« C’est entendu… » Il conclut le jeu que nous avons instauré entre nous - sans nous en rendre compte, comme une sortie de réflexe - et déjà je tente de réfléchir aux questions ou plutôt à la question que je pourrais lui poser, puisqu’il ne s’est engagé à ne répondre qu’à l’une d’entre elles. Un sentiment d’angoisse, probablement alimenté par la privation de mon poison, naît au creu de mon ventre et pour me rassurer je me répète que de toute façon, j’ai beau me tenir en haute estime lorsque je suis dans mon état normal, il y a peu de chance que je l’emporte. Je ne suis pas née avec une manette dans les main et je n’ai jamais eu ce type de centre d’intérêt, même plus jeune. J’ai passé mes années d’adolescence à fumer dans les champs en compagnie de garçons plus âgés que moi, pas à m’essayer sur les tapis de danses qui enregistres les pas d’une salle d’arcade. A l’époque ces choses là me semblaient futiles et intéressantes, aujourd’hui, j'accueille tout ce qui nous permettra de détendre l’atmosphère mais sans me débarrasser de mon sale caractère : si quelque chose me déplait une fois sur place, il y a peu de chance que je m’y engage.

Je le sais mal à l’aise en public si bien que, dès que nous nous engageons dans le rue commerçante, je lui jette un coup d’oeil pour juger de son malaise. Il est là, comme d’habitude, et la distance émotionnelle entre nous est trop grande pour que je ne puisse faire un pas vers lui et l’aider à combattre ses mauvaises habitudes. « Quelque chose comme ? Tu sais que je n’ai aucune idée de ce qui peut se vendre dans ce genre d’endroits ? » Je hausse les épaules. « J’en sais trop rien. Un bijoux ? Ce n’est pas comme si j’aurais l’utilité de la moitié des choses présentes ici. » Et encore, la moitié, je suis gentille, c’est là la remarque que je me fais alors qu’un antiquaire nous interpelle fièrement pour nous montrer son vaisselier. « Ça par exemple, c’est ignoble. » J’esquisse un sourire alors que nous échangeons un regard de connivence. Ça aussi, ça fait du bien. Et ça aussi, je ne veux pas l’admettre, mais ça m’avait manqué et me manque encore. L’évidence de notre complicité semble écraser le goût amer de la trahison, le temps d’une journée en tout cas. « J’imagine qu’il va y avoir de vieux meubles, des bibelots attrape-poussières qui ne valent rien, mais que les anciens proprios essaieront de nous vendre à prix d’or. Par contre, je sais ce que j’aurais envie d’y trouver….? Je te laisse deviner. » En terme de vieux meubles nous sommes servis, et pour ce qui est des bibelots attrape-poussière, je lui désigne de la main en riant un vieux portrait au cadre doré qui disparaît sous les moulures. « Pas ça j’espère. Ou en tout cas, tu devrais trouver un autre endroit que le loft pour le stocker. » Puisqu’il semble y avoir temporairement élu domicile. Je ralentis le pas, et je sonde son visage. « Hum je ne sais pas. Une montre ? Quelque chose pour le bateau ? » Un vieux gouvernail ou une bouteille finement décoré contenant un voilier miniature ? « J’ai le droit à un indice ? »



@Amos Taylor

« Elle te plait pas ? Vraiment ? Pourtant, ce ne serait pas un achat inutile. » J’échange avec mon amant un regard complice, reste de notre connivence d’antan, et je tente de me focaliser sur ça plutôt que de la raison pour laquelle ils sont vides mes placards. Lorsqu’il m’a avoué la vérité et qu’il l’a brisée notre belle complicité, j’ai passé mes nerfs sur toute ma vaisselle dès qu’il a quitté la pièce et m’a laissée seule. Je n’ai pas envie d’y penser et, de toute façon, je le soupçonne de s’en douter pour avoir déjà été témoin de l’un de mes accès de colère. « Disons qu’elle ne colle pas au style de l’appartement. » Que j’aime décrire comme minimaliste mais qui se résume plus au mot vide et dénuée de touche personnelle qu’autre chose. J’aime l’idée de rester impénétrable même à ceux que j’invite chez moi puisque, avant lui, je n’avais pas envie que quiconque me cerne. « Et cette cruche verte immonde avec un petit beurre dessiné, ça te tente pas ? » Je fais la grimace avant de le regarder et d’éclater de rire. Il m’avait manqué le son du sien et alors que cette pensée malsaine - pour ce qu’elle apporte en douleur et faux espoirs - me traverse l’esprit, j’entreprends de la chasser aussi vite qu’elle est venue. « Sinon, tu as ce cadre de Jésus. Ce serait du plus bel effet au-dessus de ta tête de lit. » « Je crois qu’il est un peu tard pour le salut de mon âme tu sais… » Et si je suis peu impressionnable, je serais capable de faire des cauchemars avec cette horreur dans ma chambre. « Je suis une grande âme, je te le laisse. »

