Je suis une catastrophe. Je suis incapable d’aller à un rencard. En même temps, je maudissais mon groupe de mamans de m’avoir inscrite sur cette application. Tinder. Je n’y comprends rien et j’ai l’impression de faire une sélection dans un supermarché. Swipe à gauche si tu n’as pas envie, swipe à droite si oui. J’ai swipé à droite et j’ai très peu matché. Sans doute parce que je suis maman de deux enfants. On m’a dit de ne pas être honnête sur cette application. De me contenter de dire que je suis célibataire et non veuve. Que je n’ai pas d’enfants alors que j’en ai deux. Mais je suis honnête. Et pourtant ça a marché. J’ai bel et bien discuté avec quelqu’un. Un individu de sexe masculin, assez séduisant. Pendant quelques semaines nous nous sommes envoyés des messages pour ensuite passer sur Whatsapp. Jamais je n’ai accepté d’envoyer une photo même si ce dernier a dit que je n’étais qu’un fake. Mais il a tenu bon. Certains diront que ce n’était que pour me sauter alors que d’autres se contenteront de demeurer optimistes. Je me suis donc pomponnée. Avec une robe que je n’avais pas mise depuis deux ans, d’essayer de discipliner la paille qui me servait de cheveux pour finalement voir que ça ne marcherait jamais.

Cela m’a demandé un effort considérable de mettre un pied à l’extérieur chez moi. Agoraphobe, je suis souvent aux prises de ce vaste étendu qu’est le monde. J’ai l’impression que tous les regards sont sur moi et je panique. Alors, je pénètre dans mon antique voiture pour essayer de calmer les battements de mon cœur. Je peux le faire, je peux le faire. Que dirait mon psy ? Je peux le faire. Je peux y arriver. Toujours être bienveillante, toujours être courageuse. Un peu comme Cendrillon. Sauf que je ne suis pas une souillon. Du moins pas ce soir. Je me racle la gorge avant de mettre le contact et ô miracle, ma voiture démarre. Je conduis donc jusqu’au centre-ville avant de me garer devant le restaurant convenu. J’aurai préféré aller boire un thé mais il a insisté pour un dîner. Alors, je suis descendue de ma voiture, le pied tremblant pour demeurer devant la vitrine. Je ne suis pas douée pour les rendez-vous galants. Je n’en ai que trop peu dans ma vie. Le premier fut avec le père de Lisa et ça s’est soldé par une grossesse involontaire et le départ du principal concerné. Et le second avec Jacob senior qui repose maintenant en Syrie alors que nous avons enterré un cercueil vide.

Mon alliance pèse lourd sur ma poitrine alors que je sens les sanglots monter dans ma gorge. Non, je n’y arriverai pas. Je cherche l’homme du regard. L’heure est passée et il n’est pas là. Je me décide par curiosité à entrer et à aller m’asseoir à une table. La main posée sur la nappe, je pianote et j’attends. Mais personne ne vient. Je n’ai jamais compris pourquoi on disait poser un lapin. Mais c’est bel et bien ce que je me suis prise. Un lapin. L’horloge a tourné et il n’est pas venu. Sans doute mon lourd bagage de veuve et de mère célibataire l’a fait fuir. La mort dans l’âme, je me lève, humiliée. Il ne manquait plus que ça tiens. Puis, je fais le chemin inverse pour rentrer chez moi.

