Je ne suis pas de celles qui affirment qu’elles auraient préféré garder les yeux fermés. Je n’aime pas être dupée et si la vérité est douloureuse, elle vaut mieux que de beaux mensonges : ceux qui Mitchell et Alec me servaient depuis douze ans et ceux dont Amos pavait notre relation depuis sept moi. Si la réalité est dure à encaisser : j’ai réussi à partir la tête haute mais je me suis effondrée et je suis tombée plus bas encore qu’à l’époque où je n’étais qu’une petite junkie, je ne cherche pas à la nier, à trouver des excuse à mes anciens collaborateur ou à me raccrocher au passé : c’est eux que je quitte, le Club est un dommage collatéral douloureux puisque je suis persuadée de ne pas y avoir terminé mon chemin et d’être plus capable que son dirigeant actuel de le faire avancer, mais je n’ai pas eu la sensation d’avoir d’autre choix. Qu’espérait Amos ? Que j’organise un coup d’état, à moi seule, et que je réclame les rênes sous prétextes qu’elles me reviennent de droit. « Heureux que tu l’acceptes enfin. » J’ignore si heureux est le mot adéquat et si je plonge mes yeux dans celui du brun, je n’en pipe mot. La suite de la journée se déroule bien et, la queue de billard entre les main, je suis assez occupée pour ne pas penser au manque qui brûle ma chair. Je casse le jeu avant d’enfin répondre. « Sans se battre ? Il est ingrat en plus du reste. » « Qu’est-ce que tu voulais qu’il dise ? » Qu’il se jette à mes pieds en me disant qu’il était désolée et que je suis un élément essentiel à l’organisation ? Que je ne peux pas partir comme ça ? Je n’en ai pas nourri l’espoir et, tant que Mitch respirera et foulera le sol du restaurant, ce sera sans moi. « Rien de plus ? Je dois en déduire que j’ai plus confiance en toi que le contraire ? » Je rate la bille et je l’observe.

Que répondre ? Que s’il n’a pas perdu mon amour, il mettra du temps à retrouver ma confiance ? Le souhaite-il de toute façon ? Je ne peux pas lui faire la première confession, et la seconde ternirait l’ambiance de l’après midi. Alors je ne dis rien, je me contente d’observer le jeu. Il empoche sa bille : je jouerai donc avec les rayées. « Bien joué. Tu rejoues si je me souviens bien ? » Cette époque ne fait plus naître en moi de nostalgie. Je pleure la perte de celui qui est en fasse de moi plus que de mon fantôme, et j'abhorre mes deux autres anciens compagnon de jeu. « Et c’est surtout qu’on ne s’est pas dit grand chose. Il n’a pas nié et je l’ai pas laissé s’exprimer. » Parce qu’il n’existe aucune justification à son acte, quoi qu’en dise Alec. « Je suis partie aussi vite que je suis entrée. » Il tire, et quand vient mon tour, j’annonce la bille quinze.

Le dé :

« Je ne dis pas que c’est ce que je voulais, mais plutôt ce qu’il aurait dû faire. » Un leader m’aurait empêchée de partir et il m’aurait abattue. Quel que soit ses torts, quelles que soient mes motivations et quelles que soient mes motivation. Le genre de leader que je croyais avoir m’aurait, au mieux, annoncé que j’avais vingt quatre heure pour quitter le loft, que c’était la seule avance qu’il me laissait, la seule fleur qu’il me faisait en souvenir de notre amitié. Mitchell n’est qu’un lâche, et le réaliser, l’admettre, m’a fait réaliser que je le savais déjà. « Pas une excuse ? Un désolé ? Vu les dégâts causés… » « Je veux pas de ses excuses. » Quand aux dégâts causés, la formule employée me donne des frissons. Elle donne l’impression que Mitchell a embouti ma voiture ou accidentellement renversé du café sur ma robe favorite. « Il aura pas mon pardon, et je pense qu’il le sait. »

