Scarlett a retourné le problème dans tous les sens, et ce dès le premier rendez-vous avec Jones, un député qui avait eu la bonne idée d’être pris dans une affaire de détournement de fonds. Elle se fiche de ce qu’il a bien pu faire, et qui n’est que monnaie courante dans la politique, mais elle est plus inquiète de comment réussir à retourner l’histoire en la faveur de son client. Ou du moins, moins en sa défaveur. Les accusations sont sérieuses, poussées, et Scarlett est plongée dans le dossier jusqu’à tard le soir, à chercher des affaires similaires pour chercher la meilleure stratégie - nier, s’effacer, se retirer de la politique pendant un temps ? Un procès va avoir lieu, elle le sait, et elle commence déjà à préparer chaque petit détail.

Elle coupe le moteur de sa Tesla, avalant brusquement la voix de SZA qui chantait son envie de tuer son ex petit-ami. D’un geste distrait, Scarlett rabat le pare-soleil pour ouvrir le petit miroir qui s’y cache, et elle passe délicatement son index dans la commissure de ses lèvres pour être sûre d’y effacer toute trace de son rouge à lèvres qui aurait pu s’y loger après son déjeuner. Elle observe son trait d’eyeliner, son blush, son brushing parfait, le col de sa veste de costard. Rien ne dépasse. Elle a un petit sourire satisfait, et attrape son sac à main en cuir sur le siège passager pour sortir. Elle remonte l’avenue jusqu’à l’immense bâtiment gris, et le poste de garde qui se trouve à l’entrée, un petit box en verre dans laquelle un homme d’une cinquantaine d’années au crâne dégarni est assis, son regard vissé sur ce qui semble être des écrans de surveillance. C’est lui qui garde l’entrée du parking visiteur de la prison. Scarlett lui fait un signe de la main du bout des doigts et attend, perchée sur ses talons, pour s’approcher avec un petit sourire aux lèvres. « Hector. Ça fait longtemps », dit-elle en tendant sa main. L’homme l’observe une demi-seconde avant de la prendre et de la serrer. « La dernière fois c’était… Février dernier ? »  Scarlett n’a pas choisi février pour rien. C’est le mois où il a commencé ce poste. Il est facile d’oublier les premières semaines d’un nouveau job, avec tout ce stress de bien faire. Elle vient le toucher là où il n’est pas à l’aise. Elle prétend froncer légèrement les sourcils devant le visage d’Hector qui cherche son prénom, et fait un sourire doux, faussement sincère. « Scarlett Bridgers, de Tried & True PR », elle ajoute, comme si elle lui rafraîchissait la mémoire. Cet homme n’a en réalité jamais vu Scarlett de sa vie. Mais il bouge dans sa chaise, un peu mal à l’aise, et répond un « Ah, euh, oui, bien sûr. » mal assuré.

Scarlett ne cille pas, continue de sourire, et pointe la photo de famille dans un cadre argenté sur le coin du bureau. « Elsa a gagné son concours de chant, alors ? » Le visage de l’homme se détend instantanément. « On en avait parlé ! » Elle continue, comme une pseudo explication. Scarlett le sait, en abattant cette carte, elle le tient. Il n’y a rien de plus facile que de percer des gens qui ont des enfants - à part peut-être les filles qui postent des photos de leurs brunchs du dimanche sur Instagram, dont Scarlett peut parfaitement imiter les mimiques et les codes, et séduire en quelques phrases. Il a suffi de quelques recherches poussées sur internet pour trouver des informations sur la petite Elsa, son concours de chant de mars dernier, où elle a fini troisième, d’après le journal local. « Vous avez une sacrée mémoire. Elle a fini troisième. » « Oh, elle a de quoi être fière ! » Pfff, troisième ? Ennuyeux. Mais Scarlett continue de sourire, comme elle sait si bien le faire.

Hector s’est redressé dans son siège et elle sait qu’il attend silencieusement qu’elle lui annonce l’objet de sa visite. Elle commence donc, retrouvant les mots qu’elle a élégamment préparé avant de venir. « Je cherche à joindre Mr Barlow, j’aimerais convenir d’un rendez-vous avec lui, mais le numéro de téléphone que j’ai semble être erroné… Est-ce qu’il serait possible de s’entretenir avec lui quelques minutes ? » Hector semble pensif, gêné, et Scarlett continue immédiatement : « Cela sera rapide, il s’agit d’une affaire en cours. Ce sont des informations confidentielles que je ne peux pas partager par courrier ou par mail. » Hector pince les lèvres, hôche la tête, et prend son téléphone. Scarlett s’écarte pour lui laisser de l’espace, et attend patiemment. Son visage est détendu, peint d’un air de celle qui sait ce qu’elle fait là.

@Sami Barlow  

Sami n’est pas celui qui donne les interviews. Il ne travaille pas dans un domaine qui le contraint à sourire aux caméras, à serrer les mains de microphones à pattes et à contrôler les mots qui sortent de sa bouche. Le CPIP est un travailleur de l’ombre. Il côtoie plus d’hommes enfermés que de personnes libres en une journée et de cette coutume est apparu un désir profond de libérer son esprit. Quand il ne travaille pas, Sami franchit des kilomètres pour toujours se tenir occupé et, surtout, pour multiplier sa liste du possible. Des cours de tous les genres s’enchaînent dans son horaire et quand il omet de remplir une case de son calendrier, il improvise ; restaurant, soirée karaoké, balade en forêt et, dans tous les cas, il se fait accompagner parce qu’il n’y a pas une personne dont il craint la compagnie plus que lui-même. Ses pensées sont un piège qui peut se refermer, une plante carnivore qui attend le moustique la bouche grande ouverte.