Devant la porte de mon appartement, les larmes sortent d’elles-même et j’éclate en sanglots. Sans doute la fatigue accumulée par le travail, la peine d’être seule. Je renifle avant de sécher les gouttes qui ont fait couler mon mascara pour rentrer à nouveau chez moi. Amy, ma baby-sitter est là, elle nettoie. Je l’aime bien et elle est l’un des rares êtres humains à qui je fais confiance dans ce bas monde. Elle n’a pas une once de méchanceté dans ses grands yeux et je suis contente qu’elle ait trouvé un emploi. Je lui serai reconnaissante éternellement d’avoir voulu garder Lisa et Jacob ce soir. Je ferme doucement la porte alors que les deux molosses viennent me saluer. Distraite, je passe ma main dans leurs pelages avant de venir voir celle que je peux appeler mon amie. "Oh, je ne m'attendais pas à ce que tu rentres si ... tôt." Je passe une main dans ma nuque avant d’aller dans la cuisine pour prendre une bouteille de vin et deux verres. Quand on est mère célibataire, on a tendance à se réfugier quelque part. et même si je ne bois que modérément, j’ai besoin d’un remontant. "Tout s'est bien passé ?" La voix de mon amie est douce, réconfortante. Je suis certaine qu’au standard des urgences, elle doit se faire draguer. « Il n’est pas venu. Ça ne m’étonne pas. Qui voudrait avoir rencard avec quelqu’un comme moi ? » Je me sers un verre, ainsi qu’à elle si elle veut avant d’aller m’asseoir sur le canapé. Debussy vient poser sa grosse tête sur mon genou alors que Chopin continue de manger son jouet. « C’était pathétique à moi de vouloir sortir. C’est cruel comme application. Je sais déjà que je ne suis pas jolie alors inutile de l’afficher aux yeux du monde. » je bougonne, je me plains et je déteste ça. « Sinon ça a été ? Ils n’ont pas été trop pénibles ? »

Je n’ai jamais aimé sortir. Aller à l’extérieur, mettre de jolies robes et des chaussures hautes. Bon nombre de fois, j’ai écourté des flirts internet car je n’osais pas sortir. Car j’avais cette foutue angoisse qui montait dans les tréfonds de ma gorge et qu’elle me saisissait comme une vieille amie. Un véritable poison coule dans mes veines alors que j’essaie de le contrer. Alors que j’essaie de devenir une meilleure personne pour mes enfants. Je n’ai plus le courage de vivre seule. je n’ai plus envie. Mais j’ai vécu seule toute ma vie. Je n’ai que très peu d’amis, je n’ai que très peu de fréquentations en dehors de mon cadre professionnel. Et le lapin de ce soir, m’a plus ou moins, achevé.

Je rentre donc chez moi en avance en m’attendant à trouver Lisa encore debout. Elle dort presque autant que moi. La nuit, je suis réveillée par les cauchemars qui me hantent. Depuis toute petite, je n’ai jamais trouvé le repos. J’ai toujours eu un sommeil agité. Les insomnies sont monnaie-courantes. Et je me retrouve seule, debout, face à mes propres démons. Je dois les subir, vivre avec. Une véritable folle. Alors que je passe le seuil, j’informe Amy du fameux rejet. Je vais encore finir en boule devant la télé ou sur internet à discuter avec mon inconnu pour lui raconter l’affront que je venais de subir. « oh, l’enfoiré ! » Je hoche la tête de haut en bas avant d’aller me servir un verre. Je ne bois que très peu en public. Par contre chez moi, il m’arrive de me servir un bon verre de vin de temps en temps et de le savourer. « Il a osé te poser un lapin ? Mais quel crétin ! » Je déglutis avant de prendre une gorgée. « ça ne plaît pas trop, la veuve avec enfants. » Au contraire, ça a même tendance à faire fuir. Les hommes s’enfuient en courant et partent si vite qu’ils ne laissent qu’une trainée de poussière.

Je caresse du bout des doigts Debussy alors qu’il m’interroge du regard. Debussy a toujours été mon roc, mon pilier depuis que j’ai accouché. Je l’ai pris par peur de me faire agresser. Mais il est devenu mon meilleur ami, mon plus proche confident. « Hey dis pas ça ! » Je vais me placer sur le canapé avant de venir prendre une gorgée. Chopin se dirige vers la chambre de Lisa tandis que mon chien vient poser sa tête sur mon genou. "Ce type est un crétin, c'est tout. Il sait pas ce qu'il rate." Si tu le dis Amy. Je ne te crois pas. Je n’en suis pas capable, je suis désolée. Je finirai ma vie comme je l’ai commencé.
Seule.

