Première vraie situation de crise alors que tu es à la caserne. Tu aurais bien aimé que ça arrive plus tard. Tu es formée mais tu n’es pas de ceux qui font le gros du travail. Tu es là pour être les petites mains encore, tu es celle qui fait les à côté, le sale boulot si on peut dire, car tu es la newbie de la caserne. Pour être honnête ça t’arrange bien, tu ne te sens pas encore prête à devoir prendre des décisions de vie ou de mort sur une intervention. Tu es là pour aider de toutes les manières que ce soit et tu ne sais pas trop ce que cette tempête va pouvoir apporter comme lot de dégâts.

Le Capitaine vous a mis en garde la veille avec un pep talk de qualité. Tu as reçu un tas de SMS de ton paternel qui s’inquiète et qui veut des nouvelles de toi de manière régulière. Tu comprends qu’il veuille être rassuré mais tu sais aussi que tu n’es pas là pour rigoler. Ton téléphone est éteint et dans ton casier. Tu verras quand tu as le temps et tant pis s’il se fait un sang d’encre. Tu travailles. Tu fais des choses importante et là, ça y est, vous partez pour la première intervention. Un toit s’est effondré et ça te semble plutôt ok comme première intervention. Tu n’as pas réelle idée de ce qu’il en retournera mais c’est mieux de déblayer un endroit sans aucun blessé, ça a l’air d’être de la prévention plus qu’autre chose à ton avis.

Plus concentré que jamais tu enfiles tout ton équipement alors que vous partez vers les lieux de l’incident. Tu ne parles pas beaucoup, tu suis, tu es à disposition, tu es prête à aider qui à besoin. Tu suivras les indications du capitaine et autres collègues gradés. Dans le camion, tes yeux sont braqués sur le paysage autour de vous qui défile. Le vent est puissant et tu es bien contente que ton équipement pèse autant. Tu aurais pu t’envoler dans le cas contraire car tu es un petit model. Tu as de la force, tu as des muscles, tu es à présent à l’aise dans ton uniforme d’intervention qui te semble être comme un cocon qui te protège des éléments qui se déchainent dehors. Une armure qui est ton alliés pour que tu puisses aider au maximum pendant ces temps de crises au milieu de cette tempête.

Un avis de tempête. C’est ce que les chaînes d’info relayaient en boucle depuis plusieurs jours maintenant. Le cyclone est censé atteindre les côtes du Queensland, et par extension Brisbane, le 1er décembre en début de matinée. Et quand Lucas se réveille ce matin-là, il ne tient plus en place. Le vent commence à se lever dehors, la pluie tombe de plus en plus fort, et les images d’une tempête similaire en 2016 lui reviennent en mémoire. Ni une, ni deux, il se saisit de son téléphone et écrire un message au capitaine de la caserne, Joaquin Bates. Il ne s’imagine pas rester tout seul confiné chez lui, alors que ses anciens collègues sont sur le front. Il prie pour que son ancien mentor accède à sa demande et le laisse venir filer un coup de main. Heureusement, ce dernier accepte. Lucas envoie alors un message à Greta pour lui demander si celle-ci peut garder Jazz, son chien, le temps qu’il faudra. Sa réponse le surprend, et la suite de leurs échanges lui laissent un coup amer dans la bouche. Pas le temps d’y réfléchir davantage, il sollicite alors son amie Mabel qui accepte de lui rendre ce service. Quelques minutes plus tard, il monte dans sa voiture accompagné de son staff, en direction de la villa de Mabel. Une fois là-bas, il lui confie croquettes, laisse et jouets, n’oubliant pas de la remercier chaleureusement, avant de partir en trombe pour la caserne. Dès qu’il arrive sur place, il se dirige vers les vestiaires, où le capitaine a demandé à ce que son équipement soit préparé. Il s’arrête, l’espace de quelques instants, pour sentir sous ses doigts le tissu solide et rugueux. Il soupire, tâchant de retrouver ses esprits. Il y avait peu de chance qu’un incendie se déclare aujourd’hui, étant donné la pluie qui allait s’abattre sur Brisbane. Il allait surtout porter secours à des victimes, prises au piège par la tempête. Il sort son téléphone de sa poche et en profite pour écrire un message à sa cousine, Alexandra, histoire d’être sûr qu’elle et sa famille sont en sécurité. Il range le portable dans un casier, et le reste de ses affaires suit une fois qu’il a enfilé sa tenue. Il entend l’alarme sonner et sursaute. Merde, il aurait aimé voir le capitaine avant de partir où que ce soit… Tant pis, il le croiserait bien sur place. Il sort des vestiaires et part avec le premier camion qu’il trouve. Sur le trajet, il entend un collègue faire le rapport de l’intervention sur laquelle ils se rendent : un toit s’est effondré sous le poids de l’eau. Quelques minutes plus tard, ils arrivent sur les lieux de l’accident. Tout le monde s'affaire rapidement, et Lucas semble distinguer au loin son ancien Capitaine, Joaquin. « Capitaine ! », l’appelle-t-il, en s’avançant vers lui à grandes enjambées. « C’est bon, je suis là. Vous avez besoin de moi où ? », demande-t-il, en tâchant de garder son calme, malgré l’adrénaline qui coulait dans ses veines depuis de nombreuses minutes maintenant.

