« T’as un sourire de gamin. » il peut bien avoir la tête enfouie dans le frigo, je sais très bien reconnaître un sourire qui flotte de lui-même sans avoir besoin de plus de preuves.

Dans la pièce d’à-côté, Auden s’enflamme, Auden s’emballe, Auden a une nouvelle vendetta et il ne se gênera pas pour brusquer qui que ce soit simplement pour le plaisir de le faire. Val, elle, ne donne pas sa place, et mord dans tous les os qu’on lui lance avec le feu que je lui connais bien. Que j’admire d’elle aussi, sans m’en cacher le moindrement. Je resterais en retrait dans la cuisine si je pouvais, à écouter leur voix résonner en choeur sur les murs de la maison. Je les observerais à distance, curieuse de voir jusqu’où l’un et l’autre irait dans son discours enflammé. Je compterais les points, j’esquisserais des pénalités, je jouerais à l’arbitre toujours à deux doigts d’éclater de rire, le regard brillant et l’intérêt décuplé d’assister au spectacle qu’ils finissent toujours par mettre en place, lorsqu’Ugo nous invite à dîner. Ugo, d’ailleurs, semble toujours investi dans sa mission enfouie au fin fond du réfrigérateur, sans que je sache si je peux vraiment l’aider ou si m’éclipser en cuisine avec lui n’était qu’une façon détournée de laisser à sa femme et à mon mari l’espace nécessaire autour de la table pour se lancer des coupes pleines et des opinions tranchées à la tête dans le plus grand espace carré. « Il aurait dit ‘un sourire d’idiot’. » parlant d’Auden, j’en profite pour rectifier le tir et retirer le cliché qui flotte. Je connais Ugo depuis bien moins longtemps qu’il connaît Auden, et je peux très facilement concéder qu’il serait mille fois plus apte que moi à catégoriser la manière dont son meilleur ami le décrit. N’en reste que lorsque je me hisse sur l’un des bancs en bordure de l’îlot de travail, j’ose mettre des mots dans la bouche de l’homme que j’aime sans penser une seule fois me tromper.

Chaque visite ici est plus mémorable que la précédente. Chaque dîner laisse des éclats de rire en bordure, des conversations hautes en couleurs qui résonnent jusque dans la voiture sur le chemin du retour, et où Auden me donne l’impression d’être heureux. Où on l’est, tous les deux. « On a une jolie vie, quand même. Avoue. » je ne doute pas une seule seconde que l’effet est similaire ici. Ugo et Valentina sont toute une équipe, du haut de mes quelques années en moins. Les voir mener une maison et une famille avec une main de fer, assister à leurs regards complices et aux pointes qu’ils se lancent l’un l’autre les fossettes de malice amoureuse creusant leurs joues me remplit toujours d’une certaine fierté égoïste d’avoir le droit de les voir, d’assister à leur vie par miettes.

La maison en entier dégage un parfum qui me rappelle l’Italie même si je n’y suis allée que peu de fois. Fermer les yeux me propulserait en Toscane, j’en suis persuadée, tellement chaque pièce et encore plus la cuisine embaume les plats réconfortants, aussi gourmands que possible. J’ignore si Ugo a passé des heures à préparer un repas élaboré ou s’il s'est contenté de commander à un restaurant italien pour remplir des plats et mentir sur leur provenance, mais dans les deux cas ce serait mentir de dire que j’en ai quoi que ce soit à faire. Profitant du fait qu’il est toujours occupé avec Dieu sait quoi dos à moi, je quitte l’îlot pour dériver vers le four, devant lequel je me recroqueville pour scruter ce qui peut bien doucement cuire à l’intérieur. Avec un peu de chance, je pourrai peut-être même piquer une bouchée sans qu’Ugo ne s’en rende compte. De la salle à manger, les éclats de voix d’Auden et de Val se sont légèrement tus. Et les connaissant, c’est soit une excellente nouvelle, soit une violente menace.