Je change de sujet pour venir parler de J.J et de Lisa. Je sais que J.J peut être difficile avec sa maladie tandis que Lisa veut grandir trop vite. « Ouais, vas-y donne m’en un, dis-je en avisant les cookies. » Je soupire. « Et toi, qu’est-ce que tu as à me raconter ? Un petit copain ? Quelqu’un à qui je dois faire peur si jamais il te brise le cœur ? » Mais soyons honnête, on sait toutes les deux que je suis loin d’être intimidante. C’est même tout le contraire.

Je n’étais pas réellement triste que ce rendez-vous ait tourné court. Après tout, je n’en attendais pas grand-chose. C’est vrai que durant la discussion virtuelle, nous avions semblé bien nous entendre. Mais j’ai de trop lourds bagages et sans doute n’étais-je pas assez réceptive pour lui ? "Bah pourquoi il a proposé le rendez-vous alors ?" Je croise le regard de mon ami avant de réfléchir. C’est toujours propre à nous les filles. Réfléchir car nous nous sommes fait poser un lapin. « Il voulait peut-être évaluer la marchandise. Si cela se trouve, il est venu mais a vu que je ne lui plaisais pas. » Après tout, les photos peuvent être trompeuses. J’ai tendance à prendre mon visage pour une œuvre d’art quand je décide de me maquiller. Alors me voir « au naturel » lui avait peut-être fait peur. Je n’en avais aucune idée mais je continuai à essayer de voir toutes les possibilités. "Si ça lui faisait peur ... ou que ça ne lui plaisait pas, il suffisait de dire qu’il n’était pas intéressé." Cette pauvre Amy, si innocente. Un homme serait prêt à tout pour coucher avec une femme. Même à lui dire des boniments. Certes, je ne suis jamais tombée dans le piège. Je les repère à cent kilomètres les nazes mais sur internet, la chose est différente. "Alors, soit il a pas de cojones. Soit il lui est arrivé un truc." Je me sers un verre avant d’avoir un petit rire. « Je voterai pour la solution numéro une. » Coucher, se barrer. Mais il a dû voir à mon visage que je n’étais pas intéressée par ce genre de parties de jambes en l’air. Je soupire avant d’aller m’asseoir sur le canapé. Je viens étendre mes jambes alors que mon amie se relève pour aller me chercher du sucre. C’est bien connu, nous nous faisons larguer et ensuite on s’empiffre devant la télé. Je décide de prendre un peu de ses nouvelles. Depuis que le voile s’était levé et que je ne voyais plus par mes propres malheurs, j’essayai de rattraper le temps perdu. "J'ai rencontré un garçon, oui." Je l’écoute en haussant un sourcil. C’était super ça. Après tout, elle était jeune et elle avait le droit de rencontrer quelqu’un. "J'aime bien passer du temps avec lui." Lorsqu’elle glousse, je me surprends à sourire. J’avais moi aussi ce genre de réaction avec Pierre et avec Jacob. Je me demandai si j’éprouverai ça à nouveau. "Il est sympa. Il a un chien aussi." Je viens hausser un sourcil. « Je te préviens que s’il te fait souffrir je lui arrache les testicules et je m’en fais une paire de boucles d’oreilles. » Bien sûr, je n’en ferai rien car je suis incapable de faire du mal à quelqu’un. Mais au moins, la menace était dite. « Je me demande si je ressentirai ça à nouveau pour quelqu’un. » Dans le fond, je n’en ai pas le temps. Entre les enfants, le travail, l’enseignement et les chiens. Je n’avais plus une minute à moi. "Je sais pas si nous deux, ça va être sur du long terme. Mais pour le moment, ça se passe." Je hoche la tête. Elle a raison de prendre son temps. Je suis tombée enceinte trop jeune, mariée trop vite. « Surtout ne fais pas la même erreur que moi. Ne tombe pas enceinte maintenant. Car avoir un bébé si jeune, c’est très difficile. » Je cherche son regard. Ce n’était pas un regret. Je ne m’en suis jamais voulue d’avoir gardée Lisa mais je me demandai souvent ce qu’aurait été ma vie si je n’avais pas eu ma fille. Je n’arrivais pas à le concevoir mais dans le fond, aurai-je connu une vie différente ? Serai-je ici ? "Tu sais ce qu'on devrait faire un de ces soirs ?" Je sors de mes songes pour recentrer mon attention sur mon amie. "On devrait sortir en boîte ! Je sais que t'aimes pas trop ça. Mais ça pourrait être amusant ! Et ça te permettrait de te changer les idées." Je me sens blanchir à mesure qu’elle me propose d’aller dans un lieu bondé. « Amy, je ne peux pas » j’étais sortie dans des bars mais dans une boite, je risquai à chaque instant de faire une crise. « Je veux bien aller boire un verre mais la boite de nuit, avec ma pathologie, c’est impossible. » L’agoraphobie peut se montrer traître. Et même si j’essayai de la combattre tous les jours. Une boite de nuit ne me semblait pas être le lieu adéquat.

