C’était l’une de ces périodes où les étoiles semblaient s’aligner et où Diego réussissait à souffler un peu. Les sorties des patients étaient plus nombreuses que les admissions, et il enchaînait les bonnes nouvelles auprès de familles dont les effusions de joie ne pouvaient être que communicatives. Malheureusement trop rare, ce genre de moments permettait à Diego de s’accorder le repos qu’il ne prenait jamais pour ne pas risquer d’être absent lors d’une complication ou d’être appelé en urgence car son titulaire avait besoin qu’il prenne le relai sur un cas supplémentaire. Le passage à vide qu’il traversait était encore bien présent, pourtant, il semblait sortir la tête de l’eau quand il était sorti de l’hôpital ce jour-là pour profiter d’un long week-end bien mérité. Le travail était plus simple, mais il y avait également une nouvelle présence dans son quotidien qui participait à le faire sourire et à oublier un peu la détresse qu’il avait pu ressentir face à ses patients ces derniers mois. Peut-être qu’il aurait dû se contenter de ça, se reposer, profiter, pour revenir plus en forme que jamais le lundi suivant mais à la place, il avait choisi de rendre visite à sa mère et les choses s’étaient de nouveau compliquées. S’il avait relativisé sur la possibilité que ce jeune garçon qui s’était présenté comme le fils de Sergio soit son frère, il avait été extrêmement plus difficile pour ce dernier de le faire. Encore plus pour Maritza, et il avait été assez maladroit pour la blesser. Et contre toute attente, c’était maintenant que le personnel devenait encore plus pesant que le professionnel que Diego était arrivé avec un certain soulagement dans son bureau - persuadé que sa famille relativiserait bien plus sur tous ces drames s’ils étaient témoins de la réelle détresse de certaines familles.

Il avait pris le temps d’aller saluer ses patients hospitalisés avant de s’installer. Son café fumait sur le bord de son bureau alors qu’il reprenait en détails les dossiers laissés par le Dr Jenkins et les infirmières. Tout semblait exactement comme il l’avait laissé, mais un post-it sur la pile de ses dossiers l’avait fait soupirer. “Urgent. Contacter le service neurologie (Dr Hartfield)”. Il ne comprenait pas ce que le service de Ruben pouvait lui vouloir, ou plutôt, il feignait l’incompréhension parce qu’il ne souhaitait pas voir cette accalmie redevenir un cauchemar. Diego avait fini par se lever, ses pas le menant jusqu’au bureau de Ruben et il avait frappé trois coups sur la porte avant d’entrer lorsqu’il le lui avait indiqué de le faire. « Hartfield. Je suis prêt à entendre ton brief. » avait-il demandé en s’installant sur la chaise en face du bureau de Ruben avec une nonchalance qui n’avait rien à voir avec ce qu’il ressentait réellement. Remontant ses lunettes sur son nez, il avait planté son regard dans celui de Ruben qui restait silencieux et le regardait avec un air tantôt étonné, tantôt agacé. « Un problème ? On se partage les patients avec le titulaire, si c’est ça qui t’étonne. » Et il ne lui restait plus que quelques mois avant de prendre ses propres décisions et se sentir tout aussi légitime que son mentor. Il détestait la façon dont Ruben était en train de le regarder, parce qu’il était évident qu’il aurait souhaité parler au Dr Jenkins et s’il était rare que leurs deux services doivent se passer le relai, ces deux-là avaient toujours fait de leur mieux pour ne pas avoir à le faire ensemble les rares fois où cela était arrivé.

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Jouant avec l’un des stylos qui trainait sur le bureau entre son index et son majeur, les yeux de Ruben étaient perdus dans le vide - ou plutôt étaient perdus à se poser sur l’écran de l’ordinateur sans y être réellement attentif. Il était de garde depuis le début du weekend, il n’avait qu’à peine fermé l’oeil et même lui qui faisait preuve d’une résilience que beaucoup enviaient commençait à fatiguer. Si bien que sa concentration se perdait quelque-peu et qu’il n’était plus autant réactif qu’il avait pu l’être une demi-journée plus tôt. Mais ce n’était pas pour autant qu’il ne forçait pas sa concentration et son attention, parce-qu’il savait que ce qu’il avait sous les yeux ne pouvait être laissé tombé - pas par lui, ni par autre, ni par personnes en réalité. Alors, gardant une partie de son attention focalisée sur le stylo qu’il continuait d’agiter entre ses doigts pour ne pas dissocier complètement sur l’instant, il tentait de comprendre quels étaient les besoins plus urgents dans la situation qu’il avait sous les yeux. Et surtout: il attendait que l’équipe soit de retour dans le service de cancérologie, parce-qu’il avait absolument besoin de cet avis entre tout le reste.

