30 DAYS WHITHOUT AN ACCIDENT
@Raelyn Blackwell  & Amos Taylor  - Univers alternatif - 2007, 29 ans

La suite s’annonce difficile, mais ce n’est qu’une journée de plus à vivre à moitié, à survivre, à avancer en restant sur le qui-vive, à rester au taquet pour ne pas crever bêtement parce que ce serait du gâchis. Après tout ce que nous avons traversé en tempête, nous méritons mieux que d’être achevé par quelques gouttes de pluie, non ? Tandis que je la serre dans mes bras, je réalise ma chance de respirer toujours cet air vicié par la charogne ambulante qui nous arracherait bien les chairs pour se nourrir. Dès lors, conscient d’être un veinard, j’acquiesce doucement et je promets sans avoir peur de mentir. «Je serai plus que prudent. Et, toi aussi, fais attention. C’est facile de faire croire qu’on a faim, mais moins quand on a deux couteaux de boucher dans les mains et pas de mie de pain sur le menton.» Je caricature avec l’espoir de nous arracher un sourire, un vrai, pas une de ses grimaces feintes pour la forme, pour se donner du courage quand nous en avons besoin. Parfois, quand je suis à la ferme avec elle, je ne peux m’empêcher de me demander ce que la vie d’antan nous aurait réservée. Pourtant, jamais je n’ai posé la question avant ce soir. A quoi bon ? On ne peut pas revenir en arrière, mais si je suis convaincu de ne pas vouloir de cet enfant, ça gamberge quand même dans ma tête. Alors, je me jette à l’eau, entraîné par le vent de douceur qui souffle sur nous, nous allonger dans un lit douillet sous une couette qui me rappelle qu’avoir froid, pendant la nuit, n’est pas une fatalité. «C’était bien il y a cent ans oui.» En tout cas, ce n’était plus hier. «Je crois que ça fait deux ans, non ? Trois, peut-être ? » Je ne tiens plus de compte. J’ai le sens de l’orientation. J’ai eu la notion du temps également. Mais, à force de vivre dans un monde qui semble s’être arrêté, c’est difficile de ne pas perdre le sens du temps qui s’écoule, par exemple. «Je n’en voulais plus non plus.» Elle sait mes raisons. Je lui ai parlé de la mort de Sofia. «Mais, je sais pas, je me dis que ça m’aurait peut-être pas déplu d’avoir un enfant avec toi. Mais, je me dis peut-être ça parce que tu n’es plus tout à fait la même femme.» Je ne suis plus le même non plus. «Elle te manque ? Entre autre choses ? tu crois qu’on aurait tenu combien de temps ? Une nuit ? Pas plus ? »

30 Days Without an Accident
Raelyn Blackwell & @Amos Taylor - deux ans après le début de l’épidémie

« Je serai plus que prudent. Et, toi aussi, fais attention. C’est facile de faire croire qu’on a faim, mais moins quand on a deux couteaux de boucher dans les mains et pas de mie de pain sur le menton. » - « Je ferai attention. » Il plaisante, mais je sais que les enjeux sont réels pour nous deux. Nous n’avons pas droit à l’erreur et, demain, si je suis surprise, je devrais être convaincante. « Je ne prendrai que ce dont nous aurons besoin. » Et je prendrai de la nourriture, quelque chose qui aurait pu attirer mes pulsions de femme enceinte, pour vendre ma petite histoire d’une part, et pour nous assurer de ne pas crever de faim les premiers jours de l’autre. Avec cette idée-là, je suis un peu rassurée. « Je prendrai à manger, pour la route et pour vendre mon histoire. Et je glisserai les couteaux dans mon pantalon ou sous mon t-shirt, dans mon dos. » Peut-être grifferont-ils ma peau, mais rien que je sois incapable d’endurer. Personne n’osera fouiller une femme enceinte.

