« Ce n’est pas ce que tu dis, mais ça y ressemble. » « Non arrête, ça n’a rien à voir. » Je campe sur mes positions puisqu’il ne m’accusera pas de soutenir Mitchell envers et contre tout et malgré ce qu’il m’a fait sans que je ne réagisse. « Il était question du Club, pas de Mitchell Strange. » Et du reste, je m’interromps puisque je surprends la lueur de détresse dans ses yeux, mal dissimulée derrière la colère et qu’elle me renverse. Qu’il la rendre évidente en me suppliant ouvertement de ce pas insister me bouleverse et je me tais. Je me tais puisque je sais que ce que je pense, ce en quoi je crois lui ferais du mal. Que cela bousculerai ses certitudes bien trop violemment et, égoïstement, je sais aussi que c’est à moi qu’il en voudrait.

Alors je lui propose de sortir, de prendre l’air mais j’ai du mal à cacher qu’il m’atteint. Heureusement il ne me regarde pas lorsqu’une larme roule sur ma joue - je crois - et j’arrive à m’en débarrasser sans qu’il ne fasse le moindre commentaire à ce sujet. « En me disant que ce n’était pas nécessaire. » L’était-ce que de nous gâcher ? Bien sûr, si je ne pense qu’à moi, j’ai envie de répondre que non. Que quelles que soit ses motivations elles ne pouvaient être plus belles ou noble que ce que nous avions et qu’il a pris le risque ou plutôt choisi la certitude de tout perdre pour une histoire vieille comme le monde : une gamine qui fait des mauvais choix, rencontre les mauvaises personne et s’enfonce dans des histoires dont on ne peut se dépêtrer. Je déglutis, difficilement, et je ne suis capable d’articuler aucune phrase sans que ma gorge ne soit serrée par l’émotion : dans ces conditions, je me tais. « Je ne me suis pas lancé là-dedans pour sauver tout le monde. Je ne... » Alors pourquoi ne renonce-t-il pas à sacrifier la masse pour le plaisir de voir tomber les coupables ? Pourquoi ne court-il pas après eux ? Je me tais, et je me promets de réfléchir à une solution, une pour lui, une pour le Club. « Je ne suis même plus certain de le faire pour moi. Je ne sais pas. Peut-être que tu as raison. Ce serait plus facile si j’avais pas l’impression d’être une impasse. » Pour qui le maintient-il en vie ce plan ? A-t-il l’impression de le devoir à Marshall, à Aberline à je ne sais quel allié qui l’aura aidé à le mettre en place ? A-t-il le sentiment que, si il fait couler l’organisation, il ne nous aura pas gâché pour rien ? « On devrait rentrer. J’ai besoin d’un autre verre et il faut finir la partie. » « Tu vas la gagner de toute façon. »

Je perds déjà et j’ai perdu ma concentration quelque part en chemin également. Mais je rajoute un sourire encourageant et, sans trop savoir pourquoi, je glisse ma main dans la sienne pour l’entraîner à l’intérieur. Je lui tends même mon verre puisqu’il en a plus besoin que moi. « Je te l’échange contre un coup d’avance. » Ce n’est pas mon tour, mais tant pis, je le négocie dans un sourire, plus pour renouer avec un peu de légèreté de ne pas briser la conversation que pour améliorer mes chances de l’emporter : je n’y crois plus. Je le lâche sa main que lorsque j’y suis obligée, lorsque c’est mon tour et elle glisse doucement de la sienne en caressant ses doigts. « La quatorze. Un sourire si je la mets. » Un de sa part, évidemment, et j'espère lui en soutirer un quel que soit l'issue de mon tour.

