« Fuck me again. » si vulgaire, nous sommes. Et ça nous fait pas un pli, y’auraient des enfants qui nous écouteraient que ce serait la même chose, si ce n’est pire. Son bras qui m’honore, que dis-je, qui a la décence de se décaler pour que je puisse me replacer convenablement, et sa chaise qui menace de fendre en deux sans qu’on lui accorde la moindre pitié à elle. Qu’elle nous survive, comme le monde entier qui tente chaque jour un peu plus fort, un peu mieux.

L’anémie est donc la première ligne qu’il citera du rapport. Levi me nargue d’un « When are we turnin' vegan? » qui reçoit un soupir blasé. J’ai les yeux beaucoup trop rivés sur les nouvelles données – quoi que certaines sont encore amèrement familières – pour lui dire de se garder son fromage de noix et ses protéines végétales pour lui. J’en ai déjà un qui se la joue vegan, j’y survivrai pas s’il s’y met lui aussi. Et plutôt que de râler, je lui enfonce un genou, un coude dans les côtes, m’excuse pas vraiment, demande sûrement. Autant savoir d’où il souffre pour le lui faire ravaler si un jour un besoin quelconque de me venger se fait ressentir – tu veux juste pas lui faire mal Ariane, plain and simple. Own it would you. « Would be more confortable if you were not a bag of bones. » « Takes one to know one.  » que je renchéris, piquante, sa silhouette presque autant affligée que la mienne depuis les dernières nouvelles ; et les litres de gerbe qu’il relâche quotidiennement.

Ses ongles se perdent avec violence dans mes cheveux et je jure qu’il tire une mèche ou deux exprès, enfant de 4 ans comme il est. « Another bad boy in the mix. Are you gonna drown me in water? » mes yeux retrouvent les siens, lui qui était retourné sur les feuilles pêle-mêle, le sourire en coin que j’appuie d’un froncement de sourcils mauvais. « And here I was, thinking that killing you with arsenic was the only option. » il intorduit toujours la blague, il me donne toujours le feu vert quand on peut aller là, quand il faut y aller surtout. « Glad to know that a big glass of milk would do perfectly. » and no, it won’t be any of your disgusting vegan milk options dude.

« Read the rest. Read everything. Out loud. » que je finis par souffler, quand mes yeux arrivent pas à assimiler le prochain paragraphe, que les données dans leurs mots à eux valent jamais rien d’autre qu’un charabia incompréhensible et impersonnel. Quand ça vient de Levi, je peux statuer, je peux accepter, mieux. Mémoriser surtout, enregistrer sa voix et ses mots et ses diagnostics et ses réflexions. S’il le dit, je sais comment il le prend aussi. Et je repose ma tête sur son épaule, ferme les yeux, garde le focus, et dégage ses doigts espiègles de ma crinière pour y enlacer de force les miens, resserrant l’étreinte aussi férocement que possible.

Elle s'est lovée contre toi, sa tignasse de feu coulant en cascade sur tes épaules, taquinant tes nasaux à la moindre brise automnale. Tu les repousses, grattes son cuir chevelu comme si elle appartenait au rang des canidés, et ensemble, vous décortiquez ce qui a su avec expertise te faire du mal, te faire sortir de tes gonds. Vous excommuniez le démon, la vérité intransigeante, l'odieux noir sur blanc qui tonitrue l'enfer sans ménagement.

Tu plaisantes sur un changement radical de régime alimentaire, elle contre-attaque par les faiblesses d'un organisme qui fait ce qu'il peut, mais échoue lamentablement à la tâche, se rebelle contre lui-même en tout masochisme. Tu lèves les yeux au Ciel quand elle te renvoie ta critique de sac d'os en plein visage. « What a disappointing lack in originality. » Tu déplores, continuant de malmener son crâne, parcourant à nouveau les lignes, pouvant cette fois-ci en lire davantage le contenu puisque tu t'es éloigné de ton seuil d'implosion. Tu souris faiblement quand elle ajoute le calcium à la liste de ses procédés pour se débarrasser de toi. You wish.

Tu allais abandonner, jugeant le reste insignifiant, quand la roadie en réclame davantage, sonne quasiment une sentence. « Read the rest. Read everything. Out loud. » Tu expires bruyamment, avec exaspération, mais replaces sa main de manière à capituler plus aisément. « It's its signature move. » Tu pointes le taux de globule rouge et de calcium. « The rest is not too bad. It's just that it's its signature move. » Tu fais référence au cancer, ton cancer. Ça a commencé comme ça, ça recommence de la même manière. « It shares your lack in originality. Maybe you'll get along. » Tes doigts te faufilent dans ta poche, tu tires un joint, sourire malicieux. « Still doing penance? » Tu défies, avant d'envisager l'allumer. « There are other symptoms but they're not on there. » Tu tapotes le document du bout de ton, dénommé par Matt, bâton du diable.

