Encore une fois Russell avait mis le feu aux poudres. Il avait ravivé les braises du conflit avec son fils qui avait pris de grandes proportions très rapidement. Le retour de flamme était plus que brutal. Si sur le coup avec l'adrénaline il n'avait pas mesuré ses propos, c'est sur le chemin qui menait à la caserne qu'il avait mesuré la gravité de la situation. Il avait débarqué à l'improviste à la caserne et dans le bureau de Quino, complètement déstabilisé. Même s'il savait au fond de lui que son ami n'allait pas lui mentir juste pour le rassurer, entendre qu'il avait effectivement dépassé les bornes et que son fils n'allait sûrement pas lui pardonner facilement était un déchirement pour Russell. Il avait commis une très grosse erreur, le genre d'erreur qui peut tracer un trait indélébile sur sa relation avec Angus. La panique était intense, le pompier tremblait comme une feuille, ses yeux embués de larmes alors qu'il conduisait. Peu avant d'arriver au carrefour qui menait à son appartement, le quadragénaire dont le cerveau était sur le mode “off” pris à droite au lieu de continuer tout droit. Sa moto se gara rapidement sur le parking d'une petite supérette ouverte 24h sur 24. Le genre d'endroit qui vendait des articles trois fois plus cher qu'ailleurs mais un des rares endroits du quartier où on pouvait acheter de l’alcool après 22h. Sans être en capacité de réfléchir, ses pas le menèrent à l'intérieur, comme ils l'avaient fait pendant des années auparavant. Il avait mécaniquement attrapé une bouteille de gin. Une bouteille qu'il connaissait parfaitement : celle où le degré d'alcool était suffisamment fort tout en étant dans les prix les plus bas. Après l'avoir achetée il remonta sur sa bécane et il arriva chez lui. Dans sa main droite ses clés, dans la main gauche la bouteille qu'il venait d'acheter. Quand il ouvrit la porte, Tony, son chat, se précipita vers lui, heureux de voir son maître à la maison. Russell était cependant en trop grande détresse pour entendre les ronrons de son chat et c'était bien une des premières fois où il l’ignorait. Il s'écroula sur son canapé avant de prendre sa tête entre ses mains, au même moment il se mit à sangloter. La bouteille était posée sur la table basse face à lui et plus il la contemplait et plus ses pleurs s'intensifiaient. La tentation était là : forte, grandissante, elle le démangeait. A cet instant précis, seul l'alcool apparaissait comme ma seule solution pour mettre son désarroi en sourdine. Il y a quelques années, ce rituel était même quotidien pour lui, mais depuis il l’avait guéri. Il avait fait des cures de désintox, il allait aux AA, il était sur la bonne voie. Enfin, c’est ce qu’il croyait jusqu’à ce matin, jusqu’à ce qu’il voit Angus et qu’il foute à nouveau tout en l’air. L’homme fort, résilient et résistant à la tentation avait l’air bien loin et il en était persuadé : il allait craquer. Il suffirait de quelques secondes pour ouvrir la bouteille et sentir la brûlure du gin dans sa gorge, une fraction de secondes pour que tout bascule. Il essaya de prendre une grande inspiration avant d’attraper son téléphone pour envoyer des messages à Faith, la seule personne à qui il faisait assez confiance pour gérer une situation comme celle-là. Il avait désespérément besoin d’aide alors il priait pour qu’elle lui réponde vite pour l’aider à contenir la crise.

Russell
Je crois que j'ai fait une connerie.

Russell
Et je sens que je vais en faire une autre bientôt, ça va pas du tot j'ai merdé, je suis trop con

Sa réponse ne se fit pas attendre, elle allait venir, Faith serait bientôt là et c’était la seule idée qui permettait à Russell de résister comme il le pouvait à la tentation. Il ne voulait pas rechuter, mais seul il allait droit dans le mur et il n’y avait aucun doute là dessus.

@Faith Palmer

Elle avait passé une grosse journée à l’association. Ces derniers temps, elle travaillait de nombreuses heures par jour pour réussir à voir tout le monde qui faisait des demandes de rendez-vous avec elle. Ce n’était pas pour la déplaire par contre. Elle n’avait pas le temps de penser à Noah, à Ella, à l’alcool et à tout ce qui la tourmentait à tous les jours de sa vie. Ce soir-là, elle avait décidé de passer dans un petit restaurant indien qu’elle aimait bien et qui était sur le chemin du retour à son appartement. Elle n’avait pas l’énergie de se faire un repas elle-même et elle s’était dit qu’elle méritait bien ce petit réconfort. L'hiver s'installait doucement et les soirées ainsi que les nuits étaient plutôt fraîche. Faith était aimait mieux les températures chaudes des mois de décembre et janvier. Arrivée à la maison, elle se dirigea dans sa chambre pour mettre son pyjama. Elle avait l’intention de se coucher tôt pour pouvoir récupérer le plus possible. En retournant dans le salon, elle prit quelques secondes pour poser la main et le front sur la porte close de la chambre où Noah avait choisi de poser son geste. Elle ferma les yeux et prit deux grandes respirations puis continua son chemin. C’était sa manière de lui dire qu’elle ne l’oubliait pas, qu’il était toujours avec elle. Elle attrapa par la suite son curry et s’assit sur le sofa du salon. Elle alluma la télévision et mis une épisode de Virgin River sur netflix. C’était bien la quatrième fois qu’elle recommençait la série, mais elle ne pouvait se séparer de Mel et de Jack. Elle en était à la moitié de son plat lorsqu’elle vit l’écran de son téléphone portable allumé. Elle le saisit immédiatement et eût un petit sourire lorsqu’elle vit que c’était Russell. Je crois que j'ai fait une connerie. L’inquiétude prit immédiatement place dans son esprit. À peine avait-elle eu le temps de lui répondre qu’un deuxième message arriva dans sa boîte de sms. Et je sens que je vais en faire une autre bientôt, ça va pas du tout j'ai merdé, je suis trop con. Un sentiment d’urgence l'envahit. Elle devait se rendre chez lui le plus vite possible pour l’épauler. Il ne devait pas flancher. Il avait un bon bout du parcours de fait, il ne pouvait pas tout mettre à l’eau. Elle posa son plat d’indien sur la table basse de son salon, attrapa ses clés et se dépêcha de se rendre à sa voiture.
