Ce n’était pas vraiment ce qu’il préférait faire, passer les commandes à quelqu’un d’autre, laisser autrui gérer la situation pendant qu’il se contentait de jouer les suiveurs avec docilité. C’était pas ce qui le mettait à l’aise et en même temps y’avait ce truc chez la rouquine qui lui donnait envie de faire contre mauvaise fortune bon cœur en faisant jouer l’exception, et qui lui coupait suffisamment la chique pour qu’il ne proteste pas plus loin lorsqu’elle avait balancé « Arrête de râler et met ton casque, pronto. » et l’avait convaincu de prendre place à l’arrière sans faire plus de simagrées. Que risquait-il au pire ? Qu’elle se perde dans un panorama de touriste qu’il aurait déjà vu et revu à sa propre arrivée dans la cité romaine, y’avait de ça des siècles ou tout comme. Il s’en remettrait. Gardant pour lui de faire remarquer que son pronto destiné à le presser était plus ibérique que latin, il avait accueilli le vrombissement du moteur avec plus de délectation qu’il n’aurait été prêt à l’admettre et s’était sans plus de cérémonie laissé trimbaler à travers la ville pendant qu’elle faisait tout le boulot. Mais le Colisée, vraiment ? Et la fontaine aux milles pièces et vœux noyés au fond, la piazza Venezia, et d’autres pour le simple plaisir de le voir serrer sa taille un peu plus fort et retenir à peine le grognement de désapprobation qu’elle lui inspirait avant de redonner un coup d’accélérateur. Et finalement les mener à nouveau non loin du Colisée et de son agitation perpétuelle, bruit et avalanche de touristes s’étouffant pourtant un brin au gré des rues puis finalement des ruelles, non loin de la piazza della Madonna où sourire narquois au coin des lèvres elle avait immobilisé la Vespa en sifflant « T’as eu peur, hen, avoue ? » avec toute l’espièglerie dont elle se sentait la capacité. Glissant nonchalamment les mains dans les poches de son pantalon à peine le pied à terre, il avait joué la fausse indifférence et balancé un « Que tu nous envoies dans le décor ? Pas tant que ça. » qui éludait volontairement et non sans un brin de provocation le véritable sens de sa question. Mais elle marquait un point, ou au moins un demi, car sans s’être trop éloignée de ces grandes avenues grouillant de touristes qui rêvaient de leur photo près du Colisée elle avait malgré tout su passer un brin entre les mailles du filet et remplacer le brouhaha des klaxons et des moteurs qui vrombissaient par les accents plus légers de conversations qui s’entremêlaient. Slalomant sur les pavés avec urgence, celle de voir le soleil disparaître trop tôt derrière la ligne d’horizon, trop tôt pour que l’objectif n’en ait capturé quoi que ce soit, elle avait dégainé le téléphone juste à temps pour qu’en quelques pressions l’italien ait immortalisé la rousse sous toutes les coutures face au soleil couchant, de la plus avantageuse des poses à la moins assumable. « Voilà le travail. » qu’elle lançait alors avec satisfaction, le sourire de Vittorio lui s’évaporant à l’instant où elle avait ajouté « Ton tour. Et c’est pas une question. » en n’obtenant rien d’autre de sa part qu’un grognement désapprobateur et de vagues protestations maladroitement formulées tandis qu’il tournait la tête du mauvais côté. Il n’aimait pas ça, les photos, et pas l’idée non plus que sa personne soit immortalisée où que ce soit, perpétuel ou temporaire. « Vraiment, j’t’assure, c’est pas nécessaire. » Un brin boudeuse, et pas impressionnée pour deux sous, elle avait à peine coupé la poire en deux en le saisissant par le col pour lui voler un instantané mal cadré, le « Viens là. » terminant de lui prouver qu’il n’était absolument plus maitre de la situation. « Tiens, maintenant on est comme tout le monde. » Devant leurs yeux défilaient quelques-unes des photos prises en rafale par une rouquine visiblement habituée du genre, et sur lesquelles la mine renfrognée du latin laissait parfois place à un regard plus amusé qu’il n’y paraissait ou un brin de sourire presque perceptible. Pas que ce soit l’un de ceux-là qui avait finalement eu la préférence de la jeune femme au moment de choisir comment orner le fond d’écran de son cellulaire. « Che noia. » qu’on l’entendait soupirer d’un ton un poil exagéré, mauvaise tête s’il en fallait, là où plus loin on se bécotait goulument et sans aucune gêne « Bah, pas comme eux, mais j’ai aucune copie de tes derniers examens médicaux alors je prends pas la chance. » Roulant des yeux sans quitter le sourire narquois que la réflexion lui avait inspiré, il avait haussé les épaules et resserré volontairement son étreinte là où la main se contentait jusque-là de rester posée sagement sur le bras de la jeune femme le temps de la photo « Qui sait si je ne suis pas déjà contagieux, à cette distance-là. » Le ton vaguement sifflant et le regard se plissant en observant la jeune femme une seconde ou deux supplémentaires, il l’avait lâchée en laissant échapper un rire, retrouvant un brin de légèreté et dégainant la bouteille de vin qu’elle appelait « de sûreté » et qu’il avait embarqué avec eux en s’éloignant de leur deux-roues. « J’espère que t’as aussi pensé aux verres, pour aller avec ? » Parce qu’elle ne lui ferait pas boire de vin à la bouteille, qu’on se le dise, et qu’elle ne s’imagine pas non plus qu’il la laisserait commettre un tel affront devant son nez. Que Dieu l’en garde. « Et je ne trinque qu’avec celles dont je connais le nom, ça te fait deux missions à relever. » Oh il la voyait presque venir, à rouler des yeux, et penchant la tête le voilà qui négociait « Tu viens de briser mon cœur de collégienne fleur bleue, tu me dois au moins ça. » Et voilà le côté baratineur qui revenait au galop telle une mauvaise habitude trop bien ancrée.