@ugo de luca

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« T’as un sourire de gamin. » Et, elle a raison. Il n’est pas compliqué d’entendre son épouse et son meilleur ami échanger dans la pièce voisine. « Il aurait dit un sourire idiot. » Ugo se redresse pour jeter un coup d’œil vers Ginny. « Et il aurait sans aucun doute dit ça avec le même sourire débile au visage … », précise-t-il alors qu’il a enfin trouvé ce qu’il cherchait depuis quelques minutes au fond du réfrigérateur, lui le gourmet italien toujours à la recherche de la saveur locale. Rassuré désormais qu’il a l’ingrédient manquant, il s’approche alors de l’îlot auprès duquel Ginny s’est déjà trouvé une place. « On a une jolie vie, quand même. Avoue. » La remarque l’attendrit. Il n’en pense pas moins. Il s’avoue bien trop souvent chanceux d’avoir trouvé une partenaire comme Val après qu’il s’est lui-même brisé le cœur. Il s’avoue tout aussi heureux de pouvoir voir ses enfants grandir et s’épanouir. Il aime voir son épouse devenir mère, s’épanouir comme mère. Ils découvrent ensemble les nouveaux challenges qu’apporte la parentalité. Ouais, il est heureux. Parfois, ça en est même trop … et la peur de voir tout s’arrêter pointe le bout de son nez dans un coin de son esprit.

« Je plaide coupable … mais rassure-moi, ce sont les odeurs qui s’échappent du four qui te rendent si heureuse … ? parce que j’ai fait mon maximum pour essayer de répéter une recette de ma mère … histoire d’avoir le sentiment d’être à la maison, ici, en Australie. » Il relève la tête vers elle … et quand il la voit devant la porte du fou, son sourire s’élargit. « Interdiction d’ouvrir cette porte, Ginny ! » Il essaie d’avoir un air autoritaire … en vain. « Attends ! » Il lève son index, tend l’oreiller vers la pièce voisine, « est-ce qu’on devrait rester encore un peu ici ? » Sourire complice et il désigne d’un signe de tête la bouteille de vin posé sur l’îlot central. « J’crois me souvenir que les meilleures contre soirées ont lieu dans les cuisines … et on veille jusque à ce que le dîner ne soit pas ruiné … », ajoute-t-il avec un air totalement innocent.

« Et il aurait sans aucun doute dit ça avec le même sourire débile au visage … » « Je parlerai pas sans la présence de mon avocat. » qu’Ugo essaie de mettre Auden dans le même bateau me fait éclater de rire. Ils sont de vrais gamins l’un avec l’autre, d’aussi loin que je puisse en témoigner. Eux-mêmes y ajouteraient quelques années de plus au compteur. Des enfants qui jouent toujours à celui qui parle le plus fort, à celui qui embête l’autre le mieux. Mon rire, même s’il pétille dans la pièce, n’arrive pas à enterrer les arguments que se lancent Auden et Val au visage. Des enfants, eux aussi. « Je plaide coupable … mais rassure-moi, ce sont les odeurs qui s’échappent du four qui te rendent si heureuse … ? parce que j’ai fait mon maximum pour essayer de répéter une recette de ma mère … histoire d’avoir le sentiment d’être à la maison, ici, en Australie. » un coup d’oeil par-dessus mon épaule lui confirme qu’il en fait trop. Ugo cuisine bien ; qu’il prenne le compliment de mes regards brillants et de mon appétit qui augmente à la seconde où je passe la porte de chez lui. Auden m’a appris à apprécier la cuisine italienne comme il se doit, et s’il me gave depuis que j’ai emménagé officiellement chez lui - et bien avant ça, soyons honnêtes, les tiramisus cuisinés entre deux baisers le matin pour être engloutis au beau milieu de la nuit suivante à la lueur des chandelles y aident pour beaucoup. « Ça goûtera jamais pareil. » je le taquine, pourtant, l’encourage dans ses retranchements, en pouffant rien que d’imaginer la mine déconfite qu’il risque d’arborer maintenant que je dévisage ce qui se cache derrière la porte du four. « Profite pendant que ça passe. Demain je redeviendrai l’artiste maudite et dépressive. » ce qui me rend si heureuse, Ugo, c’est que pour la première fois de ma vie il n’y a rien qui menace de se briser. Rien qui menace de casser entre mes mains. Pas d’histoires d’amour inégales, pas de parents prêts à broyer mon bonheur fragile, pas de disputes, pas de trahisons, pas de secrets, rien, rien du tout, rien d'autre qu’Auden, moi, et ce nous qu’on construit comme des grands, enfin.

