Elle avait été chanceuse malgré tout pendant le passage d’Olga. Faith avait vécu une nuit mouvementée, coincée avec Spencer à l’association AA-NA, mais ça aurait pu être pire. Elle était contente d’avoir su résister à l’appel de la bouteille suite à leur discussion houleuse. Si ça s’était passée il y a environ un an et demi, elle aurait probablement replongée, ne voulant pas vivre la colère et la tristesse qu’elle avait ressentie à jeun, mais maintenant, elle avait des stratégies lui permettant de vivre les émotions difficiles, de les accepter et de les laisser repartir par la suite sans ruiner sa sobriété. Elle n’avait pas eu de dommage non plus chez elle. Il fallait dire qu’elle était beaucoup plus chanceuse que bien des gens. La seule chose qui était dommage, c’était que vu qu’elle avait passé la plus grande partie de la tempête à l’association, elle n’avait pas pu manger la nourriture qu’elle avait fait en prévision qu’elle ne puisse pas sortir de la maison. Cette journée-là, Faith décida donc de prendre ses victuailles et d’aller les porter au village solidaire. Elle savait qu’il y aurait des gens qui en auraient plus besoin qu’elle et comme tout était congelé ou stérilisé dans des pots, la conservation était plutôt longue et les gens qui avaient été moins chanceux pourraient en profiter. Elle avait les moyens de pouvoir s’acheter de la nourriture. Elle attrapa donc un sac de course, mis la nourriture à l’intérieur et se dirigea vers le village solidaire pour aller donner tout ce qu’elle avait ramassé.
Après avoir déposé ses dons à la croix-rouge, elle décida de marcher un peu pour voir ce qui était organisé et pour voir si elle pouvait donner un coup de main à quelque part. C’est alors qu’elle la vit au kiosque du don de sang. Deborah Brody, la petite voisine d’Ella. Son coeur se mit à battre beaucoup trop vite. Faith avait retrouvé l’amie de sa fille sur les réseaux sociaux, se souvenant seulement de son prénom et du lieu où elle avait grandi. Elle ne comptait plus le nombre de fois où elle avait cliqué sur envoyer un message et qu’au final, elle s’en était dissuadée. Elle était qui pour venir bouleverser sa vie ? Deborah avait environ cinq ans la dernière fois qu’elle l'avait vue. Elle ne se souviendrait plus d’elle à coup sûr. Elle se pu se retenir de rentrer dans le kiosque du don de sang. Elle ne savait pas si elle allait la revoir un jour, elle ne pouvait donc pas passer à côté de l’opportunité d’aller lui parler. Aussitôt qu’elle entra dans le kiosque, Deborah vint vers elle pour la prendre en charge pour faire le don de sang. ”Euh, non, je…” Elle essayait de lui dire qu’elle ne voulait pas donner de sang, qu’elle avait peur des aiguilles, mais la quinquagénaire n’était pas capable de faire une phrase complète. C’est alors qu’elle se retrouva sur une chaise, un garrot sur le bras et Deborah qui approchait l’aiguille de son bras. ”Euh, non, je… Je…” Elle n’eût pas le temps de lui dire qu’elle avait une peur bleue des aiguilles qu’elle sentit la chaleur monter en elle. Ses oreilles commencèrent à bourdonner et elle perdit conscience tout d’un coup. Il n’y avait pas meilleure manière de rencontrer quelqu’un que de tomber dans les pommes en plein dans ses bras non ?

Si elle s’attendait à ce que la tempête renverse la ville sans dessus dessous, elle ne s’attendait pas à fréquenter le chaos d’aussi près. Elle avait eu beaucoup de chances de son côté : sa maison n’avait subi aucun dégât important et elle avait passé la soirée en sécurité avec les Smith. Ce n’était qu’en recevant un appel de son maître de stage qu’elle comprit réellement toute la chance qu’elle avait eu : on avait besoin d’elle sur le terrain, si elle l’acceptait, pour les plus malchanceux. La tempête avait provoqué beaucoup de dégâts et de blessés, le sang manquait et ils avaient autant besoin de dons que de personnes capables de le prélever. Bien sûr, en tant qu’auxiliaire ambulancier, elle n’aurait jamais dû être amenée à faire des prélèvements sanguins mais puisque la procédure était la même que de poser un cathéter pour des médicaments (procédure qu’elle maîtrisait à présent), on lui avait demandé si elle se sentait de faire face à la catastrophe sur ce terrain. Elle avait accepté, parmi d’autres missions, de prêter main forte.

