Malgré son célibat qui ne datait que de quelques heures maintenant, il ne pouvait pas s’empêcher de sourire à l’apparition de son nom sur son écran de téléphone et à l’utilisation de ce surnom - il s’était efforcé longtemps de la faire renoncer à l’appeler ainsi mais Cecilia n’était pas du genre à se laisser dicter les règles. C’était plutôt elle qui maîtrisait le jeu et c’était peut-être l’un des principaux traits de caractère qui avaient donné envie à Diego de s’en faire une alliée. L’idée avait toujours semblé périlleuse parce qu’il l’avait rencontrée nul part ailleurs que dans les bureaux de son père, où il ne saurait plus vraiment dire ce qu’il était venu faire, et que se lier d’amitié avec une employée de Sergio était dangereux. Pour elle. Diego, lui, bénéficiait du statut de fils et malgré leur absence de relation, il savait que son père ne ferait probablement jamais rien pour lui nuire (sauf l’abandonner, mais il s’agissait du passé).

« Est-ce que tu m’emmènes au moins dans un restaurant gastronomique ? » Il avait secoué la tête et s'était pincé l'arête du nez plutôt que de la gratifier d'un sourire ou d'un majeur levé. « J’ai réservé à l’Interlude, je savais que t’allais pas m’écouter sinon. » Il la connaissait, il l’avait acceptée tel qu’elle était et il s’adaptait, comme il avait pris l’habitude de le faire avec Emery et la façon dont cela s’était terminé ne l’aidait pas à réaliser que ce n’était pas forcément la meilleure façon de se comporter. Il avait ouvert la porte de sa voiture en faisant un geste du bras entre l’invitation à entrer et la révérence, masquant difficilement son air agacé car il n’avait pas le temps pour les petits jeux de son amie aujourd’hui. « On célèbre quelque chose au fait ? Ma présence sur terre ? L’immense honneur que je te fais d’accepter ton invitation à dîner ? Tu sais que j’ai refusé un dîner caritatif pour ça. » Il avait levé les yeux au ciel. Premièrement, parce que Cece n’en avait que faire des dîners caritatifs et il le savait mieux que quiconque. Sa présence dans ce genre d’endroit n’était destiné qu’à allonger sa liste de contact et à enchaîner les sourires mielleux à des hommes bien trop âgés dont le porte-feuille ne demandait qu’à s’alléger. Deuxièmement parce que son humeur n’était définitivement pas à l’humour. « J’ai besoin de te parler d’un truc mais tu dois me promettre de garder ça pour toi. Et de garder ton sérieux, aussi, s’il te plait ? » Cela sonnait un peu comme “je devrais te tuer si je te le disais” et son regard sérieux planté dans le sien ajoutait au dramatisme de la scène. Diego avait soupiré sans attendre la réponse, encore perturbé par les événements de la veille et il avait enclenché la première vitesse avant de relancer sa voiture en direction de Spring Hill.  « J’ai merdé Cece. » avait-il lancé sur la route avant de laisser s’installer une étrange atmosphère dans l’habitacle et de rester silencieux jusqu’à ce qu’ils arrivent enfin à la table du restaurant. Et l’idée d’initier la discussion dans un endroit aussi chic où il pourrait potentiellement croiser ses tous nouveaux collègues le rendait nerveux. Plutôt que de commencer par ouvrir le menu comme était en train de le faire Cece - ses yeux déjà inévitablement attirés par les prix à trois chiffres - Diego regardait de gauche à droite, son genou battant la cadence alors que sa nervosité était impossible à cacher.