Arrivée chez Russell, elle ne frappa même pas à la porte avant d’entrer. Elle espérait avoir réussi à arriver avant qu’il ne touche à une goutte d’alcool. Elle se dirigea directement dans le salon et la scène qu’elle vit lui brisa le coeur. Il était seul, assis sur le sofa à sangloter comme un petit enfant. Son regard se dirigea vers la bouteille de gin qui était posée sur la table basse et elle se sentit soulagée lorsqu’elle constata qu’elle n’était pas ouverte. Elle se dirigea doucement vers lui, prit place à ses côtés et le prit dans ses bras. Elle ne savait pas ce qui se passait, mais ce n’était pas important. S’il voulait lui en parler, elle était là. Il savait qu’il pouvait tout lui dire. ”Je suis là maintenant. Tu as bien fait de m’écrire.” Elle ne lui caressait le dos dans un geste qu’elle voulait apaisant. Elle étira un bras pour attraper la bouteille et la mettre au pied du sofa, là où elle était hors de sa vue et hors de celle de Russell. ”Pleure autant que tu en as de besoin.” C’était beaucoup trop dangereux de refouler ses émotions. C’était souvent synonyme de rechute et de perte de contrôle.

La souffrance et l’angoisse étouffaient Russell, littéralement. Il sentait qu’il avait du mal à respirer, que chaque bouffée d’air était plus difficile à prendre que la précédente. Son rythme cardiaque s’accélérait, signe évident d’une crise de panique qui montait trop rapidement pour être maîtrisée convenablement. Il était pompier et même s’il avait été formé sur ce genre de crises et les manières de les gérer c’était différent puisqu’il s’agissait de lui-même. Appeler quelqu’un était donc sa seule option pour gérer la crise et empêcher la situation d’empirer. La bouteille était là, posée sur la table à quelques dizaines de centimètres seulement de lui. Il n’avait qu’à tendre le bras pour l’ouvrir. Il avait l’impression qu’elle l’appelait, qu’il était attiré irrésistiblement vers elle, à la manière d’une sirène. En attendant qu’elle arrive il s’était recroquevillé sur le canapé et il ne pouvait pas s’arrêter de pleurer, la main sur son visage pour se cacher et éloigner la vision de la bouteille de gin. La porte s’ouvrit une dizaine de minutes plus tard et avant qu’il n’ait eu le temps de se lever, ou plutôt d’en trouver la force, Faith fit son apparition dans le salon. Elle le prit dans ses bras et la chaleur de son corps l’enveloppa progressivement. C’était une chaleur douce, réconfortante. Il était si soulagé qu’elle soit là. ”Je suis là maintenant. Tu as bien fait de m’écrire.” Sa main caressait son dos pour apaiser ses pleurs et tremblements qui ne cessaient pas. Russell était trop angoissé pour voir qu’elle avait mis la bouteille hors de son champ de vision. Il était incapable de penser correctement, les émotions le submergeaient bien trop pour ça mais ne plus voir la tentatrice était une très bonne chose. ”Pleure autant que tu en as de besoin.” Personne n’avait vu pleurer Russell. Les personnes qui l’avaient vu pleurer se compter sur les doigts d’une main. Il y avait d’abord eu son père quand il était encore enfant. Il s’était égratigné le genou en tombant de vélo, il était venu le voir en larmes et son père lui avait mis une claque parce qu’ “un homme ça pleure pas, c’est pour les gonzesse et les fragiles ça” il avait dit. Il avait donc été éduqué dans cette vision d’un homme qui se devait d’être fort, solide comme un roc et parfaitement imperméable à toute émotion. Une carapace qui s’était toutefois brisée avec Beth. Il avait versé quelques larmes de joies à la naissance d’Angus et son ex-femme avait également essuyé ses larmes à de trop nombreuses reprises après son accident de travail. Quino l’avait vu pleurer aussi et pas plus tard que tout à l’heure. Enfin, Angus avait aperçu quelques larmes au cimetière quand il l’avait surpris sur la tombe de Beth plusieurs mois auparavant. Russell était donc un homme qui refoulait énormément ses émotions par fierté mais surtout par honte et peur de se montrer vulnérable. Mais là il n’avait pas le choix. Il avait honte que Faith puisse le voir dans un état pareil mais il était trop en souffrance pour ravaler ses larmes et prétendre que tout allait bien. Il continua donc de pleurer tout en énonçant des bouts de phrases difficilement intelligibles. “J’ai…tout gâché.” Sa voix tremblait et pour Faith qui n’avait pas eu le contexte de cette crise, les paroles du pompier devaient être difficilement compréhensibles. “Il ne voudra plus me voir..plus jamais… c’est sûr.” Sa voix se brisait un peu plus à chaque mot qu’il prononçait mais il avait besoin de