Après plusieurs heures dans cette tente de prélèvement, elle s’était installée une routine qui lui permettait d’être plus rapide. Préparer le matériel d’un donneur tout en accueillant un autre. C’est exactement ce qu’elle avait fait avec Faith (qu’elle n’avait, naturellement, pas reconnue) : elle l’avait accueilli, installée sur un brancard, avait glissé le garrot autour de son bras (en attente de le serrer) tout en préparant le matériel de prélèvement pour le précédent. Elle s’apprêtait alors à donner le formulaire de questions et de consentement à sa nouvelle patiente, le cathéter du précédent bien emballé dans sa boîte dans l’autre main. Tout en lui parlant et en lui expliquant en quoi consistait les formulaires, elle se désinfectait les mains et sortait le matériel… une vision qui, ostensiblement, avait effrayé cette femme. Sans s’y attendre, Deborah était dans l’obligation de tout lâcher pour rattraper Faith dans sa chute en avant (peu consciente que Faith n’avait pas l’intention d’être donneuse, ce qui expliquait sûrement son réflexe de rester assise au lieu de s’allonger comme n’importe quel patient l’aurait fait). « De l’aide, s’il vous plait ! » En quelques secondes, d’autres pairs de bras venaient en aide à Deborah pour déposer Faith délicatement au sol. Heureusement, après quelques longues secondes de tête surélevée et de jambes relevées par Debbie, la blonde revenait à elle. Doucement, Deborah reposait ses jambes au sol. « Ne nous relevez pas trop vite, on va éviter un second évanouissement. » disait-elle en s’approchant d’elle pour l’aider au moins à s’asseoir. « Ça va aller ? Rassurez-vous, ce n’est pas aujourd’hui qu’on va vous prélever. » lançait-elle avec un sourire à mi-chemin entre la compassion et l’humour pour la détendre un peu. De son côté, elle se redressait pour aller lui chercher à boire et plus précisément un soda : du sucre pour rebooster son organisme. « Buvez ça, ça devrait vous aider à vous sentir mieux. » Elle en profitait, au passage, pour demander à un collègue de bien vouloir s’occuper de son précédent patient qui, lui, n’avait pas peur des aiguilles et attendait toujours qu’on s’occupe de son cas.