Voilà qu’un problème survient lorsqu’il attend le prochain client de sa journée, les pieds posés sur son bureau et la chaise basculée vers l’arrière. Son téléphone vient de vibrer et son ami vient de lui annoncer qu’il ne pourra pas se joindre à lui pour le cinéma le soir même puisqu’il est malade. Bien sûr, un changement dans les plans de Sami le dérange mais il ne laisse rien paraître, pour le moment. Il se contente de répondre avec un pouce en l’air et un « soigne-toi bien » des plus neutres. Au fond de lui, son petit diable ne peut s’empêcher de lui murmurer qu’il ne s’agissait que d’un mensonge et que son ami avait simplement changé d’avis. Il perd des points, malade ou pas. Il demandera des preuves et des détails plus tard.

Son téléphone fixe sonne. Il ne peut pas s’agir d’un inconnu ; sa ligne est seulement reliée à la réception puisqu’il s’agit d’une précaution plus qu’autre chose. Sami ne donne pas d’interviews téléphoniques non plus. Intrigué par cette sonnerie qui lui apportera un peu de changement dans cette journée bien trop ordinaire, il se redresse avec impatience sur sa chaise et répond à Hector (qui d’autres ?), qui lui affirme qu’une jeune femme est venue pour lui parler. Bien sûr, Sami est le dernier à refuser un tel mystère alors il se rend jusqu’à l’accueil pas accueillant de la prison après avoir pris soin de replacer ses cheveux maculés de gel. Il jette même un coup d’œil à son reflet dans la vitre qui sépare le bureau de son collègue et le couloir principal de l’établissement. Ce dernier le voit se pouponner et l’interroge du regard ; Sami hausse les épaules et continue son chemin avec hâte. Il salue d’abord Hector, qu’il remarque en premier, et le gardien lui désigne l’étrangère qui souhaite s’entretenir avec lui. Quand il voit sa silhouette fine puis son visage lumineux, il s’arme aussitôt d’un sourire de vendeur. Il ne l’a jamais vue, mais c’est comme s’il souhaitait déjà la convaincre de quelque chose – peu importe ce que c’est, ce quelque chose.

Lui tendant d’abord la main, il vient à sa rencontre et serre la sienne. « Samuel Barlow. » Qu’il se présente d’abord. « À qui ai-je l’honneur ? » Qu’il demande ensuite en papillonnant des cils, fidèle à son désir de bien paraître. Elle ressemble à une avocate, ainsi vêtue de cet accoutrement à la coupe quasi masculine. Seulement, rares sont les avocats qui viennent discuter avec celui qui fait le boulot une fois que l’accusé s’est retrouvé derrière les barreaux. Ils ne travaillent pas au même étage.

« Vous savez qu’on vient rarement à ma rencontre comme ça. Mon collègue m’a dit que vous souhaitiez me joindre… Pour quelle raison, exactement ? »

A l’instant où le jeune homme regarde Scarlett et lui sourit, elle se dit que c’est dans la poche, et lui sourit en retour, en prenant sa main pour la serrer. « Samuel Barlow. » Je sais, pourrait répondre Scarlett. Elle a récolté quelques informations sur lui, depuis quand il travaille à cette prison, où il a fait ses études, des petits détails autant qu’elle a pu. Il y a peu de choses disponibles, en ligne, il n’a pas l’air d’être le genre de personnes à afficher tout ce qu’il fait sur la toile - ce qui lui fait gagner quelques points de sympathie, puisque Scarlett déteste la manie des gens de s’afficher superficiellement, à force de trop travailler dans un milieu qui veut milimétrer chaque photo instagram. A défaut d’en savoir autant sur lui qu’elle le voudrait, elle se concentre sur la façon dont il serre la main. On peut toujours en apprendre beaucoup sur quelqu’un ainsi. Il la regarde dans les yeux, son geste est bref, ferme sans être agressif. Une bonne poignée de main. « À qui ai-je l’honneur ? » Scarlett s’arme de son plus beau sourire, celui qui plisse légèrement ses yeux. Elle sait que tout se joue là, qu’il va falloir qu’elle soit fine, pour ne pas braquer Barlow, sans le prendre pour un idiot non plus. Il la regarde comme beaucoup d’hommes le font quand ils veulent lui plaire, par politesse ou pour flirter, et Sami lui donne l’impression d’être dans la catégorie des bons élèves, mais elle est prête à s’adapter à tout moment. « Scarlett Bridgers, de l’agence Tried & True PR », elle répond, sans rentrer dans les détails, pas encore. Cela va venir, de toute manière.

« Vous savez qu’on vient rarement à ma rencontre comme ça. Mon collègue m’a dit que vous souhaitiez me joindre… Pour quelle raison, exactement ? » Hector est derrière eux, les observe en essayant d’avoir l’air discret. Elle ne le blâme pas, c’est sûrement plus intéressant que de donner des badges visiteurs toute la journée. Avant de venir, Scarlett s’est énumérée tous les angles d’approches qu’elle pourrait prendre avec Sami, et en quelques minutes, elle décide qu’il est plus judicieux de commencer par de la (quasi) honnêteté. Il a l’air d’être quelqu’un de sérieux, qui n’aime pas perdre son temps - exit donc, pour l’instant, la technique de l'entourloupe, ou le prendre par les sentiments en jouant la bonne copine. « Et je m’excuse de ce dérangement inattendu », commence-t-elle, tâchant d’avoir l’air sincère mais ferme. « Mais l’un de mes clients a travaillé avec l’un des détenus que vous suivez. J’espérais pouvoir m’entrenir avec vous, brièvement, sur le sujet. Et les informations sont confidentielles, alors j’ai préféré venir que de passer par d’autres canaux plus… Traditionnels. » Elle lui sourit d’un air entendu, comme s'ils étaient déjà sur la même longueur d'onde. « C’est une high profile case. Mais je pourrais vous en dire un peu plus, si nous pouvions nous entretenir dans un endroit plus calme ? » Suggère-t-elle, son menton pointant très légèrement vers Hector. La promesse d’être mis dans la confidence sur une affaire sérieuse peut peut-être marcher sur quelqu’un comme Sami, se dit Scarlett. Elle ne perd rien à essayer.

