Abraham Taylor & @Amos Taylor

I should've known I'd leave alone, just goes to show that the blood you bleed is just the blood you owe. We were a pair, but I saw you there, too much to bear, you were my life but life is far away from fair. ☆☆

gifs @unknown & @vampirecherub

(UA gothique) L’odeur du sang.
Abe, comme chacun de ses frères, avait à son tableau de chasse nombre de monstres à poils et de suceurs de sang. Il avait subi les menaces et entendu les supplications qui allaient de paire, sans jamais s’émouvoir de l’un ou de l’autre avant qu’une balle en argent ou qu’un pieu gorgé d’eau bénite ne viennent faire taire pour de bon ces monstruosités de la nature. Rien de ce qui sortait de la bouche de ces créatures n’avait jamais trouvé grâce ou crédit de sa part, ruses de désespoir pour tenter de faire flancher le chasseur dans le combat qu’il menait contre les ténèbres – et pourtant. Le sang avait une odeur. Le sang avait un parfum, envoûtant, enivrant, et si Abe jurait avoir déjà connu l’envie et le désir en quarante-et-une années d’existence, rien n’aurait pu le préparer à l’attraction irrépressible s’emparant de lui chaque fois que l’aura d’un être vivant arrivait à portée de ses narines. Il avait envie d’y goûter. Non, il avait besoin d’y goûter, besoin que le sang d’autrui colore ses lèvres, recouvre sa langue et inonde sa gorge, qu’il vienne s’insinuer dans ses veines, dans chacun de ses vaisseaux, et le délivre de la souffrance à peine soutenable dans laquelle le plongeait la soif qui le tiraillait depuis des jours. Depuis les canines plantées sans avoir le temps d’y penser dans la gorge du wallaby passé à sa portée, pensant y étancher sa soif avant même d’avoir repris ses esprits, pour mieux découvrir le goût âcre et amer du sang de cette pauvre bête. Là, reclus dans sa forêt, ses vêtements en lambeaux et son allure plus cadavérique que vivant pour l’éternité à venir, il avait envisagé d’attendre que le sort s’occupe de lui, gageant qu’à se laisser mourir de faim même les suceurs de sang devaient bien finir par mourir sans qu’un chasseur n’accélère le processus. Et puis un promeneur était passé. Jeune, vivant, le sang battant dans ses veines et la vie s’échappant de chacun de ses pores avec insolence.

Il n’avait pas touché au promeneur.
Mais il en avait eu envie. Sans savoir le décrire, sans vouloir se l’avouer, mais il en avait eu envie, et depuis il ne pensait plus qu’à cela. Et à l’envie de se laisser mourir avait donc succédé celle brûlante de sentir à nouveau le parfum enivrant passé à portée de son flair des jours plus tôt, incapable qu’il était de résister au désir de savoir si chacun être humain avait la même odeur, si tous les sangs se valaient, si le sang d’un enfant n’était pas l’équivalent d’un vin milésimé quand celui d’un veillard aurait des allures de piquette. L’envie virait à l’obsession, lui en avait fait oublier jusqu’à son nom, son identité, si bien que lorsque la silhouette de son chasseur de frère s’était dressée en travers de sa route, le désir de planter ses canines dans sa nuque pour y goûter avait un bref instant supplanté tout l’honneur et tout l’amour familial qui le liait à Amos. « Mon frère. » Son frère. Amos était son frère, et de devoir le verbaliser pour que l’information reste à portée de son esprit lui tordait presque autant l’estomac que la soif et la faim qui le torturaient. Depuis combien de temps avait-il disparu ? Les Taylor s’en étaient-ils inquiétés, l’avaient-ils seulement remarqué ? L’un d’eux était-il parti à sa recherche, ou bien étaient-ils tous acquis à la cause que tous les chasseurs de la famille devaient être en mesure de se tirer seuls des bourbiers dans lesquels leurs traques les entraînaient ? Ce bourbier-là, aucun Taylor, chasseur ou non, n’allait pouvoir l’en extirper. Et de son air hagard, les vêtements couverts du sang du seul animal ayant fait son (maigre) festin, Abe avait encore de quoi entretenir l’illusion d’avoir tout juste réchappé d’un duel acharné contre une créature nocturne, plutôt que d’en être devenu une à son tour.