Elle aurait dû savoir que de se présenter dans un événement pour donner du sang n’était pas une bonne idée quand tu avais une peur bleue des aiguilles. Elle n’avait eu qu'une idée en tête et c’était de parler à Deborah, mais voila qu’elle se réveillait au sol. Elle sentit le rouge lui monter aux joues en se rendant compte que la jeune femme lui maintenait les jambes surélevées dans l’attente qu’elle reprenne conscience. « Ne nous relevez pas trop vite, on va éviter un second évanouissement. » Si elle ne voulait pas passer inaperçue, c’était chose réussie. Elle se sentait ridicule de ne pas avoir réussi à résister à la vue d’une simple petite aiguille. Elle se sentait encore faible et écouta donc le conseil de Deborah. Lorsque sa vue se rétablit complètement et que la pièce autour d’elle arrêta de tourner, Faith se releva doucement, commençant par s’asseoir au sol. « Ça va aller ? Rassurez-vous, ce n’est pas aujourd’hui qu’on va vous prélever. » Faith fit un sourire, essayant de démontrer qu’elle appréciait la tentative d’humour de la brunette même si elle n’était pas encore assez remise de ses émotions pour en rire franchement. Elle passa sa main dans ses cheveux. « Je crois que ma peur des aiguilles est plus profonde que je pensais.» Elle n’avait jamais vraiment eu à être confrontée à cette peur donc elle ne savait pas qu’elle réagissait de la sorte. Ce qui était sûr, c’est que c’était la dernière fois qu’elle mettait les pieds dans un endroit pour les dons de sang. « Buvez ça, ça devrait vous aider à vous sentir mieux. » Faith prit le soda en remerciant Deborah. Elle en prit quelques petites gorgées en se demandant comment allait-elle bien pouvoir commencer la discussion avec la brune. Elle ne voulait pas être intrusive, mais elle ne pouvait pas reculer. Elle devait bien lui fournir une explication, lui dire pourquoi elle se trouvait là si elle n’était pas capable de faire de don. « En fait, je vous ai vu par la fenêtre et je voulais vous parler… Je n’ai jamais vraiment eu l’intention de donner du sang… » Faith prit une pause, une gorgée de soda et une grande inspiration. Elle avait l’impression de faire des mystères alors que ce n’était pas vraiment son intention. Elle devait continuer, elle ne pouvait pas en rester là alors que la brunette devait bien se demander ce que lui voulait cette inconnue.« Je m’appelle Faith… Faith O’Hara. Je suis la maman de… La maman d’Ella. » Cela faisait tellement longtemps qu’elle n’avait pas utilisé son nom de jeune fille. Ça lui faisait tout bizarre de le prononcer alors qu’elle avait tout renier sa vie d’avant. Elle n’avait pas mentionné le nom de famille de sa fille puisqu’elle ne savait pas si cette dernière portait encore le nom de O’Hara ou si elle avait prit celui de sa famille adoptive. « Enfin… Sa mère biologique… » Elle ne savait pas si elle avait le droit de dire qu’elle était la mère d’Ella puisqu’elle n’était plus dans sa vie depuis bien des années… Depuis environ trente ans en fait. Faith arrêta de parler, guettant la réaction de Deborah. La brunette était tellement petite la dernière fois qu’elle l’avait vue, elle n’était même pas sûre si elle se souviendrait d’elle.

Prendre soin des autres. C’était un besoin au quotidien pour Deborah et depuis qu’elle avait commencé sa formation d’auxiliaire ambulancière, elle se sentait utile, réellement, pour la première fois de sa viz. Aujourd’hui, d’autant plus depuis que la tempête avait traversé la ville et que tous les personnels hospitaliers et d’urgence étaient appelés à porter main forte autant que possible. Les journées étaient lourdes, difficiles et fatigantes mais tellement satisfaisantes que Deborah avait vraiment du mal à prendre du temps pour elle, à se stopper et écouter sa fatigue. Cette femme qui venait de s’évanouir était étrangement une pause dans sa course quotidienne. Il fallait prendre le temps de la laisser se remettre, prendre soin d’elle avec plus de délicatesse qu’à l’accoutumée, s’assurer qu’elle n’allait pas refaire une chute de tension et prendre soin de l’écouter avec attention. Cette baisse soudaine de régime d’activité faisait réaliser à la brune à quel point les journées passaient rapidement sans s’en rendre compte. Elle allait devoir faire attention dans les prochains jours si elle ne voulait pas se griller la santé et démarrer réellement son métier dans de mauvaises conditions.

Un soda en main, elle lui tendait pour qu’elle reprenne des forces, que son corps reçoive une dose de sucre instantané pour la rebooster et la remettre sur pieds. Quelle ne fut pas sa surprise quand la femme affirmait qu’elle n’avait jamais eu l’intention de donner son sang mais simplement de lui parler. Sur le moment, Deborah restait interdite, totalement pantoise. Elle ne reconnaissait pas cette blonde et se demandait naturellement ce qu’elle pouvait bien lui vouloir. Instinctivement, elle pensait à Camil, à cette grossesse nerveuse qu’ils ont traversée et aux questions des médias qui n’avaient jamais eu de réponse à tout cela, les protagonistes ayant décidés de rester dans le silence. Si elle était une journaliste, elle allait clairement la virer de là à coups de pieds au cul. Mais avant de se faire des films, elle gardait son calme et restait polie. « Je vais d’abord vous aider à vous asseoir. » Ailleurs que par terre notamment. Un petit coup de main plus tard pour l’aider à se relever et s’asseoir sur le brancard, Faith avait toute son attention.

