Nouveau départ pour une nouvelle vie

Avec le départ du sous-chef de l’Interlude, les dernières semaines n’ont pas été de tout repos pour moi et s’il y avait toujours la possibilité d’engager un cuisinier qualifié en intérim le temps que je puisse trouver une personne de confiance à qui donner ce travail, ce n’est pas la solution que j’ai choisie. L’Interlude est important pour moi. Mon premier bébé qui, l’année prochaine fêtera ses dix ans et ce n’est que quand j’assimile cette information que je me rends réellement compte du chemin parcouru ces dernières années et surtout, à quel point j’étais jeune lorsque j’ai pris la décision de réaliser mon rêve en ouvrant mon propre restaurant. Ce qui a toujours été dans un coin de ma tête, une envie, un objectif, plus qu’un simple rêve. La cuisine a toujours été mon refuge, et l’Interlude l’a été pour moi même dans les moments les plus difficiles de ma vie alors il est tout simplement hors de question pour moi de confier le poste de sous-chef à quelqu’un que je ne connais pas et en qui je n’ai pas entièrement confiance. Ça doit vous sembler plutôt normal, je suppose mais c’est spécifiquement pour cette raison qu’il m’a fallu des semaines entières pour trouver la personne parfaite et parvenir à le recruter. Ce n’est pourtant pas les candidatures à ce poste qui ont manquées. Dès le jour où la rumeur comme quoi je recherchais un nouveau sous-chef pour venir compléter la brigade de l’Interlude ce sont des dizaines de CV que j’ai reçu et étudié mais aucun ne semblait me convenir. Mais finalement un nom m’est venu en tête : Byron Oberkampf. Nous nous connaissons depuis de nombreuses années et son profil paraissait parfait pour la place de sous-chef et après un moment de réflexion de son côté c’est pour accepter ma proposition qu’il a fini par revenir vers moi : il sera bel et bien mon nouveau second à l’Interlude.

Et aujourd’hui marque le début d’une nouvelle aventure pour nous deux. Surtout pour Byron qui laisse derrière lui son projet de chef à domicile pour retrouver le rush et l’adrénaline des coups de feu de la restauration, mais j’ai déjà pu le voir à l’action et je n’ai aucun doute sur le fait qu’il en soit très largement capable. Réveillé et levé plus tôt qu’à l’accoutumée aujourd’hui, je laisse mes enfants avec Alex pour la journée. Voulant être là pour accueillir Byron pour son premier jour au sein de ma brigade, j'avais prévenu en amont ma femme qu'aujourd'hui les chances que je sois un peu plus absent étaient élevées. Ce n’est malheureusement pas sans une crise de larmes de la part de Lucy que je quitte Bayside pour rejoindre Spring Hill ce matin. Comme attendu, je suis le premier arrivé au restaurant ce qui me laisse le temps de commencer à me préparer avant que tout le monde n’arrive. Encore dans les vestiaires, une fois vêtu affronter la journée de travail c’est avec un sourire que je réponds au message de ma femme. Les enfants acceptent bien mieux de nous voir partir pour les laisser avec la nounou ou à la crèche toute une journée mais il n’est pas rare que plus spécifiquement Lucy nous fasse savoir encore aujourd’hui son mécontentement en pleurant lorsque nous partons. Comme elle l’a fait ce matin, mais lire le message d’Alex me rassure sur le fait que notre fille se soit rapidement calmée. Alors que je referme la porte du vestiaire derrière moi ce n’est pas vers la cuisine que je me dirige mais vers la porte d’entrée où m’attend Byron.  « Hey ! »  C’est avec un sourire que je l’acceuille à l’Interlude. « Salut. » que je lui réponds simplement tout en venant refermer à clef la porte du restaurant. « C'est parti ! » « Ça me fait vraiment plaisir que tu aies accepté le poste. » je commence par lui dire. Au moins je sais que le travail du sous-chef sera entre de bonnes mains avec Byron. « Le reste de l’équipe ne devrait pas arriver avant une petite heure, ça nous laissera le temps de discuter un peu avant. » Et surtout, il pourra peut-être essayer de prendre ses marques avant le début du service. « Tu peux aller poser tes couteaux en cuisine, tu veux peut-être que je te fasse visiter avant ?» Ce n’est pas comme s’il y a réellement beaucoup de pièces secrètes, mais faire le tour de la chambre froide, des vestiaires ou de l’arrière-cour peut toujours être utile.