Mes yeux glissent sur les différents objets sans que je n'aperçoive rien qui ne les fasse réellement briller. En attendant, il me confie qu’il y a bien une chose qui attirerait les siens, et me met au défi de deviner de quoi il s’agit. Sans plus d’indice je ne suis capable que de faire des suppositions basées sur ce que je sais de lui et je dois dire que ce n’est guère convaincant. Que peut-il vouloir qui sorte d’un placard poussiéreux ? « Non ! Pas d’indice. Tu n’est pas loin en plus. Ce serait trop facile. Tout ce que je peux te dire, c’est que ce n’est la montre. J’en ai déjà une du même genre que mon père tenait de son père, etc… qui m’est destinée. » Il me refuse mon indice et, comme toute réponse, j’accroche une moue boudeuse sur mon minois. « Une ça m’ira très bien. Autre proposition ? » « Je ne suis pas loin ? » Je réfléchis, piquée par mon attrait pour le jeu, aussi futile soit-il. « Pas loin à quel point ? Quelque chose pour le bateau donc ? Une bouteille de plongée d’autrefois ? Un modèle réduit ? » Je plisse le front, tentant de trouver un indice dans les objets qui me passent sous le nez. J’aperçois un vieux scaphandre rouillé et mon visage s’éclaire d’un air malicieux. « Quelque chose comme ça ? » Je lui pointe la tenue de plongée en métal du doigt. « Je suis sûre que tu aurais de l’allure là dedans en tout cas. » A défaut de faire autre chose que couler comme une pierre.



@Amos Taylor

Il choisit de ne pas rajouter d’autres arguments en défaveur de ma vaisselle et en défaveur du reste de la décoration de mon appartement, et je l'accueille avec soulagement : je crois que j’aurais mal vécu qu’à nouveau il me rappelle combien il les déteste, le loft et tous les souvenirs qui y sont rattachés. Moi, je me souviens surtout des nombreuses fois où nous avons rit ensemble, où nous nous sommes enlacés sur le canapé et où nous avons fait l’amour entre mes draps ou dans chaque recoin, y compris notre première fois.

Bien sûr, c’est dangereux que d’y penser, c’est même malsain puisqu’il n’est plus question de ça entre nous et je chasse ces pensées aussi vites qu’elles sont venues. Sauf qu’elles laissent une marque et que, lorsqu’il tire son téléphone de sa poche pour capturer mon rire, je ne peux m’empêcher de le dévisager, l’air profondément touchée. Il me ramène des semaines en arrières, et j’ignore si je suis capable de l’encaisser. « Je peux l’effacer si tu veux. » Je reste la bouche légèrement entrouverte, submergée par l’émotion : les centaines de clichés qu’il a pris de moi, les a-t-il effacé depuis, comme il avait effacé la photo volée qu’il avait prise après m’avoir surprise avec Tobias ? En est-il capable, de nous effacer ? « C’est juste qu’ils sont devenus rares. Et… » « L’efface pas. » Je murmure presque, sur un ton trop intimiste pour les circonstances. Nous sommes entourés de badauds et pourtant, j’ai l’impression que nous ne sommes plus que tous les deux.

