Elle a été surprise quand elle a reçu le SMS d’Amy après tout ce temps. Danika ne se souvient plus de la dernière fois où elle avait parlé à la demoiselle. Elles avaient échangé des messages pendant quelques années, prenant des nouvelles l’une de l’autre, apprenant à se connaître un peu plus. Mais cela faisait maintenant pas mal de temps qu’elles n’avaient pas réellement parlé. Dani avait appris qu’elle était à Brisbane mais depuis elles ne s’étaient pas vues.

Elle ne peut s’empêcher s’esquisser un sourire en pensant à Amy Castle, elle se souvient de leur première rencontre aux États Unis. Un coup du hasard, quelle était la chance pour qu’elle se laisse entraîner dans un dojo de judo par un des compétiteurs qu’elle avait rencontré ce jour-là. Amy était juste une gamine à cette époque-là, mais Danika s’était reconnue dans son côté rebelle, presque hyperactif.  Cela lui semble loin maintenant, une autre époque, des personnes différentes. Elle n’est même pas sûre de reconnaître Amy aujourd’hui, elle a pris le soin de bien regarder sa photo de profil. Elles ont échangé quelques messages mais ont très vite convenu d’un rendez-vous dans ce café. Dani est de l’autre côté de la rue, observe la devanture de Death before Decaf, une clope au bec. Elle a accéléré sa consommation elle s’en rend bien compte mais à vrai dire elle n’a pas grand-chose à faire. Death before Decaf dégage une atmosphère qu’elle a toujours apprécié. Un sentiment de réconfort, de sécurité pendant la journée, une sacrée bonne ambiance le soir. Elle voit la tête blonde familière entrer dans le café. Elle finit sa clope, elle ne sait pas trop de quoi elles vont parler. Dani a longuement hésité avant d’accepter ce rendez-vous.  Elle a l’impression d’être à des années lumières de la personne qu’elle était quand elle a rencontré Amy. Elle a peur des questions, questions qui vont amener des souvenirs désagréables. Dani en ce moment est plus du genre à enterrer le moindre souvenir, à avancer à l’aveugle. Mais elle garde un bon souvenir de la jeune femme, ne peut s’empêcher d’être curieuse de savoir ce qu’elle devient.  Alors elle écrase son mégot dans son cendrier portable et elle traverse la rue, entre dans le café et sourit en faisant signe à Amy. Elle-même a bien changé depuis la dernière fois qu’elles se sont vues, quelques années de plus, des cheveux bruns coupés courts au-dessus des épaules là où ils lui arrivaient au milieu du dos. D’autres diraient sûrement que le regard est plus froid, moins pétillant. Mais ici elle fait un effort, elle s’assoit en face de la jeune femme, son visage est ouvert, accueillant.

« J’ai failli par te reconnaître sans ton kimono, et avec tes dix centimètres au moins de plus » elle s’exclame.

« Dire que c’est la première fois qu’on se voit alors que pourtant ça fait un bail que tu as débarqué dans ma ville Castle ! »

Ma ville, alors que la ville était tout autant Amy depuis le temps qu’elle habitait là. Le ton est sur la plaisanterie, peut être un semi reproche de ne pas avoir organisé ces retrouvailles plus tôt. Le reproche vise autant la jeune femme femme qu'elle même. Ça lui fait drôle de ne plus avoir une gamine en face d’elle mais une femme de vingt ans. Elle sait d’avance que cette rencontre va lui foutre une claque, plus exactement la claque violente du temps qui passe. Mais elle est curieuse de la raison de cette reprise de contact. Dani a toujours apprécié cette amitié, elle est donc contente de la retrouver.  