Il avait réussi à ne jamais douter de son amitié alors même qu’il connaissait la façon dont elle rechignait à entreprendre des discussions sérieuses et, selon ses dires, ennuyantes. Pourtant, ce soir, il n’aurait pas imaginé parler à quelqu’un d’autre qu’à Cecilia parce que malgré sa fâcheuse tendance à faire des coups bas à à peu près tout le monde, il se savait épargné pour une raison qui lui échappait. « T’es sûr que ça va Diego ? Y a un cadavre à enterrer ou quoi ? » Il en était convaincu, son amie aurait préféré être n’importe où ailleurs qu’avec lui à ce moment précis parce que les traits de son visage étaient si tirés qu’il se trouvait presque laid en voyant son reflet dans le rétroviseur de sa voiture. Alors il la laissait utiliser cet humour pinçant sans broncher, de toute façon trop pensif pour réellement accorder d’importance à autre chose qu’à Mateo. Il avait secoué la tête, il se souvenait même de son prénom et ce détail participait à l’inquiéter encore un peu plus. « Tu prends quoi à manger ? » Quelque chose qui ne péserait pas lourd dans son estomac noué par un étrange sentiment. Il ne croyait pas au coup de foudre, n’avait jamais pris le temps de s’imaginer dans l’avenir autrement qu’avec sa blouse blanche d’hôpital et s’il avait toujours été capable de repérer les charmes des hommes c’était principalement pour se comparer à eux. Alors il ne réussissait pas à comprendre ce qu’il ressentait, réalisant juste que plus il niait, plus cette sensation désagréable persistait.  « La salade, merci. » avait-il demandé en attrapant le verre de vin qui lui avait été apporté et en buvant une gorgée sans même le réaliser. « Joder pourquoi tu m’as pris du vin ? Je bois pas… » Il avait fixé le verre et s’était noyé un temps dans la couleur grenat de la boisson. « On va dire que je bois aujourd’hui. » Et il avait repris une gorgée, n’appréciant pas le goût, appréciant l’effet que cela avait sur son cerveau en ébullition. Un sentiment qui se transmettait tout doucement dans l’ensemble de son corps avec ce mouvement répétitif qu’il n’arrivait pas à contrôler. Cecilia avait posé sa main sur son genou, et il avait planté son regard dans le sien, cherchant déjà son soutien. « Calme toi. Aux dernières nouvelles j’avais pas prévu de manger avec un batteur ce soir. » Il avait cessé, un temps. « Qu’est-ce que t’as pu faire de si dramatique pour être dans cet état-là ? » Il s’était toujours efforcé de rester dans les lignes toutes tracées, suivant ses études offertes par sa bourse avec brillot, restant à distance correcte de toutes tentations. Son côté propre et lisse l’avait même éloigné d’une fratrie préférant faire quelques vagues. Pour Diego, beaucoup de choses auraient semblé dramatiques, mais il en était convaincu cette fois, il n’exagérait pas en pensant avoir fait la pire erreur de sa vie. « J’ai… j’ai trompé Emery ? » avait-il commencé, détestant le son de ces mots prononcés tout bas pour ne pas alerter ses voisins de table. Mieux valait avancer les pions directement, pour ne pas ajouter une terrible appréhension au cauchemar que représentait déjà cette conversation. « J’ai embrassé quelqu’un. Devant elle. » Il était extrêmement difficile pour lui d’avouer ce qu’il s’était passé la veille parce qu’il était devenu une version de lui qu’il détestait, venant s’adonner à quelque chose qu’il avait toujours exécré. Emery ne méritait pas ce genre de traitement, et ce peu importe la quantité de poudre passée par son nez ce soir-là. « J’ai embrassé quelqu’un alors que j’étais en soirée avec ma copine, Cecilia. » Il le voyait déjà naître au coin de ses lèvres, son sourire narquois, prête à indiquer que dans son monde embrasser n’était pas tromper ou que savait-il encore, prête à le féliciter de s’être enfin comporté autrement que comme un premier de la classe. Alors il avait continué, pour qu’elle saisisse bien l’ampleur du problème et la raison de sa nervosité. « La personne. C’était un mec. » Son regard s’était détourné d’elle et il n’avait pas remercié le serveur un peu trop envahissant lorsqu’il avait amené leurs plats, son appétit définitivement coupé. Il était trop tôt pour lui confier à quel point il avait aimé ça et à quel point, malgré la tristesse et la colère qu’il ressentait, il était principalement terrifié à l’idée de ne plus jamais revoir cette personne.