Cela me trouble autant que cela me fait mal : nous le sommes tous les jours tous seuls au loft, mais pas comme ça. Pas de cette façon qui donne l’impression que nous nous retrouvons connectés l’un à l’autre et que le reste du monde peut attendre avant d’avoir notre attention. Bien sûr, c’est en partie ma faute : j’ai invité une troisième personne dans notre relation en la personne de la cocaïne. Alors sa devinette, je l’accueille avec soulagement puisqu’elle nous permet de retrouver un peu de légèreté. « Ahh ça aurait pu être une vieille bouteille, mais non. Par contre, un modèle réduit. Tu m’as pris pour qui ? Tu vas finir par me vexer. » Je hausse les épaules, en prenant garde à ne pas me laisser à nouveau emporter mais non sans malice. « Je n’en sais rien, je tente. » Je ne l’imagine guère comme le genre de vieil homme qui collectionnera les modèles réduits de bateau au dessus de sa cheminée, si ça peut le rassurer. Mes yeux s’arrêtent sur un object qui doit peser une tonnes mais qui semble capter le regard du brun. « Ce n’était pas ça. C’est aussi trop encombrant pour mettre sur le bateau. Mais, il est particulièrement beau. » Je ne regarde pas l’armure aquatique, ce sont ses yeux qui brillent que j’observe. « Je t’ai déjà dit que… Que… tout m’allait de toute façon. » « Prouve le. » Je réagis au quart de tour, un soupçon de défi dans la voix.



@Amos Taylor

Il range le téléphone dans sa poche, un air indéchiffrable sur le visage. Je me demande à quoi il pense, ce qu’il ressent, s’il est touché, surprise ou simplement trouvé, et je repousse l’évidence, la réponse qui me vient facilement puisqu’elle apporte trop d’espoirs pour ne pas être dévastatrice : je préfère chasser la question de mon esprit. Mais ce vieux réflexe, celui de me voler un cliché dès que je l’amuse ou que je l’attendris, il me trouble plus que je ne veux l’admettre.

Alors, j'accueille nos badinages innocent avec soulagement et je les alimente pour effacer mon trouble. Je déploie toute l’énergie du monde à tenter de deviner ce qu’il pourrait bien chercher dans une foire aux antiquaires, tantôt en y réfléchissant sérieusement et tantôt en lançant des suppositions qui ne collent pas à son personnage. C’est une de celle ci qu’il attrape, et qu’il se rebiffe me tire un sourire. « Tente, mais fais-le bien, s’il te plait. On joue à la loyale. Pas d’insulte. J’ai rien d’un vieux loup de mer. » Je serais tentée d’argumenter, de lui dire qu’en plus de posséder un bateau et d’aimer naviguer pendant des heures il n’aime pas particulièrement la compagnie de ses semblables, si je m’exclus du lot, mais je ne le fais pas. Je me contente simplement d’attraper la perche qu’il me tend et, mutine, je réponds. « Hum, un vieux loup de mer. Il faut qu’on te trouve une de ces casquettes blanches de capitaine dans ce cas non ? » Je le nargue et, lorsque je m’arrête au niveau d’un objet trop imposant pour l’avoir réellement envisagée, je suis surprise qu’il capte son attention. « C’est dommage. Il est en super bon état. » Je me demande s’il l’envisage vraiment, avant de me rappeler que ce n’est plus mon rôle que de chuchoter à son oreille pour lui dire que s’il le veut vraiment il n’a qu’à le prendre. « Et non, je ne te prouverai rien du tout… Je vais pas enfiler ça là, ici, il y a pleins de monde. Tu as une idée de ce que ça pèse en plus ? Autre chose. Si tu trouves ce qui me ferait plaisir, je veux bien me plier à un autre gage, mais pas celui-là. » Je lève un sourcil, surprise, avant que mes lèvres ne s’étirent en un sourire. Je me penche vers le brocanteur, lui demande succinctement l’autorisation de toucher au casque. Il me faut rarement plus qu’un sourire et quelques mots prononcé de ma voix chaude pour obtenir ce que je veux d’un homme et le brocanteur - qui m’a tout l’air d’un vieux loup de mer - accepte effectivement ma requête en souriant à son tour. Délicatement, je soulève le casque du scaphandre, surprise par son poids, et je m’approche d’Amos, un sourire sur les lèvres. « Sauf que c’est ce gage là que je veux. » Et que je m’avance, puisque je n’ai pas encore trouvé l’objet qui ravirait son coeur. Qu’à cela ne tienne, j’agis avant qu’il ne m’en empêche, et je me hisse sur mes pointes pour le lui enfiler sur le crâne. A niveau, je ris en secouant la tête, avant de parler, un peu fort pour qu’il puisse m’entendre. « Tu as raison, ça te va bien. » Il a plus l’air idiot qu’autre chose, mais que ça fait du bien de me sentir un peu plus légère après ces derniers jours.