Il n’avait même pas entendu les coups portés sur la porte, bien plus tard, tant il était occupé à préparer les dossiers des personnes qu’il verrait en consultation plus tard dans l’après-midi - lorsqu’il aurait réussi dans le programme initial à récupérer quelques heures de sommeil.  Ce fut l’ouverture de la porte qui le sortit de ses pensées - il ne sursauta pas de tout son corps, mais son coeur lui eut un faux bond; il était peut-être un peu trop habitué à ne pas attendre que la prote soit ouverte sans autorisation tant cela pouvait être problématique par moment qu’il avait perdu l’habitude que ce ne soit pas le cas. « Hartfield. Je suis prêt à entendre ton brief. » - « T’en as mis du temps. Tu profitais d’un weekend prolongé ? » Il se rendit lui-même compte avant que Diego ait le temps de faire le moindre commentaire que sa façon de lui adresser la parole n’était pas correcte; il n’eut cependant pas le temps de le mentionner à haute voix que le brun face à lui reprit la parole. « Un problème ? On se partage les patients avec le titulaire, si c’est ça qui t’étonne. » Plissant le bout de son nez et levant une de ses mains devant lui, il secoua quelque peu sa tête de gauche à droite. « Excuse moi, le weekend a été long. » Surtout que c’était lui qui lui avait demandé - ou à un de ses collègues, qu’importait - de passer. « C’est même pas contre toi que j’en ai pour une fois, et je suis pas contre l’idée de te voir si tu veux tout savoir. » Si d’ordinaire effectivement, il aurait levé les yeux au ciel et surement râlé plus que de mesure, aujourd’hui il n’avait même plus l’énergie pour cela; il était renfrogné mais parce-que tout dans l’histoire qu’il allait aborder poussait à l’être. Se redressant, il attrapa sa tablette qui était posée sur un coin de son bureau pour parcourir les dossiers sur lesquels il avait travaillé; il finit par ouvrir celui qui l’intéressait et par tendre l’objet à Diego pour qu’il puisse le récupérer entre ses mains. « On a admis un gamin aux urgences dans la journée d’hier, il y est encore là. Il s’est fait tabasser par une bande de gars, et s’est retrouvé amoché à la tête. » Ben marqua une pause - il espérait que Diego avait profité de son weekend de repos parce-que ce dernier était définitivement terminé. « Et comme tu peux le voir sur les scan, j’aurais préféré ne pas connaitre la suite de l’histoire qu’on va devoir lui révéler… » On, parce-que Ruben était sur de ce qu’il voyait sur les images et le cancer présent ne pouvait être une vue de son esprit - mais il se devait d’adresser le cas pour travailler en équipe à un de ses confrères de l’équipe concernée par le sujet. Diego ce serait donc, en l’occurence.

L’idée de travailler avec Ruben lui laissait penser que, peut-être, il réussirait à changer d’avis et à renforcer les mots qu’il avait prononcés à Nina à l’annonce du mariage. Peut-être que de le voir dans un domaine où il excellait - en détails, non pas au détour d’un couloir - et de discuter sérieusement avec lui calmerait ses doutes. Il haïssait la façon dont le personnel prenait bien trop de place dans sa vie professionnelle, alors il se concentrait sur le positif, comme si ces quelques jours de repos avaient été la solution à tout. La fatigue, les questionnements, les doutes. C’était donc un peu plus serein qu’il ne l’aurait normalement jamais été à l’idée de croiser Ruben que Diego avait frappé à la porte et avait fini par entrer, venant le surprendre. « T’en as mis du temps. Tu profitais d’un weekend prolongé ? » « Tu remarques même mes absences maintenant ? » avait-il répondu en croisant les bras, venant regarder le neurochirurgien par-dessus ses lunettes. Il était ravi de voir que la dispute avec sa mère ainsi que ces jours de repos lui avaient permis de se construire une répartie à la hauteur de la mauvaise humeur de Ruben. « Excuse moi, le weekend a été long. » Il ne se serait jamais attendu à ce qu’il s’excuse, et s’il pouvait anticiper que les raisons l’amenant à vouloir le voir étaient graves, la façon dont l’expression de son visage et le ton de sa voix avaient changé avait fait grandir ses doutes. « C’est même pas contre toi que j’en ai pour une fois, et je suis pas contre l’idée de te voir si tu veux tout savoir. » « Tu m’inquiètes, maintenant. » Son arrogance naturelle s’était envolée, et pour la première fois depuis qu’il le connaissait, il aurait préféré qu’elle remplace cet air sombre qu’il avait pris.

Son front était déjà plissé lorsqu’il avait attrapé la tablette des mains de Ruben, il n’y avait de toute façon que très peu de raisons qui l’aurait amené à contacter son service. « On a admis un gamin aux urgences dans la journée d’hier, il y est encore là. Il s’est fait tabasser par une bande de gars, et s’est retrouvé amoché à la tête. » « En quoi ça me concerne ? » Sa réponse avait été bien trop sèche, sans qu’il ne le veuille vraiment ou que son apparente colère ne soit adressée à Ruben. Il était juste perturbé que son retour à l’hôpital se fasse de cette manière, le replongeant directement dans l’ensemble de ses doutes concernant sa volonté de poursuivre dans un domaine aussi cruel. Il n’était plus assez fort mentalement, il le ressentait encore plus en réagissant de cette façon. L’attitude de Diego n’avait été qu’un écho à celle de Ruben quelques minutes auparavant, aussi, son collègue avait continué sans porter une plus grande attention à ce qui venait de se produire. A la place, il avait continué, venant prononcer ses mots au moment où Diego commençait à comprendre l’utilité de sa présence ici. « Et comme tu peux le voir sur les scan, j’aurais préféré ne pas connaître la suite de l’histoire qu’on va devoir lui révéler… » Son index glissait sur l’écran au fur et à mesure où il parcourait le dossier et en comprenant la finalité de tout cela, Diego avait reposé la tablette pour venir se pincer l’arête du nez. « Je vois, le retour à la réalité est un peu plus compliqué que ce que j’aurais pensé. Il a quel âge ? » avait-il demandé, parce que plus que la procédure à suivre dans un pareil cas, Diego prenait toujours soin de s'intéresser un minimum à ses patients. Et si tout devait encore être confirmé, il y avait malheureusement des chances pour que le patient de Ruben devienne ensuite le sien. « C’est un mal pour un bien, la plupart du temps les leucémies sont asymptomatiques et il aurait probablement appris ça à un stade trop avancé sans ça… » Il fixait l’écran, prononçant ces mots comme l’aurait fait un robot. Oh comme son détachement était feint et comme il était ironique de voir un passage à tabac potentiellement vous sauver la vie. « Tu sais déjà me dire quand il sortira du bloc ? On doit procéder aux analyses complémentaires et à l’examen clinique au plus vite. » Diego restait pragmatique, se concentrant sur le rôle qu’il avait à jouer dans cette histoire en évitant de poser des questions bien trop personnelles concernant le dossier du patient. Il aurait l’occasion de le lire, en détails, lorsqu’il serait seul, mais il avait comme un mauvais pressentiment.