Ugo s’élance dans la cuisine à la seconde où mes mains attirent la porte vers moi. « Interdiction d’ouvrir cette porte, Ginny ! » « Mauvais joueur! » les disputes et autres enfantillages du salon se transportent dans la cuisine, alors que je me décale sur le côté encore plus hilare que tout à l’heure. « Attends ! » alors que je croyais avoir été bannie de la cuisine, Ugo me retient d’un coup d’oeil vers la bouteille de rouge déjà à peine entammée sur le plan de travail. « est-ce qu’on devrait rester encore un peu ici ? » je fais un pas vers l’armoire où il cache les verres, puis un autre. « J’crois me souvenir que les meilleures contre soirées ont lieu dans les cuisines … et on veille jusque à ce que le dîner ne soit pas ruiné … » hochant de la tête comme s’il s’agissait du plus gros et épuisant des sacrifices, j’ouvre le placard pour en sortir deux coupes, rebroussant chemin rien que pour rejoindre la pauvre bouteille que nous deux, pauvres sacrifiés, devront pauvrement déguster. « On le fait… » une première coupe pleine que je lui tends, « … pour sauver l’honneur… » une seconde, toute aussi pleine, que je porte à mes lèvres, « … et cette recette pour laquelle ta mama te tuerait si tu la rates. » après l’avoir fait tinter sur celle d’Ugo. La première gorgée est aussi gourmande que fruitée. Et d’un bond, je me hisse sur l’îlot pour m’y installer confortablement, comme une gamine mal élevée. Assez mal élevée pour tapoter l’espace à ma gauche et l’inviter à venir se percher lui aussi. « Y’a des discussions, tu sais. » une fois que j’ai posé ma coupe près de moi, j’en profite pour passer aux choses sérieuses. Autant sérieuses puissent-elles être. « J’aimerais vivre ça avec lui. » les discussions, les fameuses, sont à propos d’un enfant. Auden veut un enfant, avec moi. Et si jamais je n’aurais cru vouloir me replonger dans ce qui avait été plus qu’un traumatisme avec la grossesse et la maladie de Noah, j’ai vraiment, vraiment envie d’avoir un enfant avec lui, moi aussi. « Quand est-ce que t’as su que tu voulais vivre ça avec elle? » reprenant mes mots, je tourne la tête vers Ugo avec toute la curiosité aussi mal placée que bien intentionnée qu’il me connaît.

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« On le fait… » un sourire idiot prend place alors qu’il tend le bras pour s’emparer du verre tendu, « … pour sauver l’honneur… » hochement d’un signe de tête avant de porter son verre à ses lèvres, « … et cette recette pour laquelle ta mama te tuerait si tu la rates. » « Impossible de la rater. » Impossible car il avait pratiqué plusieurs fois, et il n’était pas du genre à prendre des risques fous encore moins quand il y avait Auden dans la pièce voisine. Il ferme les yeux exagéremment à la première gorgée et hausse les épaules en la voyant tapoter à côté d’elle. Il ne lui faut pas plus de trois secondes pour se retrouver à ses côtés, verre entre les mains et regard posé sur elle. « Y’a des discussions, tu sais. » La curiosité de l’italien est piquée à vif. Il fronce les sourcils tout en essayant d’en savoir plus rien qu’à la regarder. Mais il ne sait pas vraiment de quoi il s’agit. Quel genre de discussions ? « J’aimerais vivre ça avec lui. » Ses lèvres forment un « oh » car il comprend et il ne peut pas s’empêcher de boire une nouvelle gorgée de son verre. « Quand est-ce que t’as su que tu voulais vivre ça avec elle ? » « Woh ! », lâche-t-il dans un éclat de rire. « Je ne sais pas si on peut vraiment tirer quoique ce soit de ce qu’est notre relation et de la manière dont nous avons pris nos décisions. » Il lève les yeux au plafond en se souvenant des propos prononcés par ses amis quand il avait annoncé épouser la femme qu’il avait rencontré quelques mois plus tôt. Mais il était convaincu : quand on sait, on sait. Il pose son verre à côté de lui. « A la minute où elle m’a tenu tête, j’ai su que si je devais fonder une famille, elle serait la partenaire parfaite. Je n’ai pas eu la moindre peur, le moindre doute … », il hausse les épaules.

