dirty old town
@Farley Cafferty ☆ crédit/ssoveia

On ne reviendra pas sur l’idée que bosser à l’Electric Playground, ce n’était pas le plan de base. Mais au moins, si on occultait le fait que la musique craignait, il y avait les paillettes pour donner l’impression à Jo d’évoluer sur une scène dont elle était la souveraine autoproclamée, à se pavaner les fesses moulées dans du sequin, son petit corps se mouvant avec grâce et sensualité, et qui faisait se retourner tout le monde sur son passage. Prétendre que ce n’était pas fait exprès, ce serait faire offense à son ego, et puis de toute façon, elle avait bien autre chose à foutre que de se défendre de vouloir qu’on la regarde. Tout le monde le faisait parce qu’elle avait un magnétisme à couper le souffle, sa tenue, ce n’était que la cerise qui rendait le gâteau appétissant. Primitif, mais qui s’en souciait vraiment ? Personne ne venait s’enfermer dans un night-club pour philosopher sur la vie, il suffisait de voir les petites nanas sages la semaine qui se transformaient en putes prêtes à tout dès qu’elles passaient les portes d’ici. Elle, elle avait au moins le mérite de ne pas faire semblant, et elle faisait ce qu’on lui demandait de faire avec sa touche personnelle, petite étoile filant au milieu des tables et des corps luisant d’avoir trop dansés. Elle faisait son travail en se rengorgeant de la sensation d’être regardée, et ça lui allait, qu’elle se disait en se mentant un peu, ne tenant pas à penser à ce que ça lui coûtait dans le fond de faire ce boulot pour lequel elle ne gagnait pas grand-chose, si ce n’était l’assurance que son charisme, il fonctionnait partout — sur scène, à la télévision, dans les stroboscopes d’un club dans lequel elle faisait le service depuis trop de temps maintenant pour qu’elle s’échine à le compter.

Sa queue de cheval haute tressautait au rythme des pas qu’elle faisait pour servir, desservir et répondre aux sollicitations en tous genre, même celles qui n’avaient rien à foutre là et qui commençaient par tu prends combien ? C’était mal la connaître de s’attendre à ce qu’elle s’offusque, alors la réponse était cinglante et humiliante la plupart du temps parce qu’elle était belle, envoûtante et attractive dans tous les sens du terme, mais elle était aussi une putain d’épine dans le pied quand elle le voulait. Et elle le voulait très souvent, c’était un fait. J’en sais rien, elle prend combien ta mère ? Enchaîner sur les parents, c’était souvent ce qui lui permettait de gagner des points, de récolter des insultes, mais de repartir avec la tête haute. Elle n’était capable que de ça : de fierté, et le sourire qui fendait sa jolie bouche brillante de gloss, il faisait davantage étinceler la lueur de provocation constante qu’elle avait dans le fond des yeux et qui lui permettait de cacher ses regrets et sa tristesse. Elle n’avait pas le temps de s’y attarder, et elle ne le faisait pas, toupillant, râlant, désignant du menton en comptant les minutes avant la fin de son service.

Il arriverait bientôt, une garantie qui la faisait se presser sur ses talons hauts, très hauts. Du moins, qui aurait dû la faire se presser parce qu’il y avait un ralentissement relatif sur la piste là, et que ça la gonfla assez pour que soudain, elle se mette à gueuler au mec devant elle "Sinon, tu comptes planter ta tente ou comment ça se passe ?" Le type en question lui accorda à peine de l’attention, alors elle le poussa pour le faire réagir, et glana un grognement qu’elle prit comme un refus de lui expliquer quoi que ce soit, alors elle se tourna vers une autre source à qui elle chopa le bras pour demander "Il se passe quoi ?" Et le signe du menton que la fille à ses côtés lui donna comme explication, elle la laissa interdite et grimaçante. Le menton rentré, Jo posa les yeux sur la petite colère d'un type qu’elle ne connaissait ni d’Eve ni d’Adam et qui franchement, avait l’air bien con à se comporter comme si on le traquait ; et ça devait être le cas, vu que tous les regards étaient plantés sur lui, mais honnêtement ? Elle avait beau se concentrer, tacher de faire remonter des souvenirs qu’elle n’avait pas, elle ne voyait pas du tout qui il était, et ça lui fit arquer un sourcil. Elle n’avait pas envie de demander de qui il s’agissait pour ne pas passer pour une conne, mais le fait que la foule devenait de plus en plus compacte, ça alerta quelque chose en elle qui la fit se bouger et faire ce qu’elle savait faire de mieux : ordonner "Héhé les débiles, on est pas au marché du coin ici, et y en qui bossent. Virez vos fesses de mes plates-bandes, ou je demande à la sécurité de vous sortir un par un, et je plaisante pas — tu bouges toi, je suis pas ta soeur." Une grosse main s’était dirigée vers elle pour lui tâter l’épaule qu’elle recula soudain, un doigt surplombé d’un stiletto court menaçant de se planter entre ses deux yeux s’il s’aventurait à faire un pas de plus ; ce qu’il ne fit pas, une chance qui permit à Jo de faire un tour sur elle-même et de lancer un regard à tous ceux qui continuaient à camper là. Cette attention exacerbée sur le jeune homme vers qui elle finit par se placer pour le toiser de haut en bas avec, sur le visage, la même expression grimaçante que tout à l’heure, ça lui fit lui demander enfin, et ce sans faire dans la dentelle "T’es qui ?"