Danika s’assied en face de la jeune femme,  ne peut s’empêcher d’être surprise du temps qui passe. Comme si parce qu’elles ne s’étaient pas parlé depuis plusieurs années, Amy aurait dû rester la gamine qu’elle avait été ou même comme si Dani aurait dû rester elle aussi la gamine du passé. Elle pense avec nostalgie à la version d’elle-même qu’elle était alors, en pleine montée internationale. A vingt ans, Danika avait rejoint les rangs des karateka mondialement connus, enchaînant compétitions à l’international, se créant une réputation d’adversaire redoutable sur un tatamis. Mais surtout elle avait fait honneur à son nom déjà bien connu dans le monde des arts martiaux. James Riley avait été sacré champion du monde à plusieurs reprises. Elle avait continué cet héritage jusqu’à une blessure au genou qui avait anéanti ses espoirs de continuer la compétition. Elle avait pourtant continué à s’entraîner et à enseigner, jusqu’à aujourd’hui du moins.

Elle sait qu’inévitablement ce sujet va être abordé, aimerait pouvoir raconter la vie de quelqu’un d’autre, supprimer ces derniers mois au moins. Elle essaye de ne pas y penser, sourit de plus belle quand Amy mentionne sa petite taille héritée de sa mère. C’est vrai qu’elle n’est pas bien grande, mais Danika du haut de ses un mètre soixante ne va pas faire la maligne, elle ne se considère pas comme particulièrement grande non plus. Quand l’américaine mentionne qu’au moins elles ont des choses à se raconter, le sourire s’affaisse un peu, les yeux s’assombrissent, elle force son visage à montrer un masque heureux sans grand succès : « C’est vrai… » A la proposition d’Amy de commander quelque chose Dani hoche la tête prend la carte devant elle alors qu’elle sait déjà ce qu’elle va prendre. Danika était depuis des années accrocs à la caféine, et celui de Death before Decaf était un des meilleurs de Brisbane.

« Je vais prendre un café je pense, tu prends quoi ? » demande-t-elle en appelant le serveur qui arrive avec un grand sourire pour prendre la commande.

Une fois que la commande est passée, le serveur repart, laissant les deux jeunes femmes à leurs retrouvailles Danika ne serait pas par quoi commencer. Cela fait tellement longtemps qu’elles ne se sont pas vues. « J’étais contente que tu reprennes contact, ça fait plaisir de te voir ! Alors Brisbane par rapport à Washington ? Ca va les US ne te manquent pas trop ? »

Il faut bien commencer par quelque chose, rattraper les années qui ont passé. Voir Amy est une bouffée d’air frais, cela la ramène à un temps innocent où tout allait bien et elle savoure les minutes avant de devoir détruire ce qui reste de ce temps-là par des réponses aux questions qu’elle aura sûrement en retour.

Amy commande un milkshake vanille qui ferait presque regretter son choix à Danika. Mais un café c’est déjà bien pour commencer, elle se dit qu’elle reprendra peut-être quelque chose de plus sucré plus tard. Effectivement on ne change pas une équipe qui gagne. La remarque fait sourire Danika, après avoir bossé dans des cafés et bars à de nombreuses reprises depuis qu’elle était ado, elle pouvait confirmer que c’était vrai. Les gens avaient la fâcheuse tendance à reprendre systématiquement les boissons qu’ils avaient préféré, même quand les dites boissons en question les avaient fait danser jusqu’au petit matin et leur avaient fait faire toutes sortes de conneries.

La jeune femme mentionne qu’elle n’a pas beaucoup de vieilles connaissances ici. Danika a dû mal à s’imaginer comment on peut partir à l’autre bout du monde pour y refaire sa vie. Elle avait vécu toute sa vie à Brisbane, bien que voyageant régulièrement depuis qu’elle était adolescente. Elle ne s’imaginait pas vivre ailleurs, sa famille, ses amis, son dojo était ici. Un pincement lui serre le cœur. Dojo dans lequel elle ne met plus les pieds mais qu’importe. Il était là, prêt à ce qu’elle revienne à n’importe quel moment et cela lui réchauffait le cœur. Elle s’imagine bien que Washington est très différent de Brisbane, elle y était allée une ou deux fois, c’était d’ailleurs là-bas qu’elle avait rencontré Amy. Toutes les villes qu’elle avait visitées aux États Unis lui avaient laissé cette impression d’être toujours en mouvement, comme si les gens étaient pris dans une course qui n’avait pas de fin. Elle, pour sa part, préférerait le calme de la ville de Brisbane, la mer pas loin et la paix que la ville apportait à son esprit.