@Sami Barlow  

« Scarlett Bridgers, de l’agence Tried & True PR » Sceptique, Sami laisse ses yeux détailler la jeune femme dont le métier vient très peu le chercher. Il ne connait pas la compagnie dont elle parle, d’ailleurs, et il se note de l’interroger un peu mieux à ce sujet quand l’opportunité se présentera (bientôt, il imagine, puis qu’elle est là pour le voir). Dans tous les cas, ce moment est fort inusité puisque le CPIP n’est pas du genre à participer aux interviews à droite et à gauche. Son métier l’enferme dans un bureau auprès de personnes devant lesquels on ne pose pas de micro. « Et je m’excuse de ce dérangement inattendu » L’air compréhensif, il opine du chef et insiste d’un regard afin qu’elle poursuive ses explications. Il n’apprécie pas ce ton parfait qu’elle emploie. Serait-elle du genre à se penser supérieure aux autres parce qu’elle sait parfaire un eyeliner et teindre ses lèvres de cire rouge ? Il a l’impression de discuter avec une enseignante du primaire qui ne parvient pas à lui inculquer ses valeurs. La voix fluette, claire comme du verre ou un lac limpide, lui fait crisper ses doigts dans sa poche. Chaque consonne vient lui agresser les tympans, lui qui supporte mal les bruits de bouche. Il apprécie davantage le ton las et condescendant des détenus, qui n’en font pas des tonnes pour lui faire croire qu’ils sont d’agréable compagnie. « Mais l’un de mes clients a travaillé avec l’un des détenus que vous suivez. J’espérais pouvoir m’entrenir avec vous, brièvement, sur le sujet. Et les informations sont confidentielles, alors j’ai préféré venir que de passer par d’autres canaux plus… Traditionnels. » Son sourcil s’hausse, une interrogation rallonge le silence qu’il impose pour mieux réfléchir à cette opportunité qui se présente. Ça lui plairait, de jouer un peu. La journée a été longue et chiante. « C’est une high profile case. Mais je pourrais vous en dire un peu plus, si nous pouvions nous entretenir dans un endroit plus calme ? » N’importe quel autre employé de la prison lui aurait fermé la porte au nez en lui partageant sa réticence. Il n’est pas permis pour Sami de divulguer d’informations de ce genre. Ses clients bénéficient du droit à l’anonymat. Ce qui se passe en prison reste en prison. Cette Scarlett Bridgers ne détient pas d’accès privilégié à ses dossiers : elle ne travaille pas pour l’état, il lui semble bien. Où est son badge de policière ? Son mandat ? Les cache-t-elle dans son élégant sac à main en cuir ?

« Bien sûr. » Que Sami annonce avec un grand sourire faussement naïf. Il a envie de savoir ce qui se trame. Elle n’obtiendra rien de lui, mais il peut lui faire perdre son temps. Il ne faut pas le prendre pour un con. « Suivez-moi jusqu’à mon bureau. » Il l’invite d’un geste courtois et accélère la marche au niveau des couloirs principaux pour minimiser leur temps en public. Quand il ferme la porte de son bureau derrière eux, il désigne la chaise, habituellement occupée par un détenu. Ça lui fera différent, d’accueillir sur son plastique bon marché un vêtement raffiné. Droit, le CPIP prend place de l’autre côté et lui adresse un regard des plus soutenus et sérieux. « Excusez-moi de demander, mais je préfère recueillir un peu plus d’informations au sujet de votre agence afin de bien comprendre avec qui je discute. » Il se retient de peine et de misère à attraper son crayon pour le faire danser dans ses doigts. « À quel genre de clientèle votre entreprise s'adresse-t-elle principalement ? » Il pourrait peut-être deviner le client qu’elle souhaite départir de sa confidentialité. Ce serait encore plus amusant, comme jeu.      

Dès l’instant où Scarlett mentionne travailler dans le PR, elle sait lancer une pièce qui peut retomber d’un côté ou de l’autre. Elle se demande si Cadburry va se braquer, être intrigué, réceptive, et plisse les yeux discrètement pour lire le moindre changement dans l’inflexion de sa voix, de ses sourcils. Elle sent qu’il la sonde, semble réfléchir, et pendant un instant, elle s’imagine qu’il va refuser - et il aurait raison, en plus. Son métier est basé sur la confidentalité, Scarlett sait qu’elle joue un jeu difficile, mais son talent de manipulation a ouvert des portes plus verrouillées que celle-ci, alors elle a choisi de tenter le coup, d’espérer que Sami ne sera pas aussi professionnel qu’il en a l’air, ou peut-être enclin à se laisser corrompre par quelques sourires et informations croustillantes. « Bien sûr. » Le visage de Scarlett s’illumine poliment. Il ne faut jamais crier victoire trop vite. Elle est même assez surprise d’avoir réussi si rapidement, et décide de rester sur ses gardes. Mais cela s’annonce plutôt bien. « Suivez-moi jusqu’à mon bureau. » Scarlett adresse un signe de la main à Hector, le garde qui a parfaitement rempli son rôle et qui lui sera peut-être utile plus tard, et suit Sami.