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Nouveau départ pour une nouvelle vie

Le début de la journée est certes, banal mais pourtant je sais que celle-ci risque d’être bien chargée. Entre l’arrivée de Bryon aujourd’hui, lui présenter les locaux et l’organisation du restaurant, le coup de feu qui sera certainement tout aussi fatiguant et éprouvant qu’à l’accoutumée, la journée va être longue. Mais c’est pour la bonne cause, n’est-ce pas ? J’aime mon métier plus que n’importe quoi et même s’il est assez prenant, que ce soit physiquement ou psychiquement je n’y changerais pour rien au monde. L’Interlude représente pour moi le rêve de toute une vie et j’ai la chance de pouvoir dire que mon restaurant est en ce moment, l’un des plus réputés de la ville. J’ai beaucoup travaillé pour ça, mais je pense aussi qu’il s’agit surtout d’un coup de chance. « Merci à toi, merci de me l'avoir proposé et merci pour la confiance que tu m'accordes. » Je lui souris doucement. Byron et moi nous nous connaissons depuis plusieurs années, et s’il n’a pas accepté un poste ici dès la première proposition je suis très heureux qu’il ait fini par se laisser séduire par ma proposition. « L’ancien cuisinier qui occupait ce poste était ici depuis le début, ou presque. Alors il me fallait vraiment quelqu’un en qui j’ai confiance. » Faute de budget, les premiers mois après l’ouverture j’étais seul en cuisine mais lorsque la salle a commencé à se remplir petit à petit tous les jours, j’ai tout de suite sauté sur l’occasion pour embaucher quelqu’un à mes côtés. L’ancien second de cuisine me connaissait donc maintenant très bien et j’avais une confiance aveugle en lui et je sais qu’avec Byron ça pourra être la même chose.