Le dé   :

Mon geste, Ma main qui glisse dans la sienne, je ne l’ai pas anticipé. Ce n’est pas le résultat de ma pitié et encore moins d’une basse manoeuvre pour l’endormir, gagner sa confiance et en profiter pour cracher dessus en retour. C’est une nécessité, pour moi parce que l’émotion est palpable, que je me sens fébrile et que mes peau à peau avec lui m’ont toujours apporté bien plus d’apaisement que le plus fort des joint, aussi doux et innocents soient-il. Ca l’est aussi pour lui, parce que je sens que mes propos et mes vérités, je les distille pourtant, le troublent plus que de raison et le poussent à se poser trop de question pour ce qu’il est capable de traiter ce soir, pour l’instant.

J’entremêle mes doigts aux siens, je cherche dans son regard la confirmation qu’il se laissera entraîner à l’intérieur et l’assurance que mon geste ne le dérange pas, et je l’entraîne. En d’autres temps il m’aurait attirée à lui, il aurait passé son bras autour de mes épaules pour respirer mon parfum dans mon cou et coller son torse contre mon dos, nous aurions progressé difficilement comme un seul homme mais ce simple contact, aujourd’hui, représente déjà beaucoup. « Essaie d’en faire quelque chose. J’ai pas encore gagné. » Je grimace, en regardant la table : il a un coup d’avance et c’est à lui de jouer, mais je suis dure en affaire et je veux la gagner, cette question. Même si j’ignore encore la forme qu’elle prendra. « Ça marche. » Ses lèvres se tordent en une grimace que j’ose qualifier de début de sourire et j’y réponds avec franchise. Je me penche, je me concentre pour ne pas rater ma chance mais, même dans ces conditions, la bille passe à plusieurs centimètres du trou. « J’ai précisé que c’était il y des années qu’on avait démonté la table de billard du bar ? Que je me souviens vraiment à peine de quand on jouait ? » Je tente de me justifier, je joue et je lui tire un sourire. « Tu sais, si c’est l’enjeu qui te plaît pas, on peut en changer. » « Tu souris, j’ai déjà gagné. » Il annonce l’une de ses deux billes restantes, l’empoche elle aussi et moi je grimace. « Tu es impitoyable. C’est toi qui n’a pas envie que je gagne. » Quels secret a-t-il encore à cacher pour ne me laisser aucune chance ainsi ? La blague me traverse l’esprit, mais je me dis que dans les circonstances actuelle elle est de mauvais goût. J’annonce la neuf, qui me semble la mieux placée et je tire à mon tour.

Le dé   :

« Tu me l’as dis oui ! Je ne sais pas si c’est une excuse puisque la dernière fois que j’y ai joué doit remonter à quoi ? Mes trente ans ? » C’est affligeant que je suis mauvaise. Il m’a suivie dans ma médiocrité en début de partie mais a remonté efficacement le score, si bien que je le soupçonne d’avoir fait exprès au début et de perdre patience à présent parce qu’il est fatigué de jouer, fatigué de cette journé et qu’il ne désire plus que rentrer. Ce serait compréhensible : elle a été éprouvante, pour nous deux, et j’aurais la même hâte si j’avais une certitude quand à la date de ma prochaine sortie : il en est décisionnaire et je compte bien profiter de chaque seconde qu’il m'octroiera. Une fois le soleil tombé, j’accepterai docilement que nous reprenions le chemin de la voiture puisqu’il estimera que la nuit favorise l’appel de mes démons et qu’il n’aura pas réellement tort. « Fausse bonne excuse. Tu perds parce que je gagne toujours. » Je lève un sourcil et, si je n’ai pas forcément le coeur à plaisanter et à entretenir une conversation légère je m’y force : nous en avons besoin tous les deux. « Tes trente ans c’était avant ou après que les billes en ivoire soient remplacées par des matériaux de synthèse ? Ou y jouait déjà sur table c’était encore sur terre avec des croquets à la place des queues ? » Je renoue avec ma spontanéité, je lui fais confiance pour désépaissir la lourde atmosphère de la soirée.