Le serveur revient avec les boissons, Danika serre la tasse dans ses mains, sent l’odeur du café. Amy lui annonce que son père est revenu dans sa vie, la brune manque d’en renverser sa tasse. Cela avait été un grand sujet de conversation au début de leur amitié. L’américaine et son père absent, l’australienne avec une mère qui avait fait le choix de disparaître de sa vie. Elle porte la tasse à ses lèvres, en boit une gorgée. Amendes honorables. Renouer contact. Faire à nouveau partie de sa vie. Elle ne peut s’empêcher de penser à sa mère alors. Elle n’y a pas pensé depuis combien de temps ? Elle y avait pensé le jour de la mort de son père, elle s’était demandé s’il fallait la prévenir. Elle s’était rendu compte avec colère qu’elle n’avait dans tous les cas aucun moyen de la contacter. Que Laura Riley n’avait laissé aucun numéro de téléphone, aucun email avant de repartir en Colombie et que Danika n’avait pas cherché à trouver ces informations toutes ces années. « Tu m’étonnes. Tu as réagi comment ? Ca se passe comment avec lui maintenant ? » Elle est curieuse, ne peut s’empêcher de vouloir se projeter dans cette idée, elle se prend à imaginer ce qui se passerait si demain sa mère sonnait à la porte de son appartement. Quelle serait sa réaction ? Qu’est ce que Laura dirait ? « Je ne sais pas comment j’aurais réagi si ma mère avait débarqué comme ça. Je crois que si je la voyais je devrais me retenir pour ne pas lui foutre mon poing dans la figure ». Elle dit ça sur le ton de la plaisanterie, mais elle sait qu’il y a une part de vérité. Elle se souvient de la colère qui menaçait d’exploser à chaque fois qu’elle parlait de sa mère. La colère s’est calmée avec le temps, mais la déception, les regrets eux n’avaient fait qu’augmenter après chaque anniversaire où elle n’était pas revenue, où elle n’avait pas donné signe de vie.

Elle comprend peut-être mieux que quiconque la colère et la surprise qu’avait pu ressentir Amy en voyant son père débarquer sur le pas de la porte.  Elle connait les traces indélébiles que l’abandon laisse sur la peau. Pour Danika cela avait été le sentiment de ne pas avoir été assez pour qu’elle reste, de ne pas être à la hauteur. Cela avait conduit Danika au perfectionnisme, à l’envie de dépasser toutes les limites qu’on lui imposait.

La mère d’Amy avait permis de faciliter la conversation entre les deux, les mettant dans une même pièce. Le père de Dani aurait-il fait la même chose si sa femme était revenue ? Elle n’en était pas sûre, si James avait toujours protégé sa fille de la colère qu’il ressentait, elle l’avait souvent lu sur son visage, surtout quand il devait consoler sa gamine qui ne pouvait arrêter de pleurer les mois qui avaient suivi le départ de sa femme.

Danika regarde avec une pointe d’admiration la jeune femme de vingt ans. Elle avait montré plus de maturité qu’elle en aurait sûrement montré placée dans la même situation. Elle esquisse un sourire quand elle mentionne que dans ses rêves son père finissait toujours avec un poing dans la figure. Amy lui conseille d’essayer si jamais elle croisait sa mère, qu’elle ne l’a pas regretté. Dani hoche la tête sans grande conviction. Elle a beau l’entendre, elle est persuadée qu’elle ne reverra jamais sa mère. Puis la question fatidique la fait hésiter. Est-ce qu’elle avait envie de la revoir ? C’était la première fois depuis des années que quelqu’un lui posait la question, qu’elle se posait la question. Son cœur se serre. Autrefois elle en rêvait la nuit, de la voir débarquer du jour au lendemain, de la supplier de lui pardonner alors qu’elle lui répétait encore et encore qu’elle avait commis la pire erreur de sa vie, que Danika lui manquait, qu’elle l’aimait. A chacun de ses anniversaires elle ne pouvait s’empêcher d’y penser.