« Si tu me dis que tu aimerais vivre ça avec lui, c’est le timing qui t’inquiète … ou ? », il cherche son regard en se rendant compte qu’il se fait peu prudent, peu pudique mais après tout, elle a lancé le sujet et il n’est pas doué pour ne pas être direct.

« Impossible de la rater. »
« L’orgueil. »

Un roulement d’yeux répond à son soupir. Ugo et Auden pourraient se retrouver dans un atelier de broderie sur papier de soie que tous les deux se vanteraient d’être les champions internationaux invétérés simplement pour avoir l’ascendant sur l’autre. Ils sont aussi adorables que ridicules, et je ne me cache pas de leur faire remarquer dès qu’ils portent attention à autre chose qu'à leurs tableaux de comptes personnels et partagés. « Woh ! » du haut de l’îlot de travail, je vois qu'Ugo est un brin déstabilisé par ma question. C’est marrant, ça. Je sais bien qu’Auden ne discute pas ou peu de ce genre de choses avec lui, qu’ils s’en tiennent à l’essentiel et qu’ils le vivent très bien ; mais j’ai toujours eu ce drôle de lien avec Ugo, où mettre des filtres, arrondir les coins ou même rester floue sur mes idées ne me venait tout simplement pas à l’esprit. Il y a quelque chose chez lui, sa franchise d’italien sans pincette aucune, sûrement, qui suffit à ce que je ne sache que répondre du tac au tac dès qu’il m’en donne l’occasion. « Je ne sais pas si on peut vraiment tirer quoique ce soit de ce qu’est notre relation et de la manière dont nous avons pris nos décisions. » c’est justement pour cela qu’on peut, que j’ai envie de dire. Mais je me tais, ramenant une jambe vers moi pour appuyer mon menton sur mon genou. Gamine à l’écoute. Attentive entre les gorgées de vin et les rires, j’attends qu’Ugo poursuive sans le brusquer. « A la minute où elle m’a tenu tête, j’ai su que si je devais fonder une famille, elle serait la partenaire parfaite. Je n’ai pas eu la moindre peur, le moindre doute … » « T’adore l’enfer qu’elle te fait vivre, hen? » à mon tour de parler avec un sourire dans la voix, constatant avec plaisir que leurs petites guerres de tous les jours sont probablement ce qu’il trouve de plus précieux à leur couple. C’est beau, c’est vrai. C’est eux.

« Si tu me dis que tu aimerais vivre ça avec lui, c’est le timing qui t’inquiète … ou ? » « Bizarrement, c’est la première fois où tout est au bon endroit au bon moment. » à peine j’ai laissé Ugo terminer sa phrase que j’ai renchéri de la mienne. Il n’y a absolument aucun doute de mon côté, et le réaliser il y a peu m’a fait vivre tout un paquet de vertiges. Je n’ai jamais été sûre de rien, jamais été en paix avec quoi que ce soit, vraiment. Sauf l’idée de vouloir passer le reste de ma vie avec Auden, et de créer une famille avec lui. Depuis que je l’ai compris, le reste est devenu flou, superflu. « On a essayé de vivre ça tellement souvent, et ça a jamais marché à ce point. » des années à se briser le coeur, à se retrouver pour le recasser morceau après morceau. Et enfin on semble avoir trouvé la bonne manière de faire. Enfin, on a trouvé un air d’aller qui nous convient, qui nous rend bien, heureux. Qui va vite, pour ceux qui ne réalisent pas qu’on se connaît depuis presque quinze ans. Je peux les comprendre, ceux qui nous voient. Eux qui doivent se questionner sur l’emménagement, le mariage, les enfants à peine quelques semaines après s’être enfin dit tous les deux, au même moment, qu’on s’aimait. Si quelqu’un peut bien nous comprendre par contre, c’est Ugo.  « Je suis pas inquiète du tout, en fait. Je profite. » une gorgée de vin plus tard, je laisse mes jambes battre la mesure, mes doigts pianotant sur le plan de travail. « Ça ne te donne pas l’impression parfois, de pas être dans la même équipe que Val? Qu’elle te tienne tête… » à mon tour de lui renvoyer une question un brin plus difficile. Mais s’il sait bien quelque chose, c’est qu’il ne s’agit pas d’un piège. Juste de la saine curiosité.