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« Tu remarques même mes absences maintenant ? » Ruben remarquait bien des choses, il était un fin observateur - mais en l’occurence, il ne s’était pas véritablement aperçu que Diego avait été absent de l’hôpital, il se permettait juste une remarque sur le fait que personne n’avait répondu à l’appel qu’il avait passé déjà la veille et que ce dernier semblait trop à l’aise et détendu pour quelqu’un qui avait passé ses deux derniers jours entre ces murs. Ruben remarqua rapidement - et heureusement pour eux deux, en réalité - qu’il réagissait de façon disproportionnée dans cette situation, laissant la fatigue parler à sa place et surtout la laissant réguler son humeur. « Tu m’inquiètes, maintenant. » Il leva les yeux au ciel plus par principe que par réelle envie, car cette dernière n’était pas présente; il n’appréciait pas l’idée que Diego le prenne de cette façon là en pitié, mais il laissait passer pour une fois.

Lui faisant signe d’asseoir, ils avaient plus important sur quoi se concentrer pour le moment. « En quoi ça me concerne ? » Il pencha quelque peu sa tête sur le côté, n’ayant qu’à peine eu le temps d’avancer ce qu’il avait à lui dire que déjà Diego sortait les dents et semblait vouloir le mordre. « J’y viens, donne moi un instant. » Surtout qu’avec le dossier du patient en question entre les mains, il pourrait plus facilement comprendre de quoi il parlait; un instant de patience supplémentaire et il pouvait enfin se dire au fait et comprendre ce dont le docteur Hartfield souhaitait lui parler. « Je vois, le retour à la réalité est un peu plus compliqué que ce que j’aurais pensé. Il a quel âge ? » C’était malheureusement que trop souvent le cas, avec leur métier. Avant de répondre à la question du brun, Ruben laissa un léger silence s’installer, pinçant ses lèvres un instant supplémentaire - la réponse n’allait pas aider à ce que les choses soient plus simples à affronter. « Quatorze ans. » Qu’il aurait préféré lui dire que cette personne était en fin de vie et que ce n’était là qu’une façon d’en terminer comme une autre. Mais si c’était à Diego qu’il s’adressait, ce n’était pas pour rien, ils le savaient pertinemment tous les deux. « C’est un mal pour un bien, la plupart du temps les leucémies sont asymptomatiques et il aurait probablement appris ça à un stade trop avancé sans ça… » Il laissa malgré lui un soupire lui échapper. « Surement, oui. » C’était une façon de voir les choses.

« Tu sais déjà me dire quand il sortira du bloc ? On doit procéder aux analyses complémentaires et à l’examen clinique au plus vite. » - « Il est en soins intensifs là. » Il inspira, soupira. « Je l’ai fait passer au bloc cette nuit, l’hématome sous dural suite au traumatisme crânien n’arrivait pas à se résorber tout seul. » Il aurait pu lui laisser plus de temps pour que son corps gère seul le problème, mais avec les données qu’il avait eu entre temps sur les résultats du peu d’examens qu’il avait déjà fait passer, il avait compris que son état de santé initialement fragilisé ne lui permettrait peut-être pas de se débarrasser seul de ce problème là. « J’ai pas eu d’appel de la part des infirmiers sur place, je suppose qu’il s’est pas encore réveillé. Mais on peut aller le voir si tu veux. » A défaut de pouvoir faire pratiquer les examens de suite, Diego pourrait au moins commencer à programmer ces derniers et anticiper la suite de l’hospitalisation du gamin.

Le ton n’était pas à la plaisanterie, et cela étonnait Diego qui s’était habitué à ce que Ruben initie chacune de leurs discussions par de petites piques. Il l’avait fait, certes, mais son premier degré était évident et l’oncologue avait dû se racler la gorge pour se mettre à son niveau. Il acceptait volontiers le sérieux du métier, appréciait juste d’avoir la possibilité d’un sas de décompression pour lui permettre d’assimiler la transition brutale entre sa vie personnelle et les dossiers professionnels.  « J’y viens, donne moi un instant. » C’était tout Ruben, de détester qu’on le traite comme il traitait les autres. Il l’avait lui-même pressé, avait mentionné combien il avait tardé à venir, et avait de par son attitude laissait planer un sentiment d’urgence dans la pièce que Diego s’était mis à appliquer. Il n’y avait jamais de temps à perdre lorsqu’il s’agissait de leurs métiers, mais tout semblait avoir atteint un niveau supplémentaire avec ce dossier. « Quatorze ans. » « Quatorze ans… » avait-il répété, le drame de la situation venant le frapper de plein fouet. L’âge se situait toujours entre la naissance et dix-huit ans puisqu’il exerçait au service pédiatrique, ce point n’était donc pas étonnant mais n’enlevait rien à ce sentiment d’injustice. Et quand ce n’était plus le visage de Maria qu’il voyait sur chacune de ses patientes, il associait maintenant cet âge à celui qu’Alejandro aurait bientôt. Le silence s’installait, pesant, alors qu’il laissait ses pensées l’envahir plutôt que de rester concentré sur les mots de Ruben et sur son travail. C’était ces raisons qui l’amenaient à douter, qui lui laissaient penser qu’il n’était plus légitime à exercer un métier pour lequel il s’était tant battu. Alors il s’était efforcé de paraître détaché, voire trop, pour contrebalancer son humeur actuelle. « Surement, oui. » Il espérait, sincèrement, que la détection de la maladie aussi tôt jouerait en sa faveur mais pour cela, l’enfant devait sortir des urgences.

