Il a merdé. C’est ce qu’il s’est dit en déverrouillant son téléphone et en allant voir ses messages non lus. Il y en avait beaucoup d’une même et seule personne : Byron. Celui-ci cherchait à avoir de ses nouvelles, à savoir la suite de ses aventures, à être là pour lui s’il le désirait. Sans savoir pourquoi, une part de lui a mis le jeune homme de côté, dans une case, et ne lui a plus porté le moindre intérêt. Il était concentré sur ses agences, sur la nouvelle qu’il a bel et bien un frère quelque part dans le monde, sur Olivia. Surtout sur Olivia, à vrai dire : le reste est passé à la trappe, comme son envie d’en savoir plus sur la personne qui partage son sang, comme ses principes, ses valeurs. Il n’a pas donné de nouvelles, ce n’est pas son genre. Et pour ne pas trop s’en vouloir, il a envoyé un message, lui disant qu’il était enfin prêt et qu’il voulait lui parler. Il a menti. Non, il n’est pas prêt à aborder ce sujet, il n’est pas prêt à enclencher certaines démarches, il ne veut pas savoir. Ce secret lui a explosé à la figure au moment où il s’y attendait le moins, au moment où il n’en avait pas besoin – surtout. Il a perdu sa fille, peut-être sa femme, ce n’est pas vraiment le moment de retrouver un frangin. Il aurait aimé l’avoir il y a dix ans, peut-être, ou le savoir lors de sa naissance. Après lecture des lettres, après calcul en fonction des dates, ils avaient compris que l’homme devait approcher de la trentaine. Ce qui veut dire que Jacob avait au minimum dix ans, qu’il était conscient de beaucoup de choses, qu’il aurait pu savoir bien plus tôt. Son père lui a menti, et lui s’est figé, muré dans son silence. L’autre blond n’a pas hésité avant de lui répondre, en lui proposant de le rejoindre chez lui pour un petit-déjeuner. Jacob avait apprécié son café, la dernière fois, alors il a évidemment accepté. L’agent immobilier se trouve donc sur le palier de Byron et sonne à la porte, il est anxieux et en même temps, il a quand même un peu hâte. Parce que Byron est le premier avec qui il en a parlé, que celui-ci sait exactement tous les sentiments par lesquels est passé Jacob, qu’il sait comment le gérer. Salut Jacob ! Ça va ? Le café est prêt. J’ai essayé de faire des croissants… Tu me donneras ton avis ! Rien qu’à l’odeur, il sait que ce sera bon. Entre… On va commencer par le café ! Je vais bien, et toi ? Le blond entre et se débarrasse de sa veste, avant de suivre son ami jusqu’à la cuisine. Il ne le quitte pas des yeux, le regarde remplir les deux tasses. Il peut voir à sa tête qu’il est excité par la journée, par les annonces que Jacob a à lui faire. Alors tes investigations auprès de ton père ont donné quoi ? Un sourire se dessine sur ses lèvres. Mes investigations… J’aime bien me sentir comme un enquêteur. Le dîner avec son père était affreux, à tel point qu’ils n’ont d’ailleurs pas dîné là-bas, avec Olivia. La fin de leur soirée a été toute autre, mais il a eu le temps de discuter avec son paternel avant leur départ. Je ne vais pas tourner autour du pot… il m’a avoué que oui, il a eu un enfant avec une autre femme, un fils. D’un côté, il est soulagé que ce soit un homme : depuis des générations, il n’y a que des hommes Copeland dans la famille. June a été la seule fille, il aimerait qu’elle le reste – elle ou une autre fille à lui, si un jour ils décident de ravoir un enfant avec sa femme. J’ai même une photo ! Il dit ça, comme s’il venait de s’en souvenir, alors qu’il a bien pris soin de l’emmener avec lui, ce matin.