parler pour vider son sac. “Quino a raison, j’ai dépassé les bornes.” Il essuya ses larmes d’un revers de la main mais de nouvelles venaient ruisseler sur ses joues. “Je suis pas quelqu’un de bien…je sais pas pourquoi t’es venue.” Sa phrase pouvait être mal interprétée et il s’en rendit compte. “Je mérite pas qu’on m’aide… t’es trop gentille, je te mérite pas.” Il reniflait tout en prenant sa tête entre ses mains, complètement désespéré. La culpabilité n’était pas loin derrière lui non plus, et dans ses moments-là il se sentait encore plus coupable d’avoir survécu. Il en était convaincu, il aurait dû mourir ce jour-là, sous la poutre qui a écrasé ses collègues. Ils étaient de bien meilleures personnes que lui, eux c’étaient des types bien, des mecs en or qui méritaient de survivre. Russell avait honte d’avoir eu la chance de vivre pour finir de manière aussi pathétique : recroquevillé sur son canapé en larmes comme un enfant à un cheveux de tout foutre en l’air encore.

Elle était formée pour faire face à la détresse des gens. C’était son métier de savoir comment gérer les crises, comment donner des références et des trucs aux gens qui en avaient de besoin pour passer au travers des moments difficiles. Voir Russell dans cet état ce soir-là dépassait ses compétences. Elle avait le coeur brisé de le voir aussi mal en point, aussi démoli. Elle se devait de retenir sa propre émotion puisqu’elle devait être le roc qu’il avait besoin pour s’appuyer. Elle savait ce que c’était d’avoir le goût, le besoin d’ouvrir une bouteille d’alcool pour enterrer sa douleur. C’était probablement pour cette raison qu’elle avait accouru aussi vite. Elle savait qu’il avait besoin d’aide. Elle comprenait sa douleur, sa détresse, la sensation que son monde s’écroulait. Elle était là, à seulement être présente et le serrer contre elle de toute ses forces pour qu’il sente sa chaleur, qu’il sente qu’il puisse se laisser alors contre elle et qu’il n’était pas seul. “J’ai…tout gâché.” Elle ne comprenait pas ce qu’il voulait dire pas là. Elle ne savait pas ce qui causait cette tristesse ce soir-là, mais elle ne voulait pas l’obliger à lui dire. Elle voulait qu’il se sente en confiance, qu’il prenne le temps de vivre son émotion et il lui expliquerait ce qui se passait lorsqu’il serait prêt. “Il ne voudra plus me voir..plus jamais… c’est sûr.” Elle commençait à comprendre tranquillement. Elle doutait fortement qu’il s’était passé quelque chose avec son fils. Elle ne savait pas toute l’histoire et le passé de Russell avec lui, mais elle savait que leur relation était tendue et très difficile. C’était difficile pour elle de voir que les deux hommes se connaissaient et qu’ils n’étaient pas capables d’avoir de se côtoyer alors qu’elle aurait donné sa vie pour retrouver Ella, mais elle s’était toujours promise de ne pas juger. Elle ne connaissait pas leur passé et savait que l’alcool était très dévastatrice dans une famille. “Quino a raison, j’ai dépassé les bornes.” L’idée que son ami ne l’avait non seulement pas aidé, mais aussi contribué à le mettre dans l’état qu’il était présentement alluma une certaine colère en elle. Elle ne connaissait pas ce Quino, mais elle savait que les deux hommes étaient proches. Il n’était pas sensé être présent pour aider Russell et non l’enfoncer davantage ? “Je suis pas quelqu’un de bien…je sais pas pourquoi t’es venue.” Elle n’eût le temps de prononcer un mot avant qu’il recommence à parler. “Je mérite pas qu’on m’aide… t’es trop gentille, je te mérite pas.” Elle sentait qu’elle l’échappait, qu’il glissait encore plus profondément dans ce qui s’approchait d’une crise de panique. Elle l’éloigna doucement d’elle, prit son visage entre ses deux mains, le forçant doucement à la regarder dans les yeux. ”Russell, tu dois respirer doucement. Regarde-moi.” Elle faisait attention pour parler doucement, lentement. Il devait se connecter à la réalité, se connecter à elle. ”Respire en même temps que moi. Doucement. Inspire tranquillement. Expire. Suis-moi.” Elle attrapa une des mains de Russelle qu’elle posa sur son ventre à elle, posant sa propre main par-dessus celle de Russell, en conservant l’autre main sur sa joue. ”Tu n’es pas une mauvaise personne Russell. On fait tous des erreurs. Peu importe la gravité de celle que tu viens de faire, tu reste quand même une bonne personne.” Ce qui pressait n’était pas qu’il lui raconte ce qui s’était passé, mais bien qu’il se calme. Elle ne voulait pas qu’il s’hyperventile ou encore pire, qu’il attrape la bouteille qu’elle avait éloignée et qu’il commence à la boire.