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L’un des plus gros défaut des bonhommes dans le genre de celui à qui elle venait de sauver les miches, c’était qu’ils se sentent pousser des ailes quand ils se rappellent qu’ils ont un truc en plus qui pendouille dans leur caleçon. L’autre, il est au milieu de la piste du club comme un demeuré, à hurler qu’on le laisse en paix, et il s’offusque qu’elle vienne lui demander ce qui se passe ? Le sang de Jo, il avait la capacité ahurissante de rentrer en fusion. Elle ne savait pas par quel moyen exactement sa mythologie avait été créée, si la demi-déesse qu’elle prétendait être n’était pas directement sortie du ventre d’un volcan, mais la vérité, c’était qu’il ne lui fallait vraiment pas grand-chose pour dégueuler son magma sur le premier qui passe et pas pour l’esbroufe — mais bel et bien pour tout détruire sur son passage. Elle retint sa respiration dans sa poitrine, son décolleté pailleté remuant sous la force de sa dernière inspiration qu’elle finit par relâcher par le nez, un souffle chaud s’y échappant, les yeux résolument fichés dans celui de son interlocuteur qui ne l’impressionnait pas, pas même un peu. Etant donné le bazar qu’il mettait sans en avoir l’air, il pouvait moyen se permette de faire le malin en s’adressant à elle comme à la dernière des godiches.

Et peut-être que se bouger de là serait une bonne idée pour permettre à la foule de se dissiper ? Elle n’avait pas son diplôme de centre-aéré Jo, seulement elle savait comment les foules fonctionnaient : et ce n’était surement pas en se regardant en chiens de faïence que l’autre se sentirait plus en sécurité, qu’importe qui il était. Dans le fond, elle s’en foutait pas mal, son propre spectre en la matière se situant par ordre d’importance qui lui était propre et qui ne comptaient pas les petites idoles nouvelles générations, qui naissaient sur les réseaux pour disparaître dans le caniveau, mais s’il avait un tant soi peu d’importance pour que les badauds le traque avec des yeux ébahis, c’était qu'il devait être un minimum au courant que sortir sans sécurité, dans un endroit bondé, c’était faire preuve d’inconscience. De ça aussi elle s’en foutait à dire vrai, ce dont elle se foutait un peu moins en revanche, c’était sa condescende qu’elle ne mettrait pas longtemps à lui enfoncer par le premier orifice qu’elle atteindrait s’il continuait à la chauffer.

Sa tête se décala d’un cran, son menton rentra un instant dans sa poitrine pour le toiser sans donner l’impression qu’elle était désolée d’être aussi impolie, et ses longs cils se mirent à battre quand, reprenant ses esprits, elle s’élança "Alors déjà, tu ravales ton miss et tu redescends d’un étage." Sa main surplombée d’une manucure menaçante tant elle était acérée se dressa dans l’espace qui le séparait pour qu’elle puisse marquer son point "Y en a qu’un qui fout le bordel ici, et c’est personne d’autre que toi." Autre défaut des bonhommes dans son genre, l’idée que parler aux femmes autrement qu’en utilisant le même ton qu’on employait pour s’adresser aux petites-filles, ça semblait être leur seule alternative pour se faire comprendre : surement qu’ils pensaient qu’elles étaient idiotes, quand c’était eux eux qui n’étaient que des bouffons, mais passons sur le féminisme à trois balles, ce n’était pas le genre de la maison. Alors d’accord, même avec sa hauteur de talons, Jo n’était pas bien grande, mais elle était persuadée d’avoir dépassée le stade où on la prenait pour une gosse de 6 ans. Graduellement, l’un de ses sourcils s’arqua, sa voix s’éleva pour que, là encore, elle puisse mieux marquer son point et lui faire entendre qu’elle n’avait pas la patience de gérer le caprice d’une pseudo-célébrité "Maintenant, si monsieur veut bien balayer la piste pour que tout reprenne son cours et que je sois pas obligée d’appeler officiellement la sécurité, ça sauverait la soirée de tout le monde. Non, hey relance pas la machine toi, va voir ailleurs." lança-t-elle au type qui s’inséra brusquement entre elle et celui à qui elle avait sauvé la mise sans qu’il ne daigne la remercier. Tenant l’intrus par le tissu de sa chemise, au niveau du coude, elle le fit se décaler pour qu’il obtempère sans lui laisser le choix.