@Byron Oberkampf

Je vais bien ! Je désespérais d’avoir des nouvelles ! Je suis tout fou à l’idée d’en savoir plus… Si Byron ne l’avait pas dit lui-même, Jacob aurait pu le deviner : ça se voit sur son visage, dans la tonalité de sa voix et même dans la manière qu’il a de se déplacer jusqu’à la cuisine. Tu vas en savoir plus, ne t’en fais pas. Il est heureux de le revoir, d’autant plus heureux d’avoir enfin des nouvelles sur toute cette histoire. C’est vrai que Jacob aurait pu le recontacter plus tôt, mais mieux vaut ne pas revenir sur ce sujet-là : ça a été dur du côté de l’agent immobilier, il a préféré prendre ses distances et prendre le temps de la réflexion. Maintenant que c’est fait, il se sent d’attaque et prêt à parler du frère qu’il a, effectivement, sans se douter une seule seconde qu’il est sous ses yeux, ce fameux frangin, sans se douter qu’il s’agit de Byron et de personne d’autre. Au cas où ! Il sort le sucre et a compris que Jacob en prend une fois de temps en temps. Et aujourd’hui, pour honorer le sucrier, le blond en prend un morceau et le glisse dans son liquide noir. Et prends un croissant ! Ils vont refroidir ! Byron le fixe et Jacob comprend de ce fait qu’il ne s’agissait pas là d’une proposition mais d’un ordre. Bien, bien ! Il dit, en rigolant presque, avant d’en attraper un. Ils sont juste tièdes, à la température parfaite pour être consommée. Ils m’ont l’air parfaits ! Byron est ravi de ses viennoiseries et Jacob croque dans la sienne pour confirmer les propos de son ami. Mmmh, oui, ils sont bons. Il confirme dans un sourire. Je t’imagine trop. Comme un Sherlock Holmes des temps modernes… Costume en tweed, casquette, pipe et loupe pour interroger ton paternel ! Jacob imagine également la scène et trouve ça plus ridicule qu’autre chose, mais pourquoi pas. Il secoue doucement son visage. J’aurais eu l’air malin, c’est clair. Il lève les yeux au ciel et lui dit ce que Byron a envie d’entendre depuis des semaines : il a confirmé, il a un fils, un autre que lui. Bingo ! L’autre est ravi, Jacob un peu moins, mais il n’a pas envie de calmer son enthousiasme. Il mord dans son croissant alors qu’il lui pose tout un tas de questions. Il t’a dit s’il était en contact avec lui ? S’il est en vie ? Ça doit t’enlever un poids de savoir, maintenant ? J’imagine que tu as envie de le rencontrer ! De le connaître. Et de rattraper le temps perdu ? Jacob boit une gorgée de son café, grimace légèrement puis soupire. Alooors… Il n’en sait pas plus que moi, il n’est pas resté en contact avec la mère après la naissance de l’enfant, n’a jamais cherché à le connaître et ne sait rien de lui. Donc s’il est vivant ou mort, je n’en sais toujours rien. Il hausse ses épaules, à vrai dire, il s’en fiche un peu. Je ne veux pas le rencontrer, non. On a le même père mais ce n’est pas mon frère. Il refuse d’entendre quelqu’un l’appeler comme ça pour les associer, non, ils n’ont rien en commun si ce n’est un père qui ne sait pas garder ce qu’il a dans son caleçon au chaud là-dedans. Finalement, le blond lui dit qu’il a une photo. Et tu l’as là ? Il te ressemble ? Ou bof, il ne casse pas trois pattes à un canard ? Il sourit en le regardant et retourne vers sa veste pour en sortir la fameuse photo, soigneusement pliée. Il la lui tend. Je te laisse la découvrir. Et honnêtement, je ne saurais pas te dire s’il me ressemble… c’était un bébé, sur cette photo. Peut-être que si on compare avec les miennes, oui, mais tous les bébés se ressemblent un peu. Il faudrait que je le voie adulte. Mais encore une fois, ce n’est pas dans l’ambition de Jacob. Quand Byron a la photo en mains, le blond reprend un croissant. T’as raison, ils sont vraiment bons ! Il acquiesce encore, avant de mordre dedans.