« Il est en soins intensifs là. » Le visage de Diego s’était refermé, ses traits étaient tirés et il fixait le visage de Ruben qui devait être assez similaire au sien à ce moment-là. Comme si tout n’était pas indiqué dans le dossier du jeune patient et qu’il cachait quelque chose d’autre. « Je l’ai fait passer au bloc cette nuit, l’hématome sous dural suite au traumatisme crânien n’arrivait pas à se résorber tout seul. » « Pronostic vital engagé ? » Il avait relevé les yeux vers Ruben, comme s’il s’agaçait qu’il ne lui ait pas déjà mentionné ce point là. C’était pourtant évident, il n’aurait probablement pas appelé si précipitamment s’il y avait des risques qu’il soit déjà condamné, mais mieux valait en avoir le cœur net. Ruben semblait si préoccupé qu’il pouvait s’agir d’un cas particulier que même lui ne pourrait sauver. « J’ai pas eu d’appel de la part des infirmiers sur place, je suppose qu’il s’est pas encore réveillé. Mais on peut aller le voir si tu veux. » Diego avait levé le menton pour regarder un instant ailleurs, réfléchissant à comment gérer les deux problèmes de manière simultanée. « Mieux vaut que vous vous occupiez du traumatisme crânien dans un premier temps, et j’irai le voir quand il sera réveillé. Je peux déjà me concentrer sur vos premières analyses pour les approfondir et vérifier qu’il s’agit pas d’une simple leucocytose. » avait-il commencé, gardant l’espoir que le taux anormalement élevé de globules blancs de ce patient soit lié à d’autres facteurs.  « Quelqu’un a parlé aux parents ? Sinon je dois les prévenir avant d’entamer quoique ce soit. » Parce qu’il ne souhaitait pas être simplement surpris dans la chambre de leur enfant sans qu’il ne sache les raisons de la présence d’un oncologue à son chevet. Le soupir qu’il avait laissé s’échapper reprenait tout le poids de sa frustration de devoir, encore et encore, être le messager de nouvelles aussi terribles. Le risque était là, mais ils devaient faire les choses dans l'ordre et pour le moment, ils devaient régler le premier problème. « Y a aucun détail dans son dossier, on sait ce qu'il s'est passé pour que ces gamins l'amochent à ce point ? » Peut-être n’aurait-il pas dû demander, à en juger par le regard du neurochirurgien s’assombrissant encore un peu plus.

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« Quatorze ans… » Le ton qu’avait employé Diego pour répéter ces mots, comme s’il venait à manquer d’air pour le faire, fit pincer les lèvres à Ruben l’une sur l’autre assez fort pour qu’elles deviennent une simple ligne blanche. « Ouais. » Qu’il souffla à son tour. C’était jeune; trop jeune mais de toute manière, dès qu’il se devait de discuter dossiers patients avec le mexicain à ses côtés, ils étaient toujours trop jeunes. Ce n’était clairement pas la partie la plus excitante de leur métier, c’était sur.

Pour le moment, ce qu’il fallait savoir c’était que le jeune garçon était en soins intensifs et que le personnel sur place prenait bien soin de lui; Ruben n’avait pas eu de retour de leur part mais cela pouvait tout simplement aussi dire que les choses prenaient leur temps pour se remettre doucement. « Pronostic vital engagé ? » Il secoua sa tête à la négative avant même de parler. « Plus de mon côté en tous cas. » L’hématome qui ne se résorbait pas seul aurait pu être un problème, mais étant donné qu’il avait fait en sorte de s’en débarrasser rapidement pour ne pas qu’il en devienne un à part entière, ce n’était pas du côté neurologique que son pronostic vital était engagé. Pour tout ce qui touchait à la spécialité de Diego, il ne pouvait en revanche s’avancer - il savait reconnaitre ses limites en médecine, c’était peut-être d’ailleurs l’un des seuls domaines où c’était le cas et pour lequel il l’admettait sans trop de soucis. S’il voulait, il pouvait descendre aux soins intensifs pour aller voir le patient en question maintenant; il haussa un sourcil en direction du brun. « Mieux vaut que vous vous occupiez du traumatisme crânien dans un premier temps, et j’irai le voir quand il sera réveillé. Je peux déjà me concentrer sur vos premières analyses pour les approfondir et vérifier qu’il s’agit pas d’une simple leucocytose. » - « Comme tu le sens. » Il n’irait pas à l’encontre de son jugement, si bien qu’il resta assis là où il était stationné depuis son arrivée dans son bureau.

« Quelqu’un a parlé aux parents ? Sinon je dois les prévenir avant d’entamer quoique ce soit. » Faisait rouler ses lèvres l’une sur l’autre, il échappa une petite grimace. « On a pas réussi à les joindre. » Ce n’était pas la meilleure des réponses, il en était parfaitement conscient, si bien qu’il enchaina pour expliciter davantage. « Pas de numéro sur lui, son téléphone est hors service et personne n’a cherché à avoir de ses nouvelles pour le moment. » Ce n’était en rien la solution idéale, surtout qu’is n’étaient pas supposés s’avancer de trop dans les soins médicaux sur un mineur lorsque les représentants légaux n’étaient pas présents. « L’équipe sociale a été mise au courant dès qu’ils sont arrivés ici ce matin, on avait personne sous le coude ce weekend en plus pour s’occuper de tout ça. » Alors ils avaient avancé à tâtons en espérant faire pour le mieux et surtout de pratiquer le moins de gestes qui pourraient devenir problématiques pour la suite.

