Vittorio Giovinazzo & @Malone Constantine

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« Ça fait combien de temps qu’il n’est pas venu ? »
« Je sais pas, une semaine ? Peut-être un peu plus. »
« Et tu m’en parles seulement maintenant ? »

Parce qu’il ignorait qu’il aurait dû le faire, ou que l’information revêtait une quelconque importance. L’association voyait passer des centaines de personnes chaque mois, des plus habitués aux plus ponctuels, et jamais encore il n’avait été question de tenir des comptes sur qui allait et venait, et à quelle fréquence. Malgré cela, le haussement d’épaules par lequel il avait répondu à la question semblait avoir contrarié sa collègue, et forcé Vittorio à questionner « Bon, c’est quoi le problème ? » en prenant sur lui de paraître plus démuni qu’agacé pour ne pas jeter d’huile sur le feu de leur conversation. « Rien. Laisse tomber, je vais demander à Malone. » Agacé, l’italien l’était donc maintenant pour de bon, comme à chaque fois qu’il était question de l’ancien militaire et de son air trop gentil pour être honnête. « Et s’il sait compter jusqu’à sept il te répondra la même chose que moi. À quoi tu joues ? » Tendant son bras en travers de la porte pour lui barrer le passage, l’italien entendait bien obtenir un début d’explication, désireux malgré son égo mal placé de ne pas réitérer une erreur s’il s’avérait qu’il venait d’en commettre une. Qu’il l’admette avait peu de chances d’arriver, mais qu’il tâche de ne pas la réitérer était une certitude. « Il s’en serait inquiété avant, pour commencer. Malone sait y faire avec lui. » – « On se demande pourquoi. » Parce qu’ils avaient un point commun, et qu’il ne s’agissait pas de la couleur de leurs yeux. Parce qu’entre junkies – pardon, ex-junkies – Jared et Malone avaient (forcément) des atomes crochus. « Et il serait déjà parti à sa recherche, lui. Mais ça demande d’en avoir quelque chose à foutre. » Et ça n’était pas le fort de Vittorio, soit ; Il n’avait pas besoin qu’elle le dise pour saisir le message.

Repoussant le bras avec lequel il l’empêchait de passer, la bénévole avait fini par quitter la pièce sans cacher une seule once de son agacement, et resté seul avec sa mauvaise foi et ses réflexions internes l’italien était resté bras ballants plusieurs minutes. Il trouvait sa collègue injuste : il n’en avait pas “rien à foutre” … Mais peut-être manquait-il un peu d’empathie. Ou peut-être la sienne était-elle simplement à géométrie variable, soumise à des préjugés dont il peinait à se débarrasser et dont il lui arrivait encore (trop) souvent de les considérer justifiés. Il n’était pas là pour tenir des comptes de qui passait ou ne passait pas la nuit ici, il laissait les visages défiler chaque soir comme si le précédent n’avait jamais eu lieu, s’assurait seulement que tous ceux qui trouvaient asile jusqu’au lendemain aient un lit et quelque chose à se mettre sous la dent, et se cachait derrière la certitude que la plupart n’en avaient pas envie pour justifier de ne pas chercher à briser la glace, ou apprendre à connaître aucun d’entre eux plus personnellement. Il était là pour se rendre utile, pas pour s’impliquer émotionnellement … Et s’il l’avait fait, un de leurs habitués ne manquerait pas désormais à l’appel.

Voilà comment, ravalant tout ce qu’il possédait de principes et de fierté, Vittorio avait dévalé les escaliers jusqu’au rez-de-chaussée, et alpagué Malone à la sortie du local juste au moment où ce dernier s’apprêtait à grimper en voiture. « Attends. » La main attrapant la poignée de la portière côté passager, l’italien n’avait pas attendu d’y être invité pour grimper à bord, attendant d’être installé pour indiquer « Je viens avec toi. » comme si cela ne tombait pas sous le sens, et surtout comme si le Constantine n’avait pas le moindre avis à donner sur la question. Mais dans le cas où leur collègue aurait déjà dressé un portrait peu flatteur de son rôle dans toute cette histoire, et donné à Malone les billes suffisantes pour refuser qu’il ne fasse plus de dégâts que sa désinvolture n’en avaient (peut-être) déjà fait, Vitto avait ajouté « Deux paires d’yeux c’est toujours mieux qu’une seule, non ? » et désigné la route du menton comme pour demander à Malone ce qu’il attendait au juste pour démarrer.