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« T’adores l’enfer qu’elle te fait vivre, hen? » Un haussement d’épaules, il affiche la posture du perdant. Mais, il aime en effet l’enfer qu’elle lui fait vivre. Il aime tout chez elle, y compris les petites choses qui pourraient normalement vous agacer. C’est ça finalement le vrai amour et il avait eu la chance de le trouver en Valentina … la candeur des années parfaites. Il devrait en profiter car son mariage finirait par s’étioler, comme cela arrive à de nombreux couples … les rendant moins spéciaux, juste normaux. « Bizarrement, c’est la première fois où tout est au bon endroit au bon moment. » Ses yeux s’écarquillent. Il est ravi, curieux et impatient … ne peut pas s’empêcher de lâcher un « oh » peut-être un peu trop enthousiaste car cela sonne comme un « mais » qui ne devrait pas tarder à arriver. « On a essayé de vivre ça tellement souvent, et ça a jamais marché à ce point. » Désormais, il devient l’oreille prudente qui écoute et qui ne précipite rien. Elle se livre et il ne veut surtout pas l’effrayer avec un peu trop d’enthousiasme. « Je suis pas inquiète du tout, en fait. Je profite. » Il arque un sourcil et avale une gorgée de son vin pour ne surtout pas creuser. Car, il a envie de creuser Ugo. Il a envie de creuser sur le « profite ». Profiter le temps que ça fonctionne car elle pense que ça pourrait être éphémère. Oh oui, il a envie de creuser mais il sait que … parfois – souvent ?! – il est un peu trop curieux. Le temps qu’il réfléchisse à la meilleure des réponses, elle le prend de court et lui pose une question qui a quelque chose de surprenant. « Ça ne te donne pas l’impression parfois, de pas être dans la même équipe que Val? Qu’elle te tienne tête… » Un sourire amusé se dessine sur ses lèvres. « Tu es envoyée par Val ? C’est un test ? », qu’il dit avec une fausse prudence, la voix rieuse. « Franchement ? Parfois --- oui, parfois, ça m’arrive de me poser la question … notre mariage est fait de compromis et parfois, oui parfois, j’ai peur qu’on finisse par perdre quelques morceaux de nous-même à force de vouloir trouver une certaine harmonie … mais dans le fond, je sais que nous sommes qu’une équipe … dès qu’il y a eu les enfants dans l’équation, il n’y avait plus de doute. Quoiqu’il se passe, quoiqu’il se passera … on sera toujours obligés et contraints d’être une équipe, pour les enfants. » Il agite son index, « C’est sans doute ça le truc … se dire que la personne avec qui tu fonderas une famille sera à jamais présente dans ta vie … que tu le veuilles ou non. Auden peut être un tantinet chiant … attachiant … je pense que tu t’en tirerais pas trop mal … »

Ugo est aussi transparent qu’un mouchoir sous un néon - je vois tout de suite, entre son “oh” et cette gorgée de vin qu’il éternise qu’il a quelque chose en tête et qu’il l’y garde. « Vas-y, parle, j'ai pas peur de toi. » je peux bien me moquer, heurter son épaule de la mienne et laisser mes fossettes se creuser sur mes joues, n’en reste que quelque chose, à quelque part dans mon discours, l’a fait tiquer. J’ignore si c’est parce qu’il est dans la vie d’Auden depuis des millénaires et que par défaut, il a gagné ma confiance pleine et entière, mais Ugo fait partie de ces gens avec qui je n’ai pas peur de dire les choses. D’entendre les questions qui piquent, de prendre le temps pour y trouver la bonne réponse, celle qui est vraie et vulnérable. Patiente, j’attends qu’il explique ce froncement de sourcil si subtil qu’il pourrait se demander comment j’ai réussi à le percevoir aussi facilement. D’une question à une autre.