« Y a aucun détail dans son dossier, on sait ce qu'il s'est passé pour que ces gamins l'amochent à ce point ? » Ruben ne retint même pas le long soupire qui menaçait de s’échapper en entendant la question de Diego; ce n’était même pas contre ce dernier pour une fois, simplement que dès qu’il posait une question la réponse était pire que la précédente à donner. « Tout est dans la partie confidentielle du dossier, au cas où les parents demanderaient à voir le dossier. » Il inspira aussi longuement qu’il avait soupiré l’instant d’avant. « On a pas eu sa version des faits parce-qu’il était pas cohérent quand il est arrivé sur place. » La raison pour laquelle ils n pouvaient pas grandement avancer aussi dans la recherche de proches à prévenir, puisque le gamin ne pouvait leur donner aucune information qui débouche réellement sur quelque-chose depuis le début. « Mais les personnes qui ont prévenu les secours et sont restées avec lui le temps d’arriver ici et qu’on récupère leurs informations nous ont dit qu’il était en train de se faire passer un tabac par un groupe d’autres jeunes garçons qui, apparemment, avaient des propos virulents à son égard. » C’était toujours le genre de situation qui soulignait à quel point à la distribution de la naissance, tout le monde n’avait pas les mêmes chances ni les mêmes opportunités; Ruben se rendait d’autant plus compte lorsqu’ils tombaient sur ce type de cas en comparant à sa propre situation. Relevant son regard vers Diego, il pinça les lèvres. « Ils étaient apparement en train de le battre parce-qu’il est gay. »

« Ouais. » Ils venaient de confirmer quelque chose qu’ils savaient déjà, ce n’était pas pour autant que l’âge demeurait un facteur acceptable pour les deux médecins. Ils partageaient la même moue désabusée, et Diego faisait de son mieux pour se rattacher aux potentielles bonnes nouvelles que pouvait contenir le dossier. « Plus de mon côté en tous cas. » C’était de cette partie qu’il s’inquiétait, parce qu’il savait pertinemment les risques encourus pour un patient qui se retrouvait dans son service. Il détestait la supposition que venait de faire Ruben silencieusement, mais il n’avait plus à coeur de laisser parler sa rancoeur contre lui. Pas aujourd’hui, pas dans son bureau, pas alors qu’il incarnait à la perfection la première étape de la voie de la guérison de son futur patient. Son respect pour lui avait pris le dessus sur tout le reste, et le sentiment semblait mutuel alors que Ruben lui avait laissé exposer son point de vue quant à sa manière d’aborder les choses. « Comme tu le sens. » Il ne pouvait de toute façon pas intervenir sans avoir rencontré la famille en amont. « On a pas réussi à les joindre. » Son regard s’était porté sur le neurochirurgien alors que l’étonnement l’avait gagné. « Pas de numéro sur lui, son téléphone est hors service et personne n’a cherché à avoir de ses nouvelles pour le moment. » Se pinçant l’arête du nez, le mexicain faisait de son mieux pour ne pas laisser exploser sa colère : ils se devaient de rester calmes en toutes circonstances même si ce qu’ils constataient dans le cadre de leurs professions dépassait parfois l’entendement. « L’équipe sociale a été mise au courant dès qu’ils sont arrivés ici ce matin, on avait personne sous le coude ce weekend en plus pour s’occuper de tout ça. »  « Leur môme de quatorze ans est hospitalisé depuis vingt-quatre heures et ils s’en inquiètent pas ? Ils se demandent pas où il est ? » Ces questions n’étaient que la suite logique de son agacement face à tant de laxisme de la part des parents de ce jeune, qui, sans même qu’il ne l’ait encore vu, générait déjà son empathie. Elles n’étaient pas adressées à Ruben, bien au contraire, mais il semblait légitime de partager sa frustration avec lui maintenant que le dossier semblait être commun aux deux spécialistes.