@Amos Taylor

« Ce n’est pas la première fois que tu me la promets, celle-là, mais j’ai toujours rien vu venir. » Nos chamailleries m’aident à penser à autre chose que nos disputes, nos cris, ces jours entiers où nous nous adressons à peine la paroles, au manque et aux traces sur mes poignets. Renouer avec nos anciennes habitudes me fait autant de bien que cela me fait de mal puisque je me surprends à espérer, à rêver d’un futur où les choses redeviendrait comme avant. Sauf que dans celui ci je n’aurais pas à la gorge le goût amer de la trahison, et lui de la déception ou de la pitié. Ce ne sont pas des bases sur lesquelles il convient de construire quoi que ce soit, ni même de faire renaître notre histoire de ses cendres. Ai-je le droit de le souhaiter, de le rêver et de l’envisager, sachant que que si c’est lui qui a, à mes yeux, porté le coup fatal à notre idylle, c’est moi qui y ai mis fin. « J’ouvre les yeux dans ce cas, c’est peut-être le bon moment. » C’est vrai que je lui en ai promis une, un soir alors que nous étions sur le pont du catamaran.

Je me laisse gagner par nos habitudes. Il m’invite à jouer, il ne me repousse pas alors je joue, fatiguée d’aller à l’encontre de ce que me dicte mon coeur pour des question de fierté, de honte ou de mal être. Je fais taire les doutes, je fais taire le manque qui prêt à Amos les traits de l’ennemi, et je m’abandonne à notre complicité. Je lui place le casque sur la tête et, immédiatement, j’éclate de rire de voir ses épaules s’enfoncer. « C’est malin. » Je vois ses lèvres bouger et je comprends ce qu’il essaye de me dire mais, mutine, je fais signe que je l’entends à peine. Il rit. Il rit et l’entendre me met un peu de baume au coeur, l’entendre me projette en plein coeur de nos plus beaux moments. Il se débat dans sa prison de métal et, lorsqu’il la passe enfin au dessus de sa tête, j’arbore mon plus bel air innocent. « J’ai autant d’allure qu’un clochard… » « Je croyais que tout t’allais bien ? » J’esquisse un sourire en coin. « Bien joué ! Tu sais que ça se paiera ? » « Je me doute. J’aurais aimé avoir mon téléphone sous la main » J’ai perdu ce privilège en abusant de sa confiance. Je n’ai personne à contacter de toute façon. « Ça aurait valu une photo. » Je me perds un instant dans son regard rieur : il m’avait manqué. « Allez, je dois encore trouver l’objet de tes rêves. » L’identifier ET le trouver.



@Amos Taylor

« Ne les ouvre pas trop grand surtout. » Il n’en veut pas de cette casquette et moi, je brûle d’envie de la lui offrir. Alors je fais tout l’inverse de ce qu’il me demande et j’ouvre grand les yeux, prêts à sauter sur la moindre occasion. J’en trouve un de couvre chef, un un peu plus encombrant et moins seyant : au moins, au look du vieux loup de mer j’aurais pu trouver un charme, là il a juste l’air d’être prisonnier d’une cage en fer bien trop lourde pour sa tête. Je m’esclaffe, et dieu que ça fait du bien d’entendre son rire qui fait écho au mien. J’en avais presque oublié le son et, destabilisée, je l’observe se libérer du casque dans un silence religieux. « On peut être un clochard et avoir de la classe. » « On peut... » Je ne sais pas si je parlerais de classe, mais une chose est certaine : je lui ai rarement trouvé autant de charme qu’avec ce sourire retrouvé et ses cheveux en bataille. Je ne lui ai jamais trouvé autant de charme qu’à présent que je ne peux plus l’avoir, je l’ai rejeté, je l’ai perdu.