« Tu es envoyée par Val ? C’est un test ? » faussement sérieuse, bien trop pour l’être vraiment, je redresse le dos et affiche l’air le plus sévère que j’ai en banque. « Évidemment. Et tout ce que tu vas dire à partir de maintenant sera utilisé dans ma déposition, attention. » mes menaces sont un total flop, j’éclate de rire la seconde d’après. L’un pourrait me parler de l’autre en long et en large que personne ne le saurait. Même Auden ne connaît pas les secrets que Val ou Ugo me livrent sur eux, sur leur quotidien, sur cette vie qu’ils me donnent l’impression de maîtriser avec brio malgré tout ce qui pourrait leur mettre des bâtons dans les roues. Évidemment, j’ignore que Val commence lentement, doucement, à vouloir trouver plus, à chercher mieux. C’est probablement ce pourquoi je suis aussi investie à la conversation que l’est Ugo. Aujourd’hui est un beau moment. Aujourd’hui, tout va bien. Autant pour eux que pour nous. « Franchement ? Parfois --- oui, parfois, ça m’arrive de me poser la question … notre mariage est fait de compromis et parfois, oui parfois, j’ai peur qu’on finisse par perdre quelques morceaux de nous-même à force de vouloir trouver une certaine harmonie … mais dans le fond, je sais que nous sommes qu’une équipe … dès qu’il y a eu les enfants dans l’équation, il n’y avait plus de doute. Quoiqu’il se passe, quoiqu’il se passera … on sera toujours obligés et contraints d’être une équipe, pour les enfants. » sa franchise me touche en plein coeur, j’espère qu’il le ressent. C’est facile de voir en Ugo l’italien typique, le macho qui prend de la place, qui parle fort, qui glisse ses émotions sous le tapis. Pourtant il ne m’a jamais donné l’impression d’être autre chose qu’un homme qui assume autant ses qualités que ses défauts. Ses réussites que ses questionnements, ses doutes et ses échecs. « C’est sans doute ça le truc … se dire que la personne avec qui tu fonderas une famille sera à jamais présente dans ta vie … que tu le veuilles ou non.  Auden peut être un tantinet chiant … attachiant … je pense que tu t’en tirerais pas trop mal … » bourrée de gratitude qu’il me donne ainsi accès à ses pensées et à son ressenti face à tout ça, je prends le temps de le laisser redescendre avant de remplir sa coupe et la mienne au passage. « Je serais pas amoureuse de lui s’il était autrement.» et l’inverse est toute aussi vraie. Il ne serait pas fou de Val si elle n’était pas Val justement. On ne voudra pas fonder de famille avec eux s'ils n'étaient pas eux.

« Quels morceaux? » la question remonte entre deux gorgées, c'est à mon tour de rebondir sur quelque chose qu’il a bien pu dire. Sans la moindre mauvaise intention, je me décale un brin sur l’îlot pour pouvoir plonger mon regard dans le sien. « Quels morceaux tu as perdus. » j’essaie de chercher à même ses iris, peut-être que j’y verrai les trous, ce qu’il a essayé de colmater, comment il l’a fait, pourquoi il les a donnés, ses morceaux. Pourquoi il les a perdus. « Je te dis les miens si tu me dis les tiens. » ma coupe tinte sur celle d'Ugo et mes fossettes reprennent leur place sur mes joues.