Lorsque Russell avait écrit à Faith pour lui dire qu’il allait faire une bêtise, elle n’avait pas hésité à se rendre chez lui. Cet homme était une personne à qui elle tenait énormément et elle savait qu’elle irait lui décrocher la lune s’il le lui demandait. Ça faisait longtemps qu’elle n’avait pas ressentit ça pour quelqu’un. Leur amitié était forte. Tellement qu’elle était en train de se demander si elle n’était pas en train de développer plus fort. Ce qui était sûr, c’était qu’elle voulait qu’il se sente bien et qu’il ne rechute pas. Elle se sentait capable de l’épauler dans ses difficultés. C’est pour ça qu’elle prit son temps pour lui ce soir-là. Elle avait gardé son calme, elle avait gardé le contact physique qu’elle pensait que ça lui prenait pour qu’il reste dans le moment présent et qu’il ne vacille pas complètement dans l’angoisse et la panique. Elle avait gardé ses yeux ancrés dans ceux de Russell, essayant de lui faire comprendre qu’elle était là et qu’elle resterait là. Il pouvait s’appuyer sur elle sans hésitation. Doucement, il reprit le contrôle. Elle ne doutait pas que sa douleur était encore présente et aussi forte, mais il était maintenant avec elle, dans le moment présent. Elle était soulagée que le plus fort de la crise soit derrière eux. “Merci. Si tu n’avais pas été là je ne sais pas ce que j’aurais fait.” Elle lui fit un sourire. Elle n’avait pas besoin de remerciement. ”Tu n’hésite jamais Russ.” Elle appliqua une pression de la main sur son bras pour qu’il comprenne qu’elle était sincère lorsqu’elle lui disait ça. Elle ne voulait jamais qu’il ait peur de la déranger. Ça n’arriverait jamais. “Je…je sais pas pourquoi j’ai réagi comme ça. J’ai ja.. Enfin ça fait longtemps que ça ne m’était pas arrivé, d’habitude j’arrive à me contrôler. Mais là c’était… Incontrôlable. Donc merci d’avoir été là pour moi.” Elle comprenait sa souffrance. Elle comprenait bien c’était quoi avoir l’envie de tout foutre en l’air et d’avoir envie de retrouver la seule chose qui ne les avait jamais laissé tomber dans les moments de faiblesse : la bouteille. Mais elle était un poisson. Elle semblait être la solution alors qu’elle ne faisait qu’endormir les douleurs pour mieux les laisser reprendre toute la place par la suite. Il l’attira dans ses bras. Elle se laissa aller contre lui, lui rendant son étreinte. ”Je ne sais pas ce qui s’est passé et tu n’as pas à me le raconter si tu ne le veux pas, mais dis-toi que je comprends exactement ce que c’est quand l’angoisse et la panique prends le dessus.” Son histoire n’était pas la même que celle de Russell, mais malgré les différences, la détresse dans l’alcoolisme était sensiblement la même. Lorsqu’il l’avait connu, ça faisait déjà quelques mois qu’elle était complètement sobre, mais elle avait passé au travers plusieurs rechutes avant qu’il arrive dans sa vie. Elle n’était pas meilleure qu’une autre. Elle avait seulement des outils maintenant pour l’aider à surmonter le tout. ”Et peu importe, je serai toujours là Russ. Je ne veux jamais que tu hésites à m’appeler. J’arriverai toujours le plus vite que je pourrai.” Essayant une touche d’humour, elle ajouta : ”J’en ai même oublié d’enlever mon pyjama avant de m’en venir.” Un sourire prit place sur ses lèvres. Elle avait la tête appuyé sur l’épaule de Russell, prenant le temps de sentir son odeur réconfortante. Elle n’avait pas le goût de retourner chez elle maintenant qu’il allait mieux. De toute manière, elle ne se sentait pas à l’aise de le laisser seul alors qu’il semblait encore affecté par ce qui s’était passé dans la soirée. ”Tu veux que je prépare quelque chose à manger ? Une tasse de tisane ?” Tout pour ne pas le quitter ce soir-là.

