thin white lies
Spencer Blackwell & @Daisy Wickham  
brisbane, 2020
gif by karolinadeanwrites

Y a cette meuf que tu fréquentes vite fait depuis quelques jours et qui a toujours des supers plans, qui connaît plein de monde et qui a accès à plein d’endroits ; le rêve pour une paumarde comme toi, en somme. La dernière fois, vous avez même croisé des potes à elle et de fil en aiguille, tu t’es retrouvée invitée à une soirée à la con où y a supposément plein de gens pleins aux as. “J’vais y réfléchir”, que t’as répondu comme si t’avais un agenda chargé ou un endroit mieux que ça à squatter. Tu joues la meuf mystérieuse et pas facilement disponible, celle qui est à Brisbane uniquement pour la semaine avant de devoir rentrer chez elle, comme ça personne calcule rien au moment où tu décides de plus donner de nouvelles. Le procédé est rodé, t’es habituée à tous ces mensonges que tu débites ; tellement, que c’est parfois difficile de discerner le vrai du faux.
Cette fois, ta meilleure vie elle se passe à Sydney (comme souvent) et tu bosses comme chroniqueuse dans un magazine un peu huppé, t’es en ville pour des vacances, parce que ta famille vient de là et qu’il fallait venir rendre visite à dear old daddy que tu n’as pas vu depuis au moins un an ou deux ans déjà. Le temps file. Personne pose trop de questions, mais ton histoire est toute prête et t’as juste à la réchauffer pour la servir à qui serait un peu curieux. L’avantage, c’est que tu passes partout et que tout le monde s’en fout, de voir une parfaite inconnue se promener dans une soirée privée. T’es rentrée avec Katie qui s’est perdue sur le chemin avec ses autres potes perdus de vue depuis la fac ou tu sais pas trop, t’as pas tellement écouté ce qu’elle racontait. Tu t’es contentée d’acquiescer et de faire genre d’aller chercher un verre, t’as croisé des types un peu bourrés qui t’ont invitée à jouer l’arbitre dans leur super débat sur un sujet que t’as à peine saisi, mais t’as répondu avec un sourire en te mettant du côté de celui qui était le plus sobre des deux et il a eu l’air content. T’attends le moment où tout le monde va commencer à plus trop faire gaffe pour commencer à faire les poches des moins attentifs, en attendant et à défaut d’aller retrouver ta pseudo meuf du moment, tu continues à te mêler à la foule pour faire bonne figure. Tu profites de la bouffe à disposition, faisant mine de t’intéresser aux discussions des uns ou aux prises de position des autres et tout se passait super bien jusqu’à ce que tu penses apercevoir une tête que tu crois connaître. T’as besoin de vérifier encore deux ou trois fois et tu t’étouffes carrément avec la gorgée que t’étais en train de prendre, frôlant la crise cardiaque quand elle est suffisamment proche pour que t’aies la confirmation que c’est bien Daisy. Merde, c’était pas prévu, ça.
Avec un peu de chance, tu peux faire genre de rien, te faire toute petite en espérant qu’elle t’aie pas vue et l’esquiver comme la pro que t’es devenue. Y a une théorie qui dit que si toi tu la vois pas, alors elle non plus. Tu pourrais simplement te retourner pour ne pas lui faire face, te frayer un chemin jusqu’à la sortie en jouant des coudes ou en longeant les murs, mais t’es cent pour cent sûre que c’est trop tard pour tenter un coup pareil. Y a beau avoir beaucoup de monde, t’es certaine qu’elle t’a vue et que la seule raison pour laquelle elle est toujours là, en face, c’est qu’elle n’est pas accompagnée de votre amie commune. Forcément, t’es trop longue à réagir et son regard croise le tien, à moins que ça ne soit l’inverse, pour ce que ça change, et à ce moment précis, tu sais que tu dois faire quelque chose. Comme une vraie actrice pro, tu joues la surprise en t’approchant, tout de même méfiante à l’idée que Mac puisse se trouver dans les parages, « heeey, wow, ça fait un bout, » tu commences en arrivant à son niveau, suffisamment fort pour couvrir la musique. « J’m’attendais pas à tomber sur toi ce soir, c’est dingue, » incroyable, ouais. « T’es toute seule ? » Daisy est suffisamment maligne pour savoir ce qu’implique ta question, surtout quand ton regard balaye les alentours avec la plus grande attention. « Ca va ? » Y a un truc qui a pas changé depuis la dernière fois, c’est ton incapacité à mener une conversation. On est supposée dire quoi à la meilleure pote de la meuf qu’on ghosté du jour au lendemain après dix ans d’amitié ?