Levi qui soupire ça a tout d’une musique habituelle, d’une trame de fond normale. Les vagues qui se cassent sur le bateau aussi, j’ai l’impression que j’habite ici depuis toute une vie alors que ça fait quelques semaines qu’on s’endure, qu’on perdure – que je m’impose mais apparemment, pas autant que ça à l’entendre.

« It's its signature move. » j’inspire, le bras de Levi qui se replace autour de mes épaules et mon menton qui se plante contre son torse le temps de voir les taux qu’il me montre, le temps de suivre son doigt des yeux avec attention. Son cancer confirmé, totalement décrit, les schémas d’avant et les nouveautés, les mises à jour presque, qui revient avec une version plus tenace et améliorée. I hate this. « The rest is not too bad. It's just that it's its signature move. It shares your lack in originality. Maybe you'll get along. » « He’s coming back for you, not me. » que je tente de dédramatiser, sa pique qui vole bien haut au-dessus de ma tête, à laquelle j’accorde pas la moindre bribe d’attention. « You’ve always been the favorite. » avec Kane d’abord, avec sa foutue maladie ensuite. Ma silhouette qui se cambre un peu plus contre la sienne, et le joint que je le vois pas sortir.

Mais il le met en évidence. Il fait exprès, il s’amuse presque. « Still doing penance? » et la clope verte dont il se sert pour me narguer, pour narguer le diagnostic aussi. L’herbe fraîche même pas encore allumée qui remonte sous mon nez, il l’a roulé comme un chef celui-là. Je remarque le papier plié à la perfection et le filtre qui s’y emboîte hyper serré. « Kinda. » where’s your lighter?« But it doesn’t hurt anyone if I breathe it. » where’s your lighter, man? Juste un peu, juste une bouffée de fumée secondaire, juste une longue inspiration. Juste un peu.

« There are other symptoms but they're not on there. » other symptoms, qui tourne et retourne dans ma tête. « Anything I should be concerned about? » more than I already am?

Tu appréhendes avec le calvaire exponentiel, essaies d'apprivoiser le feu ardent qui te diminue sans scrupule. Tu tentes de l'accepter, de considérer ses traits pour en avoir moins peur, pour en pâtir plus faiblement. Tu batailles pour être en paix avec cette fatalité abominable, ce retour de ta pathologie que ton âme hurle injuste quand tu as tout mis en oeuvre pour que ta rémission se transforme en guérison et non en rechute. Tu es en colère face au caractère vain de tes efforts, tu es affreusement déçu de cette conclusion, tu es terrifié des conséquences à venir. Cependant, tu milites aussi pour conserver tout le contrôle qu'il te reste, quitte à devoir sympathiser avec ton pire ennemi. « He’s coming back for you, not me. » Un sourire faible étire tes lippes. Tu réprimes un frisson. « Sucker. » « You’ve always been the favorite. » « Bummer. » Ta main quitte son cuir chevelu pour s'enfoncer dans l'une de tes poches, en extirper un joint soigneusement roulé - et bien mérité.

« Kinda. » Tu hausses les sourcils, retenant tes provocations. Tu tapotes le document du bout de ta clope verte, avoues la présence d'autres symptômes qui ne sont pas décrits à proprement parler sur le listing des qualités et défauts recrachés par ton hémoglobine. « But it doesn’t hurt anyone if I breathe it. » Alors tu allumes ton joint, en tires une bouffée salutaire, expire suavement dans sa direction. « Kinda feels right at the time ? » Tu lances, fais écho à son propre argument pour justifier son mariage avec Joel Birch. Tu cales la clope entre tes lippes, à l'entière disposition d'Ariane. Tu te concentres sur la fumée qui vient polluer tes poumons, alléger ton corps, purifier ton esprit. « Anything I should be concerned about? » « Nah. » Tu rassures. « They're not that bad. » Tu promets. Ce ne sont pas eux, les vrais vilains de ton histoire.

« Kinda feels right at the time ? » la rapace, la vipère. Il provoque, il sait faire que ça, il le fait foutument bien. Et je ferme les yeux, inspire profondément, la fumée qu’il me renvoie effrontémement au visage et l’herbe qui emplit mes poumons comme la pire (la meilleure) des tentations. « Kinda feels amazing at the time. » mes paupières qui battent et mon regard qui pique le sien aussi creux que je peux, mes iris finissant par balayer le geste, et surtout le joint qu’il glisse contre ses lèvres. La rapace, la vipère. Il provoque, il sait faire que ça, il le fait foutument bien.

Ses symptômes que je ramène sur le tapis, entre la distraction et la mise à niveau. S’il en parle c’est que je dois les mémoriser, que je dois les retenir, fouiller à leur sujet aussi. J’ai déjà enregistré les données précédentes, tout est classé et prêt à faire office d’énièmes recherches sur Google à l'instant où il s’endormira tout à l’heure. Une nuit entièrement blanche à prévoir donc.

Et le weed qui grésille, et la clope qui brûle toujours, et Levi qui essaie de me rassurer quand on sait tous les deux que peu importe ce qu’il dira je le croirai pas, peu importe ce qu’il répondra je gratterai jusqu’à en avoir le cœur net.  

