Janvier 2024.

La journée avait été longue et les premiers signes de fatigue commençaient à faire leur apparition chez Mateo. Avoir joué au témoin parfait avait certes été un honneur, mais ça lui avait demandé un self control et une énergie folle, et il avait à présent hâte que le mariage se finisse pour pouvoir s'en remettre. Il était bien conscient que pour lui la soirée était loin d'être terminée, une partie des invités étant encore présents pour faire la fête jusqu'au bout de la nuit, et il ne comptait pas s'en plaindre : Raf méritait que cet évènement reste dans les mémoires. En tout cas il ne restait à cette heure avancée que les plus fêtards des invités, une bonne moitié d'entre eux ayant déjà poussé la porte de la salle pour rentrer chez eux. Désireux de faire une pause avant de reprendre de plus belle, Mateo s'était éloigné de la foule et était sorti de la salle pour prendre un peu l'air et fumer. Une fois les portes de la salle fermée, la musique était étouffée. L'ambiance à l'extérieur était bien plus calme, presque silencieuse. Seuls les rires d'un couple en train de se taquiner, adossés à une rambarde un peu plus loin, raisonnaient dans l'air. Il n'était sorti que depuis quelques secondes quand il aperçu une blonde faire la même chose que lui ; une certaine blonde qui l'intriguait plus que de raison puisqu'elle était associée à Diego. Il n'avait fait que la croiser quelques fois lors de la soirée, un coup au bar un coup sur la piste de danse. Il ne savait pas grand chose d'elle en dehors du fait qu'elle était la petite amie du médecin, et même s'ils ne partageaient rien d'autre que ça, il avait pris la décision d'aller lui parler. Après tout, s'il y avait bien un lieu et un moment où il était possible de discuter avec tout le monde, c'était bien à un mariage. « Cece ? » Il l'avait interpellée comme s'ils se connaissaient depuis toujours, non sans une pointe de surprise décelable dans sa voix. Logiquement, elle aurait dû être en route pour rentrer chez elle - ou chez eux, s'ils vivaient ensemble, elle et son très cher petit ami ? En tout cas, le fait qu'elle soit encore présente interrogeait Mateo. « Je vous croyais partis, avec Diego. » En tout cas Diego lui avait dit qu'il s'apprêtait à quitter la soirée juste avant de disparaître du champ de vision de Mateo. Après les changements d'humeur dont il avait été victime, il venait de décider de s'assurer qu'il ne lui avait pas menti simplement pour fuir sa compagnie une nouvelle fois. Le jeune homme attrapait le paquet de cigarettes qu'il avait rangé dans la poche arrière de son pantalon pour en sortir une qu'il coinçait entre ses lèvres, avant de tendre le paquet ouvert à la blonde pour qu'elle en prenne une si elle en avait envie.

C’était divertissant deux minutes de se faire passer pour la +1 de Diego à un mariage (histoire de profiter des petits fours, de sortir une tenue élégante pour l’occasion et de faire croire aux invités que j’avais encore un semblant de rang social), mais cela faisait plus de quatre heures qu’on était là à présent et ma patience commençait à s’effriter. J’avais pu discuter avec quelques personnes, vanter les mérites de Diego auprès de quelques autres, mais me tenir convenablement et être politiquement correcte me demandait trop de self control pour que cela puisse tenir toute une journée. J’avais besoin d’action, de ragots et/ou au choix de foutre un peu la merde d’une façon ou d’une autre pour parvenir à tenir correctement encore le temps qu’il fallait pour que Gouttière ne tire pas définitivement un trait sur notre amitié. J’espère qu’il se rendait compte de tous les sacrifices que je faisais pour lui. Pour l’heure j’étais parvenue à m’éclipser pour fumer. De précieuses minutes seules qui me permettrait de relâcher un peu la pression quant au rôle que le brun m’avait demandé de tenir ce soir. « Cece ? » Putain. So much pour relâcher la pression. Et qui pouvait bien m’interpeller ? Personne n’était censé me connaître à ce fichu mariage. Je tournais la tête en direction de la voix qui venait de m’interpeller, déjà prête à reprendre mon rôle et à échanger des banalités avec une des personnes auxquelles Diego m’avait présentée ce soir. Le sourire de façade que j’affichais laissa place l’espace d’une seconde à un haussement de sourcils surpris en découvrant l’homme qui me faisait face. Mateo. Aucun doute sur l’identité de la personne. Le fameux Mateo. Diego m’avait déjà parlé de lui et il m’avait surtout donné un discret coup de coude plus tôt dans la journée pour me le désigner et que je puisse enfin mettre un visage sur cette énigme qui me passionnait. J’avais bien évidemment surenchéri à l’aide d’un doigt pointé ostensiblement dans sa direction accompagné d’un "Lui là ?" qui avait provoqué quelques retournements de têtes mais heureusement pas celle du principal intéressé. Il n’en avait en revanche bien évidemment pas fallu plus à Diego pour me lancer un regard noir, recevant un large sourire de ma part en retour.
Je jubilais intérieurement. Ils étaient là mes ragots et mon besoin d’action. Ô joie. « Je vous croyais partis, avec Diego. » Ha ? J’aurais adoré pouvoir rentrer il y a deux heures de cela. Malheureusement j’étais toujours bel et bien là. Pas vraiment sûre de ce que je pouvais ou non répondre et de si Diego voulait effectivement partir (par pitié oui) ou s’il avait voulu l’éviter, je répondais un neutre : « Il a été interpellé en cours de route. Monsieur est important et connait du beau monde il faut croire. Moi j’avais surtout besoin de respirer un peu. » Je pris le temps de l’observer maintenant qu’il était suffisamment proche de moi pour satisfaire ma curiosité. Un peu jeune selon mes goûts (oui j’avais une tendance malsaine à préférer les quinquagénaires torturés, et alors ?), mais clairement plaisant à regarder. Not bad Gouttière, not bad. « Mateo c’est ça ? » J’ai beaucoup entendu parler de vous. Voilà ce que j’avais envie d’ajouter. « La pression retombe un peu maintenant que le plus gros est passé ou bien le témoin doit rester sur le qui-vive jusqu’au bout de la nuit ? » Un small talk comme un autre pour pouvoir amener par la suite des questions qui m’intéressaient davantage et qui me passaient déjà par la tête comme par exemple : « Vous étiez accompagné vous aussi ? » Oh well. Qui avait le temps pour le small talk finalement. Et tant que je ne mettais pas à glousser comme une adolescente en train d’enquêter mais que je parvenais à garder mon aplomb et à faire preuve de sympathie, que pouvait-on me reprocher ?

