@Swann Craine

Mettant sa main en visière pour tenter de voir au delà de la ligne d’horizon, Ruben plissait les yeux. Il avait l’impression que cela faisait des jours et des jours qu’ils marchaient dans ce qui ressemblait à un désert - au moins par la faible population s’habitants qu’ils avaient croisé pendant leur périple. Un groupe de chercheurs d’or qu’ils avaient rencontré plus tôt sur leur chemin leur avait certifié pourtant que la ville ne se trouvait qu’à quatre jours de marche; pourtant, alors que le soleil se couchait dans leur dos et que le quatrième jour touchait à sa fin, ils n’avaient toujours pas atteint l’endroit rêvé. « Je crois qu’on va être obligé de monter le camp encore pour ce soir. » Et bien sur que des soupires se firent entendre dans son dos, et il pouvait le comprendre: ses hommes n’en pouvaient plus de marcher sans atteindre le moindre but. Ils avaient du oublier dans quelle aventure ils s’étaient engagés, car si cela n’avait pas été le cas, ils n’auraient pas réagi de la sorte. C’en était lassant de marcher sans but, mais la finalité en valait la chandelle.

Alors, se tournant face au petit groupe, Ruben croisa les bras sur sa poitrine. « C’est pas en soupirant qu’on deviendra les meilleurs chercheurs d’or du coin, hein. Alors montez le camp. » Et le premier qui voudrait rechigner encore davantage ou contredire ses ordres aurait affaire à lui et à la colère dont il savait faire preuve quand il le fallait. Pour l’instant, il souhaitait juste s’établir avant que la nuit ne tombe et s’entretenir avec son bras droit: Swann. Il fit quelques pas dans sa direction. « Tu penses qu’ils nous ont menti, les autres qu’on a croisé ? » Il haussa un sourcil, pencha sa tête quelque peu en direction du jeune homme, pour qu’il puisse entendre ses paroles sans que ce soit le cas pour les autres. « Je sais qu’on marche pas vite et qu’on est chargés, mais quand même… » Ils auraient du être à Brisbane dans la soirée, et ce n’était pas le cas, ça laissait matière à réflexion.

Il a l’impression de faire la traversée du désert, et cela n’a absolument rien de poétique, ni même de positif. L’horizon à perte de vue est magnifique, mais il se veut surtout synonyme de danger de mort imminent. « Je crois qu’on va être obligé de monter le camp encore pour ce soir. » Leur supérieur leur annonce la mauvaise nouvelle un jour de plus, et Swann n’a même plus la force de réagir face à ça. Ils commencent à avoir l’habitude. Malgré eux, évidemment, mais peu importe. « C’est pas en soupirant qu’on deviendra les meilleurs chercheurs d’or du coin, hein. Alors montez le camp. » En léger retrait du groupe, Swann observe la discussion à sens unique: les hommes soufflent et bougonnent encore plus encore, mais cela ne les empêche pas de se mettre au travail. Ils sont bons et loyaux. Ils sont désespérés, surtout.

Le visage des hommes est rouge de la terre qu’ils remuent à longueur de journée sans jamais être capables de s’arrêter. « Tu penses qu’ils nous ont menti, les autres qu’on a croisé ? Je sais qu’on marche pas vite et qu’on est chargés, mais quand même… » Lentement, Swann s’assoit sur un rocher. Il est tellement fatigué qu’il se demande comment ses jambes arrivent encore à le porter. « Le paysage est différent. Je connais les environs, et je te jure que c’est différent. » Il ne remet pas en doute la parole de ces inconnus, mais il ne peut s’empêcher que quelque chose ne tourne pas rond dans ce putain de trajet qu’ils font sans plus s’arrêter. « On a croisé aucun animal, tu t’en es rendu compte ? » Comme s’ils avaient tous fui, anticipant un danger que les humains ne peuvent qu’observer et subir au moment où il se produit. « Qu’est-ce que te dit ton instinct ? Tu me poserais pas de question, sinon. » S’il était en paix avec lui-même, il n’y aurait aucune question d’aucune sorte.