Son bureau est austère, évidemment, et si Scarlett a déjà fréquenté des commissariats, prisons, et autres instances judiciaires dans le cadre de son travail, elle a toujours un pincement impercéptible devant ces atmosphères. Un vieux souvenir traîne en elle, pourtant bien enfermé sous des couches de protections, celui d’une Scarlett adolescente, devant un policier, espérant que celui-ci pourrait l’aider à obtenir justice. Une erreur stupide, elle le sait à présent. Elle s’installe sur la chaise en plastique, qui lui rappelle celle des fast foods où elle traînait, gamine, et recompose son visage, tout en charme et professionnalisme.

« Excusez-moi de demander, mais je préfère recueillir un peu plus d’informations au sujet de votre agence afin de bien comprendre avec qui je discute. » Evidemment, c’est attendu. « À quel genre de clientèle votre entreprise s'adresse-t-elle principalement ? » Leur interaction, depuis tout à l’heure, a suffi à faire comprendre à Scarlett qu’il est un homme sérieux qui n’aime pas perdre son temps. Cela ne servira à rien de (trop) le balader. Mais à l’impression qu’il pourrait être curieux - s’approcher d’un monde bourré de secret peut plaire et intriguer. « Nous nous adressons à ceux qui auraient besoin de mieux contrôler leur image, tout simplement. » Elle commence avec un sourire, et se permet d’imaginer : « J’imagine que dans votre métier, vous comprenez l’importance d’aider les gens à faire bonne impression. » Après tout, il conseille aussi les détenus sur leurs comportements, afin qu’ils soient autorisés à réintégrer l’extérieur, le monde. Consciente d’avoir à moitié répondu, elle ajoute : « Nous accompagnons des chefs d’entreprises, des personnalités publiques, des artistes, des politiciens. » Elle ne va pas perdre le temps de tout énumérer, mais elle est fière que son agence sache diversifier son portfolio. « C’est justement la politique qui m’amène ici. L’un de mes clients est un député, et l’un de vos détenus a travaillé avec son équipe de campagne. Il y a une affaire en cours et j’essaie de réunir toutes les informations possibles sur le dossier. » Elle s’engage sur un terrain miné où il faudra être fine et analyser chaque micro réaction de Cadburry, et surtout ne pas en dire trop si elle ne le sent pas réactif. « Le detenu s’appelle Elliott Wayne », elle ajoute, sans préciser de son côté le nom du député. Ce fameux Wayne a été lui-même arrêté pour traffic et corruption, mais à l’époque, Mr Jones, le député que représente Scarlett, a réussi à passer sous les radars, clamant ne pas être au courant des dysfonctionnements de sa campagne. Mais aujourd’hui, après son élection, le voilà rattrapé, et Scarlett craint que ce Wayne ne le trahisse en échange de quelques aménagements de peine.

@Sami Cadburry  

Le petit jeu a été lancé. Les deux adversaires arrivent à sonder la pupille de l’autre sans savoir qu’il s’agit d’une guerre réciproque. La manipulation se fait dans les deux sens, autant l’homme que la femme ressentent la satisfaction du succès avant-même de l’avoir obtenu. Mais Sami a l’impression d’avoir pris de l’avance dans la course car ils se trouvent sur un territoire connu. C’est son lieu de travail, son bureau dans lequel il invite cette fameuse Scarlett aux intentions sournoises, et c’est sa chaise qu’il lui offre afin de poser ses fesses, pour mieux fermer le piège autour d’elle. Il va bien s’amuser. Ça lui manquait, un peu de divertissement, aujourd’hui. La journée avait été longue à la manière d’un escargot qui rampe contre le vent. L’un de ses rendez-vous avec un détenu avait été annulé parce que ce dernier s’était retrouvé au trou pour mauvaise conduite ; une conversation aura d’ailleurs lieu à ce sujet. Mais, pour l’instant, l’heure est au jeu. Sami avance un premier pion sur l’échiquier, posant la première colle et sondant Scarlett avec un air de vautour qui attend que sa proie crève sur le bitume chaud du désert. « Nous nous adressons à ceux qui auraient besoin de mieux contrôler leur image, tout simplement. » Contrôler leur image. Les termes amusent bien Sami, qui les interprète bien autrement. Contrôler l’image, c’est aussi de cacher la vérité, une vérité qui peut parfois être frauduleuse. « J’imagine que dans votre métier, vous comprenez l’importance d’aider les gens à faire bonne impression. » Sami ne va pas acquiescer, mais il va souffler par ses narines un rire contenu. On attend parfois d’un CPIP de mentir pour donner un coup de main, mais le garçon se fait un devoir d’aider ses clients pour de vrai, pas en les maquillant d’un peu de rose pour dissimuler la noirceur en-dessous. Alors, non, il ne peut pas se mettre à la place de Scarlett, dont le métier s’apparente davantage à un tour de magie, une supercherie, pour cacher la vérité et détourner les lois en abusant de leur limites. « Nous accompagnons des chefs d’entreprises, des personnalités publiques, des artistes, des politiciens. » Il a pris un crayon en main, mais se contente de le faire tournoyer entre ses doigts. Il a envie de lui dire d’arrêter de tourner autour du pot et de balancer directement les raisons de sa venue. « C’est justement la politique qui m’amène ici. L’un de mes clients est un député, et l’un de vos détenus a travaillé avec son équipe de campagne. Il y a une affaire en cours et j’essaie de réunir toutes les informations possibles sur le dossier. » Il se pince les lèvres pour empêcher un sourire de poindre. Il sait déjà de qui elle parle. Il n’y a pas des millions de politiciens derrière les barreaux. Ceux-là, ce sont les criminels qui se cachent dans leur cellule parce qu’ils ont peur de ceux qui ont commis la brutalité. La vraie. Ils n’ont pas le même profil, sont souvent plus mous dans leurs pantalons. Ce sont aussi ceux qui ne pensent pas mériter de se retrouver mélangés à la masse et la diversité. Ils ne réalisent pas complètement leurs fautes, ou ne les comparent pas à ceux des autres. « Oui, je me doutais. » Que Sami répond du tac au tac, quand Scarlett lui confie le nom du détenu. Il joue avec un peu de paperasse sur son bureau, fait mine de réfléchir à la question, alors que la réponse est construite depuis le début. Il n’a pas le droit de sortir de l’information d’ici. Même derrière les barreaux, les hommes ont droit à un avocat. Sami pourrait se retrouver dans de beaux draps s’il partageait des dossiers confidentiels. Il tient à son métier ; mais ça ne l’empêche pas de faire tourner en rond son invitée, juste parce que c’est amusant. Autant tirer un peu de plaisir de ce cul-de-sac.