« Nah. They're not that bad. » « Bullshit. » mon index et mon pouce qui remontent, relâchant sa main pour filer vers son visage, tout juste à ses lèvres. Et ils tirent mes doigts, ils tirent sur le joint, ils le font rouler avec précision. « I know what you’re doing. Reassuring me with your "Not that bad" crap. Won’t work. » ils le délogent pas complètement de son sourire de con, mais jouent assez pour l’en dégager de moitié. Un millimètre de plus, je tire d’un millimètre de plus vers moi, juste un. « Keep it to yourself if you want, if it soothes you. » et un autre. « But there's no need. I'm not like them. » le joint complètement débalancé. « I can handle it all. » qui risque de tomber d’une seconde à l’autre.

Tu provoques sur les raisons qui l'ont poussée à accorder sa main au Birch, attises ses envies en lui soufflant, insidieux, la fumée de ton joint contre son minois. Elle ferme les yeux, contre-attaque : « Kinda feels amazing at the time. » « Right, » tu rétorques, mesquin, pernicieux, avant de poser la clope entre tes deux lippes.

Passage d'un mal à un autre. Ariane qui ne sait lâcher l'affaire sur tes symptômes, même si tu lui assures qu'ils ne sont pas si mauvais, qu'ils ne constituent pas les éléments qui te menacent réellement. Ils ne composent que de vulgaires conséquences, ont franchement à pâlir devant les causes véritables. « Bullshit. » Tu te retiens de soupirer dans l'unique but de ne pas perdre l'emprise sur le joint. Tu tires avec davantage d'intensité sur ce dernier afin de rendormir tes nerfs. Ses doigts viennent taquiner tes lèvres, tu arbores ton sourire arrogant, menacerais presque de la mordre. « I know what you’re doing. Reassuring me with your "Not that bad" crap. Won’t work. » Elle craque, tu sais. Tu inspires, souffles de nouveau la fumée en sa direction. « Keep it to yourself if you want, if it soothes you. But there's no need. I'm not like them. » La clope tient à peine contre ta bouche, à l'image de sa volonté. « I can handle it all. » Tu te mouves, te replaces de manière à surplomber davantage l'auteure. « You sure can. » Et tu ôtes la drogue de tes lèvres pour la caler entre tes doigts, à quelques centimètres de ceux de la Parker. Tu loges ton pouce dans sa paume, vos majeurs s'effleurent, vos indexes ne sont séparés que par le joint que tu retiens. « I piss blood and I got a lump. They're not that bad. » Tu banalises, assuré, buté, catégorique, avant de poser ta tête contre son bras, te voiler la vue quelques instants. « If no one sees you do it, does it really count? » Malveillant, tu immisces une autre forme de tromperie.

À chaque expiration, sa bouffée qu’il me crache à la gueule. Et à chaque fois j’inspire un peu plus profondément, j’arrache à son air le plus d’effluves possible, je prends tout, absolument tout, je lui laisse rien. Levi qui se retourne et qui prend plus de place, il investit ma bulle le gars, il l’envahit alors que je ne bouge pas d’un centimètre, que mes iris passent des siens à ses lèvres, refont le trajet inverse pour mieux le répéter encore et encore.

« You sure can. » fuck you. Il se moque, il sait qu’il a raison surtout. Il mélange toutes les cartes, il brouille toutes les pistes, il parle d’un truc alors que je statue sur un autre. Il me rend folle, et je bouille, comme d’habitude, comme toujours quand il est là, quand il fait ça. Et le foutu joint qu’il lâche pas, sa prise dessus qui se resserre, et même si je tire et même si j’exagère, il le garde bien calé, il se l’approprie comme il le devrait. Depuis quand il partage pas?

La clope quitte ses lèvres, file entre ses doigts, flirte avec les miens. Y’a de la cendre qui tombe, à peine, juste assez pour brûler ma peau qui n’en a clairement rien à foutre. « I piss blood and I got a lump. They're not that bad. » « Yeah, you could do worse. » s’il mix tout, je me ferai pas prier à faire pareil. Et c’est risqué là, parce que Levi reste aussi buté que possible, parce qu’il bronche pas non plus, bouge à peine. Jusqu’à ce que sa tête se plaque contre mon bras, que mes yeux ignorent son mouvement, qu’ils restent scotchés à la drogue qu’il attend juste que je dérobe.  « If no one sees you do it, does it really count? » yeah, he could have done worse.

« I don’t know. » ma voix qui minaude pire que la sienne, son ton que je mimique. Et ma main qui englobe la sienne pour la remonter à mon visage, pour forcer ses doigts, pour lui céder comme tellement d’autres fois. « You tell me. » la première bouffée fait mal parce qu’elle confirme que j’ai fucké up. La seconde elle, plus longue, plus salvatrice, s’attaque directement à tous mes nerfs qui se relâchent d’un coup d’un seul.