“Ils sont très mignons ces petits nounours t’en fais pas.” Faith eût un petit rire. Elle doutait d'être très sexy dans son pyjama à motif d’ourson, mais ce n’était pas très important. Ce qui l’était était que Russell s’était calmé et qu’ils avaient évité le pire : qu’il rechute. Le reste, elle pouvait gérer. Et il fallait dire qu’à cinquante ans, elle s’assumait comme elle était et elle ne cherchait plus à impressionner personne. “Je pense qu’une camomille nous ferait le plus grand bien.” Elle se leva aussitôt, mis de l’eau dans la bouilloire qu’elle mit à chauffer. Elle attrapa les tasses, mis les sachets de tisane à l’intérieur. Elle ne cherchait plus où se trouvaient les choses de Russell dans sa cuisine, ayant passé déjà beaucoup de temps dans cet appartement. Elle se fit la réflexion qu’elle était très à l’aise dans cet environnement et elle constata en même temps à quel point elle était devenue proche de Russell. Elle versa l’eau dans les tasses et les apporta au salon. Elle reprit sa place sur le sofa, assise en tailleur pour faire face à son ami. Elle voulait qu’il sente qu’elle était complètement ouverte à lui s’il avait besoin de se confier. “Je vais te raconter. J’espère juste que ça ne changera pas la vision que t’as de moi. Mais je comprendrais que ça te fasse fuir.” Elle avait le goût de lui dire que rien ne la ferait fuir, qu’elle était là pour lui peu importe ce qu’il avait fait et ce qu’il ferait dans le futur, mais il avait l’air sur sa lancer. Elle ne voulait pas l’interrompre, par peur de le couper dans son élan. Elle se contenta de mettre sa main sur la cuisse de son ami et d’y faire une pression pour qu’il comprenne par son geste qu’elle était à l’écoute et prête à reçevoir ses confidences. “J’ai des enfants, ça tu le sais. Et tu sais aussi qu’on ne se parle plus depuis un moment. Mais c’est à cause de moi. J’ai été le pire des pères pour Angus et Samuel.” Elle savait mieux que tout le monde à quel point les relations parents et enfants pouvaient être dévastatrices d’un côté comme de l’autre. Elle n’avait pas vraiment eu le temps d’en établir une avec Ella, mais celle avec ses propres parents n'avait pas été facile. Et c’était pour Faith un sujet difficile, mais elle savait aussi que Russell s’en voulait énormément pour ce qu’il leur avait fait vivre et déjà, c’était beaucoup plus que ce que ses propres parents avaient déjà démontré pour elle-même. “Je ne sais même pas où commencer…” Pendant qu’il organisait ses idées, Faith prit la poche de tisane qu’il y avait dans sa propre tasse ainsi que dans celle de Russell pour les déposer dans la petite soucoupe qu’elle avait mise sur la table de salon et prit prudemment une gorgée de la boisson qui était encore beaucoup trop chaude pour être bue. “J’ai rencontré mon ex-femme quand j’étais qu’un gamin, on a eu Angus à 20 ans, on s’est mariés…c’était vraiment une relation fusionnelle. Entre nous ça allait bien. On a eu des coups durs c’est vrai, comme tous les couples mais un jour j’ai appris qu’elle me trompait et qu’elle n’était même pas sûre que je sois le père d’Angus. J’ai pété les plombs et je suis parti.” Faith ne pouvait même pas imaginer la douleur qu’il avait pu ressentir. Elle ne s’en serait jamais remise si elle avait su que Noah la trompait. Elle avait elle-même eût plusieurs occasions de sauter la clôture avec Cade alors qu’elle avait trop bu et qu’il lui faisait des avances, mais elle n’avait jamais cédé. La douleur de ne pas savoir si son fils était de son sang devait être épouvantable. Elle regardait Russell dans les yeux pour lui signifier qu’il avait toute son attention. Elle pouvait sentir l’émotion et la douleur dans sa voix.  “C’était une période difficile pour moi. Je veux pas me chercher d’excuses parce que j’en ai pas…mais j’étais malade. J’ai eu un gros accident de travail, c’est ça qui m’a fait sombrer…Enfin bref. J’ai claqué la porte et je suis pas revenu jusqu’à l’an dernier.” Il y avait toujours un événement déclencheur pour l’alcoolisme. On ne devenait pas accro à la bouteille du jour au lendemain. Faith ne savait pas encore ce qui avait fait sombrer Russell et elle ne voulait pas le questionner sur ça. Il lui dirait lorsqu’il serait assez à l’aise avec elle pour le faire. Elle sentait que les confidences qu’il était en train de lui faire étaient assez douloureuse pour ne pas le questionner. “Depuis que je suis revenu j’ai revu Angus par hasard plusieurs fois, mais c’était du hasard et à chaque fois ça finissait mal. Et là… On s’est revus aujourd’hui…il a passé son temps à m’attaquer toute la journée et j’ai craqué. Je lui ai dit que sa mère avait été infidèle…j’ai sali la mémoire de sa mère, j’aurais dû garder le secret, il n’aurait jamais dû savoir.” Faith passa sa main dans le dos de Russell dans un geste qu’elle souhaitait rassurant. Elle savait qu’elle n’avait pas vraiment son opinion à donner, mais en même temps, s’il lui avait parlé de ce qui l’avait mis dans cet état, peut-être voulait-il qu’elle se prononce ? Elle comprenait par sa dernière phrase que l’ex-femme de son ami était décédée. Un point en commun de plus entre elle et lui : ils devaient faire le deuil de la personne qu’ils avaient aimé probablement plus qu’eux-même. ”Je pense sincèrement que même si tu as l’impression de salir sa mémoire, ton fils a le droit de savoir la vérité. Elle finit toujours par nous rattraper. Même si elle fait mal.” Elle prit une grande inspiration, passa la main dans ses cheveux. Elle cherchait les bons mots, elle ne voulait pas que son ami se sente jugé et elle ne voulait pas qu’il pense qu’elle se mêlait de ce qui ne la regardait pas. ”En même temps, je sais que les relations parents-enfants peuvent faire très mal. Laisse le temps faire les choses. Laisse-le assimiler ce que tu viens de lui dire. Est-ce qu’il y a quelqu’un qui peut jouer les médiateurs entre vous ? Je veux dire… Lorsque la poussière aura descendu, si tu tente d’avoir une