Après avoir marqué une longue pause pour donner le ton de l’échange, il se penche vers Scarlett pour feindre la confidence : « Vous savez, je n’ai habituellement pas le droit de divulguer des informations sur mes clients. » Puis il laisse ses yeux aller aux lèvres de la demoiselle afin de lui envoyer un message. Il lui adresse ensuite son plus beau sourire. « J’aimerais pouvoir vous aider, mais ce serait d’aller contre les règles de l’établissement. Vous comprenez, j’aurais beaucoup à perdre. » Alors, pourrait-elle lui faire gagner quelque chose en retour ? Manipulateur ? Peut-être. Mais c’est elle qui a commencé.      

Cadburry s’agite, touche ses stylos, son bloc-note, écoute en plissant les yeux, semble concentré, presque un peu trop. Il a quelque chose en tête, comprend Scarlett, qui décide de continuer dans sa lancée pour voir comment il va rebondir. Finalement, il se penche vers Scarlett avec un petit sourire entendu. « Vous savez, je n’ai habituellement pas le droit de divulguer des informations sur mes clients. » Si Scarlett a cru pendant quelques secondes qu’il serait plus difficile de percer la coquille du jeune homme, à l’instant où il descend ses yeux vers les lèvres de la jeune femme, elle sait tout de suite que la partie est gagnée. Ou du moins, elle a compris ce qu’il veut, même si l’instant n’a été que très bref. Elle n’est ni outrée, ni surprise. Elle fréquente assez d’hommes dans son métier, et malheureusement sa vie quotidienne, pour savoir qu’ils sont au fond tous les mêmes. « J’aimerais pouvoir vous aider, mais ce serait d’aller contre les règles de l’établissement. Vous comprenez, j’aurais beaucoup à perdre. » Il est frontal sans l’être, une qualité que Scarlett peut apprécier. « J’espérais vous convaincre qu’il y avait beaucoup à gagner également. » Elle décroise ses jambes, se penche très légèrement, l’écart entre leurs visages presque plus tout à fait professionnel. Elle le détaille avec un petit sourire. Il a un visage atypique mais charismatique, des sourcils qui lui donnent un air toujours soucieux, mais un sourire ouvert, qui invite l’autre. Scarlett n’a jamais trouvé les hommes très beaux, du moins pas autant que les femmes, mais elle peut reconnaître lorsqu’ils sont charmants. Sami Cadburry est plutôt charmant. Si c’est ce qu’elle doit donner pour craquer cette affaire, elle se dit qu’elle pourrait presque y gagner au change, elle aussi. Cela fait deux semaines qu’elle n’a pas eu le temps de s’abandonner - ou plutôt lutter, dans son cas - contre quelqu’un, et si cela peut paraître court, pour la séductrice qu’est Scarlett, cela commence à faire long. Elle pourrait presque s’ennuyer. Cadburry pourrait presque l’amuser. « Et si nous ne voyions pas cela comme ça comme une discussion professionnelle ? » Elle suggère, ses yeux plongés dans ceux de Sami. Elle est assurée, ne cille pas. « Pourquoi ne pas prendre un verre, discuter comme deux connaissances, et laisser la conversation mener accidentellement vers nos travails, peut-être ? » Elle propose. «  Et sur d’autres choses, qui sait. » Elle n’a pas besoin de regarder les lèvres de Sami, d’envoyer un signal. Son assurance traduit le sous-entend. « Il va s’en dire que si vous me rendez ce service, je vous en devrais un aussi. » Elle pourrait lui rendre un service professionnellement, évidemment, mais elle sait que ce n’est pas ce qui va faire tiquer Cadburry. Il reste un homme, et il a choisi stupidement son angle d’attaque. Très bien, se dit Scarlett. It takes two to tango.

