One-way to the place
where the rhinestones shine
Dahlia Jakande & @Zoya Lewis

Avant d’être repérée dans les artères de Spring Hill par le Directeur Marketing de la célèbre maison Weatherton, l’israélienne était convaincue que les modèles sélectionnés pour les campagnes et défilés des plus prestigieuses marques de luxe étaient triés sur le volet et inévitablement issus de berceaux dorés. Elle s’imaginait que l'opulence et le monde de la mode étaient exclusivement réservés à une élite née sous une étoile favorable, sans aucune volonté de s'ouvrir au commun des mortels. Mais la perspective offerte par ce premier shooting photo l’avait poussée à ajuster son point de vue sur le sujet.

Alors qu'elle s'apprêtait à faire ses premiers pas dans les locaux de la célèbre maison de couture, Dahlia ne put s'empêcher de s'interroger à nouveau sur les critères qui avaient fait d'elle l'un des nouveaux visages de l’enseigne. Elle se demandait comment une jeune femme dépourvue de toute prédisposition pour occuper un rôle aussi crucial avait pu être sélectionnée pour incarner l’essence de Weatherton. Cette réflexion l'avait incitée à explorer plus en profondeur les valeurs de la maison et les motivations sous-jacentes au choix de ses mannequins. Elle avait été surprise de découvrir que la diversité, l’authenticité et la singularité étaient particulièrement mises en avant. Le directeur artistique avait exprimé à plusieurs reprises son désir de briser les stéréotypes conventionnels de la beauté, et d'offrir une tribune à ceux qui, à l'instar de Dahlia, apportaient quelque chose de véritablement unique à l'industrie. Au cours de ses recherches, la sylphide s'était rapidement retrouvée sur la page Wikipédia entièrement dédiée à James, le créateur principal de la marque. Elle s'était plongée dans l'univers de cet avant-gardiste de la mode, mettant en lumière son influence marquante dans un monde souvent perçu comme impitoyable. Les images capturées de son élégante épouse, Cristina Weatherton, avaient également retenues son attention.

C’était à cet instant que l’israélienne avait pleinement saisit l’ampleur de l’engrenage qu’elle avait délibérément enclenché. Le contrat, à présent signé et paraphé, fermait irrémédiablement la porte à toute possibilité de rétraction.
Par-delà l'obligation de maintenir une conduite irréprochable pour la célèbre maison de couture tout au long de l'année 2024, pesait sur Dahlia la crainte que son image ne devienne virale et n’entrave ses retrouvailles avec la chair de sa chair. En collaborant avec une enseigne de cette envergure, la jeune femme prenait le risque d'attirer l'attention du public et des médias, mais aussi du pouvoir souvent démesuré des réseaux sociaux. Pour apaiser ses craintes, elle se rassurait en se répétant qu'elle demeurait -insignifiante- dans le grand schéma de l’existence et qu'elle ne créerait probablement pas une telle frénésie médiatique. Elle se persuadait que sa vie demeurerait relativement à l'abri, échappant à la fièvre des commentaires en ligne et aux objectifs des paparazzis.

Tandis que l’israélienne progressait dans le showroom le cœur battant, une femme d'une trentaine d'années et d'une élégance particulière l’interpella. Elle se présenta brièvement comme la coordinatrice du shooting et la guida avec bienveillance vers celle qui serait en charge d’immortaliser ses premiers clichés : Zoya Lewis. Photographe de renom, l’australienne dégageait une énergie vibrante accompagnée d'une passion manifeste pour son art. Son regard aux nuances de bronze et son sourire bienveillant instaurèrent immédiatement une atmosphère positive à laquelle Dahlia répondit par un rictus timide. « Je suis Dahlia, enchantée. » La sylphide marqua une courte pause avant d’ajouter : « Je n’ai jamais posé pour une maison de couture alors j’espère que je ne serai pas trop mauvaise. » Elle redoutait non pas de ne pas être remarquée pour sa beauté ou son talent, mais plutôt que ses éventuelles gaucheries et maladresses soient les éléments qui marquent sa première expérience. « J’aurai même sans doute besoin d’être guidée. » L’israélienne se demanda si la photographe avait été mise au courant de son parcours ou si elle n’était encore qu’une parfaite inconnue. Ses iris glissèrent le long d’un mur où étaient exposées des photographies de somptueuses étoffes et des clichés présentant des coiffures et maquillages extravagants. « J’imagine qu’il s’agit de tout ce que je vais avoir à porter aujourd’hui. » Malgré sa tentative d'affirmation, le ton de sa voix résonna davantage comme une question.