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***
« Malone ? » - « Je suis dans la réserve. » La tête dans les cartons, en train de tenter tant bien que mal de faire du tri dans ce qu’ils pouvaient se permettre de garder et ce qui allait devoir être malheureusement jeté. C’était peut-être la partie qui lui plaisait le moins, faire de la gestion de la sorte, mais il savait aussi que cela devait être fait lorsqu’ils avaient un peu de temps libre devant eux car ce n’était pas tous les jours le cas. Sa collègue pointa sa tête dans l’encadrement de la porte, chercha le jeune homme à portée de regard avant de se rendre compte qu’il était accroupi près du sol. Ce dernier haussa un sourcil. « T’as des nouvelles de Jared ? » Glissant le crayon qu’il avait dans la main derrière son oreille, Malone fronça les sourcils et se releva rapidement. « Pas personnellement non, pourquoi ? » Il n’aimait pas d’avance le ton donné à cette conversation. « Ca fait plus d’une semaine qu’il est pas passé. » L’instant d’après, Malone était déjà en train de poser tout ce qu’il avait dans les mains, récupérant sa veste et sortant du bâtiment. La question n’en était pas une: il sortait pour voir s’il pouvait mettre la main sur Jared, parce-que malheureusement, il connaissait le pire qui pouvait lui arriver - parce-qu’il était passé lui-même à deux doigts du pire une fois et ne recommençait ça à personne.

« Attends. » Constantine s’apprêtait à démarrer la voiture lorsqu’une voix fut adressée dans sa direction - il n’eut pas besoin de relever le regard dans la direction de Vittorio pour savoir que c’était lui: son accent était reconnaissable entre mille. « J’ai pas ton temps. » Il se devait de se mettre à chercher le plus rapidement possible. « Je viens avec toi. » Ecarquillant un brin les yeux, tournant son visage vers la place passager, Malone crut mal entendre mais puisqu’il vit l’italien s’asseoir à ses côtés avant même qu’il n’eut pu donner son avis, il avait du entendre correctement ses propos. « Tu quoi ? » Il n’aurait jamais pensé le voir s’immiscer dans une telle histoire. « Deux paires d’yeux c’est toujours mieux qu’une seule, non ? » Et il détesta de tout son être le fait qu’il ajouta un mouvement pour le pousser à se mettre en route, alors que ses paroles étaient autant vraies - car Malone n’avait pas l’occasion de le pousser hors de sa voiture. Râlant dans sa moustache, il finit par démarrer le moteur et par laisser les pneus chauffer sur l’asphalte.

Ils avaient roulé déjà deux ou trois minutes en silence lorsque Malone reprit enfin la parole. « Deux paires d’yeux c’est toujours mieux qu’une seule, mais t’es au courant de où je t’emmène là hein ? » Parce-que pour lui c'était évident, mais Vittorio avait-elle compris de quelle type de recherches il s’agissait pour une personne comme Jared ? « Je veux dire: on va pas aller regarder à l’hôtel du coin. Il passerait pas chez nous s’il pouvait se payer l’hôtel. » Il tourna son regard vers l’italien lorsqu’ils furent arrêtés à un feu tricolore. « J’ai pas beaucoup d’informations sur la situation à part que ça fait plus d’une semaine qu’on a pas de nouvelles. Mais c’est jamais une bonne nouvelle ça, généralement. » Et cela soulignait également l’évidence: si Vittorio avait plus d’informations que lui sur la situation, maintenant qu’il avait imposé sa présence dans la voiture, c’était le moment de parler. Mais il allait réussir à comprendre que c’était ce qui était attendu de sa part, non ? Lui qui se présentait plus dégourdi que pouvait l’être Malone en règle générale, il devrait comprendre que le partage d’informations allait être nécessaire s’il était véritablement arrivé quelque-chose de malheureux à Jared; ils ne pourraient pas lui donner un coup de main s’ils ne s’entre-aidaient pas pour démarrer.