Enceinte, pour combien de temps le suis-je encore ? Le moins possible, je l’espère en tout cas, et je m’interroge sur ce qui motive les questions d’Amos, celles qu’il formule alors que j’allais presque m’endormir. « C’était bien il y a cent ans oui. Je crois que ça fait deux ans, non ? Trois, peut-être ? » J’esquisse un sourire, et je dépose ma tête contre son torse à nouveau. Nous parlons d’une autre version de la réalité, j’estime que c’est sans danger pour nous et que nous pouvons être parfaitement honnête. « Je n’en voulais plus non plus. » Je m’en doute, et j’accueille sa confession d’un hochement de tête grave. « Mais, je sais pas, je me dis que ça m’aurait peut-être pas déplu d’avoir un enfant avec toi. Mais, je me dis peut-être ça parce que tu n’es plus tout à fait la même femme. » Je secoue doucement la tête et me retourne entre ses bras pour me retrouver à plat ventre contre lui. Là, je pose mes deux mains à plat sur son torse et je l’observe. « Elle te manque ? Entre autres choses ? tu crois qu’on aurait tenu combien de temps ? Une nuit ? Pas plus ? » - « Celle que j’étais ? » Oui, je crois que son pouvoir, ces certitudes et son absence totale de peur me manque. Aujourd’hui, je ne peux plus me permettre ce genre de chose. « La vie que j’avais me manque. » J’aime évoluer à ses côtés, mais aucune personne saine ne souhaiterait pas revenir en arrière, avant que le monde tel que nous l’avons connu ne s’effondre. « Je l’ignore. » Je sais que nous aurions fini par la passer ensemble, cette nuit. Nous étions en chemin pour le faire lorsque nous avons percuté une créature sur la route en pleine nuit et, d’une certaine façon, notre désir l’un pour l’autre nous a peut-être sauvé la vie. Nous étions en voiture, pas à la merci de ces choses. « Je l’ignore. Tu sais, je n’étais pas le genre de femme avec laquelle les hommes s’imaginaient faire leur vie. » Il n’aurait certainement pas été différent. Et moi ; je n’envisageais pas ce genre de futur à l’époque. « Plusieurs nuits pour sûr, tu n’aurais pas réussi à me résister après la première fois. » Mutine, je dépose un baiser sur ses lèvres, avant de l’interroger à mon tour. « Tu serais avec moi, aujourd’hui, même si je n’étais pas ta seule option ? »

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Je propose de nous endormir parce que je suis rassuré. Comme moi, elle me promet d’être attentive à prendre soin d’elle. Je nous sais aussi à l’abri des oreilles indiscrètes. Notre plan se dessine petit à petit. Ne l’avions-nous pas mérité, ce repos ? Ne sommes-nous donc pas digne de la douceur qui tapisse la bulle dans laquelle nous venons de nous enfermer ? C’est régulier. C’est une façon pour nous de nous soustraire à la dure réalité dans laquelle nous évoluons. ça rend les choses plus faciles, plus acceptables. C’est par ailleurs plutôt rare que nous épanchions sur ce qu'aurait pu être notre vie d’antan ou celle-ci en d’autres circonstances. Ce qui me motive, aujourd’hui, c’est l’impression de gâchis autour de cette grossesse et peut-être aussi le risque de perdre mon point de repère dans cette existence compliquée et dangereuse. Le péril est à toutes les portes, tout autour de nous et je trouve ça terriblement triste, non pas de pas pouvoir mettre au monde le bébé qu’elle porte - est-ce déjà un bébé ?-, mais de nous voir assommer par un nouveau risque : celui d’un avortement qui tournerait mal. Rien que d’y penser mon coeur s’emballe. Alors, je pense à autre chose. Je change même de sujet, troublant ce qui devrait être normalement notre sommeil. J’interromps le processus d’une question puis d’une autre. « La mienne me manque aussi même si celle-ci est plus saine. Je ne bois plus.» J’ai dû apprendre à me libérer de cette addiction : mes réflexes étaient amoindris. L’ivresse ne m’était plus autorisée à moins d’avoir envie de crever prématurément. «Je parle plus aussi. Je suis moins malheureux à ton contact. En fait, ce n’est pas ma vie qui me manque, c’est l’époque.» A ce moment-là, je suis loin d’imaginer que cette conversation s’apprête à prendre un autre tournant, un différent de celui qui consiste à discuter de ce que nous aurions pu être, si tant est que l’hypothèse ou un “nous deux” aurait existé plus d’une nuit. « Tu étais le genre de femme à fuir la solitude. En tout cas, c’est l’impression que tu me donnais. Alors, toi ? Tu aurais aimé en trouver un d’homme avec lequel faire ta vie ? » Un peu fleur bleue, je m’imagine que ça aurait pu être moi. Je me fiche que ça soit idiot d’y croire puisque la question ne se pose pas. Dans le fond, je cherche juste à rendre l’épreuve qui nous atteint moins prégnante dans mon esprit. « Après plusieurs nuits, je te garantis que c'est toi qui n'aurais pas résisté à l’envie de me garder.» Je ricane. Je réprime l’éclat de rire qui est né dans ma gorge et l’interrogation de Rae m’y aide sérieusement. « Tu n’étais pas ma seule option. J’aurais pu choisir de rester seul, de me tuer aussi. Tu as été une bonne raison de survivre alors je suppose que oui, je serais avec toi. En tout cas, j’aime l’idée. Tu ne crois pas toi ? Je suis là par défaut ? C’est ça que je dois comprendre ? » Pas trace d’humour. Je me questionne sérieusement. «Parce que moi, j’ai changé à ton contact et j’ai du mal à croire que c’est pas grâce à ce que tu es au fond de toi, ce qui est resté de toi et ce qui restera toujours. Tu me suis ? »