Il se doutait bien que la façon dont tournait cette expédition n’était pas ce à quoi ses compagnons de galère s’attendaient; pourtant il les avait prévenus avant de partir que la route serait longue et semée d’embûches, qu’ils ne pourraient en ressortir sans y laisser quelques gouttes de sueur. Il fallait peut-être qu’ils soient confrontés à la réalité de la chose pour le comprendre.

Ce que Ruben ne comprenait pas de son côté, c’était pourquoi ils avançaient dans ces conditions là. Il avait l’impression qu’ils auraient du être si pas encore arrivés, bien plus proche de la ville qu’ils ne pouvaient l’être en cet instant. Ne voulant pas cependant alerter toute la troupe, il confia ses doutes à Swann uniquement, se penchant vers ce dernier alors qu’il s’installait sur un rocher. « Le paysage est différent. Je connais les environs, et je te jure que c’est différent. » Serrant un brin les mâchoires, Ben essaya de garder l’air le plus neutre possible sur son visage. « Ça me rassure pas, que tu me dises ça. » Même s’il avait pressenti que c’était de cette façon la que la réponse de Swann serait perceptible, ce n’était pas pour autant que cela lui faisait plaisir d’avoir en grande partie raison. Pas cette fois ci.

« On a croisé aucun animal, tu t’en es rendu compte ? » - « J’ai vu oui. »

Ce n’était pas bon signe, si même les animaux n’étaient plus dans le coin. « Qu’est-ce que te dit ton instinct ? Tu me poserais pas de question, sinon. » Il releva son regard dans la direction de son acolyte, puis l’éloigna vers l’horizon qui était totalement teinté de doré désormais. « Il me dit qu’on fonce droit dans un piège. » Il soupira: il fallait dire ce qu’il en était, parce que de toutes façons ça ressemblait drôlement à ça, ce vers quoi ils s’en allaient. Ruben soupira longuement. « Mais je suis pas capable de savoir c’est quoi ce piège, justement, c’est ce qui me pose soucis. » Et bien sûr qu’il s’attendait à ce que le jeune homme face à lui donne son avis sur la question maintenant que le sujet était abordé.

« Ça me rassure pas, que tu me dises ça. »
« Je suis pas là pour ça. »

Malheureusement. Il aurait aimé être capable d’apporter uniquement des réponses aussi justes que rassurantes, mais ce n’est pas le cas. Swann se rend rapidement à l’évidence: il y a un foutu quelque chose qui ne tourne pas rond et plus ils perdent de temps à ne pas mettre le doigt dessus, plus ils risquent gros. C’est comme s’ils fonçaient dans la gueule du loup. Même les animaux s’en sont rendus compte et ont fui le chemin. « Il me dit qu’on fonce droit dans un piège. » Leurs soupirs s’entremêlent. « Le mien me dit la même chose. » Et ils sont des hommes qui doivent toujours se référer à leur instinct, alors ils savent de quoi ils parlent et, surtout, ils savent que ce dernier ne les trahit jamais. « Mais je suis pas capable de savoir c’est quoi ce piège, justement, c’est ce qui me pose soucis. » Le regard de l’anglais trouve un instant le sol, où il pioche du sable qu’il fait glisser dans la paume de sa main, puis entre ses doigts. Pas la moindre trace de vie dans les environs.

« Tu as entendu les hommes ? Les rumeurs dont ils parlent ? » Ils ne pensent pas foncer dans la gueule du loup mais ils pensent marcher droit en direction de la mort elle-même. Au sens propre. Des villages entiers revenus à la vie, des corps vieux de décennies, décharnés et rongés par les animaux qui se remettent à marcher sur les deux jambes ou tout du moins ce qu’il en reste. « Je pense que c’est un beau ramassis de conneries, mais je pense aussi que les histoires ne naissent pas de nulle part. » Et il tuerait pour connaître l’origine de celle-ci et poser un œil terre à terre sur toute cette situation. Il crève d’envie d’enfin savoir où ils mettent les pieds, non seulement eux mais surtout tous les hommes qui les suivent et ont confiance en eux.