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Dahlia Jakande & @Zoya Lewis

« Salut, Dahlia. Je suis Zoya, enchantée aussi. » Le sourire bienveillant de la photographe parvint à apaiser l'angoisse qui lui nouait l'estomac. Chez la maison Weatherton, le personnel semblait être soit naturellement charmant, soit soigneusement sélectionné pour cette qualité, un critère que le grand patron devait considérer comme fondamental. C'était, selon elle, la seule explication plausible pour laquelle aucun des employés ou des prestataires de l'enseigne ne l'avait jamais regardée de haut malgré son statut d’anonyme. « Ça va peut-être te paraître bizarre mais je suis ravie de t’entendre dire ça. » Un minuscule pli s'accentua entre les sourcils de la sylphide. « Ah oui ? » Elle aurait plutôt imaginé l'inverse. Une entreprise aussi prestigieuse ne cherchait-elle pas généralement à s'associer à des personnalités publiques et des célébrités parfaitement façonnées et à l'aise devant les appareils photo ? « Disons que les petits nouveaux que j’ai pu avoir jusqu’à maintenant n’ont pas arrêté de se vanter de leurs habitudes de poser devant les objectifs, bla bla bla et je te jure qu’ils n’avaient pourtant au-cun talent. Certains pensaient même connaitre mieux mon métier que moi. » Une expression de stupéfaction se forma sur son visage de cypris. En étant particulièrement au fait des dernières égéries de la célèbre maison de couture, l’israélienne fit défiler mentalement chaque visage, se demandant laquelle d'entre elles pouvait être si fière et condescendante. Les traits élégants et féminins de Diana Sadler se dévoilèrent dans son esprit. « Je vois. » C’était une actrice de premier ordre, dotée d'un talent naturel et d'un charme incontestable, mais personne n'ignorait que le succès pouvait rapidement altérer une personnalité au point de la rendre méconnaissable. « Je ne sais pas si ça peut te rassurer mais jamais je n’aurais la prétention de te dire comment faire ton travail. Ce sera sans doute probablement toi qui m’apprendras à faire le mien. Du moins, celui pour lequel j’ai signé un contrat. »  Un sourire discret vint danser sur ses lèvres à cette mention. Dahlia était bien consciente que ce n'était pas tout à fait professionnel de se livrer de cette façon à quelqu'un qui représentait son employeur. Pourtant, la présence de Zoya Lewis dégageait une sorte de réconfort particulier, rendant presque trop facile l'initiation de la conversation.

« Mais tu disais ne pas avoir d’expérience pour une maison de couture mais tu as déjà fait de la photo ? Ne serait-ce qu’en amateur, avec des amis ou quoi ? » — « Pas du tout. » Elle n’avait même jamais envisagé cette éventualité. « Je ne sais pas si c’est une bonne idée de l’avouer parce que tu risques vraiment de te demander ce que je fais là, mais je n’ai jamais posé. Que ce soit à titre privé ou professionnel, d’ailleurs. » Elle défit le joli foulard de soie qu'elle avait positionné autour de son cou, comme si sa gestuelle accompagnait ses propos et qu'elle se dévoilait à la professionnelle qui se trouvait en face d'elle. « J’ai été repérée dans la rue par le Directeur Marketing de Weatherton. J’imagine que tu le connais ? » Un homme d'une stature imposante, sans douceur dans son approche, qui s'était dirigé vers elle pour lui faire une offre qu'elle ne pourrait pas décliner. Une proposition aussi séduisante que celle du dénommé 'Parker', qui l'avait conduite, malgré elle, à découvrir la véritable diva qu'était Cameron Lewis sur le tournage d’un clip, quelques jours plus tôt. Les iris mordorés de la jeune femme se figèrent sur le visage de la photographe à cette pensée. Était-elle de la même famille que le choriste ? Malgré la similitude de leur patronyme et certains traits qui lui rappelaient ceux de l'artiste, Dahlia chassa rapidement cette idée de son esprit. L'australienne et le guitariste n'avaient absolument rien en commun ; il était odieux et elle était charmante. « Il m’a expliqué que James était à la recherche de ‘nouveaux profils’, de ‘personnalités à la beauté atypique’ et que je correspondais, selon lui, parfaitement à cette description. » La tonalité de sa voix était subtilement montée dans les aigus. S'auto-qualifier de la sorte et répéter ces termes la mettait mal à l’aise. « Il a précisé qu’aucun pré-requis n’était exigé dans le cadre d’un contrat éphémère et que ça ne m’engageait que sur une durée d’un an, alors j’ai accepté. Mais je me demande si j’ai bien fait, je me sens pas tout à fait à ma place ici. » Ses prunelles dérivèrent vers les autres photographes et modèles, tous plus éblouissants les uns que les autres. Bien qu'elle se soit psychologiquement préparée à entrer dans un monde inconnu, la sylphide ne s'attendait pas à franchir les portes de quelque chose d'aussi grand et spectaculaire. « Saches en tout cas qu’on est là pour te guider et je suis sûre que tout va bien se passer. » Une bouffée de reconnaissance lui gonfla la poitrine. « Merci. »  