Il nous reste à présent une bonne heure avant les premières arrivées du reste de la brigade, ce qui nous laisse donc le temps de discuter et de lui faire le tour du propriétaire, ce que le cuisinier accepte d’ailleurs de faire. C’est donc sans hésiter et en toute logique que je commence par ouvrir la porte de la grande cuisine, notre pièce préférée à tous les deux, ou du moins de loin la mienne. « Elle est rutilante ! » J’acquiesce doucement, un petit sourire aux lèvres. Voilà pourquoi il s’agit de ma pièce préférée : c’est ici que la magie s’opère, c’est ici que l’on travaille d’arrache pieds pour offrir un repas de qualité à chacun des clients installés de l’autre côté de la porte. « J’ai changé quelques ustensiles il y a deux mois. » que je dis en désignant quelques casseroles. « Je ne doute pas que tu le fasses, mais je préfère quand même le dire : je veux que la cuisine soit toujours impeccable. Après chaque service elle doit toujours briller comme ça. » Pas une seule seconde je me dis que Byron puisse faire partie de ces cuisiniers négligents l’hygiène qui est pourtant la base de notre métier. Mais on peut parfois voir des cuisines qui laissent fortement à désirer et je refuse que l’on puisse reprocher un manque d’entretien à ma cuisine. Je suis perfectionnisme, exigeant et surtout maniaque que ce soit dans ma vie professionnelle ou personnelle. « Tu t'es donné les moyens pour monter ton affaire ! Et j'imagine que cela n'a pas été simple ! » Et il ne sait pas à quel point il a raison sur ce point-là. Je m’en suis donné les moyens. Mes parents n’ont jamais roulé sur l’or, bien au contraire, mes sœurs et moi avons grandis modestement dans une petite ferme à presque deux heures de Brisbane et pour arriver là où j’en suis aujourd’hui j’ai dû y donner de ma personne. Enormément. Je lâche un petit rire tout en venant passer mes mains dans mes cheveux. « J’ai donné tout ce que j’avais pour y arriver. J’ai toujours eu l’ambition d’ouvrir mon propre restaurant, mais jamais je n’aurais pu penser que je puisse atteindre ce niveau un jour. » Rejoindre le clan des chefs étoilés, bien sûr que c’était un rêve et un objectif que je m’étais fixé, mais je dois bien avouer que je n’y croyais qu’à moitié. Tout ça semble encore parfois trop beau pour être vrai. « J'ai hâte d'être dans le feu de l'action ! Et retrouver cette adrénaline d'une cuisine de restaurant... » L’adrénaline et la pression lors des coups de feu font clairement partis de ce que je préfère dans notre métier. « Tu as été à ton compte combien de temps ? » Même si je reste persuadé que Byron retrouvera ses marques très rapidement. « Nous sommes combien en cuisine? » « Il y a quatre commis en plus de nous deux. Et puis on a souvent un apprenti avec nous. » Retransmettre ma passion aux jeunes futurs cuisiniers est quelque chose que j’apprécie tout particulièrement et il n’est pas rare que je les prenne sous mon aile. Je continue la visite en lui montrant la chambre froide au bout de la cuisine. « Depuis la naissance de mon petit dernier j’ai décidé de reprendre le travail à 80%, en général je ne travaille pas le vendredi donc c’est le jour de la semaine où tu seras à la tête de la brigade. Si un jour tu as la moindre question, tu n’hésites pas, j’ai toujours mon téléphone avec moi au cas où. Et si un jour tu as une suggestion de plat on en discutera ensemble. N’hésite pas, tes idées sont les bienvenues. » Et peut-être même qu’avec un nouveau regard, Byron pourra apporter un petit plus à la carte de l’Interlude.

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Nouveau départ pour une nouvelle vie

« Je tâcherais d'être à la hauteur. Tu me mets un coup de pression là ! » Pourtant bien loin de moi l’idée de mettre un quelconque coup de pression à Byron. Je connais ses capacités en cuisine et bien que tout cela remonte à de longues années, nous avons déjà travaillé ensemble et je sais que le feeling est là. Ça peut paraître bête ou dérisoire mais il a toujours été important pour moi que l’entente entre tout le monde au sein de l’Interlude soit optimale. Bien évidemment qu’il y a des personnes avec qui l’affinité est plus présente qu’avec d’autre, mais le respect de l’autre est primordial à mes yeux. « Si je ne t’en pensais pas capable, je ne t’aurais pas proposé le poste de sous-chef. » Je le rassure, bien que je comprenne parfaitement ses inquiétudes. Sans l’ombre d’un doute pour moi, Byron a toutes les capacités pour devenir un excellent sous-chef et il remplacera l’ancien occupant de ce poste à la perfection. « Je pense que toi et moi, nous sommes allés à bonne école pour ne pas se laisser submerger par la vaisselle sale et encrasser les plans de travail... » N’ayant jamais réellement douté de lui quant à l’hygiène dans une cuisine, j’acquiesce, mais je ne pouvais pas non plus ne pas aborder ce sujet qui selon moi est le plus important lorsqu’on travaille en restauration. C’est d’ailleurs un trait de caractère que j’ai malgré moi, transposé dans ma vie privée : je suis maniaque. Un peu. Légèrement. Je le sais, je m’en rends compte mais même chez moi j’ai besoin que tout soit parfaitement rangé et propre – et je peux vous dire qu’avec trois enfants en bas âge ce n’est pas une mince affaire.

