You came in like a wrecking ball ➶ Robin & Jameson

YOU CAME IN LIKE A WRECKING BALL
Robin & Jameson

Après un début de journée un peu lent, la concentration avait finalement retrouvé son chemin jusqu’à mon cerveau, et mon après-midi avait été fort productif. Résultat, j’avais bouclé mes dossiers les plus importants à 18h. D’ordinaire, j’aurais profité de cette avance pour m’attaquer à un dernier cas avant de quitter les lieux, mais ce soir, j’avais d’autres plans : Robin m’invitait au restaurant. Un sourire ravi sur les lèvres, j’ai rassemblé mes affaires et glissé mon sac sur mon épaule droite. Cela faisait presque deux semaines que je lui avais laissé mon numéro de téléphone, et je ne m’attendais plus à avoir de nouvelles. Puis ma petite artiste avait refait surface dans l’après-midi, me téléphonant pour se confondre en excuses suite à son comportement. J’ai mis un moment avant de comprendre qu’elle s’en voulait de s’être moquée de mes collègues. Malgré mes tentatives pour lui expliquer que ça n’avait aucune importance, elle ne m’a pas laissé en caser une et m’a suppliée de lui laisser une chance de se racheter en m’invitant dans un petit restaurant qu’elle connaissait bien. Soit. Sa proposition me séduisait bien plus que mon éternel plateau repas de chez WholeFoods à grignoter sur mon canapé. Et puis j’étais absolument ravie à l’idée de revoir cette petite tornade de fraîcheur si excentrique à mes yeux. J’ai secoué la tête, amusée, et verrouillé la porte de mon bureau.

- Tiens, tiens ! Et bien alors Jaim’s, tu pars en clientèle où t’as posé ton après-midi ? Haha. Ha.

Tiens, je ne l’attendais pas celle-là… Thompson. Qui d’autre ? Une main dans la poche de son pantalon et l’autre autour d’une tasse à café en plastique jetable – probablement sa sixième - il m’observait, tous sourires.

- Je suis attendue au restaurant, répondis-je d’un ton légèrement expéditif. Et avant que tu me le demandes : non, ce n’est ni un client, ni un prospect.
- Vraiment ? Notre Jameson aurait-elle donc un rendez-vous galant ?!

Les yeux de mon associé s’arrondirent, conférant à son visage une expression de surprise amusée que je trouvai passablement insultante. Serait-ce donc si inconcevable ? Je n’avais aucune envie d’entrer dans les détails de ma vie privée avec lui, et j’étais bien trop agacée pour trouver une remarque fine qui lui rabattrait son clapet. Je me suis donc contentée de le fusiller du sourcil et de lui souhaiter une bonne soirée avant de tourner les talons. A cette heure-ci, la circulation était plutôt fluide, et j’ai pu garer ma Tesla à une centaine de mètres du restaurant « The Green Edge » où nous avions rendez-vous. J’ai remonté la rue jusqu’à une vitrine verte et blanche qui ne payait pas de mine, mais un « oh » agréablement surpris s’échappa de mes lèvres lorsque je réalisai qu’il s’agissait d’un restaurant végétarien. Se pourrait-il que ma petite artiste en herbe soit aussi une bouffeuse de salade invétérée ? Cette possibilité me rendait anormalement guillerette. J’ai poussé la porte du restaurant et parcouru la pièce du regard, à la recherche de mon charmant rencart. J’étais un peu en avance, et toute évidence, Robin n’était pas encore arrivée. Qu’à cela ne tienne, j’ai laissé un serveur m’installer à une petite table ronde près de la vitrine, et j’ai commandé leur « jus détox du jour » - ça ne pouvait pas me faire de mal. L’ambiance du restaurant était très originale, avec des décorations spirituelles et des livres un peu partout. Les gens portaient des tenues décontractées et leurs visages détendus n’avaient rien à voir avec ceux que je croisais tous les jours à la tour. Avec mes fringues de travail, je dénotais sévère, et je commençais à regretter de ne pas avoir eu le temps de me changer après le boulot. J’ai donc décidé de me convaincre que mon pantalon vinyle de designer et ma blouse blanche effet soie pouvaient faire un peu rock ‘n roll et que je n’avais donc pas l’air aussi « tirée à quatre épingles » que je le pensais. J’ai détaché mes cheveux et les ai laissé couler sur mes épaules, comme pour attester de ma bonne volonté. Le serveur est revenu avec ma boisson et le menu, que j’ai commencé à feuilleter en attendant Robin. C’était un début de soirée agréable. Et excitant aussi. Parce que pour la première fois depuis des années, je sortais avec quelqu’un qui n’avait absolument rien à voir avec mon boulot.

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Jameson & Robin
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A