Sentir la paume de Zoya Lewis sur son épaule lui fit du bien. Elle savait qu'elle était entre de bonnes mains et que la photographe serait là pour l'aider à se fondre dans ce nouvel univers. Curieuse, elle l’interrogea sur les planches de style et les inspirations affichées sur le mur. Était-ce ce que qu’elle devrait porter ? « Oui et comme tu peux le voir, ça va être haut en couleur. Je pense qu’on peut même bien s’amuser et faire des clichés bien sympa. » L'un des sourcils de l'israélienne se souleva. Elle avait du mal à concevoir comment son visage, sa silhouette, pourraient mettre en valeur de telles créations. « Je te fais confiance. J’espère juste que je n’aurai pas l’air complètement crispée. » Mais la collaboratrice de James Weatherton ne montrait aucun signe d'inquiétude. « Tu devrais aller te préparer pour la première tenue et le premier make-up. En attendant, je vais régler deux trois détails. » Elle hocha la tête, sans trop savoir à quoi s'attendre.

Lorsqu’elle quitta les mains expertes de l'équipe de stylisme et les maquilleurs, Dahlia se sentit complètement transformée. Ses cheveux bruns flottaient librement, ornés d'une couronne délicate de bijoux cuivrés, élément digne d'un conte de fées. Sa robe, complétée par des gants d'opéra, était une véritable œuvre d'art. Un bustier bicolore en cuivre et turquoise ceignait sa taille fine, accompagné d'une traîne imposante qui aurait presque exigé un transport particulier pour se déplacer, si elle n'avait pas déjà été là. « L’équipe vous attend sur le toit. » Quoi ? Une autre surprise durant cette journée qui fit vaciller la sylphide, un peu plus que les précédentes. Elle se demandait comment elle parviendrait à rejoindre Zoya Lewis, maintenant qu'elle était vêtue d'une création presque aussi lourde qu'elle et se sentait contrainte dans ses mouvements. « Je vais vous aider. Carltoooon ! » Une formule magique plus qu'un pseudonyme, car ce ne fut pas un, mais six visages masculins qui se pressèrent pour l'aider à se hisser jusqu'à la skyline de Brisbane. « Merci beaucoup. » — « Tu n’as pas peur du vide, j’espère ? » l'accueillit le timbre de la photographe. Était-ce vraiment le moment de poser cette question ? Il aurait peut-être fallu le faire avant qu'elle ne se retrouve au-dessus de la plupart des gratte-ciels de la ville. « Je ne sais pas trop. Je crois qu’on va vite le savoir. » De toute façon, elles n’avaient pas d’autre option. L'israélienne priait cependant pour qu'aucun malaise ou haut-le-cœur ne survienne. Elle était prête à s'enfermer chez elle pour les six mois à venir s’il arrivait quelque chose à la majestueuse robe pensée, et peut-être même confectionnée, par le grand James Weatherton. « C’était prévu de faire ça sur le toit ? » Parce qu’elle n’était pas dupe et avait remarqué qu'aucun autre mannequin ne les avait rejoints. En revanche, les six hommes qui lui étaient venus en aide quelques minutes auparavant réapparurent, essoufflés, transportant une statue immaculée à bout de bras. Avec peine, ils placèrent l'effigie d'un étalon juste derrière la jeune femme, dont l’ébahissement ne cessait de croître. « Je vais quand même pas devoir monter sur ça ? » s'exclama-t-elle, soudain bien moins sûre d'elle. Au-delà d'être achalée par la somptueuse création, Dahlia ne se sentait aucunement en mesure de monter sur quoi que ce soit alors qu'elle se trouvait déjà au sommet d'un édifice.