Quand le couperet tombait, un mélange de sentiments traversait le visage de Debbie. Du soulagement d’abord (celui de ne pas faire face à une journaliste), de la surprise ensuite quand elle affirmait être la mère biologique d’Ella puis de l’incompréhension. Qu’est-ce qu’elle faisait là au juste ? Que voulait-elle ? « Attendez là. » Sans plus de cérémonie, elle s’éloignait pour aller parler discrètement à son supérieur. Ce que Faith venait de lui révéler relevait du privé et n’avait rien à faire sur son lieu de travail. La curiosité pourtant piquée, elle ne pouvait s’empêcher de demander une pause à son supérieur, lui octroyant la vérité d’une femme qui s’était présentée pour lui parler en privé. Quand elle revenait vers Faith, elle lui faisait signe de la suivre pour sortir de la tente et se rendre un peu plus loin sur le parking de l’hôpital pour avoir un semblant de conversation privée qu’il serait plus difficile d’entendre pour les personnes autour d’elles.

« Un quart d’heure, c’est tout ce que je peux vous accorder. » Ce que son supérieur lui a accordé… et à vrai dire, elle ne lui en aurait pas donné beaucoup plus si elle avait eu le choix. Le visage de Deborah avait changé : elle était moins souriante, ses bras croisés laissaient comprendre qu’elle était à l’écoute mais qu’une barrière entre elles s’était soudainement dressée. « Qu’est-ce que vous voulez exactement ? J’espère pour vous que la raison de ce retour est plus que bonne. » Après quoi… vingt ans ? Trente ans ?  Elle réapparaissait soudainement, sans même s’adresser directement à Ella. Deborah se montrait naturellement méfiante envers cette femme. Elle avait beau être une gamine à l’époque, ne pas se souvenir du visage de cette personne ni même de sa voix, elle gardait tout de même en tête le trauma d’abandon, les pleurs de son amie, elle qui s’est longtemps posé la question du pourquoi.

Faith était nerveuse. En plus de ne pas savoir comment Deborah allait prendre son retour dans sa vie, il avait fallu qu’elle se ridiculise en perdant conscience avant même que l’aiguille ne s’approche de son bras. Il fallait dire que si elle tentait d’avoir l’air en contrôle d’elle-même, c’était plutôt râté. Elle vit bien l’incompréhension dans le visage de la brunette lorsqu’elle lui annonça qu’elle était la mère d’Ella. Elle savait que le moment et l’endroit était mal choisi pour lui en parler, mais ça avait été plus fort qu’elle. Elle devait savoir où était sa fille, comment elle allait. « Je vais d’abord vous aider à vous asseoir. » Faith accepta l’aide de la jeune femme pour se relever et s’asseoir sur le côté du brancard. Elle prit une autre gorgée de son soda, ayant l’impression qu’elle allait avoir besoin de toutes ses forces pour pouvoir passer à travers de sa discussion avec Deborah. Lorsque cette dernière s’éloigna d’elle, son coeur se mit à battre rapidement. Elle avait peur de se faire jeter à la porte de l’hôpital et d’avoir raté l’occasion d’avoir des nouvelles de sa fille. Elle vit les signes qu’elle lui fit pour lui indiquer de sortir à l’extérieur. Elle constata avec soulagement que Deborah sortait elle aussi et qu’elle n’avait pas l’intention de lui demander de quitter sans explication. « Un quart d’heure, c’est tout ce que je peux vous accorder. » Faith hocha la tête. Elle prit une grande inspiration, tenta d’organiser ses pensées et ses idées. Deb avait les bras croisés. Elle n’était pas vraiment ouverte à la discussion et ce serait à la blonde de la convaincre qu’elle n’avait pas de mauvaises intentions. « Qu’est-ce que vous voulez exactement ? J’espère pour vous que la raison de ce retour est plus que bonne. » Faith n’avait toujours pas trouvé les bons mots pour commencer son explication. Il fallait qu’elle soit rapide dans son explication pour ne pas prendre trop de temps, mais elle se devait d’être sincère. Elle voulait que Deborah comprenne qu’elle était pleine de bonne volonté. « Pour commencer, merci de vouloir m’écouter. Vraiment. Je t’ai reconnue parce que je t’ai vu sur une photo qu’Ella a partagé sur facebook et où elle t’a taguée. Je la suis de loin. Je n’ai jamais osé bouleverser sa vie et lui écrire directement… » Faith passa sa main dans ses cheveux. Elle était nerveuse, ça crevait les yeux. Elle essayait de se convaincre que la franchise était la bonne chose à employer dans cette situation. « Je n’ai même pas planifier de te parler… C’est juste que quand je t’ai vu au travers de la fenêtre, je n’ai pas pu m’empêcher de venir te voir… Je veux juste… Je veux juste savoir si elle s’en sort… » Elle regardait maintenant Debbie directement dans les yeux. L’émotion l’avait envahi. La douleur qu’elle avait ressentit la journée qu’elle avait décidé de ne plus aller la voir avait pris possession de sa poitrine. « À chaque fois que je clique sur son nom sur facebook, je me retiens pour ne pas cliquer sur envoyer un message. Je ne veux pas lui faire encore plus de mal que ce que j’ai déjà fait… » Sa voix se brisa. C’était la première fois depuis qu’elle avait quitté Dublin qu’elle parlait à quelqu’un qui connaissait Ella. Elle se sentait plus près d’elle qu’elle ne l’avait jamais été. En même temps, ça la brisait encore plus qu’elle ne l’était. Pour la première fois depuis longtemps, elle ressentait l’envie et le besoin de boire de l’alcool. Elle n’avait pas anticipé cette réaction de sa part, elle qui était sobre depuis un bon bout de temps.