ssise au milieu de mon atelier, j’observais dubitativement la petite statuette en plâtre qui me faisait face quelques mètres plus loin. Je repensais à ma rencontre avec Jameson quelques semaines plus tôt, devant ma Lustisia qui lui avait tant plu. Je me souvenais de nos échanges et de nos rigolades ainsi que de ma gaffe magistrale lorsque j’avais intentionnellement insulté les tartuffes d’avocats, avant d’apprendre qu’elle faisait partie du lot. Mortifiée, je m’étais juré que je trouverais une solution pour réparer mon erreur et me faire pardonner. C’est ainsi que je m’étais mis au travail, besognant à reproduire ma Lustisia, élément déclencheur de notre amitié, mais en version toute petite cette fois, afin de pouvoir la lui offrir. J’ai incliné la tête sur le côté pour l’observer plus scrupuleusement. J’aimais tout particulièrement son aspect luisant et polis mais rêche et vieillis à la fois. J’ai décidé qu’elle me plaisait beaucoup et, un large sourire satisfait sur mon visage, je me suis levée avec l’idée en tête de mon préparer tranquillement avant de sortir. Par acquis de conscience j’ai jeté un coup d’œil à ma montre : 18h. Crotte, j’étais en retard ! J’ai soigneusement enroulée ma statuette dans un petit paquet cadeau protecteur puis je l’ai glissé délicatement dans mon sac. Ensuite j’ai hâtivement retiré mes vêtements tachés de plâtre et enfilée une petite robe vintage que j’aimais beaucoup à la place. J’ai jeté un coup d’œil à ma réflexion, j'ai essayé de maitriser mes boucles folles l’espèce d’une seconde puis j’ai laissé tomber et j’ai enfourché mon vélo afin de partir à toute allure direction « The Green Edge ». C’était mon restaurant préféré. Toujours très convivial et entièrement végétal. J’avais demandé à Jameson de m’y rejoindre pour un rendez-vous en tête à têtes (Elle, moi et Lustisia), même si vraisemblablement étant donné l’heure avancée, c’est moi qui allais l’y rejoindre. Mais je ne m'en formalisai pas outre mesure. J'étais bien trop enthousiaste à l'idée de la revoir, passer la soirée avec elle puis lui offrir mon cadeau.

Une fois arrivée à proximité du restaurant, je suis descendu de mon vélo avant même de l’arrêter, je l’ai ‘garé’ dans un petit parking adéquat puis j’ai couru vers le restaurant. En court de route, mon regard s’est arrêté sur Jameson qui était assise près de la fenêtre et je me suis stoppée un instant pour lui faire un grand signe de la main avant de réaliser que j’aurais davantage l’occasion de le faire une fois à l’intérieur. Je m’y hâtais donc. J’ai rapidement expliqué au serveur que j’étais attendu puis je me suis engouffrée dans la salle principale et j’ai foncé sur Jameson pour la serrer fortement dans mes bras avant de me laisser tomber sur le siège devant elle avec un long soupir.

- Salut ! Je suis super contente de te voir ! J’espère que je ne suis pas trop en retard, j’ai fait aussi vite que j’ai pu. Je n’avais pas vu l’heure défilée. J’ai ponctué ma phrase débitée à toute allure par un petit rire nerveux puis j’ai sorti le paquet de mon sac et je lui ai mis sous le nez. C’est pour toi.

Voilà. C’était dit. Soulagée et enthousiaste, j’ai observé curieusement mon amie, attendant non sans impatience et nervosité qu’elle découvre enfin mon présent.

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J’arrivais sur la fin de mon jus de fruit détox lorsque je vis un petit renard bouclé passer devant la vitrine du restaurant comme un boulet de canon. L’animal sauvage s’arrêta soudainement, museau en l’air, et me fit un immense sourire, agitant sa main pour me saluer. Robin. Exactement conforme au souvenir que j’avais d’elle : excentrique, étonnante et pleine de vie. J’ai senti un sourire étirer mes lèvres et j’ai froncé les sourcils de surprise, la saluant à mon tour. Ça dû la satisfaire, parce qu’après ça elle a repris sa course pour débouler dans le restaurant, tout droit vers moi. Je me suis levée de table pour l’accueillir et j’ai tendu ma main, mais elle m’ignora royalement, fonçant plutôt dans mes bras. J’ai écarquillé les yeux, surprise à la fois par l’intimité et la force de cette étreinte. Je n’étais pas habituée à ce genre d’épanchements, alors je suis restée un moment les bras le long du corps avant de réaliser que je devrais peut être les enrouler autour d’elle. J’eus vaguement le temps de lui tapoter l’épaule droite qu’elle s’écartait déjà de moi, ses boucles au parfum de fraise caressant ma joue au passage. Je n’avais jamais senti cette odeur dans les cheveux d’une adulte. Ça me plaisait. Elle me plaisait. Je me suis rassise sur ma chaise et je l’ai observée avec un sourire. En fait, elle me faisait un peu penser à un hobbit - et donc à mon Irlande natale. C’était peut-être dû à sa superbe tignasse justement, qui était attachée la dernière fois. Ou alors à ses yeux brillants et à son agitation tandis qu’une mitraille de mots s’échappait de ses lèvres roses.

- Je suis ravie de te voir aussi, j’ai répondu quand elle m’en a laissé l’occasion. Et ne t’en fais pas pour le retard, ça m’a donné le temps de découvrir la carte…

J’allais d’ailleurs ajouter que ce restaurant avait l’air très prometteur, mais Robin dégaina avant moi, me coupant net. Le visage radieux, elle venait de sortir un paquet enrobé de papier de soie de son sac et le déposa délicatement devant moi. Etonnée, j’ai levé un regard interrogatif vers elle.

- Pour... moi ?, j’ai répété bêtement, comme s’il pouvait s’agir d’un malentendu.

Je crois qu'en fait ma véritable question était "pourquoi ?", mais j'étais trop perturbée pour penser à me corriger. Comme elle hochait frénétiquement la tête, son petit nez toujours pointé vers le ciel, j’ai baissé les yeux vers le paquet et dénoué la ficelle qui maintenait l’emballage. J’ai écarté délicatement le papier de soie et mon cœur fit un bon dans ma poitrine lorsque je découvris ce qu’il renfermait. « Oh ! » – j’étais décidément abonnée à cette onomatopée. J’ai à nouveau levé les yeux vers Robin, mes prunelles faisant l’aller-retour entre elle et son cadeau - comme pour m’assurer qu’il ne s’agissait pas d’une erreur.