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Aurait-il mis la même énergie dans le fait de vouloir remettre la main sur un jeune homme dont l’absence ne l’avait, jusqu’à présent, pas inquiété plus que cela, si le nom de Malone n’avait pas fait irruption dans la conversation, et piqué l’ego déjà si facilement déstabilisable de l’italien ? Sans doute que non. Mais tout à sa mauvaise foi, n’importe quelle personne que l’idée d’en faire le reproche aurait traversé se serait heurté à une vérité que Vittorio aurait asséné sans sourciller : peu importait la manière, tant qu’existait le résultat. Autrement dit : peu importait la raison l’ayant finalement persuadé de dévaler les escaliers jusqu’au rez-de-chaussée pour aller investir le siège passager de Malone, ignorant le « J’ai pas ton temps. » d’abord jeté en protestation avant de se laisser gagner par la réalisation qu’il n’avait pas (vraiment) le choix. « Tu quoi ? » Il venait avec lui, voilà tout, et faisant mine de ne pas voir la mine dubitative du conducteur – comme si lui-même s’infligeait cela par plaisir, allons – il avait agité la main comme pour convaincre l’australien de se mettre en route plus vite. Trop pressé de se mettre à la besogne, ou simplement trop las pour vouloir se donner la peine de négocier, l’ancien militaire avait donc fini par céder, desserrant le frein à main en soupirant tandis que Vittorio tirait sur la ceinture de sécurité afin de s’attacher.

Le silence qui s’était aussitôt installé dans l’habitacle avait quelque chose d’artificiel, de gênant, et tandis que l’un s'agrippait au volant comme à une bouée, l’autre se bornait à fixer l’extérieur depuis la vitre de la portière, le corps tourné autant que possible à l’opposé de celui du conducteur, tel deux enfants tentant silencieusement de se faire passer le message réciproque qu’ils n’avaient pas envie de se parler. Jusqu’à ce que Malone, néanmoins, ne se jette à l’eau le premier et reprenne la parole : « Deux paires d’yeux c’est toujours mieux qu’une seule, mais t’es au courant de où je t’emmène là hein ? » L’attention se déportant un instant de l’extérieur, Vitto avait posé son regard sur l’australien et affiché une moue à mi-chemin entre agacement et impatience. « Je veux dire : on va pas aller regarder à l’hôtel du coin. Il passerait pas chez nous s’il pouvait se payer l’hôtel. » Roulant des yeux, Vitto avait croisé les bras en se renfrognant « Arrête de faire comme si t’avais le monopole des situations de merde, tu veux ? » Laissant passer quelques secondes, juste le temps pour le feu auquel ils étaient arrêtés de repasser au vert, l’italien avait jeté un regard machinal dans le rétroviseur latéral avant d’ajouter « J’suis à peu près certain que crécher dehors c’est pas bien différent ici et là d’où je viens, mais j’peux feindre l’effet de surprise si ça t’amuse. » Et s’ils devaient se lancer dans un concours Malone et lui, Vitto perdrait peut-être à plate couture dans la catégorie “junkie” mais aurait probablement une longueur d’avance quant à savoir l’effet que faisait le fait de (vraiment) crever la dalle. Alors l’un dans l’autre, il n’avait pas besoin que le rouquin lui fasse une leçon sur le sens des réalités.

La véritable surprise, en revanche, venait du fait que leur collègue féminine n’avait visiblement pas mentionné à Malone, au moment de le briefer sur la situation, le rôle qu’avait joué l’italien dans le retard pris sur la situation. Si bien que lorsque ce dernier avait indiqué « J’ai pas beaucoup d’informations sur la situation à part que ça fait plus d’une semaine qu’on a pas de nouvelles. Mais c’est jamais une bonne nouvelle ça, généralement. » sans une once de reproche dans la voix, Vitto avait de nouveau tourné la tête vers lui et l’avait scruté quelques instants, comme s’il attendait l’accusation qui tardait, avant de comprendre qu’elle s’était perdue en route. « Il était là mercredi soir. Pas avant-hier, celui d’avant – c’est moi qui était de nuit. Il s’est pointé à la même heure que d’habitude, il est resté dans son coin comme d’habitude, il a pris une douche et il s’est cassé au petit matin sans décrocher un mot – comme d’habitude. » Il n’était pas bavard, Jared. Sauf avec Malone, disait-on, mais Vitto pour sa part n’avait rien de plus à en dire et n’avait pas tenté plus que cela de faire la conversation avec le jeune homme, ni ce soir-là ni les précédents. « Dimanche soir il était pas là. Entre les deux je sais pas, j’ai pas refait de nuit, et tu sais bien que la moitié ne se signalent pas dans le registre, de toute façon. » La crainte de devoir rendre des comptes, la peur d’être suivie, l’envie de devenir suffisamment anonyme pour prendre en devenir invisible – les raisons étaient multiples, et Vitto comme un certain nombre d’autres bénévoles avaient vite appris à ne pas se battre à ce sujet, au risque de faire fuir pour de bons ceux qu’ils avaient parfois eu tant de mal à convaincre de venir. « C’est peut-être rien. Il a peut-être juste trouvé un autre endroit où dormir. » Qui essayait-il de persuader au juste, Malone, ou lui-même ? Dans les deux cas, le résultat était mitigé.