Il me sait rancunière et il sait aussi que sa trahison n’est pas de celle que notre amitié peut supporter, ni même notre collaboration. Il m’a laissée partir parce qu’il se sent coupable, il m’a laissée partir parce qu’il n’est qu’un cheval de course en fin de vie qu’il faudrait abattre. « Merci. Et oui, c’est bien ça.  » Je l’observe se placer, réfléchir, et mettre une seconde bille : un pas de plus vers la défaite pour moi. « Tu sais, c’était prévisible. Je me suis douté que ça arriverait. » « Que quoi arriverait ? » Que Mitchell ne dirait rien ? Qu’il me laisserait partir, penaud et la queue entre les jambes ? Ou que lui perdrait ma confiance en m’avouant la vérité ? Concernant ce dernier point, j’ai du mal à imaginer qu’il ait pu en douter de toute façon. Lui aussi me connaît. « Et ça ne t’intéresse pas ? De savoir ce qu’il a motivé ? Pourquoi il n’a pas pensé à toi à ce moment-là ? Au moment où ? Et depuis ? Depuis que tu es partie ? » « Je sais ce qui l’a motivé. Et je sais aussi qu’il n’a pas pensé à moi et que pire, il n’a pas pensé au Club. Il n’a pensé qu’à lui parce qu’il pensait qu’Aaron préparait quelque chose pour lui nuire. » Et ce n’était pas le cas. « Depuis je n’y ai pas remis les pieds. » Et je filtre les appel d’Alec : Mitchell lui ne s’est pas donné la peine, il sait que c’est inutile, il est au moins plus lucide que son lâche de frère qu’il traîne comme un chien depuis des décennies. « Est-ce que tu es hésitante à me répondre parce que…. parce que tu t’imagines que je me sers de toi ? » Je plonge mes yeux dans les siens et je tire. Je la mets, mais pas la seconde, et il rate à son tour avant que je ne réponde. « Non, je pense pas que tu te serves de moi. » Pour quoi faire de toute façon ? « C’est juste que... » Que je ne vois pas réellement ce qu’il y a de plus à en dire. « Depuis quand ? Tu sais depuis quand ? » Tu savais quand tu m’as consolée le jour de l’anniversaire de sa mort ? Quand plus tard je t’ai confié que j’avais l’impression de le trahir ? Quand j’ai rangé la photo ? Quand l’a-t-il appris exactement ? Pour me donner une contenance, j’arme mon bras et je tire en annonçant à nouveau la dix.

Le dé   :

« Tu sais pardonner pourtant. » La remarque me heurte et je ne peux m’empêcher de me demander s’il est question de Mitchell, ou s’il parle de lui. Se demande-t-il si je le pardonnerai un jour ? J’en ai envie, je sais que j’en ai envie mais, pour ça, encore faudrait-il qu’il me demande pardon, qu’il me souffle qu’il est désolé, qu’il a mal agi plutôt que de tenter de se justifier ou de faire de moi l’architecte de la fin de notre histoire. Peut-être était-elle inévitable cette fois - ou ce passage, si j’écoute les soupirs optimistes de mon coeur - mais n’ai-je pas droit à des excuses pour autant ? « Tu sais bien le faire même. » Je secoue la tête. « Pas si bien que ça. » Peu. Pratiquement personne, si ce n’est lui. « Et y’a aucune excuse pour ce qu’il a fait. » Ni de délai de prescription. « Tout ! La réaction de Strange. Et que tu sois en colère après moi aussi. » Je hoche la tête doucement, je joue mais dans un état second. Pourtant, j’empoche deux billes d’affilées mais je ne pense même pas à jubiler. « Oui, c’était prévisible. » Que ce soit l’un ou l’autre. S’il savait que cela me blesserai et me mettrai en colère - je trouve le terme dérisoire par rapport à ce que j’ai ressenti et ressens encore parfois - alors pourquoi m’a-t-il donné l’impression de ne pas comprendre ? Pourquoi m’a-t-il fait passer pour la coupable sans que je n’ai le temps d’encaisser quoi que ce soit ?