Il ne savait pas ce qui l’avait poussé à demander plus de détails quand, finalement, ceux-ci n’apportaient aucune information nécéssaire à l’étude de la potentielle maladie du garçon. Il était forcément curieux, parce que s’il devait entamer un parcours de soin avec l’adolescent, il avait à coeur de le connaître assez bien pour balayer le sentiment impersonnel qui traînait si souvent dans les couloirs de l’hôpital. Et puis il y avait ce quelque chose, cette terrible intuition, qui se mariait extrêmement mal avec le reste de ses pensées. « Tout est dans la partie confidentielle du dossier, au cas où les parents demanderaient à voir le dossier. » Les yeux de Diego ne quittait plus le visage fermé de Ruben qui aurait probablement suffi à répondre à tous ses questionnements. « On a pas eu sa version des faits parce-qu’il était pas cohérent quand il est arrivé sur place. » « J’imagine et honnêtement je sais pas s’il a pu réellement comprendre ce qu’il lui arrivait. » Ils enchaînaient les soupirs et les regards emplis de désarroi. « Mais les personnes qui ont prévenu les secours et sont restées avec lui le temps d’arriver ici et qu’on récupère leurs informations nous ont dit qu’il était en train de se faire passer un tabac par un groupe d’autres jeunes garçons qui, apparemment, avaient des propos virulents à son égard. » C’était une accumulation qu’aucun enfant de cet âge n’aurait dû avoir à subir, et Diego s’était retrouvé à retenir sa respiration en voyant Ruben sur le point de lui livrer l’élément clé. « Ils étaient apparement en train de le battre parce-qu’il est gay. » Le silence qui avait suivi son annonce avait été bien trop pesant alors que Diego se repassait le film de ces derniers jours en fixant le mur par-dessus l’épaule de Ruben. Il s’était finalement décidé à bouger, faisant quelques pas pour tourner le dos au neurochirurgien et passer une main dans ses cheveux. « Je me doutais qu’une telle violence faisait pas suite à une simple mésentente. » avait-il commencé, pouvant sentir le ton de sa voix changer. « Mais si c’est réellement ça, le traumatisme à soigner sera bien plus profond. » Bien évidemment qu’il préférait parler au conditionnel, s’imaginer que la version des témoins n’était pas la bonne, parce que le problème que soulevait la partie confidentielle de ce dossier était bien trop difficile à gérer en plus de tout. « Ce gosse va passer par tellement d’épreuves, je crois que c’est un des cas les plus complexes que j’ai eu. » Et c’était un euphémisme, destiné à cacher ses réelles émotions, à rester professionnel jusqu’à clore la discussion pour attendre de pouvoir passer à l’action. Et une partie de lui ne pouvait s’empêcher d’imaginer que, peut-être, un titulaire aurait été bien plus désigné pour s’occuper de tout cela. « Je pense sûrement au pire mais j’espère que l’absence des parents est pas liée à ça. » Il s’était appuyé contre le meuble à tiroirs de Ruben, baissant le visage, se perdant dans sa propre tourmente et sa propre réalisation d’à quel point ses craintes étaient justifiées. Si le personnel avait déjà commencé à trop empiéter sur sa vie professionnelle depuis bien longtemps, le tout venait d’empirer considérablement.

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« Leur môme de quatorze ans est hospitalisé depuis vingt-quatre heures et ils s’en inquiètent pas ? Ils se demandent pas où il est ? » Il entendait l’agacement ressenti par Diego dans ses paroles, et pour une fois il ne put le pointer du doigt car ce dernier était partagé de son côté également; il savait le garder plus discret, parce-qu’avec un peu plus d’expérience que le jeune homme devant lui, mais ce n’était pas pour autant qu’il n’était pas d’accord avec sa réaction. Il aurait préféré que les choses soient autrement, mais il ne pouvait pas faire grand chose sur les éléments qu’il ne pouvait contrôler malheureusement. « J’ai demandé à ce qu’on soit les premiers mis au courant quand quelqu’un arrivera à entrer en contact avec eux. On peut pas faire plus de ce côté là pour le moment malheureusement. » Il appuya son regard dans le sien, soulignant ainsi ses mots, lui demandant silencieusement de malheureusement les prendre pour acquis.

Parce-que pour le moment, leur inquiétude ne se devait pas de s'attarder sur quelque-chose qu’ils ne pouvaient pas gérer à leur niveau, mais sur quelque-chose où ils pourraient avoir un impact. Un vrai, un bon, pas comme celui que le pauvre gamin avait pris. Si ce dernier n’était pas encore sorti du sommeil dans lequel à la fois l’agression et l’anesthésie l’avaient plongé, les deux médecins avaient déjà des éléments sur lesquels plancher. « J’imagine et honnêtement je sais pas s’il a pu réellement comprendre ce qu’il lui arrivait. » - « Y’a une partie de moi qui espère que c’est pas le cas, et même qu’il va tout oublier. » Ce n’était pas l’idéal et ce n’était pas de cette façon là qu’ils se devaient de gérer les traumatismes; mais une partie de Ruben espérait sincèrement que les souvenirs du garçon ne soient pas assez efficaces pour qu’il puisse se souvenir de tout ce qu’il s’était passé ces dernières quarante-huit heures.

Voire plus, puisque apparement, la raison qui avait poussé les autres jeunes à agir comme ça à son encontre n’était pas d’un quelque-chose qui était survenu ces derniers jours puisqu’inhérent à la personne que pouvait être leur jeune patient. Le silence qui suivit les mots de Ruben était lourd, était pesant, mais il savait aussi qu’il était nécessaire de le laisser être pendant un instant. Il percevait que trop bien chaque tenant et aboutissant de ce qu’il venait de dire à Diego; il ne l’avait pas vécu personnellement, et il n’avait pas connu pareille violence pour une telle raison, mais il connaissait ce que c’était de se faire renier et malmener par des personnes qui avaient pu être proches. Il l’avait vu arriver à l’une des personnes qui lui était chères - cette dernière avait d’ailleurs perdu la mémoire depuis. « Je me doutais qu’une telle violence faisait pas suite à une simple mésentente. Mais si c’est réellement ça, le traumatisme à soigner sera bien plus profond. » Si c’est réellement ça résonnait dans l’esprit de Ruben comme c’est ça, parce-que c’était malheureusement encore trop souvent le quotidien de bien des personnes. « J’ai déjà prévenu les psychologues du service pour qu’ils soient prêts à intervenir dès que ce sera nécessaire. » Il se rendait bien compte que ce n’était pas grand chose, mais encore une fois ils ne pouvaient pas faire davantage pour le moment, si ce n’était de prendre les devants. « Ce gosse va passer par tellement d’épreuves, je crois que c’est un des cas les plus complexes que j’ai eu. » Son regard se posa sur le dos de Diego, qui préférait désormais ne pas lui montrer un certain désarroi qui pourtant s’entendait dans sa voix malgré lui. « Je sais. » Souffla Ruben. « Je pense sûrement au pire mais j’espère que l’absence des parents est pas liée à ça. » Il fit claquer légèrement sa langue contre son palais, retint un petit rire en rien amusé. « T’as plus d’espoir que moi, c’est bien. » Il inspira longuement, se levant pour faire quelques pas dans son bureau, ne supportant plus d’être assis dans cette discussion qui lui donnait envie de jeter la moitié des meubles par la fenêtre qu’il n'avait même pas. « Ca me parait trop gros pour que ce soit pas le cas, tu sais. » Il ne laissa qu’un instant de silence se faire une place. « Je suis un peu pessimiste pour le coup mais je préfère m’attendre au pire, pour réussir à aider le gamin au mieux. »