@Sami Cadburry  

« J’espérais vous convaincre qu’il y avait beaucoup à gagner également. » Hélas, Sami n’a jamais été influencé par l’appât du gain. Ça ne l’intéresse pas de toucher la fortune parce qu’il ne saurait quoi faire d’une richesse excentrique. Comment arriverait-il à gérer le flux de ses pensées s’il n’a plus besoin de s’asseoir à son bureau quarante heures par semaine ? C’est en occupant ses journées qu’il arrive à garder le contrôle, et de s’accorder une pause ne viendrait qu’à faire exploser sa cervelle en mille morceaux, et il faudrait la ramasser à la petite cuillère. Alors non, si cette Scarlett cherche à le tenter avec un chèque, il sera le premier à lui arracher de la main pour le brûler sous la flamme d’un briquet. Si elle veut l’intéresser, elle doit songer à une autre stratégie qui ne se base pas sur le matériel. Elle est charmante, ça il ne peut pas le nier, et il n’avait justement rien de prévu ce soir. Pourrait-elle l’aider à se vider la tête ? Il voit qu’elle entre dans son jeu quand il observe ses lèvres. Déjà, le jeu de manipulation peut commencer. Sami n’a jamais été fairplay et il n’y a rien de plus qui importe pour lui que son travail ; dans tous les cas, Scarlett sera perdante. Après tout, elle n’aura qu’elle-même à blâmer ! Elle est la première à avoir tenté le diable. Il n’y a rien d’honnête dans sa stratégie. L’information qu’elle souhaite récolter est complètement confidentielle. Les personnes malhonnêtes, Sami ne les supporte pas. C’est pour cette raison qu’il n’a aucuns remords à continuer le jeu de la séduction. « Et si nous ne voyions pas cela comme ça comme une discussion professionnelle ? » Leurs visages se sont rapprochés au-dessus du bureau. Ils se scrutent comme deux renards planqués dans leur buisson. Puis, ils font un pas après l’autre, sans un bruit. « Que proposez-vous ? » Qu’il murmure d’un ton plus personnel, puisqu’elle l’a demandé. « Pourquoi ne pas prendre un verre, discuter comme deux connaissances, et laisser la conversation mener accidentellement vers nos travails, peut-être ? » Il lâche un ricanement incontrôlable. Elle ne craint pas de dire ce qu’elle veut. C’est une qualité qu’il peut lui attribuer, certes. Mais ça ne la fait pas gagner de points. Même si la stratégie est honorable, le but ne l’est pas du tout. « Et sur d’autres choses, qui sait. » Elle a l’impression de l’avoir dans ses filets, et vice-versa. Ils sont intelligents tous les deux, peut-être pourraient-ils s’entendre dans une situation différente. Peut-être… Malheureusement, elle devra goûter à la saveur des coups-bas de Sami, et ceux-ci laissent un arrière-goût bien amer. Elle n’aura pas envie de le rappeler. « Je vois. » Il susurre mielleusement en faisant mine de s’assurer, d’un regard, que personne n’espionne leur conversation. Il sait la salle insonorisée. Ça fait seulement partie de son plan pour faire semblant d’être la marionnette alors que c’est le contraire. Il veut lui faire croire qu’il met son métier en danger même s’il sait d’avance qu’il reviendra ici comme une fleur demain matin, sa libido satisfaite et une fausse confiance brisée. Il ne sera pas lui qui souffrira le plus. « Il va s’en dire que si vous me rendez ce service, je vous en devrais un aussi. » « Il va sans dire. » Il répète sur le même ton qu’elle avant de l’inviter à sortir d’ici, prétendant avoir terminé sa journée de travail (ce qui est en partie vrai).

Plus tard, chez Sami, les deux protagonistes sont en train de retirer leurs chaussures à l’entrée. Sami n’a pas bu d’alcool. Il n’en boit jamais.

« Faites comme chez vous. » Non, surtout pas, mais la politesse est prioritaire sur ce que Sami pense vraiment. Ce n’est pas long avant que son chat noir comme la nuit vienne les saluer, se frottant la tête aux chevilles de son maître temporaire avant de venir timidement renifler les pieds de Scarlett. « Si jamais vous connaissez quelqu’un qui souhaite adopter un chat, Timmy attend encore sa forever home. » Il ne manquera pas l’occasion de faire sa publicité ! Cela fait trois mois que Timmy squatte chez lui alors qu’il n’est que sa maison d’accueil. Ce n’est pas qu’il ne l’aime pas, c’est que Sami apprécie l’idée d’offrir la possibilité à plusieurs animaux de trouver une vraie maison où être aimé. Il accueille trois ou quatre bêtes tous les ans. Il aime découvrir de nouvelles personnalités et tempéraments. Ça le sort de sa routine, de tomber sur un Teckel anxieux qui a des problèmes urinaires. « Alors, ce service que vous souhaitiez me rendre ! » Il annonce en se frottant les mains, les yeux joueurs. Oh nooooon, jamais il ne lui donnera l’information qu’elle recherche avant qu’ils n’aient passé un bon moment sous ses draps.

Ou plutôt, jamais il ne lui donnera, point barre. Oups !    

Ils sont tous les deux sortis prendre un verre, mais aucun n’a bu d’alcool. Scarlett se l’est noté dans un coin de la tête - elle préfère les gens qui boivent, parce qu’ils sont plus faciles à manipuler, mais respecte plus facilement ceux qui, comme elle, préfèrent rester l’esprit clair. Sami a un certain sens de la conversation qu’elle apprécie aussi, même si elle passe leur temps ensemble à noter et juger le moindre faux pas. Au fur et à mesure que le temps avance, elle se fait la réflexion que Sami semble faire comme elle, derrière son beau sourire. L’opération de séduction n’est pas aussi simple, mais pourtant amusante. Scarlett aime le challenge, sait offrir son plus beau sourire sans oublier le sens de la répartie. Elle est sur le fil, consciente que le service qu’elle a demandé à Sami, et celui qu’elle lui a proposé en retour, flottent dans l’air, aucun encore parfaitement exhausté. L’attente est délicieuse, un petit jeu. Fière, et peut-être un peu aveuglée par son égo, Scarlett se dit que c’est dans la poche dès que Sami lui propose de retourner chez lui pour un dernier verre - offre qui fait peu sens quand aucun d’eux n’a bu d’alcool. Une dernière tisane, peut-être, se dit Scarlett avec un rire.

« Faites comme chez vous. » Hmm hmm, murmure Scarlett en retour, absolument pas pense-t-elle, sans le préciser à haute voix. Elle sait que Sami ne le pense pas non plus. C’est la politesse qui parle. Il semble toujours poli, ce Sami. Elle se demande s’il fera preuve d’un peu moins de bonnes manières quand ils passeront aux choses sérieuses.