Elle aurait pu l’envoyer voir ailleurs, la sortir de la tente sans sommation car elle n’avait rien à faire là. Ne serait-ce que venir lui parler alors qu’elle était en plein travail après une catastrophe naturelle, ce n’était pas vraiment le meilleur moment à choisir mais en plus pour lui faire part qu’elle était la mère biologique d’Ella disparue il y a longtemps… Fort heureusement pour cette femme, au fil des années, Deborah avait appris à se raisonner rapidement et à garder son sang-froid. Si Faith était venue il y a plusieurs années, pour sûr qu’elle se serait prise les foudres de Debbie d’entrée de jeu sans même avoir l’occasion de placer une explication. Aujourd’hui, la brune était plus calme, plus posée, plus à même de laisser une chance. D’autant plus que, soyons réalistes, elle n’était pas directement concernée par cette histoire. Certes, elle avait vu son amie d’enfance s’effondrer au fil des mois sans voir sa mère (bien qu’accueillie comme un membre à part entière dans sa famille d’accueil), elle avait essayé de la consoler comme elle le pouvait (quand bien même aucune consolation n’était suffisante pour ce type de blessure) mais elle n’était pas la principale protagoniste de tout ce merdier.

C’était sûrement pour cela que sa raison lui hurlait de rester calme et d’ouvrir ses oreilles, sans jugement… ou presque. Deborah avait beau être assagie, elle avait gardé (et garderai sûrement tout au long de sa vie) cette incroyable capacité à être sarcastique au possible. « Intéressant de savoir que bouleverser sa vie te pose un problème mais foutre la merde dans la mienne en m’obligeant à lui mentir, ça te pose aucun souci de morale. » disait-elle en la tutoyant, prenant la même tangente que Faith puisqu’elles étaient dorénavant à égal, deux adultes pleinement accomplis. Elle n’avait aucun doute qu’en ne voulant pas lui envoyer de message pour éviter de la perturber, Faith allait vouloir que cette conversation reste entre elles sans qu’Ella n’en soit informée. C’est ainsi que Deborah le comprenait en tout cas, peut-être était-elle dans le tort.