Diego était presque en train de comprendre pourquoi l’alcool était une drogue aussi répandue : elle anesthésiait, au point presque de ne plus avoir la concentration nécéssaire pour se focaliser sur ses problèmes. Pourtant, il en était convaincu, se mettre à boire ne serait qu’une erreur de plus et la pire des manières qu’il soit d’anéantir sa carrière. Il en avait vu, des médecins prestigieux ruiner leur vie à cause d’erreurs faisant suite à leurs addictions et, avant ça, avait tenté l’expérience durant ses années lycée puis le début de ses études pour en arrivant au même constant, tout cela n’était pas pour lui. « J’ai l’impression que ça ne te fera pas de mal en effet. » Mais ce soir encore, il suivait la tendance, buvant ce vin français comme s’il lui apporterait la solution à tous ses problèmes. Ce n’était pas le cas mais l’alcool lui avait donné juste assez de courage pour dire tout haut ce qu’il avait fait la veille au soir. Tromper Emery, il ne l’avait pas prémédité, accordant les efforts nécéssaires à leur relation malgré leurs caractères opposés et les déboires dont faisait preuve sa petite amie. Ex petite-amie. Il ne savait même plus, ce n’était pas une fin de relation à proprement parler, ils ne s’étaient pas dit que c’était fini, elle avait juste secoué la tête avant de fuir lorsque leurs regards s’étaient croisés après ce baiser. « Mais encore ? » Comme si cette information n’était pas déjà en soi une énorme bombe. Cecilia était étonnante, et pas toujours dans le bon sens, sa spontanéité et sa désinvolture faisant parfois très mauvais ménage avec cette amitié qu’ils étaient supposés avoir. Malgré tout, il avait poursuivi. « Juste pour information…sur une échelle de 1 à 10…t’avais bu comment avant ça ? » Son langage corporel criait l’exaspération mais il tentait de rester composé. « Je. ne. bois. pas. Cecilia. » Il avait prononcé sa phrase en insistant sur chaque mot, en profitant pour repousser son verre de vin avec l’index et le majeur pour signaler qu’il avait - déjà - eu sa dose. Il avait repris sa phrase du début, ignorant ce même air agacé qu’elle semblait mimer parce qu’elle détestait que l’on tourne autour du pot. « Je sais pas trop à quelle réaction tu t’attends de ma part. Booouh, méchant Diego ? Ca arrive. Elle te pardonnera ou elle passera à autre chose mais dans tous les cas elle s’en remettra. C’est une grande fille et t’es pas allé coucher avec sa meilleure amie, y a pire. » Il y avait effectivement bien pire. « J’ai déjà été dans cette situation, et on s’en remet. » Son agacement avait atteint un point de non retour et il avait lancé sa deuxième bombe un peu plus fort que la première, lui coupant la parole au passage, la terminant dans un soupir. « Un mec ? » Son regard s’était plongé dans le sien et il avait acquiescé. Lentement. Comme s’il tentait encore d’accepter l’information. « Je vais avoir besoin de plus de détails. Sur lui. Sur vous. Vous vous connaissiez ? » Il ne savait pas par où commencer et n'était pas réellement sûr de vouloir s'épandre sur le sujet parce que cela rendrait les choses bien trop concrètes, bien trop réelles. Il était venu se pincer l’arête du nez, l’ensemble des détails de la veille lui revenant en forme de flashs.  « Je sais pas quoi te dire, non je le connaissais pas, et je le reverrai probablement jamais. » Prononcer ces mots lui avait laissé un sentiment désagréable dans l’estomac, quelque chose qui ressemblait à de la déception.

