Mateo avait sorti un costume trois pièces des plus luxueux pour honorer le mariage de son ami. Il s'était répété les choses à ne surtout pas oublier un million de fois, faisant rouler les pensées dans son esprit jusqu'à ce qu'elles deviennent mécaniques et tellement ancrées en lui qu'il n'aurait plus à réfléchir avant d'agir. Le programme de la journée était calé et aucun retard ne serait permis. Rien ne devait venir gâchée le déroulement du mariage et Mateo s'était mis un point d'honneur à ce que tout se déroule sans accroc. Il était le témoin principal de Rafael, alors c'était son rôle évidemment. Mais ça lui tenait tout particulièrement à cœur en l'absence de Lucia. Elle n'était pas présente à leurs côtés aujourd'hui parce que la vie l'avait mise face à ses limites et qu'elle n'avait pu les dépasser, qu'elle n'avait pas réussi à les affronter. Penser à elle lui brisait le cœur, surtout en sachant que toute sa famille serait réunie en ce jour. Alors symboliquement pour lui, ce mariage avait une importance immense. Il ne pouvait pas se laisser aller et sombrer en se laissant submerger par ces émotions, par ces souvenirs restés trop douloureux même après des années. Alors Mateo préférait largement se concentrer sur toutes les autres émotions qu'il pouvait ressentir en cet instant. Un mélange d'excitation, d'adrénaline et de stress le plongeait presque dans un état second depuis l'instant où il avait ouvert les yeux ce matin. C'est plein d'émotion qu'il avait gravit les marches de l'hôtel de ville de la ville pour s'assurer avant l'arrivée des premiers invités que tout était en place. Avoir vu la salle prête à les accueillir n'avait fait qu'accentuer l'impatience qu'il avait d'unir son meilleur ami de toujours, son frère, à la femme de sa vie. Il était ressorti pour attendre devant l'immense bâtiment historique, se prenant à rêver d'un jour où lui aussi il en serait à ce stade là de sa vie. Difficile de se l'imaginer en l'état actuel des choses, au vu de l'état de ses relations et du fait qu'il n'avait aucune envie pour l'instant de se poser avec quelqu'un. Ça ne l'empêchait pas de croire qu'un jour il vivrait ça, lui aussi. Toujours posté devant l'hôtel de ville, attendant tranquillement les premiers arrivés, il fut sorti de ses pensées lorsque ses yeux s'étaient posés sur un visage familier. Un visage qu'il n'aurait pas cru revoir un jour, et donc la simple présence avait réussi à faire disparaître le sourire pantois qu'il n'avait pas quitté depuis des heures. Dahlia semblait regarder autour d'elle comme si elle cherchait où se rendre, mais elle s'était arrêtée à quelques mètres de lui seulement. Mateo ignorait comment elle avait pu savoir qu'ils seraient tous là aujourd'hui. Il ignorait même qu'elle était de retour en ville, et un millier de questions venaient assaillir ses pensées sans qu'il ne puisse trouver de réponse satisfaisante à aucune d'entre elles. Porté par son impulsivité, il s'avançait vers elle pour rompre les quelques pas qui les séparaient encore. « Non non non non non. Pas aujourd'hui, c'est pas possible. » Elle semblait surprise de le voir mais il était trop en colère à cet instant précis pour voir qu'elle ignorait de quoi il parlait. « Hors de question que tu gâches la journée de Raf. C'est mort, tu t'en vas. » Elle était partie sans prévenir et sans donner aucune nouvelle, elle avait disparu de leurs vies. Elle n'était pas là pour Lucia quand elle avait besoin d'elle et n'était pas là non plus pour eux au décès de cette dernière. Dahlia était morte aux yeux de Mateo, morte aux yeux de Raf, et il était hors de question que le fantôme de leur passé vienne les hanter aujourd'hui.

Wrong place wrong time
Dahlia Jakande & @Mateo Alvarez

Une anxiété teintée d’une certaine excitation battait dans les veines de l'israélienne en cette journée particulière ; elle s’apprêtait à faire un audacieux saut dans l’inconnu, mais ses doutes l’assaillaient. Elle n’y parviendrait pas, ne serait pas à la hauteur. Trop jeune, trop inexpérimentée ; la sylphide n’était qu’une ébauche imparfaite de ce qu’elle aspirait à devenir. Après avoir passé près de vingt tenues différentes, un soupir s'exhala de ses lèvres roses. Aucune ne répondait pleinement à ses attentes. Chaque robe, chaque ensemble semblait manquer de quelque chose. Que convenait-il de porter lorsque l'on s'apprêtait à poser pour la première fois le pied sur le sol — potentiellement marbré —, d'un des luxueux showrooms réservés par la célèbre maison Weatherton ? Dahlia n’en avait pas la moindre idée. Les pensées se succédaient à une vitesse folle dans son esprit. Chaque possibilité, chaque option, chaque dilemme, surgissait et s'évanouissait aussi rapidement qu'un éclair. Son esprit tourbillonnait dans une volée de questions sans réponse. Elle se sentait prise au piège dans cette salve de pensées incessantes, chacune plus tumultueuse que la précédente. Le mentisme la submergeait totalement.