S'il y avait bien un trait de caractère qui définissait Mateo, c'était sa propension à aimer les défis, son côté joueur. Difficile de dire si c'était plus une qualité qu'un défaut, lui ne s'attachait que peu à ce genre de réflexions. Ce qu'il savait en revanche, c'est qu'une opportunité avait été mise sur sa route à l'instant où il avait trouvé Cece seule dehors et qu'il n'était pas du genre à passer à côté de sa chance d'en savoir plus sur Diego. Non pas qu'il était du genre obsessionnel à vouloir espionner quelqu'un qu'il connaissait à peine, mais simplement parce qu'il avait trop de questions en tête et qu'apporter des réponses à certaines d'entre elles serait source de satisfaction pour lui qui détestait être dans le flou. « Il a été interpellé en cours de route. Monsieur est important et connait du beau monde il faut croire. Moi j’avais surtout besoin de respirer un peu. » Il aurait cru Diego parti depuis déjà un moment et même s'il ne le montrerait sous aucun prétexte, il était presque déçu de savoir qu'il était encore dans les parages, mais pas avec lui. Mateo avait aussi d'autres personnes avec qui il avait prévu de passer du temps ce soir et il comprenait que malgré le moment qu'ils avaient passé tous les deux cela ne lui donnait en rien l'exclusivité de sa compagnie. Pourtant, le fait qu'un doute plane sur le fait qu'il ait trouvé une excuse pour l'éviter l'agaçait quelque peu ; pire que ça, il détestait le fait de se sentir frustré de cette manière. « Comme je comprends. » Lui aussi avait eu besoin de s'éloigner un peu du monde. « Mateo c’est ça ? » Son hochement de tête avait suffit à confirmer son identité ; de toute manière, après son discours, il y avait fort à parier que tous les invités présents le connaissaient désormais. «La pression retombe un peu maintenant que le plus gros est passé ou bien le témoin doit rester sur le qui-vive jusqu’au bout de la nuit ? » Il avait fini par allumer sa cigarette. « A cette heure ci je n'ai plus grand chose à faire en dehors de tenir ma promesse à Raf de rester aussi sage que possible. » S'amuser tout en s'assurant que celui qui s'amuserait le plus serait le marié : c'était sa journée après tout. « Vous étiez accompagné vous aussi ? » C'était quoi, cette question ? Un tas d'hypothèses avaient traversé son esprit sur les raisons qui avaient amené cette presque parfaite inconnue à aborder ce sujet, mais il ne pouvait qu'avoir des suspicions. En tout cas ça lui permettrait probablement de satisfaire une part de sa curiosité, alors il avait sauté les deux pieds joints dans cette conversation, sans jamais quitté l'air nonchalant qu'il arborait, comme à son habitude. « Il faut croire que je ne suis pas aussi chanceux que Diego. J'ai pas de superbe petite amie à prendre à mon bras comme lui. » Il n'était pas sûr qu'elle soit du genre à se laisser charmer par ce genre de compliments à peine voilés, mais il n'avait pu s'empêcher de faire cette remarque qui était si spontanée qu'elle ne cachait aucun sous entendu suspect. « Non pas que ça m'embête d'être venu seul, au contraire j'aime mieux ça que d'avoir eu à me préoccuper de quelqu'un d'autre toute la journée. J'avais assez à faire avec le marié. » Qu'il avait lancé en riant avant de tirer à nouveau sur sa clope. Raf avait beau être son ami depuis toujours, être son homme de confiance aujourd'hui n'avait certes pas été de tout repos. « Ça n'a pas été trop long, en ne connaissant personne ? J'espère que je n'ai pas volé la compagnie de Diego trop longtemps. »