Tout de même attentive à ce que Faith voulait lui dire, Deborah s’égarait une seconde dans ses pensées. Elle pensait à ce fils qu’elle avait elle-même abandonné à sa naissance, ne lui donnant aucune chance de la connaitre. A l’époque, elle ne se sentait pas prête à être mère, incapable de prendre soin d’elle-même, elle ne se voyait pas prendre soin d’un petit être. Elle s’était persuadée que c’était la meilleure chose à faire pour lui sur le moment puis les années avaient montré à quel point elle s’était trompée. Pendant un instant, elle ressentait les émotions de Faith en écho avec les siennes. Elle comprenait, plus qu’elle ne voulait bien le montrer, l’idée d’abandonner en pensant que c’est le mieux à faire pour l’enfant. Dans le cas de Faith, c’était plus délicat encore : cette fille qu’elle avait laissée avait eu le temps de la connaître, de l’aimer et de souffrir de cette absence.

Comment Deborah pouvait-elle rester fâchée quand elle-même avait fait cette erreur ? Peut-être même que cette colère était le reflet de ce qu’elle ressentait envers elle-même avant tout. « Ecoutes, je ne sais pas quoi te dire. Je n’ai pas envie de te dire des choses que, peut-être, Ella ne voudrait pas. Je suis son amie avant tout et je n’ai pas envie de détruire ça. » Surtout pas pour les beaux yeux d’une mère qui a disparue sans laisser de trace du jour au lendemain et qui revient comme un cheveu sur la soupe. « J’aurais tendance à dire qu’elle va bien mais que si tu veux en savoir plus, c’est pas mon rôle, il va falloir prendre ton courage à deux mains. » Pour ne pas dire « poser ses couilles sur la table » parce que ça risquait d’être particulièrement violent quand elle se décidera à le faire… si elle se décidait un jour à appuyer sur ce fameux bouton envoyer. Pendant un court instant, Deborah hésita et cracha le morceau. « J’ai pas de date précise encore mais elle risque de venir sur le territoire très bientôt, en vacances chez moi. Je ne serais pas capable de lui cacher qu’on s’est parlées. Ca sera peut-être l’occasion… » L’occasion pour Faith de se manifester, en vrai, et pas à travers un pauvre écrit sur une messagerie instantanée d’un réseau social quelconque.