Il s’était laissé aller, parce qu’il en avait besoin et parce qu’il avait tout d’abord souhaité faire plaisir à une Emery qui se sentait à cette soirée étudiante comme un poisson dans l’eau. Il n’avait pas bu, il avait platement ignoré les autres substances cette fois-ci illicite qui traînait et s’était efforcé de ne pas être rabat-joie en prônant un discours sur combien les drogues et le rôle de médecin n’allaient pas de pair. Tout se passait bien, les discussions s’enchaînaient et c’était peut-être la façon dont elle était revenue en se frottant le nez qui avait été l'élément déclencheur. Elle était repartie, son sourire ne réussissant pas à cacher la dilatation de ses pupilles. Une image difficile à accepter et qui l’avait laissé là, au milieu de la foule dansante, les sourcils froncés et l’air contrarié. Une main s’était posée sur son épaule et cette discussion-là avait été un peu plus profonde, un peu plus intense, un peu plus tout.  « Par contre pardon… » Cecilia était venue le tirer de ses pensées et le mot pardon était si étranger à son vocabulaire qu’il s’attendait maintenant à tout. « ...mais même si ça en reste un, j’ai pas l’impression que le fond du problème ce soit de tromper ta copine…mais plutôt le fait d’avoir embrassé une personne du même sexe que toi ? » Il détestait sa façon de minimiser le mal qu’il avait fait à Emery, pourtant, c’était exactement pour ça qu’il souhaitait aborder le sujet avec elle, parce que sa capacité à être elle-même, sans jamais aucun filtre, lui assurerait qu’elle serait toujours complètement objective. « Je m’en veux, peu importe qui c’était. J’aurais jamais dû lui faire ça, elle le méritait pas et ça me ressemble pas. » Il était conscient de combien son amie avait minimisé ses actes juste avant mais la tromperie n’était pas prévue dans son chemin tout tracé. Il était quelqu’un de droit, quelqu’un de sincère, il aimait penser qu’il ressemblait bien plus à sa mère qu’à son père en ce qui concernait le caractère. Mais ce genre d’acte n’était digne que de Sergio et la pensée lui avait fait pincer les lèvres. « Mais c’est le fait que c’était avec un mec qui me torture l’esprit, ouais. » Cela n’aurait jamais du arriver, encore moins avec quelqu’un du sexe opposé. « No mames… » avait-il murmuré en se prenant la tête entre les mains pour finir par jouer avec ses cheveux nerveusement. « Qu’est ce qu’il m’a pris ? » avait-il demandé, rhétoriquement, mais il était déjà certain que Cecilia ne manquerait pas de répondre.

Ils s’agaçaient mutuellement, en témoignaient les profonds soupirs qu’ils essayaient de dissimuler en appuyant leurs lèvres sur leurs verres. Un verre de vin qui était normalement une limite à ne pas franchir pour un Gutiérrez qui tentait de s’éloigner du mieux qu’il pouvait de tout ce qui pourrait le faire sortir du droit chemin. C’était sûrement déjà trop tard et il ne lui avait fallu qu’une quantité d’alcool très limité pour se laisser aller avec une personne du sexe opposé. Pour lui, ou plutôt pour sa famille, c’était sûrement déjà là un pas à côté du chemin. « Et c’est une mauvaise chose ? C’est fait. C’est fini. C’est du passé. » Il avait laissé s’échapper un soupir encore un peu plus long que les précédents, si seulement tout était aussi simple dans son esprit que dans celui de Cecilia. C’était une façon de réagir à un ami lui avouant sa tromperie, mais peut-être pas la plus banale. Bien sûr que Cecilia n’allait pas lui traire des remontrances alors qu’elle était bien plus à-même de prôner le mal que le bien, et pourtant, elle l’étonnait toujours. Alors Diego était venu ajouter de plus amples explications sur ce qui était en train de le ronger de l'intérieur, à commencer par la façon dont il avait traité Emery. « Ok tu t’en veux, ça j’ai bien compris et c’est tout à ton honneur. » Mais cela ne suffisait pas