Naviguant à l'aveugle dans l'univers de la mode, Dahlia avait finalement opté pour une robe mi-longue à bretelles, fendue à partir du milieu de la cuisse. Le tissu, d'un jaune pâle, était orné de fleurs aux nuances de rose et de violet. Le décolleté quant à lui, finement ouvragé, était agrémenté d'un lacet soulignant la féminité du corsage. La jeune femme scruta attentivement sa silhouette dans un miroir de plein pied, évaluant avec minutie l’effet de sa tenue. Elle conclut diligemment que cette robe était ce qui correspondait le mieux à l’image qu’elle souhaitait projeter ; simple et élégante, saisissant parfaitement l'essence recherchée. Les iris de l’israélienne s’élevèrent de quelques centimètres ; une pince retenait sa chevelure brune à l'arrière, laissant échapper deux mèches qui encadraient avec grâce les contours de son visage. Les mains crispées sur la bride de ses sandales à talons, Dahlia se retenait de hurler. Elle était fin prête, mais le stress qui lui étreignait les entrailles freinait son enthousiasme.

Lorsqu'elle quitta son appartement à Fortitude Valley, l’israélienne prit une grande inspiration. Elle était convaincue que ses premiers clichés ne donneraient aucun résultat, et chaque pas vers le showroom lui offrait une chance de se préparer mentalement. Ce qu’elle n’avait pas anticipé, en revanche, c’était de tomber nez à nez avec un spectre du passé. « Non non non non non. Pas aujourd'hui, c'est pas possible. » La silhouette de Mateo Alvarez se précipita droit sur elle, raide et impulsive. « Hors de question que tu gâches la journée de Raf. C'est mort, tu t'en vas. » Cela faisait une éternité qu'elle n'avait pas vu ce visage, avec son teint mat et ses deux yeux bruns semblables à des cristaux au milieu de cette expression remplie d’hostilité. « La journée de Raf ? De quoi est-ce que tu parles ? » s’enquit-elle en fronçant ses sourcils au dessin régulier. Dahlia scruta attentivement l'apparence de son ancien confident et le costume — probablement coûteux — qu'il portait avec une grande élégance. Il était évident que cette journée et la raison de sa présence revêtaient un caractère important. « Mat, je suis au courant de rien et je suis pas venue gâcher quoi que ce soit. » Elle avait disposé ses deux mains en évidence, comme pour se préparer à toute attaque verbale qu'il pourrait lui réserver. « Tu peux te détendre. » Ce n'était pas ainsi qu'elle avait envisagé leurs retrouvailles. Et si la jeune femme n'avait pas encore trouvé le courage de frapper à la porte de l'australien, c'était parce qu'elle n'avait aucune idée de la façon dont elle pourrait le faire. Mateo ignorait tellement de choses à son sujet... De la raison de son départ jusqu’à celle de son retour. « Je suis revenue à Brisbane il y a tout juste deux mois alors… je vois vraiment pas de quoi tu parles. »