« Pourtant, je suis là. »
« Pourtant t’es là. »
« Et Alec ? »
« Il est pas là, de toute évidence. »

Je pousse un soupir, avant de secoue la tête. Il est plus douloureux ce souvenir là. « Il a plus de mal à me laisser partir, je pense. » Je ne décroche plus au téléphone. « Mais je n’en sais rien. Je ne veux plus entendre parler de lui. » Et pourtant, toi, tu es là. Amos, je ne l’ai pas rejeté et ne le rejette pas. Comprendra-t-il ce que cela implique ? « Parce que tu ne veux pas les voir ou parce que le Club ne t’importe plus ? » « Je ne veux plus les voir. » La perte de l’organisation qui donné un sens à ma vie, j’essaye simplement de ne plus y penser. « Plus jamais. » Je rajoute dans un souffle, un murmure et je l’observer jouer. Il rate mais le jeu me passionne moins qu’il aurait pu en d’autres circonstances. « Un peu après Fraser Island. » Je hoche la tête, sans trop savoir comment je me sens suite à cette révélation. « Et oui, j’ai souvent pensé à te le dire. Parce que non, je ne me suis pas servi de toi. » Il plonge son regard dans le mien. Nos tristesses se font écho tandis que je serre nerveusement mes doigts autour de mon club de billard. « Et tu travaillais avec elle depuis quand ? » Elle, Lou, mais je n’ai pas besoin de le préciser. J’annonce ma cible, la bille treize, je tire, avant de me redresser pour replanter à nouveau mes yeux dans les siens.

Le dé :

« S’il en avait, ce n’est pas moi qui te les soufflerais. » J’esquisse un sourire et je ne remets pas sa parole en doute : Amos n’a jamais caché son amertume pour Mitchell, même lorsque j’en percevais mal les contours et les raisons, il a tenté de m’en éloigner bien avant et je ne suis pas surprise qu’il ne me dise pas que chacun a le droit à la rédemption. Si j’avais cessé d’avoir envie de vivre et si je m’étais foutue des répercussions - c’est bon signe finalement - je lui aurait collé une balle dans le front le jour où je l’ai confronté. « Il justifie comment qu’il ne t’ait rien dit ? » « Mal. » Je n’aime pas devoir me souvenir de cette conversation, si c’en était une, que j’ai eu avec celui que j’ai considéré comme un ami, le seul, pendant des années, mais je fais l’effort de quelques mots. « Il cache sa lâcheté derrière sa loyauté de merde. » S’il l’avait été, il aurait tout fait pour forcer Mitchell à tout m’avouer. Parce qu’il était censé l’être envers nous deux, loyal, ou du moins c’est ce que je croyais. « Il dit qu’il a pas fait exprès. » Je raille, je m’exprime comme une enfant tentant de justifier les actions de son frère quand je leur octroie pourtant même plus le stade d’animaux. « Il dit que ça efface pas les douze années où il a été là. » Par culpabilité surement, pour se donner bonne conscience. « Il dit que des conneries. »

« Rien ne t’y oblige, mais Alec pourrait t’être utile. » « M’être utile à quoi ? Si je veux un autre couteau dans le dos je peux aussi bien payer quelqu’un pour le faire, et le faire proprement. » Si j’ai réussi à feindre le détachement lorsqu’il était question de la trahison de Mitchell, ma rancoeur transpire à travers chacun de mes mots lorsqu’il est question de son jeune frère. Je le déteste plus encore que l’assassin, je crois. « Je ne travaille pas avec Lou, on a juste le même objectif. J’entendais parler d’elle. Je l’ai cherchée. Je l’ai trouvée. Elle m’a dit la vérité sans hésiter. C’est aussi simple que ça. » Je déglutis en hochant la tête et je l’observe tirer et manquer la boule qu’il cible. « Son objectif c’est de nous enterrer. Tous, et moi comprise. » Il lui a donné la satisfaction, si ce n’est de le faire : je suis comme la vermine et dure à éradiquer - de me porter un coup presque fatal. Je ne termine pas ma phrase, la fin est évident : et vous avez les mêmes objectifs ? A-t-il été aveugle parce qu’elle lui a été utile ? Ou a-t-il fermé les yeux pour la même raison et parce que, comme j’en suis toujours persuadée, il n’a pas besoin de réfléchir lorsqu’il s’agit de faire un choix entre sa vengeance, pour Sofia, et moi ? « Et moi, comment tu m’as trouvée ? » Puisque c’est moi qu’il a approchée pour rejoindre nos rangs. Pourquoi moi. « Je m’entête aussi, la treize. » Et je m’entête nous concernant, mais ce n’est pas plus avouable que c’est sain et indolore.

Le dé   :