Les hommes sont vraiment tous des nazes. Plus le temps passait et plus j’avais cette impression d’avoir rencontrée la perle rare en compagnie de Jacob. Pierre était un crétin fini puisqu’il a fini par me demander d’avorter et a disparu dans la nature. Aux dernières nouvelles, il était marié avec une femme de sa caste. Pendant que je galère et que je demeure seule à élever la chair de sa chair -sans qu’il ait connaissance de son existence-. "Tu peux pas juger quelqu'un avec un simple coup d'oeil." Amy si douce, si candide. « bien sûr que si. On est d’abord attiré par le physique d’une personne et ensuite parce qu’il a au fond de soi. Mais tu ne sors jamais avec un moche, tu préfères te taper le beau mec un peu con. » Je ne surveillai pas trop mon langage en présence de ma jeune amie. Après tout, autant appeler un chat, un chat. "Y'a un système de notation sur ton appli ?" J’ai un petit rire. Puis, je viens secouer la tête à la négative car cela serait trop simple. Non tu ne peux pas noter quelqu’un. Sinon, je pense que je n’aurai pas des avis positifs vu le nombre de vents que j’ai mis. "Parce que je serais toi, j'le descendrais en flèche !" Je viens pousser un soupir. Des fois j’oublies que la jeunesse amène la fougue. « Non, ça ne sert à rien. Et puis, je n’ai pas que ça à faire. Je préfère vivre avec mon homme parfait. » J’ai un léger rire avant de sortir le calendrier avec la photo d’Orlando Bloom dans Pirates des caraïbes en première page. « Orlando et moi allons nous marier et avoir plein d’enfants. Il ne le sait juste pas encore. »

Car j’avais bien un type. Plus l’homme était grand, plus j’étais attirée. Brun de préférence ou blond. Avec les yeux sombres. Un peu comme Jacob. Je ne voulais pas former une famille de Ken. Barbie et Ken. "J'préfère te voir avec le sourire !" Je lui en fais un pour lui faire plaisir. Même si je n’ai pas trop le cœur à la fête. Je viens passer une mèche de cheveux derrière mon oreille. « Je l’ai déjà rencontré le bon, Amy. Il est mort. Fin de l’histoire. » Je viens boire une gorgée de mon verre avant de pousser un profond soupir mélancolique. Je portais toujours les stigmates de ce deuil connu trop tôt. Les hommes que je croisai en ville étaient tous soit des queutards, soit pris, soit trop vieux, soit gays, soit trop beaux pour moi. Car s’il y avait un truc à reconnaître c’était que les australiens étaient beaux. Pas un moche à l’horizon.

Je me lève avant d’aller accompagner mon amie jusqu’à la porte. « T’inquiètes, ça va. Je te dois combien ? » Non mais parce que me faire sortir n’était pas vraiment une bonne idée. je vivai dans ma tanière depuis si longtemps que je ne me voyais pas faire autre chose. « La prochaine fois, nous irons nous boire un verre. Ça nous détendra. » Je lui glisse un clin d’œil avant de me coller contre le mur en attendant qu’elle rassemble ses affaires.