discussion calme à coeur ouvert avec lui, est-ce qu’il y a quelqu’un qui vous connaît assez tous les deux pour tenter d’être présent et de tempérer les réactions que vous pourriez avoir l’un envers l’autre ?” Elle prit une gorgée de sa tisane, en attendant la réponse de Russell. Elle se voulait bienveillante dans son intervention. Elle voyait bien que ça le tuait de ne pas être capable d’avoir une relation saine avec son fils. Il y avait des fois où le mieux était d’aller voir un spécialiste, de suivre une thérapie familiale, mais elle ne pensait pas que son fils accepterait de le faire. Pas pour l’instant du moins avec ce que venait de lui raconter Russell. ”Et ne pense pas que je te juges sur quoi que ce soit. Je suis moi-même été une mère plus qu’absente et j’ai été une femme épouvantable pour Noah…” Elle avait déjà mentionnée à son ami que Noah était décédé, mais il ne savait pas vraiment les circonstances puisque les meetings dans lequel elle en avait parlé étaient bien avant ceux auxquels il avait participé. Il ne connaissait pas l'existence d’Ella par contre. C’était la première fois qu’elle lui glissait qu’elle était mère, mais ce n’était pas dans l’optique qu’il la questionne sur son passé. C’était plutôt pour lui confirmer qu’elle ne jugerait pas son passé parental.

La main de Faith dans le dos de Russell réussissait à l’apaiser. Sentir ce contact physique était rassurant, il se sentait moins seul dans sa douleur. Le pompier avait pris le parti de faire des confidences à Faith, le genre qu’il gardait toujours pour lui et dont une poignée de personnes seulement étaient au courant. Russell avait honte de ses actions passées, de son chemin de vie chaotique, de son histoire et des conséquences sur sa famille. S’il se confiait à Faith c’était d’une part pour soulager sa conscience, mais surtout parce qu’il lui faisait suffisamment confiance pour s’ouvrir et se mettre à nu devant elle. ”Je pense sincèrement que même si tu as l’impression de salir sa mémoire, ton fils a le droit de savoir la vérité. Elle finit toujours par nous rattraper. Même si elle fait mal.” Le quadragénaire secoua la tête, ne sachant pas vraiment quoi penser de tout ça. Il était profondément convaincu avec le recul d’avoir tort et d’avoir mal agi. Quino avait raison, il n’aurait pas dû révéler à Angus cette vérité parce qu’elle n’apportait rien, au contraire. Même si Beth avait commis une terrible erreur cela n’avait rien changé au fait qu’Angus restait son fils, qu’ils soit biologique ou pas. Et en aucun cas le mensonge de Beth ne justifiait l’abandon total de sa famille. Ils auraient pu trouver des solutions comme se séparer et garder à tour de rôle les enfants. Cette vérité avait seulement servi à expliquer pourquoi Russell était parti si subitement, mais elle ne justifiait rien, et la vérité était là. ”En même temps, je sais que les relations parents-enfants peuvent faire très mal. Laisse le temps faire les choses. Laisse-le assimiler ce que tu viens de lui dire. Est-ce qu’il y a quelqu’un qui peut jouer les médiateurs entre vous ? Je veux dire… Lorsque la poussière aura descendu, si tu tente d’avoir une discussion calme à coeur ouvert avec lui, est-ce qu’il y a quelqu’un qui vous connaît assez tous les deux pour tenter d’être présent et de tempérer les réactions que vous pourriez avoir l’un envers l’autre ?” Le pompier n’eut pas à réfléchir très longtemps pour savoir qui pourrait jouer ce rôle de médiateur entre Angus et lui : Quino.  “Il y a bien quelqu’un qui pourrait jouer le médiateur. Enfin, je n’en suis pas sûr mais je pense que Quino…enfin Joaquin aurait une carte à jouer. Mais tu as raison, il faut laisser du temps pour apaiser les esprits.” Il était le seul qu’il connaissait et qui était encore en contact avec son fils et pour cause, il était le parrain de son aîné. De plus, son ami lui avait glissé tout à l’heure dans son bureau qu’il avait l’adresse et le numéro d’Angus si Russell le souhaitait. Quino pourrait jouer ce rôle là, mais Angus ne l’accepterait probablement jamais. En effet, au retour de Russell sur Brisbane, le fait que les deux amis reprennent contact sans que cela ne pose trop de problèmes au capitaine de la caserne avait blessé Angus. Comme si leur amitié retrouvée était un signe d’une alliance avec Russell contre lui. Son aîné avait pu se sentir trahi par Joaquin du fait de sa loyauté à son père, ce qui faisait de Quino un médiateur potentiel mais pas assuré. ”Et ne pense pas que je te juges sur quoi que ce soit. Je suis moi-même été une mère plus qu’absente et j’ai été une femme épouvantable pour Noah…” Le quadragénaire hocha la tête lorsqu’elle parlait du fait qu’elle ne le jugeait pas. Il sentait qu’elle était sincère et c’était très appréciable. Quand il entendit Faith mentionner son rôle de mère, il fut cependant surpris, il avait toujours cru que son amie n’avait jamais eu d’enfants puisqu’elle n’en parlait pas. Il connaissait cependant la triste histoire de son mari décédé, une histoire tragique qui avait résonné en lui. “Pour Noah tu ne pouvais pas savoir et tu étais malade. Je suis mal placé pour te donner ce conseil mais ne te blâme pas pour les choses que tu as pu faire quand tu n’étais plus toi-même. Je suis sûr que tu l’aimais beaucoup et il le savait.” La discussion devenait profonde et Russell ne savait pas s’il avait bien fait de s’aventurer sur ce terrain qui était glissant, le but n’était pas de redéclencher des traumatismes à Faith. C’est ce qui le poussa à ne pas poser de questions au sujet de son rôle de mère : si elle ne voulait pas en parler d’elle-même, alors il ne poserait pas de question. “Je sais ce que tu vas me dire : je te donne des conseils que je n’arrive pas à m’appliquer. En tout cas, merci de m'avoir écouté.” Il constata simplement qu'ils étaient un peu dans la même situation tous les deux et ils savaient donc à quel point la guérison était un chemin long, sinueux et rempli de doutes.

