêves.

« Très bien. Avançons pendant une bonne heure… à moins qu’on ne trouve un endroit intéressant avant. » Nous dépassons l’embranchement qui nous aurait permit de rejoindre le parc - c’est un soulagement - et je confirme que l’idée me va d’un hochement de tête. « Pas uniquement ? » Je tourne la tête vers lui, un sourire enjôleur sur les lèvres. « T’as besoin que je t’écrive un Haïku pour savoir que tu me plais ? » Je le provoque du regard : on sait tous les deux à quoi je faisais référence. On sait tous les deux également que je n’ai pas pour habitude de me montrer sage et raisonnable. Nous sommes seuls tous les deux, dieu seul sait pendant combien de temps et sa présence me rassure : les chances pour que je résiste à l'envie de me laisser aller à une nouvelle étreinte passionnée - s’il la désire lui aussi - sont minces. « Pourtant, plus on est isolés, plus on est exposés et donc, potentiellement en danger…  » J’expire tout l’air de mes poumons en fixant la route qui défile au loin. Je n’en sais rien, je ne suis pas préparée à ça et je dois dire que d’un coup, je me sens submergée. Être en mouvement, devoir élaborer des plans et des stratégies, tout ça m’a empêché de penser à la réalité dans laquelle nous sommes coincés toutes la journée mais, à présent, elle me rattrape. « Je... » Je secoue la tête en prenant une inspiration. « J’en sais rien. Je suis dépassée. Qu’est ce que tu ferais toi ? » Je ne suis pas seule dans cette galère, je ne dois pas l'oublier.

We are the end of the world
Raelyn Blackwell & @Amos Taylor - premiers jours de l'épidémie

« Aucune idée. Je n’avais pas l’intention de te le proposer. Je n’en ai pas plus envie que toi. » On raye donc l’activité voyage en terre inconnue avec des animaux sauvages de notre agenda, et je dois bien admettre que je suis soulagée : je n’ai pas particulièrement envie de me retrouver en plein remake d’un mauvais film d’horreur. La petite blonde platine meurt toujours dans les première minutes dans ce genre de long métrage, et je préfère refuser le rôle.

« Non, ça je le sais. Mais, pour que je sois pas trop difficile, tu peux, oui. » J’esquisse un sourire en coin, sans lâche ma carte des yeux. « Comme si t’allais jouer le difficile. » Je crois que cela me vexerait. J’ai trouvé ça diablement attirant qu’il me résiste mais, à présent que nous nous sommes adonnés aux plaisirs de la chair et que nous n’avons plus que l’autre sur qui compter, je serais offensée qu’il fasse la fine bouche. « Tu peux toujours essayer. Mais maintenant, tu sais ce que tu rates. » Et tu ne tiendras pas cinq minutes. J’en fais ma mission.

« Hey, on va trouver un endroit. La seule condition c’est qu’il faut qu’on puisse y cacher la bagnole et donc, nous. C’est largement faisable. » Je hoche la tête alors qu’il tente de me rassurer. L’est-il vraiment, serein à l’idée de ce qui nous attend ? J’en doute et je le soupçonne de faire bonne figure pour ne pas sembler alarmiste mais nous sommes tous les deux conscients de notre situation, et de celle de l’humanité au passage. « J’ai pas dit que j’avais besoin d’un palace pour que tu puisses m’écrire ton poème sans être interrompue. » Pour preuve, il tente à nouveau de détendre l’atmosphère et je secoue la tête en plissant le nez. « Il risque d’être très court. » Mais rudement efficace. Je m’interromps une seconde, le regard au loin, avant de tourner à nouveau la tête dans sa direction - lui, il semble imperturbable. « Comment les choses ont pu dégénérer si vite ? » A quel point c’est contagieux et propageable ce qui transforme ces gens ?

We are the end of the world
Raelyn Blackwell & @Amos Taylor - premiers jours de l'épidémie

« Je saurais oui et… c’est presque dommage dans le fond. Tu es... » Je penche la tête sur le côté et je l’observe avec attention. Je suis quoi ? Quel compliment - je suppose que c’en est un - s'apprêtait-il à formuler pour se résigner au dernier moment. Il secoue la tête, fait signe qu’il reprend et je le laisse se débattre en silence, un sourire sur les lèvres et avec la certitude de le troubler. Il s’agirait pas comme ça. Il ne pèserait pas ses mots pour trouver les mots et, peut-être par peur de me blesser ou en tout cas de me vexer. « Je dirais que c’était très plaisant.Et pas seulement pour mon ego de te voir faire monter la température comme ça. Ça n’arrivera plus et c’est dommage je trouve. » Mon sourire s’élargit un peu plus et, faisant mine de réfléchir je laisse un instant de flottement avant de me mordre la lèvre. « Je suis plus attirante quand tu ne m’a pas ? » Qu’il se rassure dans ce cas, il ne me possède pas après une nuit et des façon de faire monter la températures il en existe des tas. Certes, le champ des possible s’est vu considérable réduit par les récents événements et notre nouvelle réalité à prendre en considération, mais si nous allons passer la soirée et toutes les prochaines en solitaire, je me sais incapable de résister à la tentation. « J’ai pas besoin de grand chose pour faire monter la température. Et certainement pas besoin que tu me résiste. » Alors si ce n’est pas une question d’ego, il trouvera son compte dans notre nouvelle dynamique s’il l’embrasse. « Et il dirait ? » Il dirait quatre mots : j’ai envie de toi. Seulement sur l’heure je préfère nous concentrer sur la recherche d’un endroit sûr pour cette nuit. « C’est une surprise. » Tu verras plus tard. « Sois patient. »

« Je ne sais pas… La folie des Hommes. Notre mode de vie… Et on a rien vu venir tellement on est égoïstes. A force de se regarder le nombril, on ne voit plus l’arbre qui cache la forêt… » Sa réponse ne me satisfait pas : elle n’est pas assez rationnelle, pas assez concrète par rapport à toutes les questions que je me pose. « J’ai passé la soirée au Club la veille. Tout le monde était… Normal. » Je crois que je l’aurais remarqué si l’un des employés ou des client empestait la chair pourrie. « En moins de vingt quatre heure... » Ils étaient tous morts, ou tout comme.