à le sortir de la catégorie des pauvres types. « Mais si ça te ressemble pas, alors pose toi les bonnes questions. Pourquoi t’as agi comme ça ? T’avais une quelconque vengeance à assouvir ou t’en avais juste envie ? » Ses yeux s’étaient levés au ciel cette fois-ci pour prendre en compte les conseils de son amie et tenter de se poser les questions qu’elle lui avait pré-mâchées. C’était tant mieux parce que même avec cette aide, Diego était bien incapable de comprendre son geste - où il refusait de le faire - et il s’était contenté de répondre à un unique point du discours de son amie. « Comment ça une vengeance à assouvir… » Il avait bougé la tête lentement de droite à gauche comme s’il réprimandait un enfant. Tout le monde n’était pas comme elle, pourtant, il comprenait la question qu’elle lui posait car il ne s’était jamais trop exprimé sur son couple et Cecilia ne connaissait pas la relation en détail. A demi-mots, il venait donc de confirmer que son action avait été guidée par un constat extrêmement simple : il s’était senti attiré par ce garçon. Et l’idée l’avait fait grimacer sans même qu’il ne l’ait prononcée. Alors il avait fini par demander tout haut ce qui lui était passé par la tête, une question qui se voulait rhétorique mais à laquelle Cecilia avait la réponse. « L’attirance. » Une réponse qui une nouvelle fois lui avait fait serrer les dents, il détestait qu’elle ait raison de manière générale mais cette fois-ci encore un peu plus. « Ca s’appelle l’attirance Diego. Tu la contrôles rarement. Et t’as certainement pas à t’en vouloir à cause du sexe de la personne pour laquelle tu la ressens. » Il écoutait attentivement, bien peu convaincu que sa famille partagerait un tel point de vue. « T’aurais voulu pouvoir en discuter avec lui ? En savoir plus sur lui ? Le revoir ? » C’était selon elle les seuls regrets à avoir et pour lui, c’était une liste qui s’allongeait. « Ce mec a gâché ma vie et je le reverrai jamais donc ouais, j’imagine. » Il édulcorait du mieux qu’il pouvait ses réponses, Cecilia s’en fichait, c’était lui-même qu’il tentait de préserver.      Sa réaction à cette remarque ne s’était pas faite attendre, alors même que son amie pointait du doigt des évidences. « Corrige-moi si je me trompe, mais t’es complètement obnubilé par ce mec. » Il avait posé son verre calmement, une apparente décontraction en totale opposition avec son réel état. « Je suis pas obnubilé, je viens à peine de t’en parler.. » Il se braquait au fur et à mesure où la blonde balayait d’un revers de la main l’ensemble de ses doutes à coups d’arguments solides.  « Je sais pas, je suis pas en train de t’annoncer que j’ai trébuché dans la rue là mais que j’ai trompé ma copine et avec un mec qui plus est. » Son regard s’était porté à gauche, puis à droite, pour s’assurer qu’on ne l’entendait pas. « J’entends tes arguments, mais ça en reste tout aussi déroutant pour moi, CeCe. » Son regard avait cherché le sien, les mots avaient tous été dits et il ne savait plus exprimer les sentiments contraires qui se mélangeaient en lui. A commencer par la réalisation qu’Emery ne serait maintenant plus là. « Et je me sens super égoïste de penser comme ça mais je me retrouve seul alors que c’est pas exactement la joie en ce moment. » A Cecilia, Diego n’avait pas besoin de jouer de violons et de laisser paraître qu'il était en pleine forme, jonglant parfaitement entre la maladie et sa soeur et son internat. Il commençait à avoir un salaire décent et pouvoir se faire inviter au restaurant suffisait amplement à son amie, qu’il continue de croire au remède miracle ou non, il savait qu’elle lui rappellerait que l’argent était le moteur. Il ne la voyait pas comme vénale, plutôt comme pragmatique, et c’était exactement ce qu’il recherchait même si ses conseils étaient extrêmement difficiles à accepter.