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***
La réaction de Vittorio au premier commentaire de Malone, alors que la voiture roulait depuis plusieurs minutes sur l’asphalte chaud de la fin de cette journée de printemps, ne fut en rien une surprise: bien sur qu’il allait se renfrogner dès qu’il allait prendre la parole, il ne savait faire autrement. « Arrête de faire comme si t’avais le monopole des situations de merde, tu veux ? » Peut-être que les doigts de Malone s’agrippèrent un brin davantage au volant le temps d’un instant, retenant un long soupire. « J’suis à peu près certain que crécher dehors c’est pas bien différent ici et là d’où je viens, mais j’peux feindre l’effet de surprise si ça t’amuse. » Il haussa les épaules, mis son clignotant, dépassa la voiture qui n’allait pas assez vite à son goût. « Tu fais ce que tu veux, je m’en fous. Juste: je veux pas t’avoir dans les pattes comme un boulet, parce-que ça irait contre l’idée que deux paires d’yeux valent mieux qu’une seule. » Et il n’était pas là non plus pour lui tenir la main: s’il venait sur le terrain avec lui, il se débrouillait pour tenir le coup qu’importe les endroits qu’ils rayeraient de la liste mentale que Malone avait établi dans sa tête des endroits où Jared pourrait se trouver.

Et justement à propos de cela: il n’avait que peu d’informations sur la situation, en réalité. Malone était plutôt du genre à foncer tête baissée et à se demander après si des débats avaient été faits ou si certaines informations auraient pu lui être utiles pour agir; il avait toujours été comme cela, ce qui lui avait lui-même mis des bâtons dans les roues à une période de sa vie. Aujourd’hui, ce n’était pas véritablement un problème qu’il agisse de la sorte dans le sens où si Jared se trouvait être en danger, lui apporter de l’aide le plus rapidement possible allait être surement nécessaire; mais il manquait mine de rien des informations au jeune homme pour savoir ce qu’il faisait et ce qu’il devait faire. La question n’était pas formulée comme telle de la part de Constantine, mais c’en était là une posée en direction de Vittorio toujours assis à ses côtés dans la voiture. « Il était là mercredi soir. Pas avant-hier, celui d’avant – c’est moi qui était de nuit. Il s’est pointé à la même heure que d’habitude, il est resté dans son coin comme d’habitude, il a pris une douche et il s’est cassé au petit matin sans décrocher un mot – comme d’habitude. » Il haussa un sourcil, mettant en doute les paroles qui lui étaient adressées; à ses côtés, Jared s’ouvrait et se montrait bavard contrairement à ce que l'italien avait l’habitude de voir de son côté lui. « Dimanche soir il était pas là. Entre les deux je sais pas, j’ai pas refait de nuit, et tu sais bien que la moitié ne se signalent pas dans le registre, de toute façon. » Et si les paroles de l’autre ne l’interpellaient pas plus que cela effectivement jusque maintenant, la précision qu’il ajouta à cet instant changeait tous aux yeux de Malone. « C’est peut-être rien. Il a peut-être juste trouvé un autre endroit où dormir. » - « Jared signe le registre, lui. » Inspirant longuement, ses doigts tapotaient nerveusement sur le volant alors que le feu tricolore semblait refuser de passer plus rapidement au vert. « Il signe le registre à chaque fois qu’il se pointe et il a pas trouvé ailleurs où dormir. Il nous aurait prévenu. »