Sauf qu’il empoche sa bille et que la victoire me paraît à présent impossible. « Et si, je voulais que tu gagnes en réalité. » Je relève un regard étonné vers lui, et je l’interroge de mes prunelles. « Tu aurais eu la garantie d’une réponse, c’était t’ouvrir les portes sur la question qui te brûle les lèvres, mais que tu n’oses pas poser. » Je penche la tête et je l’observe. Il se détourne, troublé et sous prétexte de jouer mais il rate : c’est ma bille qu’il met à la place de la sienne. « La neuf c’était une des miennes. » Je plisse les lèvres et je l’interroge. « Tu fais exprès de perdre ? Tu sais que je pourrais mal le prendre ? » J’esquisse un sourire en faisant le tour de la table. « J’ai besoin de gagner, d’un pari pour avoir la garantie d’avoir les réponses à mes questions ? » Il a parlé au singulier, je m’exprime au pluriel puisqu’il doit se douter que je n’en ai pas qu’une. Celle que j’aurais décidé de poser en cas de victoire - je ne crois toujours pas plus en mes chances - elle est déjà déterminée, même si moi je l’ignore encore. « Je veux gagner à la loyale ou perdre avec élégance. La treize. »

Le dé   :

Il lance la gomme dans ma direction et je dois admettre que je ne suis pas peu fière de moi : la blague est téléphonée, il est plus âgé que moi et nous avons depuis longtemps statué que cela ne me dérangeait pas, mais elle le fait sourire et je n’en demandais pas autant. De plus, i entre à nouveau dans mon jeu quand je l’accuse de faire semblant. « Exprès de perdre ? Est-ce que tu te souviens quelles couleurs tu joues ? Vise un peu la table, qui gagne qui perd à ton avis ? » Je ne la regarde pas la table, je garde mes prunelles braquées dans les siennes au contraire. « Je suis juste meilleur...mais en étant nul. ça donne une idée de ton niveau. Tu es aussi douée que derrière un volant. » « En attendant, j’étais en état de conduire. » C’est de bonne guère je dois l’admettre, et ça me propulse en arrière jusqu’à Fraser Island, jusqu’à notre expédition qui partait déjà mal - je ne sais pas ou peu conduire - et qui s’est terminée par une voiture embourbée mais pas des baisers brûlants. Il met l’une de mes billes et je ne peux m’empêcher de le houspiller.

« Je sais à quoi ça ressemble, mais je jure que je suis trop fier pour te laisser gagner sans me battre sérieusement. »
« Est-ce que tu te souviens quelles couleurs tu joues ? »

Je répète ses mots, je m’en amuse comme une enfant mais, lorsque vient mon tour de jouer, je rate plutôt que de réussir à profiter de l’opportunité de recoller au score que son échec aurait pu m’offrir. Tant pis, il lui reste une bille à jouer et je me fais peu d’illusions : quelles que soient les question que j’aurais pu poser et les réponses qu’il m’aurait apportées, je ne les remporterai pas ce soir. « Tu as la garantie d’obtenir une réponse à toutes les questions que tu poses. Réponse sincère en plus. Je te parle de celle que tu n’oses pas poser parce que tu as peur de ce que je pourrais dire. Ne me fais pas dire ce que je n’ai pas dit. » Il plonge ses yeux sans les miens et, troublée, je ne suis rien capable de faire de plus que de hocher doucement la tête dans un geste presque imperceptible. « Je présume que je vais jouer la dernière qui me reste. Prête ? » Je fais mine de mettre une main devant mes yeux pour ne pas assister à la boucherie : c’en est une, il me bat à plate couture même avec deux handicap : le tour que j’ai joué en plus et sa faute. « Victoire méritée. Je suppose qu’on ne saura pas quelles sont les questions qui me font peur. » Et que je n’aurais pas à y réfléchir : mon subconscient les connaît, il n’est question que de les admettre. « C’est un beau match, même si je te ferai pas l’affront de dire que c’était serré. Tu m’offriras une revanche à l’occasion ? »