En plein coeur de la nuit, surplombé par la pleine lune magistrale, je me réveillais dans un puissant sursaut, férocement agité. La respiration haletante rendait saillant mon torse puissamment musclé et recouvert de poils drus sur lequel je posais fermement ma paume dans une vaine tentative d'apaiser mon coeur qui tambourinait douloureusement dans ma cage thoracique. Dépité, je scrutais l'obscurité, faisant appel à un sens de la vue surdéveloppé, cherchant à recueillir des éléments de la pièce sur lesquels je pourrais m'appuyer afin de calmer l'angoisse qui m'étreignait sans vergogne. Dani était absente cette nuit, amourachée plus que jamais de Hugo avec qui elle enchaînait les heures joviales. L'appartement que nous partagions me semblait ainsi cruellement vide et j'étais tels ces créatures mi-hommes mi-loups à me sentir si vulnérable en solitaire et bien plus adapté, en sécurité, en meute. Je n'aurais jamais pu être un loup solitaire.

Je me recroquevillais en fixant puis fuyant la pleine lune, cette dernière me procurait le sentiment de détenir un effet énergétique désastreux sur ma personne, si intransigeante. Je posais mon front contre mes genoux repliés contre mon buste et me berçais doucement d'avant en arrière, tentant de chasser les images si vivides qui persécutaient mon esprit et anéantissait mon sommeil. Certains proclament qu'avec le temps, on oublie les sons, les visages ; pourtant, je me souvenais de mon agression comme au premier soir et je la revivais quotidiennement, des flashs de celle-ci me happant sans vergogne. J'en devenais fou et je ne sais plus comme procéder pour me libérer de cette emprise traumatisante. Les mois défilaient et je me sentais toujours totalement vulnérable, transformé en cette sombre bête qui ne répond qu'à son instinct de survie animalier, cette ombre de moi-même que je maudis et j'abhorre. Je suis brisé, damné, je ne me reconnais plus et toutes les solutions qu'on me propose pour aller mieux me paraissent désuètes.

Mes agresseurs ont fait appel au jugement, espérant altérer la peine qui leur a été accablée. Je le vis comme un échec doublé d'un sursis, mon souffle perpétuellement retenu tant que cette conclusion législative n'a pas lieu. Dans quelques semaines, je devrais me présenter de nouveau au tribunal, revivre la pire heure de mon histoire, confronter ces bourreaux pour ranimer davantage leur portrait dans ma mémoire. S'en suivront des jours et des nuits abominables où je hurlerais à l'astre de la nuit et voudrais tout déchirer sur mon passage, dont mon propre corps, comme si cela m'aiderait à excommunier le monstre en moi.  

Damné pour damné, j'avais décidé de partir à la recherche de cette femme qui avait appelé spontanément les secours lorsqu'on m'avait laissé pour mort dans cette ruelle, comme le loup-garou redevenu homme dénudé en position fœtale que l'on retrouvait dans les films d'épouvante. La prénommée Maritza m'avait recouvert et réconforté jusqu'à ce que les agents paramédicaux me prennent en charge et si je lui vouais une reconnaissance infinie, il n'en demeurait que la honte m'avait toujours empêché d'aller la remercier de vive voix. Aujourd'hui, je décidais d'alléger cette conscience, quitte à me jeter dans la gueule du loup et terminer potentiellement déçu, critiqué, bafoué. Tremblotant, comme happé par un froid de loup, je saisissais le post-it sur lequel un professionnel de santé avait pris ses coordonnées et que j'avais conservé précieusement et au petit matin, je m'orientais vers la demeure de Fortitude Valley. Devant la maison, je reconnaissais néanmoins un autre visage. Si croiser Diego m'avait fait sourire amicalement les premiers temps, désormais, il me procurait la sensation d'avaler une roche qui démolissait mes entrailles, une lame d'argent qui brûlait mes viscères. Il m'évitait, j'en étais persuadé, et ce rejet de sa part m'était insupportable, comme la goute de trop. Méritais-je tant d'être repoussé ? N'avais-je pas été assez puni ? Ne me détetestais-je pas assez ainsi ? "Diego, il faut qu'on parle." Je lui tonnais, déterminé, mon poing serré avec une force surhumaine, mes ongles telles des griffes acérées perçant les paume de mes mains. Diego hurlait-il avec les loups en se rangeant à l'opinion du plus grand nombre qui punissait injustement l'homosexualité ?

@Diego Gutiérrez  

L’anniversaire de la mort de Maria était encore bien présent dans les esprits de chacun des Gutiérrez et ils avaient tous décidé de le vivre différemment. Diego s’était contenté d’envoyer un message à sa famille, quelque chose de banal, mais il n’y avait pas beaucoup de mots qui pouvaient exprimer ce qu’il ressentait, penser à eux semblait suffisant. Il avait vu Sara, passer du temps avec elle avec cet événement tragique en tête leur avait permis d’être bien plus apaisés que lorsqu’ils s’étaient vus durant le stage de survie. Il fallait bien voir du positif à cette injustice qui avait un impact bien plus important que ce qu’il pouvait avouer sur le mexicain. Il faisait de son mieux pour être présent pour Maritza et c’était sans grande surprise qu’il avait augmenté le rythme de ses visites. C’était paradoxal parce que s’il savait combien elle appréciait de le voir passer régulièrement, il savait également qu’elle comptait maintenant aussi sur la présence de Sergio. Il lui était toujours difficile d’envisager que ses parents vivent sous le même toit alors que tout cela était justement extrêmement logique mais la raison était évidente : ils avaient un passé qui rendait cette vision intolérable. Pourtant, par respect pour elle, et parce que Sergio avait su trouver des mots qui avaient au moins calmé son animosité, il réussissait à faire avec. Et il y était obligé parce que son père ne semblait pas décidé à quitter les lieux, bien au contraire.

Et il avait une nouvelle fois profité d’un week-end libre pour passer un peu de temps chez Maritza et la maison lui avait semblé étrangement calme. Etna, qui lui aboyait dessus à chacun de ses premiers passages, s’était maintenant habituée à ses allers et venues et la chienne dormait tranquillement dans son panier. Cesar était absent, Alejandro chez un ami et pour Sergio, il n’avait pas posé la question. Ils étaient donc en tête à tête, mère et fils, et la situation lui allait parfaitement parce qu’il aimait retrouver un peu de calme et de sérénité lors de ses journées de repos. Pourtant, alors qu’il avait envoyé sa mère se délasser dans son bain, quelqu’un s’était présenté à la porte et il ne s’était pas attendu à connaître le visiteur. "Diego, il faut qu'on parle." Pas de salutations ni d’explications, Kai s’était adressé à lui avec un regard empli d’un sentiment qu’il n’arrivait pas à déchiffrer. En se retrouvant face à lui, Diego s’était retrouvé face à ses propres contradictions. « De quoi tu veux parler ? » avait-il demandé alors qu’il savait pertinemment de quoi Kai voulait discuter. Il était devenu distant depuis son agression, et il savait combien son comportement était inexcusable mais quelque chose au fond de lui l’empêchait de se comporter comme avant. Comme si le fait de rester ami avec lui constituerait une forme d’aveu sur sa propre sexualité. « T’es venu voir ma mère ? » Il continuait à poser les questions sans même inviter Kai à entrer et il ne réalisait même plus la façon avec laquelle il interagissait avec lui qui était à mille lieux de ce qu'elle était avant. Diego tentait de retarder cette fameuse discussion parce qu’il n’était tout simplement pas prêt à l’avoir - comment pourrait-il justifier quelque chose qui ne faisait absolument aucun sens pour lui ?