Il pouvait trouver tous les défauts du monde à Ruben, sa capacité à rester calme et à se contenter de pincer les lèvres pour retenir l’ensemble de ses émotions était remarquable. C’était un point que Diego avait appris à maîtriser, restant impassible devant les larmes des familles, tentant de ne pas s’effondrer après qu’un de ses patients n’ait pas réussi à vaincre la maladie. Il y avait tout un tas d’épreuves difficiles à vivre dans son métier, mais il plaçait toujours les malades et leur entourage en premier, se sentant illégitime à ressentir autre chose qu’une empathie assez enfouie pour ne pas l’autoriser à afficher ses émotions devant eux. Mais il avait encore du travail, cela se voyait alors qu’il affichait clairement sa colère, son désarroi et la façon dont les événements le touchaient d’une manière bien plus particulière encore. « J’ai demandé à ce qu’on soit les premiers mis au courant quand quelqu’un arrivera à entrer en contact avec eux. On peut pas faire plus de ce côté là pour le moment malheureusement. » S’il manquait cruellement de discernement, il avait réussi à accueillir la réponse de Ruben comme un point final à cette partie de la discussion. Il avait donc acquiescé, adressant un regard à son collègue, le regardant comme tel, déstabilisé de comprendre qu’il deviendrait un allié dans ce dossier. « Y’a une partie de moi qui espère que c’est pas le cas, et même qu’il va tout oublier. » « J’y pensais, j’osais simplement pas le dire. C’est fou, d’imaginer le pire comme une solution. » Cette pensée avait traversé son esprit, pourvu qu’il ne se souvienne pas, des horreurs subies, de la façon dont ce monde avait choisi de le voir, de ce futur qui l’attendait et de la façon dont il avait probablement déjà toutes les raisons de perdre foi en l’humanité à un si jeune âge. L’issue semblait sombre, quoiqu’il arrive, et c’était une nouvelle sorte de fatalité à laquelle Diego faisait face, sentant ses épaules s’affaisser et sa mâchoire se serrer.

L’adolescent ne pouvait pas être la représentation d’une bataille qu’il menait, il le savait. Il savait aussi que si la complicité était l’une des clés pour qu’un patient aille au bout de son traitement avec l’appui de sa famille, celle-ci ne devait être que de façade. Diego ne pouvait pas s’attacher à chacun d’entre eux, c’était une des règles du métier, ils devaient se protéger. Mais il ne pouvait pas se raisonner devant les visages rieurs de ses patients, et c’était ce qui lui donnait parfois l'impression - à de plus rares occasions car les rémissions étaient plus nombreuses - de perdre Maria, encore et encore. Sa détresse était immense, mais personne ne semblait légitime à la comprendre. Ou peut-être était-ce lui qui, finalement, préférait protéger les autres que sa propre personne. Le fait était qu’il se sentait désespérément seul et qu’il refusait qu’il en soit de même pour cet enfant de qui il se sentait déjà proche, le lien s’installant avant même qu’il ne l’ait rencontré. Et pourtant, il espérait de toutes ses forces qu’il ne rejoindrait pas son service. « J’ai déjà prévenu les psychologues du service pour qu’ils soient prêts à intervenir dès que ce sera nécessaire. » Une nouvelle fois, il avait acquiescé avant de parler sans prendre le temps de réfléchir correctement. « Je sais. » C’était étrange de voir Ruben compatir, cela donnait une idée de la gravité de la situation. Dans d’autres circonstances, il aurait accusé Diego de ne pas avoir les épaules, l’aurait charrié sur son manque d’expérience, aurait trouvé l’opportunité de se mettre en avant. Il était resté impassible, lui offrant même un regard compatissant lorsqu’il avait enfin décidé de se tourner vers lui. Alors il avait osé prononcer tout haut une autre de ses pensées. « T’as plus d’espoir que moi, c’est bien. » Ses yeux le fixaient, il avait lui-même dit tout haut qu’il imaginait le pire mais il ne pouvait désirer que le pire soit la vérité. « Ca me parait trop gros pour que ce soit pas le cas, tu sais. » « C’est ce que j’aurais voulu, dans un monde idéal, mais je t’ai dit que je pensais au pire. » C’était ce qu’il faisait, constamment, même si Mateo réussissait de temps à autre à anesthésier toute la négativité qui l’envahissait. « Je suis un peu pessimiste pour le coup mais je préfère m’attendre au pire, pour réussir à aider le gamin au mieux. » Il s’en voulait, de penser ça, mais une partie de lui ne pouvait s’empêcher de se dire que ce petit aurait dû attendre une situation stable avant de s’avouer qui il était. Il était bien trop jeune pour subir tout cela, pour devoir apprendre à vivre sans parents. En d’autres termes, Diego s’imaginait qu’il s’agissait là d’un choix à faire, que de renier qui l’on était simplement pour exister dans une société malade. Il était resté silencieux, encore trop longtemps pour cacher l’évidence d’un esprit qui tournait à plein régime. « Je pense pas que ce soit le cas mais t’as déjà eu ce genre de problème ? Il advient quoi des gamins, si… » Il ne finirait pas sa phrase, incapable d’imaginer qu’un enfant de quatorze ans puisse réellement se retrouver orphelin par une décision de ses parents. Ils ne pouvaient pas renoncer à leurs droits ? Ne pouvaient pas l’abandonner ? Ne pouvaient pas prétendre ne pas avoir d’enfants pour la simple raison de son orientation. Tout cela ne faisait aucun sens, parce que toutes les craintes qu’il taisait devenaient réelles sous ses yeux et que l’adulte qu’il était se sentait incapable d’en assumer les conséquences alors même qu’un adolescent avait été plus courageux que lui. Mais à voir les choses de son point de vue, ce n’était pas du courage, mais plutôt de l’inconscience. « Je t’avoue que j’ai du mal à imaginer comment va se passer la suite pour lui, faudra que j’en parle au Dr Hansen. » Le titulaire, qui l’aidait de temps à autre mais qu’il ne sollicitait presque plus tant sa propre titularisation était proche. Ici, le cas était trop complexe pour ne pas avoir besoin de son expérience. « Tu voudras que je te tienne au courant des résultats d’analyse ? Et du suivi, si jamais elles sont pas bonnes. » Ses yeux s’étaient relevés vers lui - il pouvait oublier le garçon une fois qu’il serait sorti de son service, mais il pouvait aussi garder un œil sur lui à distance. Et offrir à Diego le soutien dont il ne dirait pas avoir besoin, surtout pas à lui.