- C’est… ?

C’était bien ça. Lustitia. Ma Lustitia. Pas aussi immense et majestueuse que l’œuvre qui m’avait tant touchée à la galerie, mais son modèle réduit. Un travail de détail et d’une finesse absolument incroyable. Je voulais la remercier, lui dire que c’était superbe, et aussi qu’elle n’aurait pas dû, mais les mots se sont emmêlés dans ma gorge et je suis restée sans voix. Un état plutôt rare, chez moi. Je ne savais pas vraiment ce que j’avais fait pour mériter une telle attention – et j’étais quasiment sûre que je ne la méritais pas. Du bout des doigts, j’ai caressé le drapé polis de sa toge, la balance brisée dans sa main, le drapeau ébréché sur son visage. Je n’osais même pas imaginer le nombre d’heures qu’elle avait passées sur cette statuette. Je compris brusquement pourquoi elle avait mis tant de temps avant de reprendre contact avec moi.

- C’est… c’est magnifique Robin, j’ai finalement réussit à articuler. Rien n’aurait pu me faire plus plaisir.

Et c’était vrai. Ma petite artiste avait confectionné une pièce unique, sur mesure, qui représentait à la fois ma passion pour la justice, une pointe de nostalgie musicale et ma haine du système ; le tout en symbolisant notre rencontre. En trente-six ans d’existence, je crois que je n’avais jamais eu un cadeau aussi personnel. Et il me venait d’une personne que j’avais rencontrée deux semaines plus tôt, et à qui j’avais parlé moins de vingt minutes. Cette perspective m’effraya. J’ai ravalé mon émotion et secoué la tête. Je crois que j’ai aussi laissé échapper un petit rire nerveux avant de me reprendre.

- Merci, j’ai conclu d’une voix plus posée. Merci énormément !

J'ai contourné la table, en faisant attention à ne pas donner un coup dans ma Lustitia, et je l'ai serrée dans mes bras - une vraie accolade cette fois-ci, rien à voir avec le hug merdique que je lui avais fait à son arrivée. Je me sentais mesquine, de n'avoir rien apporté pour elle. Ce n'était pas ce que les conventions voulaient. Ces conventions que je détestais mais sans lesquelles j'avais apparemment du mal à interagir. Robin, elle, semblait s'en battre la rétine, et les bousculaient joyeusement. Je crois que dans le fond, j'admirais ça chez elle.

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J

’ai attrapé quelques cacahuètes qui se trouvaient sur la table et je les ai jetés dans mon bec ouvert, observant non sans excitation mon amie déballer son cadeau. Quand elle l’a découvert j’ai retenu mon souffle, aux aguets. Elle avait l’air sonnée, puis elle a annoncé que rien n’aurait pu lui faire plus plaisir et j’ai senti un sourire triomphant creuser des fossettes dans mes joues. Elle était radieuse et semblait émue. Ce qui m’a émue. Je me suis empressée de me redresser pour lui rendre son étreinte, plongeant mon nez dans ses cheveux. J’aimais beaucoup son odeur. Douce, naturelle et épicée à la fois. Exactement comme je me représentais Jameson. Et j’avais hâte de découvrir pourquoi. J’étais presque déçue lorsqu’elle s’est écartée alors que je sniffais méticuleusement sa crinière soyeuse.

- J’aime beaucoup l’odeur de ton shampoing. Et je suis super contente que ma mini Lustisia te plaise. Je me suis laissé retombée sur ma chaise en me passant les mains sur le visage avec un sourire confus. Encore désolée d’avoir insultés tes collègues. J’ai tendance à trop l’ouvrir... tu apprendras vite que je suis maitre dans le domaine des situations embarrassantes.

J’ai laissé échapper un petit rire semi résolu semi amusé. J’avais tendance à approcher toute situation avec une langue candide et un cœur ouvert. Ce qui me mettait régulièrement dans l’embarras. J’avais pas vraiment tous ces « filtres intelligents » dont parlaient certaines personnes, j’étais pas sûr de les comprendre et j’étais pas sûr d’en avoir quelque chose à faire non plus. Exceptions faites des moments où mes gaffes devenaient involontairement blessantes. J’étais ravie d’avoir pu me rattraper sur ce coup là. J’ai poussé un soupir de soulagement en regardant mon amie quelques instants puis j’ai attrapé la carte. C’est alors que mon ventre s’est mis à gargouiller.

- Je meurs de faim ! Je sais même plus à quand remonte mon dernier plat. J’ai rigolé.

Quand je m’enfermais dans mon atelier pour créer, j’avais tendance à perdre la notion du temps. Me reconnecter au monde externe demandait un temps d’adaptation. Et ma faim m’a frappé alors que mon regard parcourrait le menu. Ordinairement j’aimais bien choisir un plat différent à chaque fois que je me rendais dans mon restaurant préféré, passant quelques temps à choisir celui qui me tentait le plus… mais aujourd’hui j’avais trop faim pour m’en préoccuper, tout me conviendrait. J’ai fermé les yeux et j’ai pointé un plat au hasard.

- Curry de pois chiches et courge butternut, j’ai lu à voix haute. Parfait ! J’ai repris une bouchée de cacahuètes que j’ai mâchonné en relevant les yeux vers Jameson avec un sourire bienveillant. C’est mon restaurant préféré. J’ai annoncé fièrement, couvant mon amie du regard.