Ma phrase concernant mon téléphone, elle est anodine. Bien sûr, c’est difficile que de me sentir privée de libertés, mais celle ci fait partie de celles qui ne me manque bien. J’ai souvent l’appareil accroché au bout de ma main, en extension de mes doigts, mais qu’en ferais-je en ce moment ? Je n’ai aucune photo de mon quotidien à partager sur le profil de mon réseau social de prédilection. Qui appellerais-je ? Je ne suis pas particulièrement entourée et avant tout ça, tous mes messages et appels étaient pour Amos, Alec, Mitchell ou concernaient mes activités professionnelles. La seule personne qui pourrait peut-être tenter de me joindre c’est Halsey, ma demie soeur doit être surprise de ma disparition après des semaines à tenter de jouer à la soeur perdue de vue et émue de finalement la retrouver, mais je m’en fiche et j’ai bien d’autres choses en tête. « Je ne peux pas te le rendre. » Je fronce les sourcils en l’observant : déjà, il se rembrunit. « Mais si ça peut te rassurer, je ne l’ai pas déverrouillé. » Il se remet en marche et moi, je reste conne un instant avant de le rattraper en quelques enjambées et de secouer la tête. « J’ai pas dit ça pour que tu me le rendes. » Pense-t-il que je tente de le rouler pour à nouveau contacter un dealeur ? « J’ai juste dit ça comme ça, par rapport à la photo. Qui je contacterai de toute façon ? » Mon ami proche je l’ai perdu dans toute cette histoire. « Tu peux le garder, je m’en fiche. »



@Amos Taylor

Bien sûr, je souffre du sentiment d’avoir les ailes coupées. Je ne peux rien faire sans qu’il me l’ait accordé et je ne peux même pas quitter l’enceinte de mon appartement. Pour m’occuper l’esprit et le distraire du manque, je ne peux même pas profiter des avantages de sa compagnie : la plupart du temps nous nous ignorons ou nous traitons avec une froideur qui me glace le sang. Je cours sur mon tapis de course et je cogne mon sac de frappe jusqu’à l’épuisement avant de tourner en rond comme un lion en cage. Je le lui ai avoué à deux reprises mon mal être, la veille en admettant que je me sentais prisonnière - c’est tombé comme un cheveux sur la soupe mais je n’ai pas pu le retenir plus longtemps, et tout à l’heure en lui disant que j’ai besoin de choisir une bricole, d’acheter ce qui me ferait plaisir ou non tant que je l’ai décidé moi même. Mon téléphone ne représente qu’un détail, et lorsque j’ai confié qu’il ne me manquait pas puisque je ne voyais pas qui joindre, il s’agissait d’une tentative de le ramener vers moi, pas de continuer à creuser le fossé entre nous.

Pourtant c’est ce qu’il se passe. Je le rattrape mais il me semble loin beaucoup plus loin qu’il y a quelques minutes alors que nous rions ensemble de bon coeur. « Je vais te le rendre. » Je fronce les sourcils et je dois bien admettre que je ne comprends pas. « C’est pas ce que j’ai demandé je... » Il me coupe, il riposte sans que je n’ai attaqué. « Je le fais pour toi. Pas pour que tu sois ma prisonnière. » Je sais. Et contrairement à ce qu’il pense, il y a des moments où je suis lucide quant à mon état et quant à cette faiblesse qui ne me quitte pas. Mon téléphone, je ne veux pas qu’il me le rende, parce que je sais pertinemment quelle utilité je pourrais lui trouver. « Alors, je vais te le rendre. Tu appelleras qui tu veux. En cherchant bien, tu trouveras. » Il tente d’ajouter un sourire mais je le connais toujours assez pour que cela sonne faux. Hébétée, je me calque sur son rythme, je le suis et tente de prétendre qu’il ne s’est rien passé, mais le coeur n’y est plus. « Je veux pas que tu me le rendes. » C’est un vrai cri du coeur que je pousse, et mon regard le supplie de m’empêcher de changer d’avis puisque ma lucidité ne durera pas. D’ici quelques heures, je le supplierait certainement à nouveau pour une dose. Je ne veux pas qu’il me le rende, parce que je sais que je suis faible face à l’appel des stupéfiants. « Pourquoi tu réagis comme ça ? » Je déglutis, j’ai peur d’avoir posé la mauvaise question mais je dois me rendre à l’évidence : je ne comprends pas et ça me torture.


@Amos Taylor