alone between the heavens and the embers

@diego gutiérrez

lieu: st vincent's hospital, toowong.
(c): annscollections (gif), luleaby (codage).

tw: langage médical (traumatisme/cancer), violence et homophobie (expliquées).

***
Il pesait ses mots, lorsqu’il espérait que le jeune patient dont ils étaient désormais en train de discuter, puisse oublier ce qu’il s’était passé; il savait que ce n’était pas rien. Ce n’était pas non plus une solution, mais parfois cela valait mieux que d’être confronté à une réalité qui s’était acharnée contre vous - parce-que c’était ce qu’il s’était passé là, et au sens littéral du terme qui plus était. « J’y pensais, j’osais simplement pas le dire. C’est fou, d’imaginer le pire comme une solution. » Il soupira. « Ouais. » Ils n’auraient de toute manière pas leur mot à dire sur la matière, tant ils se devraient de découvrir la façon dont les choses étaient perçues par le patient lorsque ce dernier rouvrirait les yeux.

Surtout que ce n’était pas sur la partie la plus aggravante de toute la situation. Comprendre qu’il s’était fait passer à tabac était une chose, mais les raisons pour lesquelles c’était le cas étaient d’autant plus aggravante pour lui - rien que le fait que ses parents n’aient pas cherché après lui durant ces dernières vingt-quatre heures alors que leur fils était aux urgences et donc potentiellement porté disparu comme ils n’avaient pas été prévenus, était un signal à prendre ne compte. Ruben n’était malheureusement pas très optimiste dans cette situation. « C’est ce que j’aurais voulu, dans un monde idéal, mais je t’ai dit que je pensais au pire. »

« Je pense pas que ce soit le cas mais t’as déjà eu ce genre de problème ? Il advient quoi des gamins, si… » Ruben releva son regard vers Diego, et le manque d’assurance de la part de l’homme face à lui était troublante; assez pour l’atteindre lui, qui ne le portait pas véritablement dans son coeur pourtant. Il fit une petite moue. « Ca m’est pas arrivé encore, non. » Pas alors que c’était le gamin qui était hospitalisé et que les parents n’en avaient rien à faire du destin de leur enfant. « Mais ce sera aux services sociaux de l’aider à trouver un nouveau équilibre. Je pense qu’ils font appel à des familles d’accueil ou à des foyers dans ces cas là. » Il haussa les épaules; ce n’était pas habituel, mais Ben n’avait pas de véritable réponse à apporter. Pour une fois, il pouvait plutôt facilement admettre qu’il ne savait pas. « Je t’avoue que j’ai du mal à imaginer comment va se passer la suite pour lui, faudra que j’en parle au Dr Hansen. » Doucement, il opina du chef. « Je sais que c’est pas facile, et que tu t’attendais pas à commencer ta semaine comme ça. » Lui terminait sa garde et avait la chance de pouvoir rentrer chez lui dans les heures à venir pour mettre tout ça de coté et se ressourcer. Les problèmes en cours seraient toujours à lorsqu’il reviendrait d’ici à deux jours, mais au moins il aurait eu ces deux jours à pour se ressourcer. « Hansen a plus l’habitude, il pourra te guider, oui. » - « Tu voudras que je te tienne au courant des résultats d’analyse ? Et du suivi, si jamais elles sont pas bonnes. » Il opina du chef. « De toute manière, il reste rattaché à la neuro tant qu’il est pas réveillé et sous surveillance, donc je serai forcément au courant des examens. Mais je veux bien qu’on se tienne au courant, oui. » Parce-que ce n’était pas la même chose de suivre les examens à travers un écran que d’en discuter de vive voix. « Et je fais en sorte que tu sois appelé dès qu’il se réveille, si tu veux. » C’était donnant-donnant: pour une fois, ils jouaient tous les deux dans la même équipe, et pour de vrai. Et parce-que c’était le cas, il se permit d’ajouter les mots suivants: « Et tu as aussi le droit de te retirer du cas si tu sens que c’est de trop pour toi. Qu’importe la raison. » Ils ne jouaient pas dans la même cours, il avait la possibilité de se le permettre, ce n’était pas rien. « Et sans conséquence sur ta carrière. Y’a des cas plus difficiles que d’autres, savoir se mettre en retrait quand on sait qu’on pourra pas assurer, c’est pas un drame. »