Un petit chat nori vient s’approcher d’eux deux. Scarlett n’a jamais été très portée sur les animaux, et elle agite vaguement ses doigts en direction de la petite boule de poil. « Si jamais vous connaissez quelqu’un qui souhaite adopter un chat, Timmy attend encore sa forever home. » Elle a un petit sourire amusé en coin. « Vous aidez les détenus et les animaux abandonnés ? Vous seriez presque un peu trop gentil », elle relève d’un ton piquant, qui se doute pourtant que Sami n’est pas simplement dévoué par altruisme.

« Alors, ce service que vous souhaitiez me rendre ! » Scarlett observe Sami, penche légèrement la tête en plissant les yeux. « Vous ne perdez pas votre temps », elle souligne, mesquine. « Tant mieux, je déteste qu’on me le fasse perdre aussi. » Elle annonce la couleur, franc-jeu. Scarlett aime séduire, mais elle aime aussi conclure ses petites affaires. Elle s’approche de Sami, assurée comme elle sait l’être, le dévisage avec un sourire levé avant de passer un doigt le long de la clavicule du jeune homme. Elle prétend l’inspecter, réfléchir. A vrai dire, elle a fait son choix il y a longtemps, à la minute où Sami a regardé ses lèvres à elle, dans son bureau. Son doigt, toujours sur la clavicule, se transforme en une paume de main qu’elle appuie sur sa poitrine pour pousser le jeune homme contre le mur de l’entrée. En matière de sexe, Scarlett est fidèle à elle-même : dominante, contrôlante, égoïste, peu portée sur les sentiments. Elle espère que Sami lui donnera un peu de fil à retordre. Elle aime bien les gens qui lui tiennent tête, de ce côté-là. Ceux qui craquent, aussi. Sa main toujours sur la poitrine de Sami glisse le long de son torse, toujours plus bas, jouant dangereusement, cherchant à allumer l’étincelle. Mais avant de sceller l’affaire, elle regarde Sami et le prévient. « You better not fuck me over, Cadburry. » La menace est claire : ils ont un deal, elle est prête à honorer sa part du marché en premier, mais il s'est engagé aussi.

Du reste, tous les feux sont verts, et Scarlett est prête à s’accorder un peu de bon temps.

@Sami Cadburry    

Ce n’est pas le genre de tension à laquelle Sami a l’habitude. Ses nuits tardives qui se terminent dans sa chambre n’ont généralement pas les allures de jeu de stratégie. Chacun de ses mots est calculés – et l’apparition de Timmy semble l’être aussi, tandis qu’il vient ronronner de l’amour auprès de la visiteuse nocturne. L’animal ne fait aucun effet sur Scarlett, qui ne semble pas sensible au charme félin. Il aurait pu le parier, ça. « Vous aidez les détenus et les animaux abandonnés ? Vous seriez presque un peu trop gentil » Elle marque un point. Peut-être prend-t-il soin des animaux abandonnés pour avoir un alibi à chaque fois que ses pensées se font mesquines. Sami ne se considère pas comme une bonne personne, tout comme il ne considère personne ainsi. Ni lui, ni son père, ni son voisin, ni le caissier au marché du coin, ni Scarlett, qui veut déjouer les lois pour obtenir une information qu’elle ne recevra jamais. Il n’a jamais réussi à faire confiance à quiconque, même s’il acceptera d’admettre que certaines personnes sont moins dangereuses que d’autres. Malheureusement, le garçon a grandi avec l’idée que les gens sont tous nés mauvais et que chacun cache ses intentions malsaines à sa manière. La demoiselle qu’il a invité chez lui ne fait pas exception à la règle. Elle aussi recevra l’honneur de figurer dans son carnet des défauts, peut-être même en première page, vue la malhonnêteté avec laquelle elle s’est présentée à lui. Il n’a aucune honte à la manipuler parce qu’il ne s’agit que d’une contre-attaque. Autant en profiter ! « Vous ne perdez pas votre temps » Il répond d’un haussement d’épaule et se compose d’un sourire ravi quand elle affirme partager son opinion. Ils sont deux à ne pas vouloir perdre de précieuses minutes. « Ça nous fera un point en commun. » 

Il se laisse emporter par le jeu de séduction. Désormais, il n’a plus rien à perdre, tout à gagner. Le loup a appâté la brebis (une brebis plutôt farouche, certes). Dans la bergerie, la température est donnée. D’abord un doigt baladeur, qui fait irradier sa chaleur dans le corps entier de Sami. Sans décrocher ses yeux de Scarlett, il s’humecte les lèvres et calque son sourire au sien. Son dos rencontre le mur, le jeu peut se lancer. Ses mains possessives se sont nichées au creux des reins de sa compagne d’un soir, parce qu’il veut s’assurer de ne pas lâcher les rênes. Pas complètement. Dans l’espoir de démarrer le moteur, il réduit la distance qui sépare leurs lèvres, mais elle l’interrompt avec une dernière menace. « You better not fuck me over, Cadburry. » Sourire malicieux, il se contente de n’absolument rien dire. Il ne faut pas regarder la victime trop longtemps dans les yeux, au risque de lui délivrer ses intentions. Changer de sujet lui paraît plus ingénieux, alors qu'il place les cheveux de Scarlett derrière son oreille. « Le lit ou le canapé ? » Autant lui donner l’impression qu’elle a le choix pendant qu’il est encore temps, et que le diable n’a pas révélé ses cornes et sa queue fourchue dissimulés sous une peau blanche et une carapace de confiance. Mais, après tout, elle l’aura mérité, cette brebis malhonnête qui pense davantage à l’argent qu’à protéger l’anonymat du client de Sami.      