Une demie heure. Il restait une demie heure avant que la voiture des mariés ne pointe le bout de son nez pour les déposer devant l'hôtel de ville. Une demie heure durant laquelle le reste des invités allaient continuer d'arriver pour s'installer et être prêts à les accueillir pour le grand départ de cette journée forte en émotions. Une demie heure, c'était le temps qui restait à Mateo pour découvrir ce que Dahlia faisait ici, et de parvenir à se débarrasser d'elle pour qu'elle ne se transforme pas en une ombre dans le tableau parfait de ce mariage qui se dessinait jusque là. « La journée de Raf ? De quoi est-ce que tu parles ? » Il était évident, au vu de son expression, que la jeune femme ignorait tout de l'importance de cette journée. Pourtant, l'amertume que Mateo ressentait à son égard et qui avait refait surface à l'instant où il avait posé ses yeux sur elle l'empêchait de réfléchir correctement. « Fais pas comme si tu savais pas. Ça peut pas être un hasard que tu sois là. » Il était froid, montrait son mécontentement sans mal. A bien y penser, Dahlia ne l'avait certainement jamais vu dans cet état. Pas à son égard, en tout cas. Elle n'aurait pu en avoir l'occasion, ayant fuit sans leur donner d'explications et sans leur laisser le temps de réagir, d'une manière ou d'une autre. « Mat, je suis au courant de rien et je suis pas venue gâcher quoi que ce soit. » L'entendre l'appeler ainsi lui faisait grincer des dents : plus personne ne l'appelait de cette façon aujourd'hui en dehors de Raf. Et elle, elle avait perdu ce droit en coupant les ponts. « Tu peux te détendre. » S'il n'était pas soucieux de garder une apparence propre et respectable, Mateo serait sorti de ses gongs sans l'ombre d'un doute. A la place, il avait prit une longue inspiration pour essayer de calmer ses ardeurs. « Me dis pas quoi faire. T'as pas à être là c'est tout. » Il n'avait pas à donner plus d'explications : la présence de Dahlia n'était ni souhaitée, ni logique. Elle n'avait aucune raison d'être. « Je suis revenue à Brisbane il y a tout juste deux mois alors… je vois vraiment pas de quoi tu parles. » Et pour une fois il entendait ce qu'elle était en train de dire, et enfin il envisageait qu'elle n'était pas en train d'essayer de le manipuler. « Vraiment ravi d'apprendre ton retour. » Son expression débordait de sarcasme et il ne s'en cachait pas. La seule chose qu'il retenait de cette information était qu'en deux mois de vie en ville, elle ne s'était pas décidée à revenir s'expliquer pour sa disparition. « C'est le mariage de Raf. Et tu risques de gâcher la journée. » Qu'il avait lancé d'un air des plus sérieux, avant de réaliser que sa curiosité était malgré tout piquée. « Si tu savais vraiment pas, qu'est-ce que tu fais là ? Dans cette tenue ? » Parce qu'elle ne donnait pas l'air d'être dans le coin pour faire ses courses ou remplir des tâches administratives ; elle avait un look qu'il aurait qualifié de festif et d'adapté pour ce genre d'évènements.

Wrong place wrong time
Dahlia Jakande & @Mateo Alvarez

« Fais pas comme si tu savais pas. Ça peut pas être un hasard que tu sois là. » Elle peinait à le reconnaître. Son regard, chargé de mépris, semblait la traverser de part en part. Dans ses souvenirs, le rire de Mateo lui apportait du réconfort, lui rappelant les jours insouciants de leur jeunesse, où ils riaient à gorge déployée, portant la légèreté comme une seconde peau. Ces temps-là semblaient bien loin désormais… « Je t’ai jamais menti, Mat’. Si je te dis que je ne sais pas de quoi tu me parles, c’est que c’est vraiment le cas. » Depuis quand exigeait-il des explications de sa part ? L'israélienne plissa les sourcils, contrariée qu'il essaie de la catégoriser d'une manière qui ne lui correspondait pas, qui ne lui avait jamais convenu et qui ne lui conviendrait jamais. Si quelque chose définissait Dahlia, c'était sa franchise, sa sincérité et son intégrité inébranlable. « Me mets pas dans un panier dans lequel je me trouve pas. » Elle le regarda avec ce qu'elle croyait être une expression neutre, ses émotions soigneusement verrouillées à l'intérieur d'elle-même. Un échec, si l'on en jugeait par la grimace qui se dessina sur le visage de son ancien ami. « Me dis pas quoi faire. T'as pas à être là c'est tout. » Asséner de telles attaques, la crucifier sur la place publique, ne menait à rien de constructif, tout comme répliquer ne le serait pas davantage, elle en avait parfaitement conscience. Mais le besoin de décharger son cœur de cette amertume brûlante éclipsa toute rationalité ou considération de bienséance. « À Brisbane ou sur le parvis de la Mairie ? Sois plus clair. »

Un soupir de lassitude franchit ses lèvres serrées. Dahlia savait pertinemment que cette confrontation avec Mateo risquait de dégénérer en quelque chose de bien plus sérieux que de simples joutes verbales. Ils étaient proches du seuil critique, à un pas du point de non-retour. « Vraiment ravi d'apprendre ton retour. » Un sourire artificiel s'étira sur son visage au grain de peau séraphique, mais sa voix s'adoucit. La sylphide n'avait aucune intention de faire plus de mal à celui qui avait partagé les joies et les peines les plus intimes de sa vie. Elle avait déjà fait suffisamment de dégâts. « Contente de te voir aussi. » Ce qui, d’une certaine manière, était absolument vrai. Elle ajusta le foulard de soie qu'elle portait autour de son cou et qui lui donnait une allure résolument raffinée. « C'est le mariage de Raf. Et tu risques de gâcher la journée. » Ses doigts se contractèrent autour du tissu soyeux. « Raf se marie ? » Elle détourna ses iris mordorés du visage de l'australien, pour les y ramener presque aussitôt. Les larmes qu'elle s'efforçait de retenir faisaient briller ses yeux. Six années s'étaient écoulées, marquant des changements profonds dans la vie de chacun. « C’est Lucia qui doit être contente. Elle m’a toujours dit qu’il franchirait le pas au moins une fois dans sa vie, même s’il s’entêtait à lui répéter le contraire. » Une expression de nostalgie se figea sur ses lèvres à cette pensée. « Elle avait même ouvert les paris. » Un pincement affectif lui comprima la poitrine. Les sentiments de tendresse et d'affection envers cette -sœur- qu'elle n'avait jamais eue mais qu'elle considérait comme telle, refirent surface de manière abrupte. « Si tu savais vraiment pas, qu'est-ce que tu fais là ? Dans cette tenue ? » Dahlia humidifia ses lèvres avant de répondre. Quelque chose en elle lui suggérait qu'il était peut-être sur le point de s'ouvrir, ne serait-ce qu'un tout petit peu, à elle. « Je viens de signer un contrat avec la maison Weatherton. » Naturellement, il ne ferait probablement pas de grands pas. La jeune femme continua donc avec précaution, comme si elle cherchait à extraire une huître de sa coquille. « Je fais partie de leurs modèles éphémères pour la saison 2024 et c’est mon premier jour. Je me suis dit qu’il fallait que je sorte le grand jeu pour l’occasion. »