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On prêtait aux vampires une vue perçante même d’une nuit sans lune, et l’ouïe d’une finesse absolue comme des deux capacités susceptibles de faire d’eux les prédateurs, mais à mesure qu’Abraham sentait s’éveiller ses sens depuis le douloureux réveil dans la mangrove, il lui semblait deviner que le plus aiguisé des atouts du vampire résidait dans son odorat. Chaque odeur était une mélodie, chaque parfum une note de musique, et le déferlement d’effluves qui assaillaient le chasseur depuis son retour en ville lui faisait l’effet d’une cacophonie assourdissante. La faim lui tordait l’estomac, la soif lui brûlait la gorge, et toutes ces odeurs et tous ces sons qui lui parvenaient avec une force et une clarté nouvelles lui donnaient le tournis, et projetaient sur son visage déjà marqué par sa nouvelle condition un masque d’éternel égarement, tant il avait peine à fixer ses pensées sur un questionnement ou un autre. Pour toutes ces raisons, et parce que l’odeur qu’il dégageait avait signalé à Abraham la présence d’un intrus avant même que le son de sa voix ne se soit chargé de lui en révéler l’identité, les quelques secondes ayant séparé le « Abe … » de l’un et le moment de réalisation de l’autre avaient eu l’air de durer des heures. Hagard, incapable d’ignorer ni le parfum ni la vigueur avec laquelle le sang du gaillard circulait à toute vitesse sous son enveloppe charnelle, le cadet avait accueilli le « Bon sang, mon frère, mais que t’est-il arrivé ? » d’Amos et le geste fait dans sa direction comme on sortait brusquement d’un songe, par un sursaut et le mouvement de recul qui allait généralement de pair. « Recule … » Les mains chassant celles avec lesquelles son frère tentait de faire la lumière sur ce qui le mettait dans un tel état, Abe avait marmonné de façon incompréhensible, et tiré sur les plis de sa capuche comme pour s’y cacher un peu mieux encore. « Tu es blessé ? Comment ? Ou c’est une créature ? Tu l’as tuée ? » Celle dont le sang noirci imbibait l’étoffe de son habit ? Assurément. Celle à laquelle il devait les pensées qui l’assaillaient de toutes parts et qui parasitaient sa réflexion ? « Si elle s’est enfuie, on devrait la retrouver. Mais, tiens, bois ça, ça va te démazouter l'esprit, tu as l'air ailleurs, tout embrumé. » N’écoutant ni les premières mises en garde, ni le langage corporel pourtant limpide d’un Abe qui ne souhaitait pas qu’on l’approche, Amos avait attrapé à sa ceinture une flasque usée par les années qu’il lui avait tendue sans envisager l’éventualité d’un refus. Et le regard s’y posant un court instant, le cadet n’avait hésité qu’une seconde avant de s’en saisir d’un geste brusque, l’arrachant presque des mains de son frère pour la porter à sa bouche et en vider le contenu sans même se donner la peine d’une respiration – il n’en avait plus besoin. « La lune. Elle dure depuis des jours. » La phrase n’avait pas de sens, pas plus que n’en avait la situation, et rendant à Amos sa flasque vide comme on se débarrassait d’un déchet, l’alcool ne lui ayant pas fait plus d’effet que n’en aurait eu un verre d’eau remontée du puits. « Je suis parti chasser la Constantine. C’était il y a des jours … je crois. Je ne sais plus. » A nouveau, l’instinct lui avait fait faire un pas en arrière, comme pour tenter d’éloigner l’inconfort que représentait Amos par le simple fait du sang qui circulait dans ses veines. Il lui fallait trouver un moyen de se défaire de sa présence et de leur conversation, de s’assurer que l’aîné ne proposerait ni de le suivre ni de partager sa route, et que cette mascarade durerait trop peu de temps pour que la pénombre et les circonstances ne permettent à son frère de réaliser quelle malédiction se cachait sous la silhouette encapuchonnée de frère et compagnon d’infortune.