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Robin me surprit encore lorsqu’elle commenta mon shampoing alors que je me rasseyais. J’ai faillis lui dire qu’il me venait d’une jeune femme de mon quartier qui concoctais amoureusement des produits de beauté éthiques dans son atelier, mais je me suis retenue au dernier moment : je savais quoi lui offrir la prochaine fois que je la verrai. Œil pour œil, dent pour dent. Un sourire assouvi s'est dessiné sur mes lèvres : je me sentais déjà moins minable. Mon petit renard frisé s’excusa une nouvelle fois et j’agitai la main devant moi pour balayer son embarras.

- Ne t’en fais pas, vraiment. J’ai hésité une seconde puis j’ai lâché dans un rire : pour être honnête je ne les aurai pas mieux décris moi-même.

J’avais conscience de m’insulter un peu au passage mais cela m’importait guère. J’avais toujours effectué une scission entre Maître Jameson Winters et Jaimie dans ma tête. Prendre de la distance par rapport à la personne que je devais être dans mon travail me permettait de mieux dormir la nuit, et d’avoir le recul nécessaire avec les cas que je traitais. J’avais toujours pensé que c’était un truc inévitable que les tous adultes faisaient, mais en voyant Robin, je commençais à avoir quelques doutes. Elle m’avoua d’ailleurs être la reine dans le domaine des situations embarrassantes et j’ai secoué la tête avec un sourire. J’étais certaine qu’elle exagérait. Elle ne pouvait pas être si terrible. Au même moment, le ventre de Robin s’est mis à gargouiller, lui rappelant sa faim et éveillant la mienne. Je trouvais étonnant qu’elle ne se souvienne plus de son dernier plat. Le mien était encore tristement frais dans ma mémoire : une salade d’algues trop salée et quelques crudités un peu fades de chez WholeFoods. Attends… Venait-elle vraiment de choisir son plat au hasard ? Je l’observais, un sourire aux lèvres, alors qu’elle me confiait joyeusement qu’il s’agissait de son restaurant préféré. Cette femme était une énigme pour moi. Une fascinante petite énigme.

- Alors je suis contente que tu m’aies amenée ! J’ai répondu en ouvrant la carte à mon tour. Je vais rarement dans ce quartier et c’est la première fois que je mets les pieds ici. J’écarquillai les yeux alors que mon regard défilait sur la quantité de mets proposés. Ces plats ont tous l’air absolument délicieux !

Au moment où je faisais cette remarque, un serveur souriant est venu se planter à nos côtés. Après nous avoir souhaité une excellente soirée et avoir commenté ma Lustitia avec enthousiasme, il s’est empressé de sortir son calepin pour noter notre commande. Évidemment, c’est moi vers moi qu’il s’est tourné en premier, un sourire figé sur son visage contemplatif alors qu’il me dévisageait fixement. Merde. Je n’étais pas prête du tout. J’ai faillis lui demander de repasser plus tard, comme je le faisais d’ordinaire, mais du coin de l’œil, j’ai capté la bouille expectative et souriante de mon renardeau de feu qui hochait le museau comme pour m’encourager. D’accord, vous voulez la jouer hard, alors on va la jouer hard. J’ai pris une inspiration et fermé les yeux puis pointé à mon tour un plat au hasard sur la carte. J’ai senti une vague de soulagement déferler sur moi quand j’ai noté le petit « v » vert dans la marge qui indiquait ma sélection comme étant végane. L’idée que je puisse avoir une deuxième chance si elle était végétarienne ne m’a pas traversé l’esprit : ce n’étaient pas les règles.

- Je vais prendre l’acai bowl d’automne, j’ai soupiré avec un sourire satisfait.

Je n’étais pas peu fière de moi. Sans vraiment m’en rendre compte, je me suis redressée bien droite sur ma chaise, couvant Robin du regard alors qu’elle commandait à son tour. Quand il est parti, je me suis penchée vers elle avec un sourire taquin.

- Comme c’est excitant ! Je n’avais jamais commandé au hasard avant !, j’ai gazouillé sur le ton de la confidence. Puis je me suis redressée, et j’ai ajouté plus sérieusement : tu es végétarienne ou tu aimes simplement la cuisine végétale ?

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U

n serveur est arrivé pour prendre notre commande et j’ai vu Jameson fermer les yeux pour choisir son plat au hasard. Je trouvais ça cool qu’elle rentre dans le jeu, elle aussi. Exactement comme elle l’avait fait lors de notre première rencontre avec Eddie. Je ne sentais que des ondes positives émaner d’elle et j’étais très excitée à l’idée de découvrir à quel point nous allions devenir amies. J’ai commandé à mon tour puis, une fois le serveur parti, elle s’est penchée vers moi avec un air mutin sur le visage. Me penchant à mon tour par-dessus la table, j’ai été pour le moins surprise de l’entendre me confier n’avoir jamais commandé au hasard avant, comme s’il s’agissait d’un secret. J’ai laissé échapper un rire aussi amusé qu’attendri. Elle était résolument adorable. Ensuite elle m’a posé une question et je me suis empressée de répondre avant un grand sourire :

- Végétarienne ! Depuis mes 11 ans, j’ai précisé, pas peu fière. Ça a pas toujours évident, le directeur de l’orphelinat ayant d’abord refusé comme un vieux scélérat de faire livrer des plats végétariens dans les cantines. Il disait que ça me passerait, le con. J’ai secoué la tête en fronçant les sourcils. Ah ! C’était bien mal me connaitre. J’étais déjà une tête de mule à l’époque et j’étais bien trop fière de m’engager pour une cause aussi importante : j’ai jamais lâché l'affaire ! Au début je mangeais juste des cookies que je chipais dans les bureaux des éducateurs, puis après un moment j’en ai eu marre et j’ai fait une grève de la faim pour réclamer les plateaux végétariens. J’ai réussi à motiver mon frère et plusieurs de mes camarades à m’imiter et au final on a eu gain de cause.