We are the end of the world
Raelyn Blackwell & @Amos Taylor - premiers jours de l'épidémie

« Je dis que la situation est moins plaisante si je n’ai plus le droit de jouer les hommes difficiles parce que ça ne serait plus cohérent. Du reste, je ne doute pas. » J’esquisse un sourire alors qu’il lutte avec les mots, certainement parce qu’il a peur de me braquer ou de trop en dire. « J’ai rien contre les jeux de rôle. » Je le houspille plus que je ne suis sérieuse, pour le plaisir de lire ses réactions sur son visage. Est-il embarrassé ou amusé ? J’ai du mal à trancher et j’enfonce le clou une dernière fois. « On s’amusera autant si tu ne joues pas les difficiles. Non, plus ! » Et j’en ai besoin. J’ai besoin de me rassurer à ses côtés, j’ai besoin d’entretenir un sentiment de normalité et de me réchauffer auprès de la peau d’un homme, qu’il me tienne entre ses bras pour ne pas perdre les pédales. Bien sûr, la nuit dernière était particulière mais sur l’heure je mets ça sur le compte de la situation particulière plus que sur le dos de notre attraction.

« La veille, je suis passé au Club. Puis, je suis allé voir mon frère. Je me suis arrêté dans un bar pour me vider la tête. Tout m’a semblé normal à moi aussi. Ils m’ont semblé aussi tout à fait normal le lendemain, avant qu’on ne quitte le Club ensemble. Je présume que c’est un truc qui nous échappera longtemps, à moins de chercher des réponses. » Ses réponses, faut-il tenter de les trouver ? Est-ce que cela servira à quelque chose, si l’humanité est réduite à l’état de poussière que de savoir ce qu’il s’est passé ? Certains chercheurs parviendront-ils à se cloîtrer dans leurs laboratoires pour tenter de renverser la situation en faveur de la race humaine ? Seront nous toujours là pour le voir ? « Tu penses qu’il va se passer quoi dans les villes ? » L’armée interviendra-t-elle ? Bouclera-t-elle toutes les métropoles en empêchant les gens de sortir ? Ou bien les évacueront ? Je n’ai pas le temps d’y penser qu’un bruit sourd se fait entendre et que la voiture perd de la vitesse avant de s’arrêter. « C’est pas le moment du coup de la panne Amos... » Je me rassure d’une blague mais alors qu’il sort de la voiture et que je le suis, méfiante et en jetant des coups d’oeils mal assurés autour de moi. « Qu’est ce que c’est ? » Il a ouvert le capot et est penché dessus. « Le moteur ? Les bougies ? Le dérailleur ? » Je lance des mots clés au hasard, pas tout à fait certaine qu’ils appartiennent bien au champ lexical des véhicules à quatre roue mais, nerveuse, j’ai besoin d’exprimer mon angoisse.

We are the end of the world
Raelyn Blackwell & @Amos Taylor - premiers jours de l'épidémie

« Je pense que si l’armée n’est pas décimée, ils vont les vider. Les nettoyer de ces choses et sauver autant de vivant qu’ils le peuvent. Ils feront sans doute des expérience aussi. Mais, je ne sais pas ce qu’il en est de l’armée. » Je constate qu’il a plus réfléchi le sujet que moi et je ne suis pas surprise : je me contente de penser à l’essentiel, à prioriser pour continuer à mettre un pied devant l’autre pour ne pas perdre la raison face à cette situation qui me dépasse. Je remercie mon sang froid de ne pas encore m’être effondrée et lui peut compter sur son expérience militaire. « Vider les villes pour mettre les gens où ? Ils crèveront autant à la campagne. » Si j’en crois les scènes morbides que nous avons traversées dans son village d’enfance et sur la route.

Il amorce une phrase qu’il interrompt finalement lorsque la voiture toussote avant de s’arrêter. Moi, je tremble déjà à l’idée que nous la perdions mais pour ne pas céder face à la panique je tente un trait d’humour. « Si tu savais comme j’aurais préféré que ça soit ça... » « Moi non. J’aurais été déçue. » Déçue de le savoir si ringard et peu inventif. Sauf que malgré ça, il s’agit d’un mensonge éhonté et je ne peux le cacher alors que je le suis dehors en jetant des regards méfiant à chaque bosquet et chaque ombre. « Au moins, ça ne fume pas. » Et c’est un bon signe ? Je n’y connais rien en mécanique, je ne saurais nommer aucune des parties du véhicule et je me hasarde à quelques théories fumeuses. « Ce n’est pas un vélo, tu sais. Tu peux essayer de pédaler, mais...je doute que ça fonctionne. » « Un vélo ? » Je fronce les sourcils avant de comprendre qu’il me chahute, et je réponds d’un léger coup dans le bras.

« Te moques pas de moi, dis moi juste si c’est réparable.  »
« Je pourrai rien faire maintenant. La nuit va tomber. Il faut….faire un truc… pousser, nous cacher… protéger tout ça, mais je prendrais trop de risque à essayer de réparer ça maintenant. »

Je grogne, les muscles endormis d’avoir passé la journée assise mais je me retrousse les manches, littéralement et prête à me salir les mains, bien que j’ai peur de ne pas lui être très utile. « La pousser jusqu’où ? »