“Il y a bien quelqu’un qui pourrait jouer le médiateur. Enfin, je n’en suis pas sûr mais je pense que Quino…enfin Joaquin aurait une carte à jouer. Mais tu as raison, il faut laisser du temps pour apaiser les esprits.” Faith était bien contente que Russell ait quelqu’un à qui faire confiance pour l’aider avec son fils. Elle aurait bien voulu être cette personne, mais elle ne pouvait pas l’être, ne connaissant pas Angus. Elle serait présente par contre pour le après, peu importe comment cette discussion-là se terminerait, comme aujourd’hui. Elle ne connaissait pas ce Joaquin, mais il devait être une bien bonne personne pour que Russell lui fasse assez confiance pour penser à lui en tant que médiateur entre lui et son fils. Et pour lui prouver qu’il pouvait lui faire confiance, elle lui fit part d’une petite partie de son passé à elle. Leur passé était différent tout en étant similaire. Ils avaient tous les deux un passé d’alcoolique, de difficulté avec leur conjoint, de difficulté avec leurs enfants. Les sujets étaient les mêmes, même si le fond de l’histoire était différent. “Pour Noah tu ne pouvais pas savoir et tu étais malade. Je suis mal placé pour te donner ce conseil mais ne te blâme pas pour les choses que tu as pu faire quand tu n’étais plus toi-même. Je suis sûr que tu l’aimais beaucoup et il le savait.” Elle lui fit un petit sourire qui voulait lui dire merci. Il la comprenait, savait comment elle pouvait se sentir. Ça lui faisait quand même drôle qu’il lui dise la même chose qu’elle tentait elle-même de lui faire comprendre. “Je sais ce que tu vas me dire : je te donne des conseils que je n’arrive pas à m’appliquer. En tout cas, merci de m'avoir écouté.” Elle se mit à rire. C’était vrai, mais c’était la base de l’humain quand même, ne pas être capable de suivre ses propres conseils. ”Tu sais, c’est mon métier donner des conseils aux gens que je ne suis pas moi-même. Pour Noah, je réussis tranquillement à me pardonner. Ça fait quasiment quatre ans que je me reconstruis tranquillement, avec les hauts et les bas.” La conversation se dirigeait tranquillement vers elle alors qu’à la base, Russell l’avait appelé parce qu’il avait besoin d’elle pour se confier et pour retrouver une paix d’esprit. Elle ne voulait pas qu’il pense qu’elle cherchait son attention. ”Je ne veux pas que tu penses que je veux diriger la conversation vers moi, mais je voulais juste te dire que ce que tu me dis est aussi valide pour toi. Tu étais malade. L’alcool régissait tes pensées, tes paroles… C’est seulement difficile pour ceux qui ont fait les frais de cette maladie de comprendre que l’on ne contrôle plus rien quand on est alcoolique…” Elle prit une pose, prit une gorgée de sa tasse de camomille. Elle se sentait solide dernièrement dans sa sobriété, mais elle avait également compris que les rechutes peuvent arriver n’importe quand et souvent dans les moments où on s’y attendait le moins. ”Faut que tu penses aussi à toi là-dedans et à ta reconstruction. C’est difficile d’être égoïste, mais la guérison passe par là malheureusement…” Faith, elle avait dû se retrouver complètement seule pour pouvoir commencer à penser à elle. Elle avait dû perdre la seule personne en qui elle avait complètement confiance, son âme soeur pour se rendre compte à quel point elle s’était détruite elle-même, à quel point elle était rendue loin dans l’alcoolisme et à quel point elle avait fait souffrir la maigre entourage qu’elle avait. ”Je ne dis pas que je suis complètement guéri, que j’ai la vérité, mais si tu as besoin d’aide, je serai toujours là pour t’aider le mieux que je vais le pouvoir. Je suis contente que tu m’ais écrit ce soir.”