J’ai rigolé en me frottant le nez. J’étais contente de moi et de la gamine bornée que j’étais. Cette gamine qui se battait déjà pour faire un monde meilleur et pour sauver les opprimés des méchants et des mécréants avec ses petits poings ou sa grande gueule. J’avais souvent été considéré comme capricieuse, arrogante, agressive, bizarre et chiante, mais je n'avais que faire des plaintes et railleries: j’avais une mission, que diable !

Notre serveur est revenu avec mon jus de carotte et je me suis frottée les mains avec enthousiasme en le remerciant. Lorsqu’il eut le dos tourné je l’ai englouti d'une traite avant de reposer lentement mon verre en relevant les yeux vers Jameson.

- J'adore les carottes. Je me suis sentie obligée d’expliquer. J'aide pas à casser le cliché selon lequel les végétariens mangent de la bouffe de lapin en ce sens. Ça m'a même valu quelques surnoms tout ça! J'ai rigolé en y repensant puis j'ai secoué la tête, reposant mon attention sur mon amie. Et toi alors ? J'ai demandé une fois cette parenthèse refermée, comme si elle avait suivi le résonnement qui s'était déroulé dans mon esprit.

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J’ai senti un sourire élargir mes lèvres alors que j’écoutais ma petite artiste conter la trépidante aventure de son végétarisme. J’étais impressionnée qu’elle se soit éveillée aussi jeune à de tels enjeux, mais pas si étonnée. Adulte, Robin me semblait être une personne entière et haute en couleurs, alors je n’imaginais que trop bien le mini renardeau passionné qu’elle avait pu être. Mais était-il possible que ce petit feu follet ait été fait prisonnier d’un… orphelinat ? J’eus un pincement au cœur en l’imaginant dans ce lieu austère où les gosses oubliés attendaient la majorité ou l’émancipation. Au moins elle était avec son frère. Mais quand bien même, j’avais traité quelques dossiers de ce type au tout début de ma carrière et ces gamins brisés issus de familles déchirées m’avaient profondément marqués. A tel point que j’avais sérieusement pensé à adopter, avant de me séparer du type avec qui j’étais. Le récit de Robin n’en était que plus touchant, je trouvais. J’hochais la tête en l’écoutant, l’œil presque luisant. Je l’imaginais dans une cantine grise, haute comme trois pommes, motivant son frère et ses copains à tenir tête au vieux con (j’étais sûre qu’il l’était, pour refuser un repas végétarien à une gamine idéaliste) qui servait de directeur. Quand elle m’a dit avoir eu gain de cause, j’ai faillis applaudir, tellement j’étais captivée par ses paroles. Mais je parvins à me contenir et optai pour un large sourire encourageant en la couvant du regard.

- Je crois que c’est la meilleure transition au végétarisme que j’ai jamais entendue !

J’en revenais pas de son courage, en fait. Elle devait avoir un sacré caractère pour être parvenue à convaincre les autres gamins de l’imiter et changer l’avis de ses éducateurs. Je l’ai regardée engloutir son jus de carotte d’une traite et m’expliquer sa passion pour ce légume et j’ai laissé échapper un petit rire amusé. Elle était si fraiche et pétillante. J’étais heureuse que son enfance – que j’imaginais assez sombre, du coup – n’ait pas réussir à lui arracher son souffle de vie. De fait, son énergie me gagnait, effaçant les traces laissées par les êtres sans saveurs qui avaient erré dans mon bureau toute la journée, alors j’ai tenté une blague :

- Fais attention, il paraît que les carottes souffrent.

Puis je me suis souvenue que Robin ignorait que j’étais végétalienne et que je venais immanquablement de récolter un point carniste. Merde. J’aimais pas vraiment l’idée qu’elle puisse m’associer à ces crétins pour qui j’éprouvais une éminente dose de méprise saupoudrée d’une haine tenace.

- Je suis végétalienne !

Me suis-je donc justifiée un peu rapidement quand elle me posa la question. Visiblement j’avais aussi mis un peu trop d’entrain dans ma voix parce que les deux personnes de la table d’à côté se tournèrent vers nous, un sourire mi bienveillant, mi indulgent sur leurs visages. Je me suis excusée d’un signe de la main et me suis retournée vers Robin avec un petit rire contrit, avant de reprendre d’une voix plus posée.

- Mais mon aventure est moins passionnante que la tienne. Quand j'avais 15 ans, j'ai fait un « stage » avec mon père, qui dirigeait une grosse exploitation Canadienne à l’époque. Il était toujours dans les montagnes et je trouvais que c’était un métier de rêve. Sauf qu'en fait, son job consistait à détruire les forêts pour vendre leur bois et capturer les animaux qui y vivaient pour en faire des manteaux.

J’ai secoué la tête, sourcils froncés. Je ne racontais pas souvent cette histoire, parce que des années après, j’avais toujours l’impression que mon géniteur m’avait planté un pieu dans le cœur ce jour-là. Mais je préférais crever que de l’admettre – même à ma psy.

- Quand je lui ai dit que je trouvais ça dégueulasse et injuste, il m’a répondu que je bouffais bien du steak et a pointé mes chaussures en cuir. Là, j’ai eu un déclic. J’ai marqué une petite pause et j’ai ajouté avec un sourire penaud : et comme l'ado rebelle que j'étais, je détestais qu’on pointe mes incohérences, aussi. J’ai plus touché à la viande, ni ce soir ni les suivants, et j’ai jeté mes bottines. Après ça j’ai commencé à lire des bouquins sur le véganisme et l’antispécisme qui n’ont fait que confirmer cette décision prise sur un coup de tête. J’ai soupiré et haussé les épaules avec un sourire. Et me voilà !