cw. alcool, drogues

La journée est passée à se prélasser sur le bord d'une piscine en sirotant un soda, lunettes de soleil sur le bout du nez. Les autres commencent à être cuits, faut dire qu'alcool plus chaleur... Daisy pourrait écrire des livres et des livres sur les mélanges du genre sans jamais (ou presque) avoir été bourrée de sa vie. Du moins plus depuis que c'est devenu légal et que son ex l'ait jeté parce que les filles comme elle, c'est joli comme des poupées mais ça a une DLC limitée. Elle s'en fiche de son ex, ce n'était qu'un vieux dégueulasse qui n'avait pas hésité une seconde à lui offrir gîte et couverts quand Daisy avait décrété qu'elle voulait se barrer. Mais l'ego (et la peur de devenir comme elle) a fait le reste. Non, aux verres alcoolisés, elle préfère la fumette, surtout celle qu'elle peut taxer à la bande de richous chez qui elle squatte depuis des semaines au point qu'elle ne sait plus exactement comment ça s'est passé (une histoire d'overdose arrêtée de son fait, un mitonnage sur des années de médecine lâchées, des facultés à bien se faire voir). Vers dix-huit heures, ça émerge de la torpeur moite. La luminosité baisse, les esprits se réveillent comme d'une longue sieste et ça s'agite pour préparer la xième soirée d'affilée. On l'envoie aux courses avec un autre - il paiera, Daisy a prétexté des ennuis avec sa banque - et le coffre de sa vieille bagnole (valeur sentimentale) descend d'un cran sous le poids des bouteilles. Détour dans les quartiers moins friqués de la ville juste après. Le mec retire du cash, le file à la blonde qui grimpe par les escaliers de service d'un immeuble semblable à tous ceux qui l'entourent. Elle garde quelques billets pour elle - ses amis n'ont aucune notion de la valeur des choses -, échange le reste contre des sachets et redescend triomphale. Ils arrivent pile à l'heure de l'apéritif, accueillis comme des messies et c'est vers ces eaux-là que la fête recommence.

Vers deux heures du matin, Daisy a des yeux ronds comme des billes, pupilles mangeant l'iris et le verre qu'elle tient à la main contient plus que du soft. La musique lui semble géniale, les gens aussi - même la rouquine qui lui a tenu la jambe pour lui dire que son fond de teint semble être de mauvaise qualité et ne matche pas tout à fait le grain de sa peau pendant vingt minutes - et Daisy se dit que ce n'est pas grave si elle est en train de rater sa vie pour peu que la fête ne finisse jamais. Elle a dansé avec un type un peu moche mais dont elle a bien aimé la forme du nez - dés que c'est visuellement intéressant, elle flanche- puis avec la rouquine qui a semblé oublier ses réticences de maquilleuse pétée de thunes (à défaut d'être professionnelle) quand Daisy l'a embrassée. Il y a un moment de flottement peu après, vision trouble sur les bords, euphorie sur la descente, le regard accroche d'autres yeux qu'elle n'aurait jamais pensé croiser. Clignements de paupières, œillade à son verre - prête à accuser la goutte de vodka de l'apparition plutôt que tout le reste - et finalement la fille la rejoint, prouvant ainsi que tout est bien réel (quoique, ne sont-ils pas tous dans un genre de simulation ?). Blonde sourit (plus grand que d'habitude, avec plus de dents, ça lui donne l'air de BN typique des hippies des années 60), glisse un "graaaave", lui fait presque un hug à moins qu'elle n'ait trébuché. Elle rit un peu bêtement à la question, fait un geste autour de la masse - clairsemée, elle s'en rend compte maintenant - qui l'entoure avant de comprendre le vrai sens. "Non !" Jamais toute seule en soirée, ça fait looseuse. "Je suis avec des... potes." Gorgée de vodka-pomme, les dents ne cessent de s'activer sur son chewing-gum alors que les syllabes s'enchainent à toutes vitesses. "Nickel-top !" Jamais aussi bien que maintenant, demain sera une autre paire de manches mais cela lui semble très loin. "Et toi ? Ca fait un millénaire ! Même Mac date remarque..." Elle s'arrête là, comme coupée dans son élan, phrase suivante encore au bout des lèvres et penche la tête pour passer la fille au rayon X. "J'croyais que t'étais partie." Elle s'en était même presque réjouie à l'annonce.