« Je sais qu’à tes yeux ça fait pas de différence et que c’est qu’un toxico parmi tant d’autre qui changera pas le monde si personne se soucie de lui. » Bien sur que c’était de cette façon là que la suite de la discussion allait se tenir; parce-qu’il savait pertinemment qu’il y avait un peu de ça dans la façon dont Vittorio avait réagi - ou manqué de réagir plutôt en l’occurence - vis-à-vis de l’absence du jeune homme. Pour lui, ce n’était rien si l’une des nombreuses personnes dans le besoin ne se présentait pas; Malone savait pertinemment que ce n’était pas toujours à prendre à la légère. « Jared, c’est un bon gars. Histoire de famille de merde qui l’a fait se retrouver là, dans cette situation de merde. Mais il a bon fond. » Il appuya sur l’accélérateur pour traverser le carrefour à peine le feu de nouveau vert. « Il aurait pas manqué de venir dimanche si ça allait bien, pas sans prévenir. » Il avait du se passer quelque-chose qui l’avait empêché de se rendre jusqu’au centre d’hébergement, et la seule chose que Malone espérait c’était qu’ils n’arrivent pas trop tard. « Pourquoi t’as rien dit ? » Il ne fallait pas être sorti de Saint Cyr pour comprendre que si l’inquiétude était de mise qu’aujourd’hui, c’était parce-qu’au début de la chaine, Vittorio n’avait pas fait l’effort de prévenir qui que ce soit qu’il manquait un de leurs habitués sur place. « Dimanche dernier, quand t’as vu qu’il était pas là. Pourquoi t’as rien dit ? »

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Oh, Vittorio jurait qu’il tentait pourtant de faire des efforts. La preuve : il s’était invité dans la voiture de Constantine quand bien même ce n’était en rien l’idée qu’il se faisait d’une partie de plaisir, et si les mauvaises langues diraient sans doute à raison qu’il ne le faisait que pour apaiser sa conscience, lui était d’avis que les raisons n’importaient pas tant que le résultat, et que ses motivations ne regardaient personne d’autre que lui-même. Une chose était en tout cas certaine, ce qui n’était pas une partie de plaisir pour l’un n’en était pas plus une pour l’autre, et le léger blanchissement de ses jointures sur le volant trahissant l’agacement de Malone, ce dernier avait rétorqué d’un ton las « Tu fais ce que tu veux, je m’en fous. Juste: je veux pas t’avoir dans les pattes comme un boulet, parce-que ça irait contre l’idée que deux paires d’yeux valent mieux qu’une seule. » en haussant les épaules, Vittorio se contentant dès lors de s’accouder à la vitre de sa propre portière en marmonnant « Contente-toi de garder les deux tiens sur la route, et ça devrait aller. » sans même plus se donner la peine de regarder dans la direction de son interlocuteur. L’italien n’était de toute façon pas dupe : pour que Malone ne se soit pas plus opposé que cela à ce qu’il l’accompagne dans ses recherches, il fallait au moins que leur collègue ne se soit pas épanchée sur le rôle qu’elle attribuait à Vitto dans la soudaine disparition de Jared. Pour le boxeur, il convenait donc de s’en tenir aux faits et de ne pas donner l’occasion au conducteur de la voiture de tirer les mêmes conclusions, quand bien même il ne semblait déjà pas d’humeur à l’optimisme. « Jared signe le registre, lui. » Malone, pour sa part, passait totalement à côté du problème, mais au lieu de le lui faire remarquer l’italien l’avait laissé continuer. « Il signe le registre à chaque fois qu’il se pointe et il a pas trouvé ailleurs où dormir. Il nous aurait prévenu. » Prévenu que l’herbe était peut-être plus verte ailleurs ? « Si tu le dis. » Dire que Vitto n’était pas convaincu était un euphémisme, mais s’il devait bien admettre quelque chose, c’était que Malone avait probablement une longueur d’avance sur lui pour ce qui était de cerner leur disparu.