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Amos n’avait jamais manqué de clairvoyance, mais à cet instant il semblait au cadet que l’aîné était plus aveugle qu’une taupe. On leur avait pourtant appris mieux que cela, ils avaient été élevés à mieux que cela … Et Amos autant que lui n’avait jamais failli à la tâche. Mais leur oeil et leur flair n’avaient jamais été entraînés pour autre chose que de traquer des proies, et d’y mêler la silhouette familière d’un (très) proche était presque contre nature, aussi y’avait-il peut-être dans l’aveuglement d’Amos une forme de déni inconscient. Il y avait les chasseurs et il y avait les chassés, que les premiers puissent devenir les seconds n’était pas dans l’ordre des choses, et dans son arrogance d’aîné Amos restait aveugle à la possibilité que l’un des siens puissent avoir franchi une frontière réputée infranchissable. La faute à ce dans quoi ils baignaient tous depuis des décennies, la faute aussi peut-être à cette nuit qui n’en finissait plus et à cette pleine lune qui semblait sourire et les narguer. « C’est vrai. C’est long, pour tout le monde et c’est dangereux. Les créatures de l’ombre rôdent. Elles sont en chasse du matin au soir. Nous sommes tous débordés. » Débordés, et visiblement pas (assez) conscients du danger et de la manière dont il tissait sa toile, profitant de l’obscurité pour s’insinuer dans toutes les ruelles de Brisbane. « Entre les patrouilles et les chasses. On a besoin de toi en forme, alors laisse-moi t’aider, tu veux ? » Ce qu’il voulait, c’était la paix. C’était le silence, c’était qu’on le laisse tranquille. Les autres avaient besoin de lui ? Lui avait besoin de se faire oublier, et Amos sans le savoir versait du sel sur des plaies encore fraîches à chaque nouvelle phrase qui sortait de sa bouche.

Abraham avait failli à son rôle de chasseur, et il en payait aujourd’hui les conséquences, la Constantine continuant de répandre la souffrance et la mort partout où elle passait, faucheuse camouflée en beauté vénéneuse. « Et tu l’as trouvée ? Tu veux qu’on la cherche ensemble ? » Une fois encore son frère avait voulu s’approcher, sourd à ses demandes et ses mises en garde, et la patience déjà mise à trop rude épreuve le cadet avait perdu son calme et repoussé Amos de toute ses forces, vociférant un « Je t’ai demandé de me laisser tranquille ! » de bête blessée, et manquant le renverser et perdant à son tour presque l’équilibre, ne retrouvant la stabilité de ses deux jambes qu’à la toute dernière seconde. « Qu’est-ce qu’elle t’a fait, Abe ? » Pour la première fois, le ton et l’attitude d’Amos venait de changer, l’inquiétude se mêlant à la méfiance tandis que sa main migrait précautionneusement vers l’arme accrochée à sa ceinture. « Tu as besoin d’aide, c’est évident, mais si tu ne me parles pas, je ne pourrai rien faire pour toi. J'ai des tartines et du saucisson dans mon sac. Tu dois mourir de faim. » La remarque lui avait arraché un rire amer, et fait serrer les poings si fort que ses ongles avaient laissé une marque sur ses paumes. « T’as aucune idée de ce que c’est que la faim, Amos. » Ils ne l’avaient jamais connu, n’en avaient jamais souffert, et Abe pouvait jurer que rien ne saurait tenir la comparaison avec la souffrance qu’il ressentait désormais, affamé au point qu’aucun mot dans son vocabulaire ne semblait pouvoir le décrire.

Il lui suffisait de fermer les yeux pour que le rythme cardiaque d’Amos lui semble plus fort, et l’odeur de sa chair plus appétante. Comme si se priver de l’un de ses cinq sens exacerbait les quatre autres, déjà aiguisés par ses nouvelles aptitudes. « Vas-y. » Rouvrant les yeux, il avait fixé l’arme portée par son frère quelques longues secondes avant de laisser leurs regards se croiser à nouveau. « C’est ce que te dicte ton instinct, pas vrai ? Alors vas-y. » Attrape ton arme, attrape là – sois un chasseur avant d’être un frère, Amos. Et comme pour lui donner moult raisons supplémentaires de ne plus hésiter, Abe avait finalement fait tomber le capuchon qui maintenait jusque-là les traits de son visage dans la pénombre, la pâleur mortuaire de son teint semblant presque briller au clair de lune, et un sourire amer découvrant les canines proéminentes dont il ne parvenait pas encore à maîtriser correctement la rétractation. « Ma tête est pas encore placardée au mur du Nemrod, tu peux t’asseoir sur la prime. Mais un Taylor, c’est un trophée inestimable, uh ? » Aucun n’avait encore jamais garni leur tableau de chasse, en réalité, mais quelle meilleure preuve de son allégeance à la guildes des chasseurs que de se prouver capable de la faire passer avant les liens du sang, pourtant supposément indéfectibles ?