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Raelyn Blackwell & @Amos Taylor - deux ans après le début de l’épidémie

Nous le faisons peu, ce genre de discussion à cœur ouvert. Nous le faisons peu parce qu'elles nécessitent d’être à l’abri, de ne pas craindre pour sa vie et de pouvoir se poser quelque part sans avoir besoin de rester constamment aux aguets. C’est ce que cet endroit aurait pu nous offrir, si je n’avais pas été enceinte, c’est peut-être ce qu’un autre endroit nous offrira. Si pas, nous nous le construirons, uniquement pour nous. Nous le faisons peu et, par conséquent, c’est difficile de savoir ce que nous ressentons l’un et l’autre. Nous ne nous sommes jamais dit je t’aime, par exemple. Nous nous contentons de vivre chaque jour après l’autre, récoltant de la tendresse auprès de cette personne qui est devenue notre unique repère. Est-ce que je l’aime ? Je crois que oui. Je n’ai pas expérimenté ce sentiment souvent dans mon existence mais je crois que si l’on me posait la question, je répondrais que c’est ce que je ressens pour Amos, ce que j’ai appris à ressentir pour lui à ses côtés. « La mienne me manque aussi même si celle-ci est plus saine. Je ne bois plus. » Il aurait bien du mal, l’alcool est devenu une denrée presque aussi rare que la nourriture. « Je parle plus aussi. Je suis moins malheureux à ton contact. En fait, ce n’est pas ma vie qui me manque, c’est l’époque. » Je comprends ce qu’il veut dire. Je voudrais revenir à celle où j’étais au sommet de la chaîne alimentaire, pas tout en bas, pas à devoir réfléchir comment fuir un complexe qui me voit comme une poule aux œufs d’or pour mes capacités reproductrices. « Tu étais le genre de femme à fuir la solitude. En tout cas, c’est l’impression que tu me donnais. Alors, toi ? Tu aurais aimé en trouver un d’homme avec lequel faire ta vie ? » - « C’est ce que j’étais, oui. » Son analyse de celle que j’étais est bonne. En repensant à elle et à ce qu’elle désirait à l’époque, à ce qu’elle aurait répondu à ce genre de question, je laisse échapper un rire. « Si tu m’avais posé la question à l’époque, je t’aurais ri au nez. » Mais dans ce monde, n’est-ce pas devenu nécessaire, d’avoir quelqu’un ? Est-ce qui nous a rapproché ou bien aurions nous fini par partager une relation particulière, même dans d’autres circonstances ? « Ce n’est pas ce que je cherchais auprès des hommes, non. » Je désirais tromper la solitude, pas y remédier définitivement, je crois.

« Après plusieurs nuits, je te garantis que c'est toi qui n'aurais pas résisté à l’envie de me garder. » J’éclate de rire, et je dépose un baiser sur ses lèvres. « Tu te serais cassé les dents sur moi. Je te le garantis. » J’ignore d’où elle me vient, cette réminiscence d’égo et d’orgueil. Bien sûr, elle est partagée sur le ton de l’humour et du badinage. « Tu n’étais pas ma seule option. J’aurais pu choisir de rester seul, de me tuer aussi. Tu as été une bonne raison de survivre alors je suppose que oui, je serais avec toi. En tout cas, j’aime l’idée. Tu ne crois pas toi ? Je suis là par défaut ? C’est ça que je dois comprendre ? » - « Ce n’est pas ce que je crois. C’est ce que je te demandais, si tu étais avec moi par défaut. » Mais je crois qu’il a répondu. Et il a répondu non, ce qui met du baume à mon cœur, un baume dont j’ignorais avoir besoin. « Parce que moi, j’ai changé à ton contact et j’ai du mal à croire que c’est pas grâce à ce que tu es au fond de toi, ce qui est resté de toi et ce qui restera toujours. Tu me suis ? » - « Je te suis. » Mais une question demeure encore. « Mais je ne sais pas. J’ignore si nous avons changé, où si ce que nous sommes aujourd’hui a toujours été là. » Rien ne nous avait préparé au bouleversement – même ce mot là me semble trop faible – qu’ont connu nos vies. « Ce que je sais, c’est que je suis heureuse que ce soit toi - » Pas quelqu’un d’autre. « - à mes côtés aujourd’hui. » Nous avons besoin l’un de l’autre, à présent.