Et même plus, ce qui semblait titiller Malone était ce besoin de se positionner en défenseur de la cause du bonhomme absent, sans que l’italien n’y voit d’autre explication que celle d’un transfert conscient et inconscient entre l’expérience du Constantine et ce gamin dont il semblait vouloir faire son cheval de bataille. « Je sais qu’à tes yeux ça fait pas de différence et que c’est qu’un toxico parmi tant d’autres qui changera pas le monde si personne se soucie de lui. » Oui, oui, parce que Vittorio donnait de sa personne à l’association durant des heures chaque semaine pour se contenter d’en mépriser sans distinction tous ceux qu’il y croisait – cela faisait tellement de sens. « Redescends, tu changeras pas plus le monde que lui, et moi non plus. » Que s’imaginait-il, au juste ? Ils n’étaient que des fourmis dans une fourmilière, des Jared il y en avait des centaines, et des Malone certains de pouvoir changer la face du monde sans doute tout autant. « Jared, c’est un bon gars. Histoire de famille de merde qui l’a fait se retrouver là, dans cette situation de merde. Mais il a bon fond. Il aurait pas manqué de venir dimanche si ça allait bien, pas sans prévenir. » Et le voilà reparti, son passager se contentant de fixer l’extérieur à travers sa vitre pour ne pas avoir à lui faire remarquer qu’il radotait, en plus de se tromper de combat. Pourtant, lorsque Malone avait questionné plus directement « Pourquoi t’as rien dit ? » Vitto s’était vu obligé de poser à nouveau son regard sur lui. « Dimanche dernier, quand t’as vu qu’il était pas là. Pourquoi t’as rien dit ? » Parce qu’il n’y avait pas pensé. Parce qu’il n’avait pas jugé cela important. « Parce que tu fais de l’exceptionnel, et moi du global. » Et qu’on se le dise, ce n’était même pas un reproche, quand bien même le ton un peu las sur lequel il venait de répondre pouvait laisser penser l’inverse. « J’aimerais te dire qu’on a suffisamment de temps et de bras pour servir de maman à tous ceux qui passent la nuit chez nous, mais toi et moi on sait que c’est pas vrai. » Ils en avaient à peine pour faire tourner correctement l’association, en réalité, et la conjecture actuelle raréfiait les dons en plus de ne pas renouveler les bénévoles. « On peut pas se lancer dans une expédition de sauvetage chaque fois que quelqu’un arrête de venir, parce que sinon on ne ferait plus que ça. » Et même là, ils ne seraient pas suffisamment nombreux pour le faire bien.

Et pourtant voilà où ils en étaient, en voiture pour rechercher quelqu’un qui n’avait peut-être même pas envie d’être retrouvé, l’un pour de grands idéaux qui risquaient de lui provoquer une chute de la même taille, et l’autre pour apaiser la conscience qui soudainement lui dictait qu’il avait peut-être fait une erreur. « Et s’il veut pas te suivre ? » Admettons qu’ils mettent la main sur Jared quand bien même cela revenait à chercher une aiguille dans une botte de foin … et ensuite ? « C’est pas parce que tu le traites comme un gamin que c’en est toujours un. » Il aurait voulu jeter de l’huile sur le feu qu’il aurait fait remarquer que si Malone voulait jouer au père il avait déjà son propre mouflet à s’occuper – mais il ne tenait pas spécialement à se faire jeter hors du véhicule, aussi avait-il gardé ce jugement de valeur pour lui. « T’as envie de croire que j’en ai rien à foutre, mais la vérité c’est que y’a déjà bien assez à faire avec ceux qui ont envie d’être là, leurs galères cessent pas subitement d’exister parce qu’un autre a préféré jouer les filles de l’air. » La vérité, surtout, c’était que Vittorio n’avait pas de temps et d’énergie à consacrer à ceux qu’il estimait ne pas avoir ce qu’il fallait pour s’en sortir. Malone (et pas que) trouverait cela cruel, peut-être, l’italien lui n’y voyait qu’un banal principe de sélection naturelle, et la preuve que dans la vie comme dans le sport, il n’y avait pas de place pour les perdants.

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« Contente-toi de garder les deux tiens sur la route, et ça devrait aller.  » - « C’est pas toi qui vas me dire comment conduire. » Mais il tourna son regard davantage vers l’avant du véhicule et agrippa un brin plus ses mains sur le volant surement.