« Je suis pas là pour ça. » Et ce n'était pas là pour le rassurer - mais au moins cela avait le don de lui faire garder une partie de son attention dans la bonne direction. Parce-que si Swann n'était pas là pour le rassurer, Ruben se devait de continuer d'être sur ses grades pour ne pas se faire avoir par la situation qui les entourait; autant ne pas se faire avoir par la panique qui pourrait faire son apparition chez lui ou chez ses compagnons, que par tout ce qui les entourait. Car si jusqu'alors il avait gardé la tête haut et le menton fier face aux autres compagnons de galère, il avouait presque sans mal à son bras droit que les choses n'étaient pas aussi glorieuses qu'elles paraissaient l'être en réalité: il avait l'impression qu'ils fonçaient droit dans le mur. « Le mien me dit la même chose. » Il grogna dans sa barbe inexistante: ce n'état pas là le genre de réponse qu'il avait envie d'entendre non plus.

« Tu as entendu les hommes ? Les rumeurs dont ils parlent ? » Son regard passa de Swann au reste de la troupe, resta un instant dans leur direction avant de revenir à sa place initiale; pinçant ses lèvres, il aurait aimé nier avec une évidence telle qu'il n'aurait pas eu besoin d'hésiter pour répondre, mais ce n'était pas chose faisable ici malheureusement. « J'ai entendu oui. » - « Je pense que c’est un beau ramassis de conneries, mais je pense aussi que les histoires ne naissent pas de nulle part. » Peut-être que le petit rire qu'il laissa glisser entre ses lèvres n'était pas aussi amusé qu'il aurait aimé que ce soit le cas. Parce-qu'il était censé rire au nez des contes et légendes urbaines, au moins de cet acabit là non ? Il croyait en celles qui parlaient d'or couvrant les plaines, pas aux histoires de fantômes. « Je pense que les hommes ont trop bu et ont des idées qui leur montent à la tête. » Il haussa un sourcil en direction de Swann. « Des morts qui reviennent à la vie ? On va croire les sorcières maintenant ? » Ben n'y croyait pas, mais ces dernières histoires étaient tant partout autour d'eux qu'il finissait par ne plus être autant rassuré qu'il l'aurait voulu sur la question.

« J'ai entendu oui. » Comment auraient-ils pu passer à côté ? Il n’est question que de ça parmi les hommes, les troupes. C’est à peine s’ils arrivent à avoir le moindre autre sujet de conversation. « Je pense que les hommes ont trop bu et ont des idées qui leur montent à la tête. » Les hommes ont trop bu, ce n’est pas une question, mais ils y sont habitués et ce n’est pas pour autant qu’ils pourraient perdre la tête. Ils occupent leurs longues soirées, ils rongent le manque de leurs femmes et leurs familles comme ils le peuvent. « Il n’y a pas que ça. » Il le sait autant que Ruben et ne peut pas le laisser nourrir de telles idées sans tenter de le rationaliser un seul instant. « Ils n’inventeraient pas des histoires qui les tiennent éveillés. » Ils aiment se faire peur, ils aiment jouer avec la patience de chacun, mais à aucun moment ils n’iraient jusqu’à imaginer un plan aussi élaboré - à commencer parce qu’ils n’en sont tout simplement pas capables. Ils sont braves, mais ils n’ont pas été choisis pour leur intelligence.

« Des morts qui reviennent à la vie ? On va croire les sorcières maintenant ? » - « T’aurais bien besoin d’un filtre ou deux, non ? » Swann ose un brin d’humour en relevant sa lèvre dans un rictus amusé. Il leur faut bien ça pour survivre dans l’environnement hostile qu’est le leur, non ? L’humour, l’insouciance. La simplicité des choses, parfois, peut aussi y faire. « J’arrive à peine à dormir avec ça. Le moindre bruit me fait sursauter. » Il confesse avec difficulté, loin d’être un homme ayant peur de son ombre en temps normal - et ça, Ruben le sait aussi. « Demande leur de monter un camp serré. On doit pas avoir de personnes isolées. » Et si ces choses n’existent pas et ne reviennent pas à la vie, alors ils n’auront rien perdu. Mais si tel est le cas, cela pourrait les sauver. « J’ai pas envie d’y croire, mais on a besoin de jouer la sécurité. » Surtout alors qu’ils ont bien plus d’ennemis que d’amis parmi les morts, pas vrai ? La faute d’avoir joué à la guerre si longtemps.