”Tu sais, c’est mon métier donner des conseils aux gens que je ne suis pas moi-même. Pour Noah, je réussis tranquillement à me pardonner. Ça fait quasiment quatre ans que je me reconstruis tranquillement, avec les hauts et les bas.” Le pompier hochait la tête en l’écoutant parler du deuil qu’elle traversait suite à la perte de son mari. “Je connais ça aussi et c’est pas un chemin facile. Mais j’ai espoir qu’on se reconstruise petit à petit comme tu dis oui.” Il ne connaissait que trop bien ce qu’elle lui décrivait. La situation était cependant différente. Si elle avait perdu son mari du jour au lendemain alors qu’ils étaient ensemble, du côté de Russell, Beth et lui étaient divorcés à son décès. Ca n’a toutefois pas empêché le pompier d’énormément souffrir de cette perte tragique. Les circonstances étaient donc différentes mais lui aussi avait perdu l’amour de sa vie. La coïncidence était tristement ironique : la tristesse avait emporté leur moitié à tous les deux. ”Je ne veux pas que tu penses que je veux diriger la conversation vers moi, mais je voulais juste te dire que ce que tu me dis est aussi valide pour toi. Tu étais malade. L’alcool régissait tes pensées, tes paroles… C’est seulement difficile pour ceux qui ont fait les frais de cette maladie de comprendre que l’on ne contrôle plus rien quand on est alcoolique…” Faith avait raison, quand il buvait à l’époque, Russell le père de famille dévoué et aimant n’existait plus. C’était comme si l’alcool avait effacé cette personne au profit d’une personne détestable et détestée. Cependant il comprenait aussi le point de vue d’Angus. Son fils n’avait pas été malade, il ne savait donc pas ce que son père pouvait ressentir mais Angus avait beaucoup souffert. Son fils avait été une victime indirecte de l'alcoolisme, une victime collatérale. Angus avait dû assumer bien plus de responsabilités qu’un gamin de son âge à cause de cette maladie, il avait vu sa famille se déchirer en étant parfaitement impuissant et Russell ne pouvait pas lui en vouloir. Son fils n’était pas fermé d’esprit ou intolérant, il portait plutôt les stigmates de l’alcool. “Non mais tu as raison, je crois que j’ai besoin de digérer cette histoire et j’essaierai de m’excuser auprès de mon fils.” Angus ne voudrait certainement pas entendre ce qu’il avait à dire mais il se devait d’essayer, de lui montrer qu’il savait assumer ses torts et s’excuser. Russell devait prendre du recul et éviter de réagir trop à chaud s’il espérait tout arranger un jour. ”Faut que tu penses aussi à toi là-dedans et à ta reconstruction. C’est difficile d’être égoïste, mais la guérison passe par là malheureusement…” Il eut un petit sourire nerveux tout en hochant la tête. Faith avait raison mais c’était quelque chose de difficile à envisager pour le pompier qui avait dédié sa vie aux autres. “Je vais essayer.” Depuis ses dix-huit ans, année de son entrée à la caserne, Russell n’avait pas cessé de travailler dur pour aider son prochain. Avec Beth il avait également fait beaucoup d’efforts pour lui offrir les meilleures conditions de vie possible. Russell était un homme fondamentalement altruiste et la seule période de sa vie où il avait été égoïste avait sûrement celle où il buvait régulièrement. Il se voyait également mal rester égoïste en ne pensant qu’à sa guérison quand son fils aîné était dans une telle souffrance. Son cœur de père ne pouvait pas envisager de laisser tomber encore son fils pour ne penser qu’à lui. Mais Faith avait sûrement raison sur le fait qu’il ne pourrait pas essayer de s’occuper de lui. Before I save someone else, I’ve got to save myself. ”Je ne dis pas que je suis complètement guérie, que j’ai la vérité, mais si tu as besoin d’aide, je serai toujours là pour t’aider le mieux que je vais le pouvoir. Je suis contente que tu m’ais écrit ce soir.” L’émotion gagnait Russell qui, les larmes aux yeux, enlaça Faith par réflexe pour la remercier. “Merci… vraiment.”  Après l’avoir prise dans ses bras, le pompier continua de parler en la regardant droit dans les yeux. “Heureusement que t’étais là..”J’ai de la chance de t’avoiril voulait ajouter, mais un invité surprise les interrompit : Tony. Le chat du quarantenaire se faufila vers le canapé dans leur direction. “Oh bah tiens, te voilà toi.” Un petit sourire se forma sur ses lèvres, son meilleur ami à quatre pattes avait toujours le chic de faire des entrées remarquées. “Tu dis bonjour à Faith ?” Et Tony avança vers Faith avant de se frotter contre ses jambes, en quête de caresses et d’attention. “On dirait bien qu’il t’a adoptée aussi.” Il ajouta en la regardant, un petit sourire retrouvé. Il était loin d’être sorti d’affaire, il savait très bien que les regrets allaient continuer de l’assaillir pendant des jours encore, mais la crise était passée.

(fin)