Le problème sur lequel il se devait d’être concentrés surtout pour le moment, ce n’était pas la façon dont ils s’étaient retrouvés tous les deux dans cette voiture, mais ce qu’ils allaient faire dans les prochaines heures et pour qui il le faisait. Aux yeux de Malone il était on ne pouvait plus logique qu’ils partent à la recherche de Jared alors que ce dernier ne s’était pas pointé au foyer dimanche soir, là où il était supposé le faire. Il savait les pensées que Vittorio pouvait avoir à l’écart de ce petit gars, tout comme il connaissait celles qu’il avait à son encontre mais pour Constantine, ce n’était pas une raison suffisante pour qu’ils restent leurs postérieurs vissés sur une chaise sans rien faire. « Redescends, tu changeras pas plus le monde que lui, et moi non plus. » Malone grogna quelque peu. « Pas le monde ne général, mais celui de certains peut-être. » Il ne cherchait pas à faire des miracles mais simplement à pouvoir se rendre utile pour des personnes dans le besoin. Il s’inquiétait pour tous les habitués de leur structure, parce-que c’était de cette façon là qu’il avait pu lui être aidé à une époque où il en avait cruellement besoin. Il n’arrivait pas à saisir pourquoi ce n’était pas le cas pour l’italien également, de se dire que c’était là une façon logique d’agir. « Parce que tu fais de l’exceptionnel, et moi du global. » Resserrant les mâchoires, il se passa de commenter ces paroles là. « J’aimerais te dire qu’on a suffisamment de temps et de bras pour servir de maman à tous ceux qui passent la nuit chez nous, mais toi et moi on sait que c’est pas vrai. On peut pas se lancer dans une expédition de sauvetage chaque fois que quelqu’un arrête de venir, parce que sinon on ne ferait plus que ça. » - « Sauf que pour certains, on est les seuls qui feraient ça. » Il soupira lourdement. « Leur venir en aide. » Parce-qu’ils n’avaient pas de proches qui pourraient le faire, qui désiraient le faire aussi il ne fallait pas mettre de côté cette partie là du processus: trop de personnes n’étaient pas assez entourées pour pouvoir avoir d’autres personnes vers qui se tourner.

« Et s’il veut pas te suivre ? » A cette question là, Malone n’avait malheureusement pas de répartie toute prête à donner à l’italien; parce-que bien sur que c’était une possibilité qu’il avait envisagé mais repoussé dans un coin de son esprit. « C’est pas parce que tu le traites comme un gamin que c’en est toujours un. » - « Je sais. » - « T’as envie de croire que j’en ai rien à foutre, mais la vérité c’est que y’a déjà bien assez à faire avec ceux qui ont envie d’être là, leurs galères cessent pas subitement d’exister parce qu’un autre a préféré jouer les filles de l’air. » Une grande partie de Constantine savait que Vittorio avait raison - mais c’était la partie qu’il n’avait pas envie de confronter. Parce-qu’il avait envie d’être utile, qu’il avait envie d’apporter quelque-chose à au moins une personne dans sa vie; d’être un changement, d’améliorer une situation qui se trouvait en chute libre. Resserrant les mâchoires encore un instant, il soupira celui d’après. « S’il veut pas me suivre, je peux pas le forcer à le faire. » C’était là la triste vérité: il ne pourrait aller à l’encontre de la volonté du gamin. « Je veux surtout savoir qu’il lui ait rien arrivé de grave. » Effectivement, il était tout à fait conscient que ce n’était pas le genre de chose qu’il pourrait se permettre pour toutes les personnes en situation de nécessité de la ville - mais le faire pour quelques uns apportait déjà un énorme changement. « Je néglige pas les galères des autres, juste je sais que si à un moment particulier on est là pour quelqu’un, ça peut changer toute sa vie ensuite. » Garant sa voiture sur le bas-côté d’une rue, il soupira de nouveau, pointant son menton dans la direction d’un bâtiment qui n’était pas des plus accueillant. « Je vais faire un tour dans ce squat là, tu veux venir ou tu restes dans la voiture ? »

Vittorio Giovinazzo & @Malone Constantine

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L’italien n’aurait pas su dire s’il estimait Malone animé plus par la bêtise ou par la naïveté. Être un idéaliste à l’âge où l’on devenait à peine adulte avait quelque chose d’attendrissant ; Demeurer un idéaliste après avoir brûlé la chandelle par les deux bouts, engendré une progéniture et fait une partie de sa carrière armes à la main ? C’était de la pure bêtise, et le « Pas le monde en général, mais celui de certains peut-être. » rétorqué par Malone en était aux yeux de l’italien un parfait exemple. Chacun était maître de son destin, voilà quelle était la vérité aux yeux de Vittorio ; on trébuchait seul et on s’en sortait seul, c’était ainsi que l’on avançait, et vouloir remettre sa réussite entre les mains d’un autre n’était qu’une façon lâche de ne pas prendre ses responsabilités. « Sauf que pour certains, on est les seuls qui feraient ça. Leur venir en aide. » Et Malone, du haut de son grand âge, semblait découvrir que la vie n’était pas toujours juste. « Et c’est leur rendre service, de leur faire croire qu’ils auront toujours quelqu’un pour les rattraper ? » A ses yeux, non. « Quand on veut apprendre à rouler sans les petites roues, faut accepter le risque de commencer par se casser la gueule. » Le tout était de savoir se relever, et sans forcément attendre après la main tendue de quelqu’un d’autre.