Mais aujourd’hui, ce n’était pas elle qu’elle avait envie de revoir. Elle aurait tout donné pour revoir son père.  Elle aurait été prête à subir encore et encore l’abandon de sa mère pour ne serait-ce qu’un mois de plus avec celui qui l’avait élevée. Une semaine de plus, une journée de plus. Elle détourne le regard, regarde un instant les gens qui marchent dans la rue.

« Avant, oui. Juste pour comprendre. Lui demander pourquoi. Mais ça ne changerait rien. Je n’ai aucun moyen de la contacter, elle est à l’autre bout du monde en Colombie, elle pourrait être morte et je n’en saurais rien. »

Pendant un court instant, l’idée de ne plus avoir aucun parent en vie lui retourne l’estomac. En vérité si elle avait vraiment voulu chercher, elle aurait sûrement pu la retrouver. En cherchant l’adresse de ses grands-parents, de ses oncles et tantes pour lesquels elle n’avait pas vraiment de souvenirs, ne les ayant eu qu’au téléphone quand elle était plus jeune. Elle n’avait jamais cherché. Son père avait tout fait pour compenser, l’aimant pour deux, se donnant corps et âme pour combler le vide que sa mère avait laissé.

« Non ce n’est pas elle que j’ai envie de revoir. » La gorge se serre, elle boit difficilement une nouvelle gorgée. Elle ne se sent pas capable de dire les prochains mots. Mon père est mort. L’admettre c’était l’accepter. Elle en est loin,  ne préfère pas y penser.  Elle se force à afficher un sourire sur son visage, se décide à changer de sujet :

« Tu as continué le judo à Brisbane, tu es dans quel club ? Peut-être que je les connais ? »

Elle qui d’habitude a horreur de parler de sa mère, se laisse porter par la conversation. Elle est en confiance, les mots d’Amy sont le miroir de ses sentiments, elle hoche la tête en l’écoutant. C’était plus facile de parler de ces sujets avec quelqu’un qui avait dû ressentir la même rage envers ce parent absent.

Amy demande si elle a envie de revoir un petit ami qu’elle a perdu de vue. Danika ne peut empêcher d’esquisser un sourire. « Non, je n’ai pas le temps pour les petits copains malheureusement. » Danika avait eu peu de relations sérieuses, préférant les fuir dès qu’elle commençait à tomber amoureuse, terrifiée à l’idée qu’on l’abandonne. Les rares fois où elle s’était accrochée à ses sentiments, lui avaient prouvé qu’elle serait une nouvelle fois quittée et blessée. Keith en était la preuve. Elle ne sait pas pourquoi soudainement elle repense à l’homme qu’elle connaissait depuis son enfance. C’était peut-être lui qu’elle avait aimé le plus longtemps, bien que les sentiments n’eussent jamais été réciproques. Même là, c’était lui qui l’avait abandonnée, appuyant sur peut être sa plus grande crainte.

Elle change de sujet, retourne sur ce qui les avait unies dès leur première rencontre. Les arts martiaux. Danika avait débarqué dans le dojo d’Amy à Washington après une compétition de karaté, entraînée par une amie pratiquant les deux arts martiaux. Elle s’était laissée tentée toujours curieuse des autres arts martiaux. Elle avait toujours aimé se challenger, découvrant la boxe, le judo, le jiu jitsu. Amy avait arrêté le judo. Ce n’était pas Danika qui allait lui faire une réflexion, elle qui n’avait pas mis un pied dans son dojo depuis deux mois.