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@Raelyn Blackwell  & Amos Taylor  - Univers alternatif - 2007, 29 ans

Ils sont importants ces moments de confidences sur l’oreiller. Ces instants simples et sages, ils nous apportent pour bénéfice de rendre cette vie moins pénible. Je les chéris au point de ne jamais les craindre, probablement parce qu’ils sont rares. Ce qui l’est moins, c’est de la garder contre moi quand nous nous apprêtons à trouver le sommeil, c’est d’embrasser son front ou de recueillir un baiser, de partager notre intimité - au contraire, elle ne serait pas enceinte -, de veiller l’un sur l’autre et de nous faire confiance. Sans cela, nous risquerions nous à déshabiller nos coeur ? Et si nous nous vexions, notre équilibre n’en serait-il pas plus fragile ? « Moi, en train de penser à ce que nous aurions pu être aurait provoqué un fou-rire. J’étais bien seul. Je m’étais habituée à l’idée de l’être, ça m’allait très bien.» ai-je admis amusé par la veracité du propos. Tout est sincère dans notre échange et nous ne nous froissons pas étant donné que nous veillons à être authentique. «Je suis beaucoup plus coriace que tu crois, crois-moi. Je sais pas qui ce serait cassé les dents sur qui.» Elle se l’imagine mal puisqu’il est une question sur laquelle je manque parfois d’honnêteté : ce sont les raisons pour lesquelles j’ai approché le Club. Elle n’était pas supposée être dans mes petits papiers. Est-ce bon de le confesser ? Je doute. Alors, je repousse l’aveu à plus tard. Je ne suis pas convaincu qu’il soit nécessaire et bon à dire. Que j’ai choisi d’être avec elle me semble bien plus à propos même si elle réveille l’ombre d’une anxiété que je ne m’explique pas. Nous ne changerons rien. nous resterons ensemble. Pourquoi serais-je perturbé d’apprendre que je suis son choix par défaut ? ça n’a aucun sens, mais ça me travaille au point de soupirer d’aise d’apprendre que je me fais des idées. «Je le suis aussi, tu sais. Je ne réécrirais pas cette histoire-là autrement. Je n’oublierai pas non plus ce que tu as fait pour moi quand ça a été compliqué, avec l’alcool, tout ça.» Dans les faits, je n’avais pas prévu d’arrêter : le sevrage m’a frappé de plein fouet et elle a su nous mettre à l’abri, trouver les mots pour que je reste alerte malgré tout et capable de survivre. «Moi, j’aime l’idée que ça a toujours été là. Sinon, tu… Comment dire.» J’hésite un peu avant de, finalement, me lancer dans l’arène. «Si tu veux une réponse plus claire à ta question, il y avait encore une autre option. Celle où je ne te pardonnais pas d’être une dealeuse de drogue, celle du Club en particulier et je te laissais mourir au Club quand on y est retourné. Tout ça, c’est loin. Je sais pas si ça vaut la peine de s’attarder mais, c’est important que tu saches que je suis pas seulement heureux que ça soit toi, je suis heureux d’être avec toi, autant qu’on puisse l’être en tout cas. Allez, on devrait dormir. La journée sera longue demain. Mais, avant de t’endormir, je veux que tu sois certaine que je te laisserai jamais derrière. Ja-mais.» ai-je conclu par un baiser d’une tendresse engageant de tous mes sentiments.