Malgré la façon qu’elle avait de balayer les problèmes qu’il pouvait lui énoncer d’un revers de la main et sa façon de n’accorder que peu d’importance à la morale, Cecilia avait été la première personne qu’il avait appelée pour se confier. Et elle avait répondu présente. Il ne lui fallait pas plus d’arguments pour la placer en tête de ses amis. Pourtant, s’il était d’habitude plutôt réceptif à ses conseils - pas toujours judicieux - et ravi d’obtenir des avis qui n’étaient pas édulcorés par la simple envie de ne pas blesser, cette-fois, il aurait été extrêmement reconnaissant de se voir passer un peu de pommade. « Putain fais un effort Gouttière. Va falloir y mettre du tien un peu là si tu veux que je t’aide à y voir plus clair. » Cecilia ne prenait pas réellement de pincettes, et cela l’agaçait, parce qu’il s’était rarement senti aussi perdu qu’à ce moment précis. Il avait dévié du droit chemin et avait rejoint une catégorie de personne qui le révulsait et au même moment, avait soulevé une question bien trop compliquée pour être gérée en même temps que ses autres problèmes. Quand elle lui avait demandé ce qu’il aurait voulu, sa réponse avait été lancée négligemment, Diego étant persuadé qu’il n’avait de toute façon plus le choix de la suite des événements. « T’as toujours un toit, un boulot, de l’argent, de la famille, des amis. Je crois qu’on a vu pire niveau vie gâchée. » Il y avait effectivement toujours pire que soi, mais, égoïstement, le mexicain restait focalisé sur son propre mal-être. « C’est normal. Mais si c’est déroutant ça vaut peut-être la peine d’essayer de creuser pour comprendre pourquoi ça l’est…et ce que ça pourrait signifier pour toi et pour les personnes pour qui tu ressens ou non de l’attirance. » C’était sur son pain qu’il avait décidé de se venger, formant des petites boulettes de mie pour tenter de calmer ses nerfs qui commençaient à lâcher. « Ca signifiait rien, je suis attiré par les femmes, point. » Il n’avait pas prévu d’être aussi fermé face à ce sujet, il s’était toujours estimé ouvert d’esprit jusqu’à ce que tout cela ne vienne le concerner lui directement. « Si tu me demandes mon avis, je pense que c’est bien pire de ne pas savoir et de se laisser envahir par des questions obnubilantes qui vont rapidement devenir très oppressantes pour toi, quand tu pourrais au contraire essayer de comprendre ce qui s’est passé. A ton rythme. Et sans te flageller à la première occasion. » Oh. Peut-être aurait-il du anticiper ce qu’elle dirait à la suite, parce que c’était exactement ce qu’il était en train de faire. « J’aimerais que tout ça semble aussi simple que ça l’est pour toi, tu sais ? J’adorerais. Mais pour l’instant je me sens juste comme un énorme connard. » Il était encore trop tôt pour qu’il avoue sa mauvaise foi qui le forçait à camper sur ses positions : il aimait les femmes.

Il y avait la façon dont ses actions devaient l’amener à se remettre totalement en question mais aussi le fait qu’elles lui avaient arraché une personne qui comptait à ses yeux. C’était encore trop tôt pour le dire, mais il savait que quelque chose s’était brisé avec Emery et il espérait naïvement pouvoir la garder au moins comme amie. Et une amie, il en avait une bien plus chère encore sous les yeux même si celle-ci s’évertuait à minimiser l’impact de ce qu’il lui racontait, un angle qu’il n’était pas encore prêt à utiliser. « Ouhouh. Je suis là. Fun fact : ton ex n’était pas la seule présente pour toi. T’es pas tout seul Diego, et je suis certainement pas la seule personne prête à t’épauler quelles que soient les épreuves que t’as à affronter, et quelle que soit leur gravité. » Son regard avait trouvé le sien et il l’avait regardé, intensément, ajoutant un maigre sourire après quelques secondes pour lui témoigner à quel point il lui était reconnaissant. Ce n’était pas son genre, à Cecilia, d’admettre tout haut son amitié alors même qu’elle pouvait qualifier n’importe quel sentiment de faiblesse. Ce n’était pas non plus son genre de trouver les bons mots et il pouvait le constater à la façon dont ses yeux se perdaient quelques secondes dans la pièce avant qu’elle ne les prononce. « Tu sais bien que c’est pas ce que je voulais dire. La famille, les amis, on partage pas autant de notre vie avec eux. » C’était peut-être le cas dans une famille fonctionnelle mais les Gutiérrez avaient bien du mal à le rester, encore plus avec la bombe qui leur était tombée dessus une année plus tôt. « On commande ? » Malgré la dificulté du moment, ils devaient dîner s’ils ne souhaitaient pas que les regards s’attardent trop sur eux. Il avait fait un signe au serveur qui avait pris leur commande, quelque chose de léger pour lui, le plat le plus cher de la carte pour elle. « J’ai pas besoin de te dire que tout ça reste entre nous, hin ? » Et il devrait prendre son courage à deux mains pour aller discuter avec Emery et s’assurer qu’elle aussi garderait le secret.