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« Je serais pas amoureuse de lui s’il était autrement. » Il lui offre un sourire complice et porte son verre à ses lèvres pour en boire une gorgée avant de jeter un coup d’œil vers le four, s’assurant que tout était encore en ordre. « Quels morceaux? » L’italien tourne la tête vers elle, un sourcil arqué, essayant de se souvenir de l’écho de cette question. Oh ! Les morceaux de soi-même perdus au cours des compromis qu’imposait un mariage. Il finit par reprendre place à ses côtés. « Quels morceaux tu as perdus. Je te dis les miens si tu me dis les tiens. » Donnant-donnant. « Normalement, il me faut un peu plus d’un verre pour commencer à parler de mes petits secrets et de mes sentiments mais parce que c’est toi … je fais une exception », commence-t-il par dire tout en dodelinant de la tête, détournant finalement le regard pour fixer le vide. Les morceaux qu’il avait perdu, fallait-il en sortir la liste après ces années de relation, de mariage ? Ou était-ce à la fin difficile d’en dresser la liste ? A bien y réfléchir, il ne savait pas si c’était simple ou compliqué d’en dresser la liste. Les sourcils se froncent un instant ; preuve qu’il se met à creuser dans ses pensées, son esprit. « Hm … tu vois, j’ai de plus en plus de difficultés à les énumérer ces morceaux … », un sourire complice, « et je crois que je dois ça à Val. On perd des petits morceaux de soi-même mais on en gagne des nouveaux grâce à son, sa partenaire. Le fait que je dise ce genre de truc à voix haute, c’est ce que j’ai gagné … j’ai toujours été un peu trop prudent, un peu trop pudique, un peu trop sur la réserve, avec cette peur de toujours prendre le moindre risque. Certains diront calculateurs », il agite la main car c’est ce que disent les mauvaises langues sur lui, « moi, je dirais prudent et observateur. J’ai toujours été un peu sur la réserve et j’ai dû apprendre à sortir des coulisses. Val est solaire, t’es obligé de sortir des coulisses … » Peut-être comme Auden. Intransigeante. Sure d’elle. Solaire. Indépendante. Elle prenait de la place sans le vouloir, sans le savoir. Il avait appris à briller dans son ombre et une fois encore, il parlait d’elle en la mettant sur un piédestal. Toujours.

Ugo quitte l’îlot au même moment où il tente - je dis bien, tente - de donner l’impression que je lui tords le bras. Dans un sourire en coin qu’il ne verra pas puisque je le résorbe aussi vite lorsqu’il détourne la tête et me regarde de nouveau, je le laisse se dédouaner en hochant la tête avec sérieux. « Normalement, il me faut un peu plus d’un verre pour commencer à parler de mes petits secrets et de mes sentiments mais parce que c’est toi … je fais une exception » « Je vais presque pleurer, c’est tant d’honneurs, vraiment. » je pouffe de rire aussi vite. Il n’a pas besoin de faire comme si ces sujets étaient difficiles. Comme s’il n’avait pas envie qu’on lui pose la question, comme si c’était mal de vouloir y répondre. Peut-être que jamais personne ne lui a demandé, peut-être même qu’Auden ignore tout ce qui se dit dans cette cuisine depuis qu’il remue vents et marées avec Val au salon. Peu importe. « Hm … tu vois, j’ai de plus en plus de difficultés à les énumérer ces morceaux … » rien ne pourrait m’empêcher d'être attentive à ce que peut dire Ugo maintenant qu’il s’est autorisé un air d’aller. et je crois que je dois ça à Val. On perd des petits morceaux de soi-même mais on en gagne des nouveaux grâce à son, sa partenaire. Le fait que je dise ce genre de truc à voix haute, c’est ce que j’ai gagné … j’ai toujours été un peu trop prudent, un peu trop pudique, un peu trop sur la réserve, avec cette peur de toujours prendre le moindre risque. Certains diront calculateurs » pour quelqu’un qui n’avait pas l’intention de creuser trop profondément, Ugo m’épate avec sa générosité. C’est facile, de l’écouter. De comprendre aussi, accessoirement, pourquoi il est fou d’elle et pourquoi elle l’est de lui. « moi, je dirais prudent et observateur. J’ai toujours été un peu sur la réserve et j’ai dû apprendre à sortir des coulisses. Val est solaire, t’es obligé de sortir des coulisses … » « C’est effrayant. » je m’entends ajouter, autant pour lui que pour moi. Auden est solaire, autant il puisse en débattre. Il déteste le monde entier mais il attire simplement en posant un pied dans une pièce. Il tentera de garder tout le monde à distance, il m’a fait le coup des années avant de finalement entrouvrir la porte, un mince faisceau par lequel j’ai eu le droit de l’approcher. Mais le fond est le même malgré la forme qui change. Autant Auden que Val sont des forces en puissance, des béliers, des tanks. Ils ne donnent pas la place à l’hésitation, tout est noir ou blanc. J’ai vécu avec un camaïeu de gris derrière les yeux, je suis née dans le flou et j’y resterai probablement toute ma vie. Ugo semble être fait du même moule aussi, à sa manière. À peser les choses, à avancer pas à pas, à s’autoriser des pauses, des hésitations.