Danika avait abordé le sujet du judo sans vraiment penser à la conversation qui pouvait commencer. Sans se dire que la question logique qui allait suivre était si son père tenait toujours un dojo. Le sourire disparait. Pendant un instant, ses yeux expriment une tristesse sans fin. Elle se reprend, se force à afficher un visage plus neutre. Elle déglutit lentement. Il est temps de sortir les mots qu’elle n’a pas envie de prononcer. Elle ne veut pas de la pitié qui va suivre. Elle décide de prétendre que la situation ne l’atteint pas et se force à afficher un masque calme et serein. « Le dojo existe toujours, c’est mon oncle qui le tient maintenant. » Elle prend une pause, a besoin de quelques secondes pour prononcer les mots qui vont suivre, pour les assumer. « Mon père est décédé, il y a un peu plus de deux mois. Cancer du poumon. »  Elle se rend compte que cela l’aide un peu, d’en parler à quelqu’un qui n’était pas présente, qui ne pouvait pas savoir, qu’elle n’a pas vu depuis des années. C’est ce sentiment qui la pousse à en dire un peu plus. « Je bossais là-bas depuis quelques années, encore plus depuis que j’avais arrêté la compétition quand mon genou est parti en miettes. » Le passé encore. L’époque du dojo est terminée. Elle boit une nouvelle gorgée, un sourire triste expose le cœur dévasté d’une femme ayant pourtant passé sa vie à avoir une rage de vivre à toute épreuve.  Sa passion est loin, très loin, il ne reste plus que les regrets. « Désolée j’ai un peu plombé l’ambiance » Elle ne sait pas comment Amy va réagir à ces nouvelles, culpabilise un peu de ce flux de paroles tout sauf réjouissantes.    

Pour la première fois, elle est calme quand elle prononce ces mots.  Mon père est décédé. La phrase se répète en boucle dans son esprit comme une litanie. Est-ce la première fois qu’elle prononce les mots ? Elle n’en est pas certaine. La phrase la déchire, mais moins qu’elle n’aurait cru. C’était plus facile de les dire à une femme qui n’avait pas vu les années qui avaient précédé, qui n’avait pas été un témoin direct de l’ascension de Danika, se dépassant chaque jour un peu plus. Plus facile de le dire à quelqu’un qui n’avait pas été témoin de la chute violente et brutale. Qui ne voyait que l’après, qui ne pouvait pas voir la destruction entamée, la vie retournée.  Bien sûr il y avait toujours les souvenirs, souvenirs d’une battante pleine de vie, mais c’était plus lointain. Cela la rassurait, c’était ça qui lui avait permis d’être honnête, de se dévoiler comme elle le faisait peu en ce moment.

Bien sûr, Amy est immédiatement désolée, s’excuse de s’être plainte de ses problèmes avec son père. Danika fait un mouvement de main qui veut clairement dire que ce n’est rien, qu’elle n’a pas à s’inquiéter. Elle va même jusqu’à esquisser un sourire quand Amy dit qu’au moins l’entendre se plaindre la fait penser à autre chose. Elle n’avait pas tort. La jeune femme était une bouffée d’air frais.

Elle demande si la compétition est terminée. Danika hoche la tête, une légère grimace apparait sur son visage en se rappelant de la douleur physique cette fois-ci : « Belle fracture du genou, un combat qui a mal tourné, des mois de rééducation. On m’a fait comprendre que si je continuais au rythme auquel j’allais, même marcher aller devenir compliqué. J’ai poussé un peu trop loin. » Bien sûr elle avait continué l’entraînement, elle l’avait adapté, avait dépassé de nouvelles limites qui avaient étonné ses médecins, s’était mise à enseigner. Elle n’avait juste pas repris le rythme d’une sportive qui passait sa vie à s’entraîner comme si les jeux olympiques étaient le mois qui allait suivre. Elle avait dû se calmer.

