Mon regard embrasse le paysage qui s'étend devant nous. Les gratte-ciels, semblant mener un concours de celui qui sera le plus grand, celui qui touchera le ciel en premier. Les rues, remplies de monde, telle une infatigable fourmilière dans laquelle chaque âme évolue avec ses propres buts, ses propres obstacles à surmonter, ses propres rêves à accomplir. Il suffit de me retourner pour abandonner cette vision hautement active, et toucher du doigt le calme olympien que seule la nature est capable de nous offrir. La rivière serpentant au coeur de la forêt, le vert s'étendant à perte de vue, le silence et le calme. Peu importe ce que je viens chercher quand je me rends ici - la vie citadine qui suit son cours pour me remonter le moral, ou la sérénité de la faune et de la flore environnantes pour m'aider à réfléchir - je sais que je le trouverai. Cet endroit ne m'a jamais déçue. Pas une seule fois.

Quand j'exprime tout ça en quelques mots à Amy, elle acquiesce : elle devrait se trouver son propre havre de paix, un de ces jours. Sa propre bulle de protection. « Je tends à croire que ce n'est pas nécessairement un lieu. Parfois, il arrive qu'une personne nous donne ce sentiment-là aussi. » Un sourire tendre étire mes lèvres. « Je l'ai compris en rencontrant ton père. » Ou plutôt en le retrouvant, puisque notre passé commun, si bref soit-il, remonte à notre enfance. Si j'ai passé une mauvaise journée, il me suffit de laisser Elie m'entourer de ses bras, déposer un baiser dans mes cheveux, et mes pensées négatives s'envolent aussitôt.

Je gratifie Black d'une caresse sur l'encolure et reporte mon attention sur la jeune maman à mes côtés. Son visage est un peu plus sérieux quand elle compatit aux fameux problèmes que l'on a du mal à résoudre, et pour lesquels la solution semble lointaine voire inexistante. Elle parle en connaissance de cause, c'est une évidence. Un soupir plus tard, le nom de son ex-compagnon est lâché dans l'atmosphère. Ash. Je ne connais pas tous les détails de leur histoire cependant, j'ai eu vent d'assez d'éléments pour deviner ce qui la tracasse à ce sujet. « Tu ne sais pas si tu dois retourner avec lui ou le laisser partir pour de bon, c'est ça ? » Même si je fais fausse route, mon conseil reste valable, alors j'enchaîne. « Le bien-être de ta fille est des plus importants. Mais, Amy, n'oublie pas que tu n'es pas qu'une maman. » Je lui souffle avec douceur. « Tu es une femme, aussi. Et si tu n'es pas épanouie en tant que telle, Abby le ressentira tôt ou tard. »

Je laisse passer une seconde de silence, réfléchissant à la suite, essayant de bien choisir mes mots. Je ne tiens pas à froisser Amy. D'un autre côté, j'ai souhaité une occasion, une première chance de lui apporter un soutien, et il est hors de question que je la laisse me filer entre les doigts. « J'imagine que ce que j'essaie de te dire, c'est que les enfants sont forts. Si Abby doit grandir avec des parents séparés, elle n'en sera pas malheureuse pour autant. Par contre, elle le sera si elle sent que vous êtes ensemble uniquement pour elle. » Plus jeune, j'en ai entendu, des témoignages d'amies. Elles allaient jusqu'à espérer que leurs géniteurs divorcent parce que ça en devenait invivable à la maison. Les faux-semblants, le mal-être dissimulé autant que possible, glissé sous le tapis… un quotidien qu'elles ne supportaient plus.

« Sans penser à Abby, juste une minute. » Je reprends. « Toi, tu en es où avec lui ? Est-ce que tu as encore des sentiments pour lui ? Est-ce que… tu as envie de lui redonner une chance ? » Car dans le fond, c'est surtout ça, qui pèse dans la balance. Je voudrais lui dire de suivre son cœur, toujours. Je le garde néanmoins pour moi, par peur qu'elle ne trouve cela trop cliché, et me contente d'attendre ses réponses - si elle accepte de les partager.