C’est le moment que choisit notre serveur pour apporter nos plats. Je l’ai remercié d’un signe de tête j’ai senti mon ventre gargouiller alors que mes yeux se régalaient déjà de la vision colorée qui s’étalait devant nous.

- Et puis entre nous, les plats végétaliens sont bien meilleurs. Bon appétit ! Je lui ai fait un clin d’œil et j’ai planté ma fourchette dans le bol magique comme pour illustrer mes propos. Et tes copains de l'époque, ils sont toujours végétariens ou c'était juste pour te soutenir ?

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J

ameson m’a annoncé qu’elle était végétalienne et j’ai laissé échapper un onomatopée enjoué et victorieux tout en balançant une nouvelle poignée de cacahuètes dans ma bouche. Une métalleuse végétalienne aussi douée que moi pour faire des blagues douteuses. Cette femme était clairement mon âme sœur. Certes, elle était alliée de tartuffes mais j’étais certaine qu’il y avait une explication rationnelle à tout ceci. Je l’ai regardé jeter des coups d’œil penauds autour d’elle. Je n’étais pas sûr de comprendre pourquoi elle était gênée. J’avais juste envie de l’encourager à continuer son histoire (que je savais d’avance passionnante contrairement à ce qu’elle me disait) alors j’ai continué de la fixer avec un sourire tout en mâchonnant. Bien sûr j’étais parfaitement oublieuse au fait que mon attitude puisse sembler oppressante. Quand elle a lâché la véritable nature de son père j’ai aussitôt cessé de sourire. Quelle enflure ! Je n’en croyais pas mes oreilles. Comment un individu aussi ignoble avait-il pu donner naissance à une créature aussi passionnée et pleine de compassion que ma Jameson ?

- Tu as bien fait ! Je me suis exclamée, estomaquée, quand elle a parlé de sa réaction.

Je crois que j’ai même tapé sur la table sous le coup de la passion, ce qui a déstabilisé le serveur qui s’apprêtait à déposer mon plat devant moi. Je l’ai remercié avant de reposer mon attention courroucé sur Jameson. J’avais prévu de poursuivre le débat en incendiant cet énergumène quand soudain l’odeur de ma butternut au curry m'a chatouillé les narines. J’ai donc décidé de l’engloutir sur le champ tandis que Jameson me posait une question.

- Certains sont restés végétariens oui, mais d’autres… d’autres ont sell out... j’ai haussé les épaules, déçue. Je pense que pour beaucoup c’était plus un acte de rébellion contre l’orphelinat que contre la société et l’injustice, tu sais ? Comme si l’un n’était pas simplement la version réduite de l’autre. J’ai secoué la tête. Ce genre de comportement avait tendance à me remplir de rage et de grisaille. J’ai donc essayé de positiver : Au moins maintenant il y a une option végétarienne à l’orphelinat. Et c’est toujours le cas. Je le sais : je vérifie régulièrement. Je lui ai fait un clin d’œil avant d’enfourner une nouvelle portion de butternut dans ma bouche. J’ai pris une grande inspiration par le nez, succulent la merveille que je mâchonnais amoureusement. C’est tellement bon. Tiens ! Joignant le geste à la parole j’ai pris sa cuillère et avec je m’en suis servie pour verser une louche de mon plat dans son assiette à pain. J’ai voulu lui demander si elle avait tué son géniteur pour son génocide et crime envers la planète terre mais j’ai réussi à rester soft : et toi, t’as réussi à convertir ton père au final ?

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J’ai froncé les sourcils, hochant gravement la tête alors que j’écoutais Robin me raconter que certains de ses amis n’étaient plus végétariens désormais. Je savais que ce n’était pas si dramatique - quoi que - mais ça avait l’air de profondément toucher ma renarde féroce et bouclée. Comme pour And Justice For All!, je réalisai que sa vision du végétarisme et de la société était proche de la mienne. Je la trouvais donc aussi pertinente que passionnée. J’ai senti un large sourire étirer mes lèvres quand elle m’a dit que l’option végétarienne restait toujours à l’orphelinat et qu’elle y veillait personnellement. Quelle femme géniale !

- Ça, c’est une belle victoire !

J’ai approuvé avec un petit rire de triomphe. J’étais contente pour ces gosses de l’orphelinat qui auraient désormais le choix de manger végétarien, et encore plus pour les animaux qui seraient épargnés, tout ça parce qu’une sale gosse avait fait sa grève de la faim une quinzaine d’années plus tôt. J’allais lui faire la remarque quand elle me vanta les mérites de son plat avant d’en laisser tomber une louche dans mon assiette à pain. J’en restai interdite, observant mollement un morceau de butternut gluant rouler contre mon pain avant de finir sa course sur la nappe. Une partie de moi était à deux doigts de se scandaliser, mais je me suis souvenue que cette Jameson était manipulée par la société, aussi je décidai de ne pas me formaliser outre mesure.

- Euh… merci.

Elle est un peu sauvage, c’est rare, et c’est plutôt appréciable, conclus-je mentalement avant de lui adresser un sourire indulgent. J’ai pris une bouchée de son plat, qui se révéla être un délice, mais je n’eus pas le temps de le lui faire remarquer, parce qu’elle me posa une question à propos de mon père. Je faillis d’ailleurs m’en étouffer avec ma courge.