Elle s’excuse d’avoir fait perdre un peu de chaleur à leur conversation, mais Amy lui assure qu’elle n’a rien plombé, ce qui la rassure.  Effectivement Danika n’avait pas de raison de se confier, mais étrangement, cela ne lui pesait pas, c’était même facile pour elle qui était d’habitude renfermée dès que cela n’allait pas.  Mais la conversation reprend une tournure plus sombre et Danika regarde la rue d’un air pensif. Un silence s’installe, elle cherche ses mots, ne sait pas comment répondre parce qu’elle ne sait pas elle-même la réponse. Elle ne regarde pas Amy dans les yeux quand elle dit : « Je ne sais pas.  Mon père c’était sa vie ce dojo. » Sa vie à elle aussi. Vie qu’elle avait cherché à faire disparaître. Allait-elle y retourner un jour ? Il était mort. Pour elle le dojo était mort en même temps,  il lui rappelait trop de souvenirs qu’elle n’était pas capable de supporter. Se rappeler de lui était comme un coup de poignard dans sa poitrine. Elle passe sa main dans ses cheveux, pose de nouveau ses yeux sur la jeune femme et esquisse un demi sourire d’une tristesse lamentable. « Je crois que j’ai besoin de changer de vie. »

L’arrêt de sa carrière sportive avait été brutal, violent. Mais d’une certaine façon elle s’y était toujours préparée. Plus les années étaient passées plus elle se rapprochait de la fin d’une vie uniquement consacrée aux compétitions internationales.  Son père avait arrêté sa carrière sportive au même âge qu’elle aujourd’hui pour se consacrer au dojo et à sa société.  Sa carrière compétitive s’était arrêtée quelques années en avance mais au pique de celle-ci.

« Je ne pourrais plus jamais retrouver le niveau que j’avais atteint. Ou alors il faudrait prendre le risque d’une blessure plus grave. » Danika n’en avait pas vu l’intérêt. Elle était accroc au sport oui, mais elle avait fait de la compétition pour se dépasser. Elle avait toujours détesté perdre et avait choisi de dépasser ses limites encore et encore. Elle avait été heureuse en continuant à s’entraîner pour elle et en reprenant le dojo familial avec son père ainsi que la société qui allait avec. Elle avait toujours aimé enseigner et coacher les plus jeunes. Du moins jusqu’à maintenant. « De toute façon ça n’a plus d’importance maintenant,  je crois que j’en ai fini avec le karaté. » Elle n’avait pas l’intention d’y retourner, s’était décidée. Son oncle avait beau essayé de la convaincre chaque semaine de revenir, elle savait que pour l’instant la peine était trop grande. Et puis comment pourrait-elle assumer de retourner au dojo comme si de rien n’était quand cela faisait déjà deux mois qu’elle l’avait abandonné ?

Amy semble comprendre son besoin de changer d’air. Sa légèreté aide Danika. Elle n’a pas l’impression de sentir sa pitié, ou le fait qu’elle soit mal à l’aise dans cette conversation. Non Amy est calme et cela l’apaise. Elle lui demande alors si elle sait déjà ce qu’elle va faire. La brune n’a pas vraiment d’idée. Chaque jour est tout aussi compliqué que le précédent. Elle attendait que la peine s’apaise pour pouvoir voir plus loin que le jour suivant. Pour l’instant, elle avait tout plaqué et avait commencé une nouvelle vie. Elle n’était pas sûre que cela lui plaisait, mais c’était tout ce qu’elle supportait. « Je bosse dans un bar depuis quelques temps mais bon je ne sais pas si c’est le job de ma vie. » Elle se met à penser soudain, au futur, à ses rêves, à ses passions. Il y avait la photographie aussi. Elle qui prenait des photos depuis qu’elle avait quinze ans. Elle était devenue douée, pourtant elle n’avait jamais cherché à les exposer, à se lancer dans une carrière dans ce domaine-là. Elle pense à haute voix : « Il y a la photographie aussi… Je ne sais pas si tu te souviens, je prenais pas mal de photos aux compétitions, et disons que la passion a continué.  Mais je ne pense pas être assez douée pour en faire quoique ce soit. » Elle hausse les épaules, la photographie avait toujours été un hobby jusqu’ici. Danika parle facilement, comme si finalement c’était la vie d’une autre personne, qu’elle n’était pas elle-même réellement impliquée dedans. Elle préfère ne plus être sur le feu des projecteurs et force un sourire à revenir sur son visage : « Et toi raconte