« Il n’y a pas que ça. » Il n’y avait pas que ça, bien sûr qu’ils le savaient aussi bien tous les deux. Il y avait de ça, mais la justification que donna Swann à la suite était celle qui permettait d’être certains qu’il n’y avait justement pas que ça: « Ils n’inventeraient pas des histoires qui les tiennent éveillés. » Ruben laissa échapper un léger grognement entre ses lèvres: il ne pouvait contrecarrer cet argument la.

« T’aurais bien besoin d’un filtre ou deux, non ? » Il leva les yeux au ciel. « Plutôt me couper une jambe que de faire confiance à la moindre sorcière. » Il n’aurait confiance à ces faiseuses de sorts, de potions, d’il ne savait quoi encore justement.

« J’arrive à peine à dormir avec ça. Le moindre bruit me fait sursauter. » Aux mots prononcés ici par Swann, il haussa un sourcil cependant; ce n’était pas dans ses habitudes de montrer des signes d’une quelconque peur de la sorte. Surtout pour des bruits qui courraient - littéralement des bruits, pour le coup. « Demande leur de monter un camp serré. On doit pas avoir de personnes isolées. J’ai pas envie d’y croire, mais on a besoin de jouer la sécurité. » Faisant rouler ses lèvres l’une sur l’autre un instant, Ruben finit par soupirer. « Tu sais qu’aucun de nous laissera quelque chose arriver à un autre hein ? » Il y avait peut-être certaines légendes qui prenaient vie, mais cela ne changeait pas qu’ils avaient prêté tous serment de se soutenir dans cette épreuve et sous la surveillance de Hartfield, ce serait ainsi que les choses se passeraient. Il finit par se lever. « Je vais leur donner les instructions, et après on organisera une groupe pour aller chercher un peu d’eau. Tu me diras dans quel groupe tu veux être. » A lui, il lui laissait le choix et l’opportunité de choisir l’option qui le rebutait moins.

« Plutôt me couper une jambe que de faire confiance à la moindre sorcière. » Le pire dans tout ça, c’est sûrement que le rire qui s’ensuit et s’échappe de la bouche de Swann n’a absolument rien de forcé. Il est sincère quand il pense que Ruben est un homme plein d’humour, mais il est tout aussi sincère lorsqu’il avance que le moment n’est pas le plus adéquat pour oser un concours de blagues et revoir le classement de l’homme le plus drôle de leur duo - classement qu’il clame gagner haut la main, si on lui demande. « Tu sais qu’aucun de nous laissera quelque chose arriver à un autre hein ? » - « Tout va trop vite, parfois. » Il énonce froidement en le regardant dans le blanc des yeux. Ils se protègent les uns les autres quand ils voient le danger arriver, oui, mais s’ils sont attaqués au beau milieu de la nuit alors il y a fort à parier qu’ils seront surpassés en un rien de temps. Bien avant de pouvoir comprendre ce qui leur arrive, notamment.

Lorsque son commandant se lève, Swann l’observe avec curiosité. « Je vais leur donner les instructions, et après on organisera une groupe pour aller chercher un peu d’eau. Tu me diras dans quel groupe tu veux être. » - « Je partirai en expédition. Je veux savoir à quoi ressemblent les environs. » Et a en juger par toute la froideur de ces mots, il veut connaître les environs uniquement pour savoir à quoi s’attendre et surtout tenter de faire de son mieux pour se préparer. Nul doute qu’il transmettra toutes les informations à son supérieur, lequel n’a rien à craindre. Il s’en fait si peu qu’il pourrait presque dormir sur ses deux oreilles, en réalité, et cela a sans doute un petit quelque chose d’ironique au sujet de l’homme qui est censé assurer leur sécurité à tous. Il semble continuer à nier que toute forme de danger puisse exister, comme si ce mensonge allait par extension pouvoir les protéger. Seul l’avenir leur dire ce qu’il en est, et pour la première fois depuis longtemps (si ce n’est toujours), Swann est terrifié à l’idée d’avoir raison.