@Byron Oberkampf

Si, il l’est ! L’optimisme de Byron a toujours plu à Jacob, c’est ce qu’il lui fallait quand ils se sont rencontrés, quand il a choisi de se noyer dans le sport pour oublier ses problèmes. Le plus jeune des deux était toujours là, pimpant au possible, avec des phrases toutes faites pour montrer au plus vieux que la vie valait la peine d’être vécue, qu’il y avait toujours du bon derrière quelque chose de négatif. Pour ce qui concerne la mort de June, il cherche encore : il ne voit vraiment pas le signe qui peut se cacher derrière ce drame-là, et à vrai dire, Byron non plus n’a pas su trouver les mots. Mais quand Jacob se plaignait du mauvais temps ou d’un client trop capricieux, l’autre savait lui rappeler que le soleil se lèverait un jour ou l’autre et qu’il tombera le lendemain sur un client bien moins demandant. Il avait toujours les mots – pas aujourd’hui. Aujourd’hui, non, il n’a pas envie d’entendre que l’homme que son père a mis au monde est son frère. Il est une erreur, aux yeux de Jacob, un secret qu’on lui a dissimulé toute sa vie et qui lui fait bien trop de mal à l’heure actuelle. Si on lui avait annoncé la nouvelle durant son enfance, il l’aurait sûrement bien pris. Il a vécu quarante ans de sa vie sans frère, il ne compte pas la continuer en faisant semblant d’en avoir toujours eu un. Alors, fidèle à la bêtise de son père et loyal à sa famille, lui non plus n’a pas l’intention d’entamer des recherches. Il se contente de lever les yeux au ciel en soupirant légèrement, la manière dont il a fusillé le blond du regard suffit à lui faire comprendre que non, ce n’est pas son frère et que non, il n’aura pas le dernier mot là-dessus. Ravi qu’ils te plaisent ! Ça, ce sont les derniers mots cohérents avant que tout parte en vrille. Jacob tend à Byron la photo que lui a donné son père, il a suffisamment confiance en lui pour lui montrer l’enfant qui est supposé être son demi-frère et la mère de celui-ci. Il scrute le visage du blond, dans l’espoir de lire dans ses yeux quelque chose, une flamme, une dynamique qui lui montrerait que oui, ils se ressemblent. Inconsciemment, l’agent immobilier a pour espoir d’avoir des similitudes avec ce bambin, même s’il préfère dire le contraire et s’il a pris la décision de ne rien savoir de lui : quelque part dans le monde, un homme porte le même sang que lui, quelque part dans le monde, un homme a été privé de son père et de son grand-frère. Non, non, non, non ! Cette réaction est inédite et inattendue. Jacob fronce les sourcils et suit des yeux Byron, qui part dans sa chambre sans ajouter un mot. Il laisse le blond là, seul et dans une incompréhension totale. Est-ce qu’il a dit quelque chose qu’il ne fallait pas ? Est-ce qu’il lui a donné la bonne photo ? Oui, Jacob l’a regardée encore dans la voiture, tout à l’heure, c’est bien celle que lui a fournie son père. Alors quoi, qu’est-ce qu’il se passe ? Les questions fusent et pour ne pas s’inquiéter, le patron décide de terminer son café – ça l’occupe deux secondes, donc. Les minutes passent, une, deux, trois et trop, surtout. Lentement et non sûrement, cette fois-ci. Et puis, il revient enfin. Les sourcils toujours froncés, Jacob se rapproche de Byron qui semble avoir perdu son optimisme, sa gaieté de tout à l’heure. Tu as vu un fantôme ? Il demande, avant que celui-ci vienne jusqu’à lui. La photo et une boîte entre les mains, il se lance dans une explication. En octobre mon parrain est venu avec une table et un vieux carton. Il voulait me parler de ma mère. Beaucoup de connexions se font dans l’esprit de Jacob, mais pas les bonnes : il lui est impossible d’imaginer la suite de l’histoire de Byron. Elle est en prison, et elle devait changer de prison. Je te passe les détails ! Comme je refuse de la voir, mon parrain a voulu me montrer qu’elle est et restera ma mère, même si c’est un vrai déchet actuellement ! Pour se faire, il a apporté le carton. Quand je l’ai ouvert… Son histoire lui semble longue, à Jacob, ça l’effraie un peu. J’ai trouvé cette photo… Comme indiqué au revers, il s’agit de moi, avec ma mère ! Le blond pose ses yeux sur la photo qu’il y a sur la table, encore retournée contre celle-ci. Il reprend la sienne, que Byron a entre ses mains, puis retourne l’autre pour constater que ce sont les mêmes. La réaction du plus âgé des deux ne correspond pas réellement à son âge : il se met à rire, très nerveusement, et un peu trop longtemps. Pardon ? Les connexions se sont faites définitivement, cette fois-ci, et Byron est en train d’essayer de lui faire comprendre que son frère, celui qu’ils recherchent ensemble depuis des mois, est finalement personne d’autre que lui-même ? T’as une imprimante dans ta chambre et t’as eu envie de me faire une blague, hein ? Tu sais, j’avais pas trouvé très drôle le « je suis ton frère » à la Dark Vador mais là, c’est carrément nul. Parce que ce n’est qu’une blague, n’est-ce pas ? Le fait que ce soit possible, que ce soit la vérité ne traverse pas l’esprit de Jacob. Il est dans le déni, totalement, parce que c’est bien trop gros pour être vrai. Il n’attend qu’une chose : que quelqu’un lui hurle qu’il a été piégé et que des caméras sortent des autres pièces de l’appartement de Byron.