@Amy Castle

Je sais que pour Amy, les choses ne sont pas faciles. Elle a beau être bien entourée, savoir qu'elle peut compter sur pas moins de quatre adultes (sa mère et David, son père et moi) pour l'accompagner en cas de besoin, certains fardeaux ne se partagent pas. Comme les peines de coeur, par exemple. Oh, on peut en parler, vider son sac auprès de ses proches. Mais en dépit des conseils que l'on peut recevoir de leur part, le soulagement qu'ils apportent n'est que temporaire, et limité. Ça reste mieux que rien, alors je fais mon maximum. Amy en vaut largement la peine.

Je commence par lui dire que les enfants sont plus forts qu'on ne le pense et surtout, bien plus perceptifs. De véritables éponges. Abby finirait par le sentir si ses parents se remettaient ensemble pour elle, sans aucun sentiment entre eux. L'ambiance au foyer serait différente. Puis, en grandissant, elle comprendrait pourquoi ce n'est pas normal, et risquerait de leur en vouloir. Parce que quelque part, elle se sentirait responsable de leur malheur sentimental, de leur vie amoureuse inexistante.

Amy semble approuver ce point. J'esquisse un petit sourire amusé quand elle me dit n'avoir pas trop mal tourné malgré l'absence d'Elie. « Pas trop mal ? Je dirais que tu t'en es super bien sortie, oui. » La preuve : elle est devenue cette belle jeune femme qui me fait face maintenant. Qui a trouvé en elle la force de pardonner un paternel démissionnaire. Qui ne veut que le meilleur pour sa fille au point, parfois, d'oublier que le statut de maman n'exclut pas le statut de femme. Une femme avec ses propres envies et ses propres besoins.

Je cherche à la faire réfléchir sur Ash, à savoir si elle est prête à lui offrir une seconde chance. La réponse ne se fait pas attendre : il l'a trahie de la plus terrible des façons. Elle est en colère et ne se voit pas reformer un couple avec le père de sa fille. D'après ce que je peux comprendre, c'est bel et bien terminé entre eux, sans possibilité de retour en arrière ou de nouveau départ. « C'est déjà une très bonne chose que tu saches où tu en es par rapport à lui. Quand tu t'en sentiras prête, tu pourras aller de l'avant. » Bien sûr, Ash fera toujours partie de son quotidien : ils ont un enfant ensemble, et chose parfaitement normale, il a envie de s'impliquer dans son éducation et dans sa vie. L'important, c'est qu'il sache que leur relation ne sera jamais plus que cela. Qu'il laisse Amy se retrouver quelqu'un, comme elle le mérite.

Je reviens sur sa confidence, une poignée de secondes plus tôt : elle ne sait pas par quel moyen elle réussira à s'épanouir. Elle voit sa situation actuelle à travers un voile un peu flou. Elle doute, n'est pas certaine d'y arriver. C'est normal. On est tous passés par-là à un moment ou un autre, à différents niveaux. « Tu sais, Amy, s'il y a une chose dont je suis certaine, c'est que tu y arriveras. Je suis prête à parier tout Riverside là-dessus. » Et ce n'est pas peu dire, compte tenu de ce que ces cent quatre-vingt hectares de Paradis représentent à mes yeux. Elie n'a peut-être pas été là pour elle les premières années, et je sais qu'elle a encore un peu de mal à l'entendre, mais Amy lui ressemble beaucoup sur certains points. Elle est forte, tenace. Je ne m'inquiète pas à son sujet.

Black piaffe, nous rappelant que la pause commence à être longue pour lui. « On redescend ? » Je propose à ma belle-fille, indiquant le chemin à prendre d'un signe du menton. Rien ne nous empêchera de continuer cette conversation en route. Ou bien de parler de tout autre chose, si Amy le souhaite. Je suis déjà plus qu'heureuse de cette balade ensemble, de ce qu'elle a accepté de me confier. J'ai enfin l'impression d'arriver à la toucher, à resserrer nos liens, à trouver ma place auprès d'elle.

Peu importe ce qui se passera dans les prochaines heures, je sais exactement ce que je me dirai en fermant les yeux ce soir. Aujourd'hui, c'était une belle journée.


@Amy Castle