L’attente d’un appel d’urgence inéluctable avait engourdi la caserne. Pour combattre la fébrilité, certains pompiers s’étaient aménagés des lits de fortune pour grappiller quelques heures de sommeil. Chad, lui, avait investi un banc du réfectoire, jouant Born tu run de Bruce Springsteen dans son casque pour oublier le sifflement du vent qui faisait déjà trembler la tôle des murs. C’était sans surprise qu’on l’avait mobilisé la veille pour cette journée qui s’annonçait mouvementée. Prévoyant, Chad avait déjà vidé ou fixé le mobilier du jardin, calfeutré les fenêtres et baies vitrées et débranché les appareils électriques de sa maison, délaissée pendant tempête. Enfourchant sa moto, il s’était dirigé en quatrième vitesse à la salle où, avec l’aide de quelques bras supplémentaires, il avait répété les mêmes opérations. A tous ses proches, il avait transféré les instructions de la caserne, avant de demander à ses frères où ils comptaient s’isoler, si jamais une zone se trouvait plus vulnérable qu’une autre. En s’éloignant de la côte et évitant les déplacements, les habitants de la ville limitaient l’intervention des pompiers à des dégâts matériels. Arrivé à la caserne, il s’était changé, avant de faire trois fois, par acquis de conscience, le tour des équipements chargés dans les camions. Des scies circulaires aux cordes en passant par les lampes frontales et les indispensables des EPI, tout avait fait l’objet d’un inventaire méticuleux. Passé minuit, l’énergie était retombée comme un soufflé. Certains s’étaient isolés sur leurs téléphones pour se rassurer d’être, d’une façon ou d’une autre, proches de leurs familles, tandis que d’autres se relaxaient dans un coin, ou autour d’une partie de cartes. Chad s'était assoupi vers 2h, puis réveillé à 6h par un regain d'énergie après un peu de repos anticipé. A l'évidence, personne ici n'espérait pouvoir redormir dans les 24 prochaines heures. L'ambiance était bien différente de celle qui avait régné lors des derniers feux de brousse. Chad se souvenait avoir été tiré de son propre lit par un appel du capitaine, et l'avoir laissé inoccupé pendant plusieurs semaines, dont quelques nuits passées à l'hôpital. L'appréhension l'avait quitté aussitôt, car un pompier se devait de remonter en selle, au risque de ne jamais se remettre totalement des traumatismes. Aujourd'hui, l'eau qui était censée être leur alliée s'associait à leur deuxième pire ennemi : le vent. Entre son réveil et le moment où Joaquin lança l'alerte, le temps avait filé à une allure indécente. Ni une ni deux, la brigade s'installait dans les camions et filait droit vers la première scène de catastrophe, où aucune victime n'était à déplorer.