[…]

Encore engourdi par le frisson de l’orgasme, Sami déglutit en se laissant bercer par la danse qu’exécutent les étoiles au plafond de sa maison. Un sourire rassasié remonte ses lèvres, et l’apaisement dénoue les traits de son visage. D’un geste décontracté, il vient placer un coussin sous sa tête, et cette nouvelle position lui permet d’observer Scarlett, nue elle aussi, qui n’a cependant pas pu profiter du même service que lui. À ce niveau-là, Sami a toujours été fairplay alors c’est sans aucune gêne qu’il demande : « Did you want me to take care of you in return ? » Ce n’est pas ce qu’elle est venue chercher en premier, mais le choc sera moins violent si elle a obtenu une faveur avant de se faire refuser la chose qu’elle recherche vraiment. Quel ange, ce Sami !  

Spoiler:

Scarlett n’a aucun souci à mener la danse, à prendre le dessus. C’est ce qu’elle préfère, au lit - les gens la pensent être généreuse, mais elle est une amante égoïste qui ne prend son pied que lorsqu’elle sent l’autre sous son contrôle, et chaque plaisir qu’elle offre à l’autre n’est qu’une façon de s’en donner à elle-même. Sami rentre dans le jeu lui aussi, et Scarlett comprend clairement qu’elle n’est pas la première de ses conquêtes. Elle devine qu’il est un adepte des coups d’un soir, cela ne la surprend pas, elle a bien vu la façon qu’il avait de flirter immédiatement. Parfait, se dit-elle, ils connaissent tous les deux les termes du contrat, elle est sûre qu’il ne s’attachera pas stupidement. Alors elle honore sa part du marché, elle l’honore même très bien, elle le sait. De ce côté-là, elle est douée. Très douée.

Nullement pudique, elle reste allongée sur le lit, nue, étirant légèrement son corps sur le grand lit. « Did you want me to take care of you in return ? » Lui demande Cadburry. Elle lève un sourcil, réfléchissant, curieuse. Pourquoi pas, après tout ? Il est rare qu’elle se prive des plaisirs charnels qu’elle trouve si plaisants. Elle se tourne vers lui, ses long cheveux bruns dégringolant dans son dos à la peau tannée par le soleil, elle qui passe des heures à surfer. « Fuck it, why not », elle répond, avec un léger sourire.

Même lorsqu’il s’agit que l’on s’occupe d’elle, elle bataille pour avoir l’ascendant et contrôler toujours au maximum ce qui se joue - c’est sa façon à elle de se laisser aller. Elle n’est pas du genre à s’écrouler dans les bras de quelqu’un d’autre, encore moins d’un inconnu. Mais Sami sait ce qu’il fait, et la vague de plaisir l’envahit, la plongeant dans une certaine torpeur moite et agréable. Elle pousse un soupire de contentement, encore allongée, et laisse l’instant flotter un instant. Elle a le sens des affaires, mais aussi du timing. Elle finit par se redresser, appuie son menton dans le creux de sa main, son bras appuyé sur l’oreiller. « Ne serait-ce pas l’instant où les langues se délient ? » Propose-t-elle, prétendument légère.


@Sami Cadburry    

« Fuck it, why not » Un sourire malicieux accompagne le mouvement de Cadburry quand il se redresse pour venir prendre le dessus sur elle, l’écrasant sous son poids, leurs deux corps se joignant pour creuser le matelas. Les plis des draps forment des flèches et pointent les deux partenaires, l’un traçant son chemin jusqu’à l’intimité de l’autre pour faire bon usage de ses lèvres et de sa langue. Parfois égoïste dans la vie de tous les jours, Sami range ses défauts au lit parce qu’il éprouve autant de plaisant à donner qu’à recevoir. De la sentir frémir sous lui, d’entendre ses gémissements qui grimpent en crescendo ; puis le dernier soupir s’accompagnant d’une note cassée.

Rassasié, Sami se laisse à nouveau tomber sur le côté. Son corps est couvert de sueur que la lueur de la lune s’amuse à relever. Il profite du silence qui ne s’éternise pas. À sa droite, la voix ramollie de Scarlett le ramène sur terre, dans ce lit, dans sa nudité. Il vient attraper le coin de sa couverture pour y cacher l’essentiel. Ses yeux viennent sonder ceux de la jeune femme qui cherche à faire s’accélérer le temps. Il lui dédie un sourire vif, rempli des dents blanches d’un traître qui sait ce qu’il fait, puis il bredouille : « Je pensais que c’est ce que nous faisions. Délier nos langues. » Il s’humecte les lèvres en dissimulant un sourire pas peu fier. Il sait qu’elle ne pourra pas se contenter d’une telle boutade de mauvais goût. Ils ont fait un accord tacite. Une signature de contrat invisible. Sauf que Sami en avait signé un autre bien avant. En acceptant cet emploi, il avait juré de préserver l’anonymat de ses clients et, surtout, des informations qui gonflent leurs dossiers. Il n’y que les gens qui bossent pour le gouvernement qui ont le droit d’y enfoncer le nez.

« Une fois minuit passé, j’ai peur de dire des bêtises. » Justement, sur sa table de chevet luisent les chiffres rouges et clignotant de son cadran. 12:03. Pas de chance ! « Rappelle-moi ce qu'il te faut, exactement ? » Gagner du temps, lui faire perdre le sien… À la fin de cette danse, Sami refuse de prendre le rôle du perdant. Qu’est-ce qu’elle pourra bien lui faire, de toute façon ? Lui planter un couteau dans le ventre ? Se plaindre au patron de Cadburry, qui ne fera que le féliciter pour son travail impeccable et sa fidélité ? Naaaah. Le garçon n’a rien à perdre dans cet échange.