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La patience de Jo, elle était tellement limitée qu’elle n’existait pas en réalité, surtout à cette époque-là. Elle travaillait dans un endroit pareil par simple besoin de subsister, pas parce que ça la faisait kiffer de se coltiner les poltrons du samedi en guise de distraction. C’était distrayant à certaines occasions, c’était vrai. Autrement, ce n’était qu’une corvée qu’elle était obligée de subir parce que jusqu’à preuve du contraire, la vie n’était pas gratuite, et que ce n’était pas les pauvres revenus de son EP qui lui permettraient de se la couler douce auprès de sa grand-mère. Pour autant, et malgré ce que tentait de lui enfoncer Mac de force dans la tête, elle n’était pas forcée de se montrer sympathique avec la clientèle, surtout pas avec ceux qui se pensaient supérieurs aux autres. C’était elle qui était supérieure, elle n’en démordrait pas sous le prétexte qu’elle gagnait le minimum, et qu’elle avait raccroché la panoplie de popstar depuis un bout de temps maintenant. Elle continuait de briller, elle continuait d’imposer son charisme à qui se sentait assez gaillard pour l’approcher, et pour l’heure, elle s’en sortait admirablement bien malgré son amertume, et ses putains de souvenirs qu’elle couvait comme un oeuf fragile prêt à éclore. Impressionnée par rien et personne, elle n’avait pas peur de ceux qui se rebiffaient contre ses attaques — parfois justifiées, souvent pas du tout — elle avait supporté bien pire, et l’autre qui se prenait pour Shakespeare, à lui répondre comme s’il était le personnage principal de son propre film en pensant qu’elle en avait quelque chose à foutre de sa vie, encore moins que les autres. Elle râla à cause de l’humidité de son top après qu’un verre lui fut renversée dessus, mais elle resta droite sur ses chaussures à talons, s’appliquant à faire déguerpir celui qui pensait certainement qu’elle allait s’étaler comme une crêpe devant sa répartie sortie d’une telenovela qu’elle ne regarderait même pas, n’ayant pas le temps pour ça. Elle laissa un léger rire lui échapper, retenant l’intervention d'un tiers qui, alcoolisé, semblait vouloir approcher le type qui réagit enfin comme un bonhomme digne de ce nom, et pas comme le premier rôle d’un navet grand public.

Et la manque de patience notoire de Jo, il décida de se manifester juste là, maintenant, quand l’effet domino autour d’elle se produit, et que l'autre qui prétendait ne pas être la source des problèmes fit se renverser la vapeur et provoquer un remue-ménage qui la força à le choper par l’arrière du crâne sans aucune hésitation, lui basculant la tête en arrière pour l’empêcher de faire quoi que ce soit d’autre. Une poignée de cheveux maintenue fermement entre ses doigts, elle n’attendit pas plus longtemps, et elle le traîna avec elle hors de la piste. Calvin, l’agent de sécurité du club, était pourtant réactif d’ordinaire, mais il devait être fourré dans un coin avec une cliente pour ne pas être encore intervenu ; pas besoin, Jo avait la poigne nécessaire pour le faire, la rage de ses dernières années servant son entreprise qu’elle garda en ligne de mire pendant qu’elle traînait le type par les cheveux, bien déterminée à le faire dégager de là, et pour de bon "Je sais pas pour qui tu te prends, mais t’as intérêt de te barrer d’ici." qu’elle le menaça en lui criant dessus une fois qu’elle le lâcha sans aucune délicatesse, le poussant un peu plus loin. Restée à distance de la piste, elle lui montra la direction de la sortie sans s’inquiéter des murmures autour qui pépiaient au sujet de son identité ; elle s’en foutait de la notoriété de ceux qu’elle avait devant elle, les types qui soulevaient les foules, les types qui faisaient gémir les gamines rien qu’en respirant dans un micro, elle en avait sa claque. Il pouvait tout aussi bien être le prochain DiCaprio qu’elle s’en cognerait royalement Jo, elle avait assez donné en matière de nouvelle idole. Le sourcil arqué, elle lui répéta un peu plus fort, tenant à bien se faire entendre par-dessus la musique "Une dernière fois : tu t’en vas, ou à défaut de la sécurité, c’est la police que j’appellerais." Et il pourrait chialer devant les agents que c’était lui la pauvre victime. Ouin, tellement dur d’être un homme "Ça se fait peut-être dans ton monde de te croire assez bien pour provoquer ce genre de scène, mais c’est charmant que dans les séries télés. T’as vu ce que t’as fait ?" lui demanda-t-elle sans qu’elle ne s’attende à ce qu’il lui réponde. Baissant la tête sur son top humide, elle le replaça sur ses hanches en soufflant fort, avant d’ajouter, le voyant camper sur ses positions, et sentant de plus en plus son sang s’épaissir dans ses veines "Qu’est-ce que tu vas faire ? Me dire de fermer ma gueule à moi aussi ? T’as pas mieux ?" Surtout après qu’elle se soit montrée suffisamment motivée pour le choper par les cheveux, et le dégager de la piste. Il était encore capable de la sous-estimer, ou il allait officiellement redescendre de sa tour pour se rendre compte que c’était lui qui dérangeait, et pas les autres ?

rp terminé.