- Oh que non, j’ai répondu en m’éclaircissant la gorge. Nos relations sont devenues très tendues après ça. Il était totalement hermétique à l’idée que l’exploitation animale puisse être immorale. En fait je crois qu’il n’en avait rien à cirer, du moment que ça lui rapportait de l’argent. J’ai haussé les épaules et lâché un profond soupir. Enfin, le plus important c’est que son entreprise a fini par payer pour ces crimes… et lui aussi, d’ailleurs, puisque ces actes l’ont conduit tout droit en prison.

Je restai volontairement évasive sur le rôle majeur que j’avais joué dans son incarcération. Mes sentiments concernant cet épisode de ma vie étaient mitigés : j’étais loin d’être fière de ma traitrise envers ceux qui m’avaient donné la vie, mais d’un autre côté, mon paternel ne pouvait pas rester impuni. Je n’aurais jamais pu me regarder en face si je laissais couler sous prétexte que nous partagions le même sang.

- Mais il est probablement sortit maintenant, j'ai ajouté, légèrement mal à l'aise.

Je commençais à regretter d’être rentrée dans ces détails avec Robin, qui n’avait clairement pas eu la chance de grandir entourée de ses deux parents. Quel manque de tact ! Je me serais giflée. Pour me faire pardonner, je lui ai tendu mon bol.

- Tu veux goûter ? C’est vraiment délicieux.

J’ai attendu qu’elle s’en serve une louche et j’ai reposé le plat devant moi pour reprendre une nouvelle bouchée. Maintenant, il fallait que je change de sujet. Un truc plaisant… La bouffe !

- Il faudra que j’essaie de refaire cette recette chez moi ! J’adore cuisiner mais je manque cruellement d’originalité, et le fait que je n’ai personne à nourrir ne me motive pas vraiment à innover avec de nouvelles recettes.

J’ai incliné la tête avec un sourire légèrement gêné. Dans ma tête, ça ne sonnait pas aussi désespérée. Ce que j’étais loin d’être, au demeurant. J’avais fait des choix qui m’avaient donné une vie non conventionnelle pour une femme de mon âge. Une vie bien remplie par une carrière passionnante, des activités saines et l’amour inconditionnel de Freyja. Mais ma douce compagne était plus branchée abats saignants que bourguignon de seitan, à mon grand désarroi.

- Ça et le fait que ma cuisinière soit tombée en panne il y a un mois... et évidemment, je ne suis toujours pas parvenue à la réparer, ajoutai-je avec un reniflement ironique.

J’étais nulle en mécanique - ce qui me frustrait profondément, et les dépanneurs que j’avais appelé ne pouvaient se déplacer qu’en semaine, quand je travaillais. J’entendais encore le dernier me conseiller de prendre deux jours de congé parce que : « sais pas trop quand j’pourrai v’nir. P’être jeudi ou vendredi. Au mieux. Z’êtes pas toute seule avec des problèmes de c’type, savez ? ».

- Et toi, tu cuisines ?

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Jameson & Robin
You came in like a wrecking ball

P

erplexe, je me suis demandé l’espace d’un instant comment un méchant carniste capitaliste lobotomisé avait pu mettre au monde une force de la nature comme Jameson. Ensuite j’ai haussé les épaules en concluant qu’elle avait d’autant plus de mérite d’être aussi investie, affirmée et réveillée sur la vie, et que je l’aimais d’avantage encore. J’allais lui demander si elle ressentait notre connexion autant que moi quand elle m’a demandé si je voulais gouter son plat, me faisant donc évidemment perdre le court de ma pensée.

- Oh ouai carrément ! Merci !

J’ai répondu précipitamment en piochant une généreuse louche de son plat avant de l’enfourner dans mon bec ouvert. Elle n’avait pas menti : c’était bigrement délicieux ! Je crois que mes yeux ont légèrement roulé dans leurs orbites sous le coup de l’émotion. Ensuite elle a confié aimer cuisiner mais n’avoir personne pour qui le faire j’ai senti mon cœur se briser en mille morceaux. J’allais enfiler ma cape de Robin Des Bois et proposer qu’elle cuisine pour moi mais elle a enchainé en m'annonçant que sa cuisinière était en panne puis en me demandant si je cuisinais. J’ai avalé ma bouchée, j'ai fais un peu d'ordre dans ma pensée pour répondre dans l'ordre puis je me suis lancé :

- J’aime bien cuisiner ouai. Parfois je me mets vraiment à fond dedans, comme si c’était un projet artistique, tu sais ? Je choisis un thème, je me lance des paris et souvent ça donne des gâteaux vraiment énormes et foutument décorés… Oh ! je pourrais essayer de faire un gâteau Lustisia tiens ! Enfin bon, le plus souvent quand même j’ai la flemme et je fais juste des mélanges de fruits et légumes crus.

J’ai rigolé en la regardant avec les yeux en croissant de lune, bienveillante. Puis je me suis frotté le nez en me redressant, me souvenant de son problème de cuisinière :

- Mon frère est plutôt doué en mécanique, réparations et bidouillages du genre, je pourrais lui dire de passer jeter un coup d’œil si tu veux.

J’ai senti une petite ampoule s’allumer dans mon esprit au moment où je prononçais ces mots. C’était le plan parfait ! Phoenix allait se sentir utile, il pourrait socialiser avec une personne vraiment chouette et forte, quand à Jameson elle pourrait le remercier en lui cuisinant des petits plats végétaliens. Ensuite ils pourraient tomber follement amoureux l’un de l’autre, vivre ensembles et avoir beaucoup d’enfants. J’ai failli me frotter les mains tant mon idée était géniale mais j’ai décidé de la jouer cool et j’ai pris une gorgée de mon verre avant de poursuivre nonchalamment :

- Par contre il est vraiment nul en cuisine, je suis sûr qu’il aurait beaucoup à apprendre de toi !