Devant Deborah et ses yeux qui semblaient la juger et même peut-être la détester pour ce qu’elle avait fait à Ella, Faith se sentait comme un enfant qui se faisait chicaner par sa mère. Autant c’était elle qui était la plus vieille d’entre les deux, autant elle se sentait petite. Elle avait décidé d’aller parler à la brunette sur un coup de tête. Elle avait sentit la présence de sa fille à travers celle de Deborah et elle n’avait pu s’empêcher d’aller lui parler, d’aller la voir. « Intéressant de savoir que bouleverser sa vie te pose un problème mais foutre la merde dans la mienne en m’obligeant à lui mentir, ça te pose aucun souci de morale. » Faith se tortillait les doigts dans tous les sens pour tenter de contrôler son stress, la sensation de malaise qu’elle ressentait sous les yeux accusateurs de Deborah. Le ton qu’elle avait employé lui avait transpercé le coeur. Elle n’avait pas pris le temps de réfléchir avant de rentrer dans la tente de don de sang et de se présenter à l’amie de sa fille, mais c’était effectivement égoïste de sa part de s’être présenter à Debbie sans penser aux conséquences que ça aurait sur elle. « Je ne te demanderai pas de garder le secret… Je comprends que ça peut être difficile de lui cacher que je t’ai contacté… Et j’avoue que je n’ai pas pensé à l’impact que de me présenter à toi pourrait avoir sur toi. Je suis désolée. » Peut-être qu’au fond, c’était ce qu’elles avaient besoin pour être réunies elle et sa fille ? Un petit coup de pouce extérieur pour qu’elles puissent se contacter et tenter de nouer un lien, si petit soit-il. Parce que Faith n’avait pas la prétention de se dire qu’elle pourrait reprendre sa place de mère après tout ce temps. Son rôle, elle l’avait perdu lorsqu’elle avait décidé d’arrêter de rendre visite à cet enfant qu’elle aimait pourtant si fort. « Ecoutes, je ne sais pas quoi te dire. Je n’ai pas envie de te dire des choses que, peut-être, Ella ne voudrait pas. Je suis son amie avant tout et je n’ai pas envie de détruire ça. » Faith hocha de la tête. Elle comprenait parfaitement où Deborah voulait en venir. Il y avait effectivement une possibilité qu’Ella ne veuille pas que sa mère biologique sache quoi que ce soit sur elle. Elle était peut-être dans une telle colère contre elle qu’elle ne voudrait pas la rencontrer et qu’elle préfèrerait faire comme si elle était morte… Faith baissa les yeux vers le sol. « J’aurais tendance à dire qu’elle va bien mais que si tu veux en savoir plus, c’est pas mon rôle, il va falloir prendre ton courage à deux mains. » Elle remonta son regard vers la brune, un éclair d’espoir dans les yeux. Si Deborah lui disait de prendre son courage pour contacter Ella, peut-être que c’était parce qu’elle savait que cette dernière voudrait bien lui parler ? « Je comprends que tu ne veules pas briser sa confiance et je suis contente qu’elle puisse compter sur une amie proche. Elle a déjà parlé qu’elle voudrait que je la contact ? » En posant la question, Faith eût un doute sur la réponse de Deborah. Elle avait l’impression que la brunette ne voudrait pas lui répondre, qu’elle l’enverrait se faire foutre ou bien qu’elle lui dirait qu’elle allait devoir le faire pour le savoir, qu’elle ne se prononcerait pas. En même temps, ça ne coûtait rien de lui demander. Le pire qu’il arriverait serait une réponse négative. « Je ne suis pas partie de gaieté de coeur tu sais… J’étais vraiment convaincue qu’elle serait plus heureuse sans moi qu’avec les maigres droits de visite que j’avais obtenue… Tu étais trop petite pour le savoir, mais je ne pouvais pas avoir la garde d’Ella… » Faith avait décidé de jouer la carte de l’honnêteté et de la franchise envers Deborah. Après tout, le mensonge n’aiderait surtout pas à sa cause. Elle lui devait bien la vérité pour avoir déranger le cours de sa journée. « J’ai pas de date précise encore mais elle risque de venir sur le territoire très bientôt, en vacances chez moi. Je ne serais pas capable de lui cacher qu’on s’est parlées. Ca sera peut-être l’occasion… » Faith sentit son coeur se mettre à battre la chamade. L’éventualité qu’Ella soit en Australie éventuellement la virait à l’envers. Elle avait toujours pensé que si elle voulait la voir en personne, elle devrait se rendre en Irlande et risquer de tomber sur sa propre famille. « Je peux te donner mon numéro de téléphone et lui remettre lorsqu’elle arrivera ? Si elle veut me rejoindre, elle pourra le faire elle-même… » Avec la manière dont lui parlait la brunette, Faith s’attendait à avoir un refus plutôt brutal, mais elle devait lui demander pour en avoir le coeur net.

Deborah n’était clairement pas ouverte à la discussion. Il suffisait de l’observer, de l’entendre également. Son ton était volontairement piquant, ses bras croisés n’invitaient pas à la discussion, son regard bien que dénué de jugement (elle serait bien mal placée pour ça) se voulait plus noir qu’elle ne l’aurait cru. Ce qui la chiffonnait surtout, c’était que Faith venait la voir sans même avoir tenté de communiquer avec sa fille en amont. Bien sûr que Deborah pouvait comprendre le stress que cela engendrait, l’absence de désir de se faire envoyer bouler mais ça obligeait plus ou moins Deborah à mentir à Ella et même sans lui mentir, ça l’obligeait à marcher sur des œufs dans cette discussion bancale. Et si Ella ne voulait pas que sa mère biologique soit au courant de quoi que ce soit concernant sa vie ? Et si, au contraire, elle voudrait que Deborah lui dise tout mais que, par honnêteté et frileuse de faire une bêtise, elle n’en disait pas assez ? Cette discussion la rendait frileuse des moindres mots qu’elle pouvait prononcer. Trop ou pas assez, elle ne savait plus sur quel pied danser.