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Raelyn Blackwell & @Amos Taylor - deux ans après le début de l’épidémie

« Moi, en train de penser à ce que nous aurions pu être aurait provoqué un fou-rire. J’étais bien seul. Je m’étais habituée à l’idée de l’être, ça m’allait très bien. » Et moi, je me mentais à moi-même sur ce que je n’avais besoin de personne, peut-être, je n’en sais rien. Ce que je sais, c’est que sans tout le contexte bien particulier autour de notre histoire, peut-être serait-elle radicalement différente. Peut-être nous serions nous détruit, ou aurions-nous batifolé un temps avant de nous laisser indifférent l’un l’autre. J’aime l’idée de ne pas savoir, je crois. « Je suis beaucoup plus coriace que tu crois, crois-moi. Je sais pas qui ce serait cassé les dents sur qui. » - « Tu l’es peut-être maintenant. » Je m’amuse, caressant son bras et faisant appel à mes trésors de vanité, de suffisance et d’orgueil. « Mais face à la Raelyn de l’époque, oh. » Je plisse les lèvres et laisse échapper un soupir théâtral. « Tu n’aurais pas eu la moindre chance. » Je laisse entendre qu’il m’aurait mangé dans la main mais, la vérité, c’est qu’aujourd’hui nous fonctionnons sur un pied d’égalité. Nous sommes une équipe, et j’ai du mal à croire que nous le serions devenus dans des circonstances moins apocalyptiques.  

« Je le suis aussi, tu sais. Je ne réécrirais pas cette histoire-là autrement. Je n’oublierai pas non plus ce que tu as fait pour moi quand ça a été compliqué, avec l’alcool, tout ça. » - « Je l’ai fait pour nous. » Pour lui, c’est vrai, mais pour notre survie, pour nous assurer un lendemain. « Moi, j’aime l’idée que ça a toujours été là. Sinon, tu… Comment dire. » Je pose ma main sur son torse, et je le faire taire d’un baiser. « Le désir que je ressentais pour toi, je t’ai déjà dit qu’il était… » Je n’ai pas les mots. « Différent. » Il avait pour moi des allures d’obsession, je n’ai pas peur de le dire. « Il y avait quelque chose. » Là où je nage en eaux troubles, c’est sur le en quoi ce quelque chose se serait transformé.

« Si tu veux une réponse plus claire à ta question, il y avait encore une autre option. Celle où je ne te pardonnais pas d’être une dealeuse de drogue, celle du Club en particulier et je te laissais mourir au Club quand on y est retourné. Tout ça, c’est loin. Je sais pas si ça vaut la peine de s’attarder mais, c’est important que tu saches que je suis pas seulement heureux que ça soit toi, je suis heureux d’être avec toi, autant qu’on puisse l’être en tout cas. Allez, on devrait dormir. La journée sera longue demain. Mais, avant de t’endormir, je veux que tu sois certaine que je te laisserai jamais derrière. Ja-mais. » Je l’observe, pensive, m’interrogeant sur le bienfondé de creuser cette déclaration. Il appartenait lui-même au Club, pourquoi l’aurait-il retenu contre moi ? Rien ne fait sens, dans cette déclaration, et je fronce les sourcils. Je finis par trancher pour un plus tard, qui se transformera peut-être en jamais puisque, finalement, pourquoi remuer la merde ? Ceux que nous étions n’existent plus. La vie que nous menions n’existe plus, à quoi bon s’interroger sur le passé au risque de faire ressortir des rancœurs qui n’ont plus lieu d’être ? Alors, avant de m’endormir dans ses bras, je l’embrasse à nouveau et, mes lèvres contre les siennes, je lui souffle. « On a quelque chose de spécial. Pas juste à cause des circonstances. » Et peut-être que dans un autre monde, l’ancien, nous l’aurions partagé aussi, ce quelque chose. Peut-être que, contre toute attente, dans ce dernier, je lui aurais soufflé un je t’aime bien plus tôt.

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@Raelyn Blackwell  & Amos Taylor  - Univers alternatif - 2007, 29 ans