J’ai senti mon œil se plisser légèrement de malice tandis que je m’imaginais déjà courir dans les champs auprès de mes nièces et neveux, ces doux bébés boxeurs végétaliens qu'il me tardait de rencontrer.

WILDBIRD

YOU CAME IN LIKE A WRECKING BALL
Robin & Jameson

Robin me fascinait. J’avais l’impression qu’elle s’investissait dans tout ce qu’elle entreprenait avec le même entrain que si elle allait créer une œuvre d’art. Je me demandai si elle considérait sa vie de cette façon. En tout cas, je trouvais qu’elle formait un tableau charmant et coloré. Son esprit semblait pétiller d’idées et de couleurs, et je couvais tendrement ce feu d’artifice qui explosait sous mes yeux. Jamais auparavant je n’avais rencontré une personne aussi entière et passionnée que mon renardeau multicolore. Je la trouvais géniale. Et rien qu’à l’entendre me partager sa vision de la cuisine, je me dis que j’aurais certainement beaucoup à apprendre d’elle. Et comme j’avais un peu l’impression de stagner dans ma vie – surtout depuis que cette mini braise flamboyante avait décidé de tout cramer sur mon chemin – j’avais envie de voir et faire de nouvelles choses.

- C’est fantastique !, l’encourageai-je, enjouée. Si jamais tu décides de mettre ton plan à exécution, j’adorerais te donner un coup de main. Voir comment tu créées ce genre de pièces montées thématiques.

Moi, la femme incapable de réaliser une recette de cuisine si je ne respectais pas le grammage à la virgule, commis de cuisine pour une artiste excentrique et imaginative. C’était quitte ou double. L’idée de réaliser ce gâteau Lustitia me donnait presque des palpitations. L’excitation, sans doute. A moins qu’il ne s’agisse d’une certaine inquiétude de l’inconnu. J’ai terminé mon plat, songeuse, alors que j’essayais de visualiser comment on pouvait concrètement monter un gâteau aussi compliqué. Comme je n’avais pas la réponse, je décidai de mettre ça de côté et de me concentrer sur Robin, qui ramena le sujet sur ma cuisinière défectueuse, me proposant les services de son frère. J’ai légèrement froncé les sourcils et essuyé le coin de mes lèvres avec ma serviette avant de la poser sur mes genoux. En règle générale, je n’aimais pas demander service à qui que ce soit. Ce n’était pas tant un problème de confiance, mais une difficulté à admettre qu’il existait quelques sujets que je ne maîtrisais pas. La mécanique, notamment. Cette ignorance de ma part me frustrait particulièrement, parce qu’une femme nulle en mécanique, c’était tellement… cliché. Mais d’un d’autre côté, si je ne mettais pas mon égo de côté, je ne risquais pas de pouvoir cuisiner de ci-tôt, comme je ne pouvais vraisemblablement pas compter sur les ploucs qui avaient pour métier de réparer ces engins.

- Tu es sûre que ça ne le dérangerait pas ? Ton frère a probablement mieux à faire de son temps…

Cette éventualité n’avait pas l’air de perturber Robin le moins du monde, car elle continuait de m’observer d’un air quelque peu étrange et un tant soit peu malicieux. Je crus comprendre pourquoi lorsqu’elle poursuivit : peut-être trouvait-elle que son frère se nourrissait comme un adolescent, et elle comptait sur moi pour remplir son correctement estomac en échange de ses bons et loyaux et services.

- Je me contente de suivre les recettes, mais je serais ravie de lui cuisiner un petit plat pour le remercier. D’ailleurs, n’hésite pas à nous rejoindre si tu en as envie ! Et je pourrai aussi bien évidemment lui apprendre quelques trucs, s’il en a envie.

J’ai ajouté avec un sourire de connivence. J’étais plutôt curieuse de découvrir à quoi ressemblait le frère de Robin. Je l’imaginais de taille moyenne, le corps plutôt sec et élancé, à l’image de celui de sa sœur, et de jolis cheveux bouclés entre le blond et le roux, encadrant un visage mutin. En fait, je le visualisais un peu comme une sorte de mélange entre Robin et Kylian, mon meilleur ami d’enfance, tel que je me le représentais adulte. Je me demandais s’il était aussi énergique et créatif qu’elle, ou plutôt timide et analytique. Mais dans le fond, ils ne devaient pas être si différents, puisqu’ils étaient de toute évidence restés proches jusque dans l’âge adulte malgré les problèmes auxquels ils avaient été confrontés si tôt.

- C’est tout de même une chance que toi et ton frère n’ayez pas été séparés quand vous étiez enfants, j’ai dit songeusement, comme si elle avait pu suivre le court de mes pensées. Ce doit être rassurant de savoir que l’on peut compter sur quelqu’un, surtout quand on grandit dans un orphelinat.

Dans le fond, j’étais persuadé que l’amour d’un frère ou d’une sœur était plus fort que celui qu’on éprouvait pour un parent. Mon vécu brouillait peut-être ma vision des choses. Mais lorsque j’étais gamine, Kylian m’avait apporté l’affection que mes parents n’avaient jamais pu m’offrir. Je me demandais parfois en quoi ma personnalité aurait été altérée s’il n’avait pas été arraché à ma vie. J'aurais peut-être moins collectionné les relations merdiques...

Fin.

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