La vérité, c’était que non seulement leurs opinions étaient tranchées et leur discussion stérile, mais surtout ni l’un ni l’autre n’avaient pour le moment l’assurance ni de mettre la main sur l’adolescent évaporé, ni de parvenir à le ramener avec eux s’ils parvenaient à le trouver. « Je sais. » avait à ce sujet rétorqué Malone en continuant de fixer la route, laissant à son passager le soin d’enfoncer d’autres portes ouvertes. « S’il veut pas me suivre, je peux pas le forcer à le faire. » Et Vitto préférait cela. Oh, bien sûr, à deux et du fait de leurs capacités respectives, ils auraient largement pu embarquer le jeune homme un peu chétif après lequel ils couraient … Mais non seulement Jared aurait eu vite fait de leur faire à nouveau faux-bond à la première occasion, mais surtout il ne faudrait plus espérer après cela que l’adolescent veuille un jour remettre les pieds chez Homeless Connect. « Je veux surtout savoir qu’il lui est rien arrivé de grave. » L’italien aussi, en réalité, et même pas seulement pour apaiser sa culpabilité, aussi s’était-il à son tour fendu d’un simple « Je sais. » tandis que, ralentissant, l’australien immobilisait finalement la voiture le long d’un trottoir. « Je néglige pas les galères des autres, juste je sais que si à un moment particulier on est là pour quelqu’un, ça peut changer toute sa vie ensuite. » Détachant sa ceinture, Vitto avait attendu de recroiser le regard de l’ancien militaire pour demander « C’est ce qui s’est passé avec toi ? » sans y penser à deux fois. Puis, réalisant aussi vite que cela sonnait un peu trop personnel pour quelqu’un qui prétendait n’en avoir rien à faire, il avait balayé cela d’un « Oublie, j’ai rien demandé. » renfrogné.

S’assurant une seconde fois d’avoir correctement serré le frein à main, Malone avait observé un bref instant le bâtiment (délabré) par la fenêtre avant de demander « Je vais faire un tour dans ce squat là, tu veux venir ou tu restes dans la voiture ? » et non sans un brin d’ironie l’italien lui avait rétorqué « Oui j’ai fait tout ce trajet avec toi pour rester dans la voiture comme un clébard. » avant de descendre de voiture. Parlant de clébard, il s’était un quart de seconde fait la remarque que Brusco n’aurait pas été de trop s’ils tombaient sur de (trop) mauvaises rencontres … Avant de se rappeler aussi vite que le braque avait une carrure de chien de chasse, mais le tempérament d’une patate de canapé. « T’es déjà venu ? » avait-il alors préféré demander, d’un ton qui ne ressemblait qu’à moitié à celui d’une question. De tous les squats de Brisbane il n’avait pas choisi celui-ci sans raison. A l’intérieur, l’ampoule grillée du hall accueillait tout le monde dans la pénombre, et l’odeur mélangée de moisissure et de pisse de chat avait trouvé les narines de Vitto avec familiarité. « J’espère que t’as une vague idée de quel étage, parce que sinon on n’est pas rendus. » Quatre étages ce n’était pas insurmontable, mais à trois portes par étage ils auraient le temps d’être foutus dehors par un occupant qui n’aimait pas les curieux. Malone, cependant, semblait avoir une idée assez précise d’où se rendre, et de fait l’italien lui avait emboîté le pas sans se faire prier. S’immobilisant devant une porte, l’ancien militaire y avait frappé avec l’air de celui qui n’attendrait pas éternellement après une réponse avant de s’inviter lui-même à entrer, et l’oeil de l’italien attiré un bref instant par une silhouette apparue dans l’entrebâillement de la porte d’à côté, avant qu’elle ne se referme aussitôt, celle devant laquelle ils se tenaient s’était ouverte sur un bonhomme plus vieux et assurément moins engageant que ne l’aurait été Jared. « On s’connaît ? » leur avait-il maugréé, l’air déjà prêt à leur claquer la porte au nez, mais le regard fixant Malone avec presque trop d’insistance pour que cela ne paraisse pas suspect.