Elle me sous-estime et, si à une époque, j’en aurais été vexé, je m’en amuse assez. « C’est le moment où j’aurais dégainé ma pince pour un pari, crois-moi. Mais, tu sais, ce n’est pas si important dans le fond.» Ni elle ni moi n’avons la possibilité de changer le destin. Il faudra assumer notre réalité jusqu’au bout et, finalement, c’est bien d’apprendre que nous ne sommes pas l’option par défaut de l’autre. Nous ne sommes pas des pis-aller et, moi, ça me plaît. C’est tout ce que j’ai eu envie de savoir quand la question m’a été posée. Sans cela, m’aurait-elle traversé l’esprit ? Je l’ignore. Il n’en reste que c’est agréable à entendre. Je me risque donc à avancer sur un autre terrain. La mettrait-il mal à l’aise ? Est-ce pour cette raison qu’elle me flatte d’un baiser ? C’est un compliment pour mes lèvres, une sucrerie, toujours et je m’y abandonne parce qu’il est aussi doux qu’une friandise au miel. «Il y a toujours eu quelque chose. C’est ça que j’essaie de dire que je tente d’expliquer pas si facilement. ça, meme si ça va mieux, ça n’a pas changer, je suis toujours pas très doué.» Je ris discrètement : je n’aspire pas à attirer les regards vers notre porte. J’ignore ce que fait la communauté. Ce que je sais, en revanche, c’est que cette tranquillité est rassurante. Quelle dommage que nous ne puissions pas rester dans cet endroit où il nest pas interdit de s’embrasser sans avoir l’impression d’avoir volé une seconde de sérénité, où l’on peut se faire l’amour sans hâte et sans craindre d’être surpris dans ce moment de faiblesse, où l’on peut déambuler dans le complexe sans avoir peur d’être dévoré. Arriverons-nous, un jour, à nous débarrasser ce ce qui nous anime - la peur, en général - parce que nous aurons transformé la ferme en havre de paix ? Combien de temps cela nous prendra-t-il ? «Je crois aussi ou en tout cas, j’aime ça. Et j’aime être avec toi.» Ai-je fini par lui répondre, prompt à m’endormir. Le sort nous le refuse. On frappe à la porte à plusieurs reprises et je sursaute. Qui est-ce ? Pourquoi ? Avons-nous été espionnés ? Je n’ose pipé mot. Je me contente de dévisager Raelyn comme si elle détenait des réponses.

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@Raelyn Blackwell  & Amos Taylor  - Univers alternatif - 2007, 29 ans

« C’est le moment où j’aurais dégainé ma pince pour un pari, crois-moi. Mais, tu sais, ce n’est pas si important dans le fond. » J’esquisse un sourire : non, ce n’est pas important. Parce que notre vie est ce qu’elle est et que, si je me surprends parfois à rêver du confort et de la sécurité que nous avions autrefois, rien ne ramènera le monde tel que nous l’avons connu. Je ne regardais aucun programme post apocalyptique, je ne regardais pas la télévision du tout, avant la catastrophe. Pour autant, je sais que lorsqu’une civilisation s’effondre comme la notre s’est effondrée, elle ne se relève pas. Au début, les radios ont continué à émettre, grâce à de braves volontaires qui tentaient d’informer la population. Ce qu’elles ont transmis ne laissait pas de place au doute : le monde entier a été concerné par le déclin de l’humanité. Et s’il existe quelques résistants comme nous le sommes, nous ne sommes plus qu’une poignée. Pour échapper à la lourdeur de ce sujet étouffant, je jette sur le feu une dernière provocation, mes lèvres proches de son oreille, mon ton bas. « C’est une belle façon de ne pas admettre que tu aurais perdu, ça. » Je dépose un baiser contre sa nuque, avant de redéposer ma tête contre son torse.

« Il y a toujours eu quelque chose. C’est ça que j’essaie de dire que je tente d’expliquer pas si facilement. Ça, même si ça va mieux, ça n’a pas changé, je suis toujours pas très doué. » Il confirme ce que j’ai dit avec plus de pudeur, lui qui se prétend moins éloquent. « Je crois aussi ou en tout cas, j’aime ça. Et j’aime être avec toi. » - « J’aime ça aussi. » Et cette nuit, alors que je m’endors dans ses bras, j’espère que ce ne sera pas la dernière fois que nous nous endormons ensemble.

***

Le réveil est désagréable et pour cause : cet endroit, aussi empoisonné soit-il, nous a apporté pendant quelques jours un sentiment de sécurité que nous n’avions plus depuis très longtemps. Deux ans c’est long, plus encore lorsque l’on peine à se souvenir d’à quoi ressemblais le passé, comme si ces temps révolus étaient une douce utopie collective : nous ne connaissons plus que ça, le danger. « Il faut qu’on rejoigne la salle commune. » Il faut que nous prenions notre petit déjeuner, que je me rende à mon rendez-vous médical, que nous agissions tous les deux comme si tout était normal. « On aura pas forcément le temps d’échanger sans être écouté, après ça. Alors, sois prudent. » Pendant mon rendez-vous, il ira faire un tour près des garages et je prie pour qu’il ne soit pas surpris.