La visite se poursuit dans la cuisine du restaurant ; ma pièce préférée et elle deviendra aussi certainement celle de Byron. Tout amoureux de la cuisine a un attrait particulier pour cette pièce qui n’est certes pas accessible aux clients, mais ce n’est pas pour autant que j’ai décidé d’y mettre moins de moyen. Régulièrement des ustensiles sont changés lorsque cela est nécessaire et je fais en sorte que tout soit toujours rangé à sa place. « J'ai été chef à domicile pendant deux ans. J'avais besoin de voir autre chose. De connaître d'autres expériences. Je ne regrette pas mon choix, il m'a permis de mûrir, mais finalement ce que j'ai fuit, me manquait terriblement... Et tu es apparu à ce moment-là, comme un sacré coup du destin ! » J’écoute avec attention sa réponse à ma question, bougeant de temps en temps la tête de haut en bas. « J’adore ça, moi. Cette adrénaline, le rush pendant les coups de feu. Et puis rien ne vaut le plaisir de voir les assiettes revenir vides en cuisine, c’est à ce moment-là que tu sais que le client a aimé ce que tu lui as proposé. Pouvoir apporter aux clients un peu de bonheur en goûtant aux plats, c’est tout ce qui compte… » Finalement la seule partie que Byron n’a sûrement pas retrouvé durant son expérience de chef à domicile c’est la première : l’adrénaline des gros services. « J'ai le souvenir d'un excellent pédagogue... Contrairement à l'autre énergumène... » Une grimace vient immédiatement trier les traits de mon visage. « Je peux t’assurer que jamais tu ne m’entendras crier sur qui que ce soit. » je précise en lâchant un léger rire. Devoir crier ou hausser la voix durant le coup de feu pour se faire entendre par tout le monde en cuisine, tous les chefs sont obligés de le faire. Mais il y a une différence entre devoir parler fort pour se faire entendre par tout le monde et engueuler et humilier les cuisiniers. Chaque ordre que je donne durant les services sont toujours suivis d’une formule de politesse comme s’il vous plaît ou merci, ce qui me semble être le minimum pour respecter tout le monde. « La famille c'est important. Tu as bien raison de t'autoriser un jour de 'off' pour profiter d'elle. Le plus dur a été accompli, tu peux bien lever le pied. Et je suis là pour relever le défi et te suppléer comme il se doit ! » C’est bien parce que je sais qu’il en est capable que je lui ai proposé ce poste. « Oh c’est pas vraiment une journée off malheureusement, en général je m’occupe de la paperasse administrative. C’est juste que je prends tous les papiers pour m’en occuper chez moi, même si je suis interrompu tous les cinq minutes par les jumelles ou Mael. » Je précise en riant légèrement. Mais en Janvier 2024 les filles feront leur première rentrée scolaire, ce qui me laissera sûrement un peu plus de temps. « C'est noté ! Tu l'as renouvelle combien de fois par an ? » « Quatre fois par an, pour chaque nouvelle saison. » C’est un rythme qui n’est pas de tout repos, mais un changement régulier me semble primordial. « Que propose le restaurant en ce moment ? » Bien sûr. Sa question me fait d’ailleurs penser à ces fiches explicatives ainsi que la carte du moment que j’avais laissé sur un plan de travail un peu plus loin la veille. Je les donne la carte, ainsi que des fiches expliquant chaque étape des recettes actuelles. La carte propose en ce moment par exemple un parmentier de canard ou du coq au vin, mais le tout toujours revisité à ma sauce et bien évidemment de façon gastronomique. « Toujours trois entrées, trois plats et quatre desserts. Il y a la tarte au citron meringuée qui ne quitte jamais la carte. » Puisqu’il était le dessert préféré de Victoria, ma défunte fiancée sans qui je ne serais clairement pas là aujourd’hui. « Et toujours en plus une option végétarienne. » Pour pouvoir satisfaire tout le monde. « Tu fumes ? » que je lui demande en poussant une porte au bout de la cuisine menant à une arrière coure.

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