« Mais c’est pour ça qu’on est là je pense. » et pas seulement dans cette cuisine, à finir la bouteille de vin entre nos deux coupes, à surveiller un four duquel Ugo pourra sortir son chef d’oeuvre du jour d’une minute à l’autre. On est ici parce qu’on s’est collés à eux comme à du miel. Parce qu’ils sont le reflet de ce à quoi on aspire, de ce à quoi on rêve. « Parce qu’ils nous terrifient autant qu’ils nous fascinent. » mon sourire en coin revient de nouveau creuser une fossette sur mes joues. Que Val le terrifie, qu’Auden me terrorise, c’est marrant sachant à quel point ils sont aimés. Ugo comprendra que je parle de leur manière d’être et non de la personne en soi. Que c’est cette énergie qui fait peur autant qu’elle intrigue. « Je t’ai jamais trouvé calculateur, en passant. » à mon tour, j’abandonne le plan de travail pour aller chercher les assiettes, les couverts. « Ni prudent, ni pudique. Solide, oui. » fourchettes et couteaux en main, je redresse le regard pour retrouver celui d’Ugo au passage. « C’est pas une mauvaise chose. » ses mots résonnent encore, un peu. Ses morceaux, ceux qu’il a dû casser, ceux qu’il a jetés pour elle, et probablement aussi pour lui. Parce qu’il ne voulait que lui donner les meilleurs. « Elle a sacrifié quoi, elle, tu penses? » c'est une question que je devrais poser à Val, je sais. Mais sans surprise, c’est la réponse d’Ugo qui m’intéresse plus que celle de mon amie aujourd’hui.

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« C’est effrayant. » L’italien ne parvient pas à réprimer un éclat de rire sincère et bien trop naturel pour laisser proie au doute. Cette remarque s’est échappée naturellement. Et il la comprend mieux que personne. Il aurait pu la prononcer lui-même quelques années plus tot. « Oh oui, ça l’est », confirme-t-il en hochant la tête car il en avait eu la peur bleue mais finalement … il avait fini par s’y épanouir, dans la lumière de son épouse. « Mais c’est pour ça qu’on est là je pense. » Il se tourne vers elle et hausse les épaules. Ils sont ici, dans cette cuisine, loin du bruit … mais également ici, aux côtés de ces partenaires si particuliers. « Parce qu’ils nous terrifient autant qu’ils nous fascinent. » « Interdiction de leur dire à haute voix, ça ne ferait qu’encourager leur ego déjà surdimensionné », précise-t-il avec amusement, ne pensant pas une seule seconde ces paroles.

« Je t’ai jamais trouvé calculateur, en passant. » Il lève un sourcil alors qu’il s’approche du four pour éteindre ce dernier, mettant en marche le reste du processus dont Ginny semble avoir pris le contrôle. « Ni prudent, ni pudique. Solide, oui. » Leurs regards se croisent et un sourire a pris place sur le visage de l’italien. « C’est pas une mauvaise chose. Elle a sacrifié quoi, elle, tu penses? » La question ne devrait pas le surprendre … elle ne le surprend pas, elle le terrifie, oui c’est ça. L’idée qu’il ait pu faire prendre un autre chemin à son épouse le terrifie. Parfois, il se demande s’il ne lui a pas volé sa vie … ils sont heureux, certes mais elle aurait pu avoir une tout autre vie s’ils ne s’étaient pas précipités. Parfois, il se demande si elle ne le regrettera pas … un jour ou l’autre … parfois, il se demande s’ils ne vont pas finir par s’arrêter, se poser, regarder derrière eux et se dire : qu’est-ce qu’on a fait ? « L’idée qu’elle ait sacrifié quoique ce soit me terrifie, Ginny. » Un aveu à demi mots. Il sort le plat du four, essayant d’occuper son regard et ses mains. « J’espère qu’elle n’aura jamais l’impression d’avoir sacrifier quoique ce soit, qu’elle n’utilisera jamais un mot comme celui-ci --- mais je pense, hélas, qu’en effet, elle a dû s’adapter et mettre de côtés quelques idées, quelques principes --- pitié ne me dis pas sa réponse si jamais tu viens à lui poser la question. » Un semblant d’éclat de rire.