Elle choisissait donc ce qui lui semblait être le mieux : en dire un peu mais pas au point de révéler la vie privée d’Ella. Ella allait bien, c’était un constat facilement vérifiable sur les réseaux sociaux puisque Faith semblait plus ou moins regarder ce qui se passait pour sa fille par ce biais. Deborah ne faisait donc que confirmer que les sourires d’Ella sur ses photos publiques étaient réels et ne cachaient rien de dramatique ni de faux semblants. « Non, elle n’a jamais parlé de te contacter. Pas à ma connaissance en tout cas. Il faudra lui demander quand tu prendras contact avec elle, elle en a peut-être parlé à d’autres. » Même si les deux femmes étaient toujours amies en dépit du déménagement de Deborah, il ne fallait pas se leurrer, Ella avait des amis bien plus proches d’elle et à qui elle pouvait se confier plus aisément compte tenu de leur proximité physique. Consoler quelqu’un à distance n’avait rien d’aisé. Il était donc tout à fait normal que les sujets glissants comme celui-là, elles n’en parlaient pas, ou très peu. « Je pense qu’elle est juste résignée. » dans le sens qu’elle n’attendait plus rien de sa mère biologique alors à quoi bon en parler ? à quoi bon espérer ? Quand bien même elle aurait voulu, elle aurait eu de la difficulté à la retrouver. Faith savait chez qui elle avait laissé sa fille mais sa fille n’avait aucune idée de l’endroit où était partie sa mère biologique.

« Attendre qu’elle grandisse un peu et lui poser la question de ce qu’elle ressentait aurait probablement été le mieux à faire. » Voici comment Deborah voyait les choses concernant les visites de Faith à Ella, à l’époque où elle venait encore. La mère s’était persuadée qu’elle causait plus de mal que de bien. Deborah restait arrêtée sur l’idée qu’il aurait fallu demander l’avis à la principale intéressée avant de tirer des conclusions, probablement trop hâtives. Peut-être que Faith avait raison, peut-être que Deborah avait raison. Elle ne savait pas trop non plus pour la simple raison que Faith n’avait pas tort sur une chose : elle était trop jeune pour se rendre compte des choses. Elle se souvenait de la souffrance d’Ella de ne pas voir sa mère revenir mais elle n’avait aucune idée, finalement, des dégâts que ça aurait pu causer de faire des aller-retours pour venir la voir sans jamais la récupérer complètement.

Alors, par souci d’honnêteté envers Ella (et avec un peu de compassion envers Faith), elle lui avouait que la jeune blonde allait bientôt venir sur le territoire et que ça serait peut-être l’occasion de la rencontrer en personne si elle n’avait pas assez de courage pour la contacter sur les réseaux sociaux. Être devant le fait accompli était parfois la meilleure façon de contrecarrer ses peurs. « C’est d’accord pour le numéro de téléphone. Puisqu’Ella n’a tagué sur ses réseaux sociaux, tu n’auras qu’à me l’envoyer en message privé, je lui donnerais. » puisqu’elle n’avait pas son téléphone sur elle pendant le travail, ça serait compliqué de le noter à l’instant T. « En revanche, je vais lui en parler avant qu’elle arrive. Je n’ai pas envie qu’elle soit mal à l’aise à peine arrivée et ça gâche potentiellement ses courtes vacances ici. Elle aura le temps d’assimiler qu’on s’est parlées, que tu souhaites la contacter et de prendre une décision par rapport à ça. Elle te contactera peut-être même avant d’arriver sur le territoire, je ne sais pas. En tout cas, je ne te garantis rien. » Simplement parce qu’elle n’était pas à la place d’Ella, qu’elle ne savait pas comment cette dernière allait réagir. Peut-être même qu’elle ne voudrait plus parler à Deborah et allait annuler ses vacances, allez savoir. S’il y a bien une chose que la mère et la fille avaient en commun, c’était ce caractère de feu (quand bien même il n’était pas si visible chez Faith à cet instant.)