@Byron Oberkampf

Comment est-ce qu’il est passé d’une dégustation de café et de croissant à ça ? À ce moment auquel il s’interdisait de penser ? Quand son père lui a donné cette photographie après lui avoir conté son histoire avec la mère de son autre enfant, Jacob s’est fait la promesse de ne jamais chercher à en savoir plus, de rester sur cette vérité-là et d’accepter qu’un autre vive avec le même sang que lui. Il a accepté de vivre avec un doute constant et permanent face à tous les blonds qu’il allait croiser, face à tous les jeunes d’une trentaine d’années. Il a pris cette décision pour se préserver lui, d’abord, et le reste de crédibilité qu’il y a dans sa famille. Un enfant renié ne peut pas avoir bien tourné, ça lui semble impossible. Et pourtant, Byron n’est pas un cas désespéré. Byron qui, après lui avoir raconté toute cette histoire, semble être persuadé d’être l’homme qu’ils recherchent depuis des mois. Comment est-ce possible ? Il sait que le monde est petit, mais là c’est carrément tiré par les cheveux. Ils ne sont pas dans un film, ni dans un livre, ce n’est pas cohérent, c’est impossible. Une blague, des caméras, que quelque chose vienne le sortir de cette situation. Il n’y a rien, pourtant, rien de plus que Byron qui semble ne plus rire du tout, ne plus avoir son ton jovial habituel. J’ai autre chose à foutre que de blaguer sur ça… C’est la première fois que Byron lui parle avec cette agressivité-là, il ne la connaît pas chez lui et ça l’inquiète : ça veut dire qu’il est vraiment, vraiment sérieux. Mais non, Jacob n’a pas envie de le croire, Jacob ne peut pas le croire. Il est venu ici parler avec son ami, pas retrouver son frère. Non, il refuse. Regarde les mots inscrits derrière la photo. Il retourne la photographie de Byron pour lire ce qu’il y a écrit. Byron, trois mois. C’est effectivement l’écriture de son père, ou du moins une calligraphie qui s’en rapproche. Byron sait à quoi elle ressemble mais aurait-il poussé sa blague aussi loin ? Il n’en est pas certain, il a pourtant envie de croire en de l’absurde plutôt que d’accepter les faits. Jacob, je suis ton frère. Pourquoi sinon aurions-nous la même photographie ? Elles sont aussi anciennes l’une que l’autre. Pas de piège. Pas de supercherie. Juste deux tirages d’une même photo ! Les mots de Byron résonnent dans le crâne de Jacob. Il est incapable d’accepter la nouvelle, parce que c’est trop gros, parce que ça ne va pas avec ce qu’il avait prévu. Perfectionniste dans l’âme, ces retrouvailles sont trop mal faites, trop mal prévues, trop mal menées. Même s’il le voulait, il se sent incapable d’accepter que ce soit la vérité. Il y a forcément quelque chose qui traîne, quelque chose qui a merdé, quelque chose qui a créé le quiproquo. Il est impossible que là, sous ses yeux et depuis plus de deux ans, se trouve en réalité son petit frère. Il secoue son visage et repose la photographie qui appartient à Byron. Non, je suis désolé mais non. C’est tout ce qu’il arrive à articuler, alors qu’il se recule d’un pas. T’as l’air un peu trop joyeux à cette idée. Il dit, avant de soupirer longuement. On est amis, Byron, pas frères. Et finalement, j’ai un doute sur la première appellation. Je dois y aller. Il est froid, il est sans cœur, il est sans pitié et il est prêt à l’abandonner, là, seul avec ses doutes et espoirs mort-nés. L’agent immobilier attrape sa veste et tourne le dos à son frère, donc, parce que l’idée est là et qu’elle ne le lâchera pas : ils le sont, oui. Il lui faudrait un test ADN pour confirmer le tout, mais à quoi bon ressasser ? Ils le sont, il n’y a déjà plus aucun doute dans l’esprit des deux hommes, seulement l’un d’entre eux refuse de coopérer. Il ouvre la porte et sort, la claque derrière lui : autant dire que si leur fraternité vient de débuter, leur amitié elle, vient d’imploser. La déflagration a tout emporté sur son passage, tout du lien qui les unissait, du lien qui aurait pu les unir. D’amis, à frères d’une seconde, ils deviennent désormais de parfaits inconnus.

@Byron Oberkampf