Rien n'était cohérent dans le fait que Dahlia était là, devant lui à cet instant. Ça n'avait rien logique alors Mateo avait préféré se persuader qu'elle avait tout manigancé, que le hasard ne pouvait les avoir réunis aujourd'hui. Le destin avait bon dos pour ce genre de conneries, mais là, il refusait de croire qu'elle n'avait pas monté un plan quelconque pour se lancer dans des retrouvailles comme elle avait monté un plan pour disparaître sans laisser de traces. « Je t’ai jamais menti, Mat’. Si je te dis que je ne sais pas de quoi tu me parles, c’est que c’est vraiment le cas. » Il avait grincé des dents à l'instant où elle l'avait appelé comme elle le faisait à l'époque, comme ils le faisaient tous, dans la famille de Raf et Lucia. Plus personne ne se permettait de le surnommer ainsi aujourd'hui ; cette page de sa vie appartenait à un passé qu'il aurait préféré pouvoir oublier à l'heure où la nostalgie s'emparait de lui. « Me mets pas dans un panier dans lequel je me trouve pas. » Comment lui donner du crédit alors qu'il avait même du mal à mesurer à quel point il lui en voulait d'être là, devant lui, et d'agir comme si de rien était ? Peu importe si elle était honnête sur les raisons qui l'avaient amenées à se trouver là, elle n'avait pas à y être. « À Brisbane ou sur le parvis de la Mairie ? Sois plus clair. » « À Brisbane, devant la mairie, là, devant moi quoi ! » Il était froid, clairement distant. Il ne cessait de regarder autour de lui, craignant de voir quelqu'un de la famille se pointer et la reconnaître. « Contente de te voir aussi. » A son sarcasme elle avait répondu avec un peu trop de sincérité, ce qui ne faisait qu'énerver davantage Mateo. « Raf se marie ? » « C'est c'que je viens de dire. » Qu'il avait répondu sèchement. Comme s'il avait pu se vêtir d'une telle manière pour une autre occasion. « C’est Lucia qui doit être contente. Elle m’a toujours dit qu’il franchirait le pas au moins une fois dans sa vie, même s’il s’entêtait à lui répéter le contraire. » Le prénom qu'elle venait de prononcer avait failli le faire défaillir. La façon dont elle parlait de Lucia... « Elle avait même ouvert les paris. » Donc elle ne savait rien de ce qui était arrivé. Elle avait encore la chance de vivre une vie dans laquelle Lucia était en vie, et Mateo ne pouvait pas accepter qu'elle ait cette chance là de vivre en toute crédulité. Pour autant, il ignorait la meilleure façon de lui annoncer la chose - tout en lui faisant le plus mal possible au passage. Il avait continué cette conversation comme si avoir entendu parler de la jeune fille ne l'avait pas destabilisé. « Je viens de signer un contrat avec la maison Weatherton. » Il hochait la tête. Il aurait pu être content pour elle, si seulement il avait su qu'il s'agissait de son projet, si seulement Dahlia faisait encore partie de sa vie. « Je fais partie de leurs modèles éphémères pour la saison 2024 et c’est mon premier jour. Je me suis dit qu’il fallait que je sorte le grand jeu pour l’occasion. » Et là, il ne pouvait plus se taire. « Et bah c'est Lucia va être super contente pour toi, autant qu'elle l'est pour Raf. Faudra lui raconter tout ça, quand t'iras la voir au cimetière. C'est con qu'on t'ait pas croisée sur le seuil de l'église le jour de l'enterrement, ça aurait été une chouette coïncidence ça aussi. » Il n'y avait pas pire façon d'annoncer son décès et c'était bien le but : Mateo était cruel, parce qu'il avait une occasion de se venger.