Un vent doux souffle dans les rues de Brisbane ce soir-là. Une caresse sur son visage bien différente de la morsure de celui qui balaie les côtes près de Belfast. Et pourtant, Aisling presse le pas, guette les coins sombres, le cœur battant, l’esprit en proie à de terribles scénarios, les yeux qui imaginent les sbires de Mitchell sortir de chaque ruelle. Mais elle paie ses dettes, la belle aux yeux d’eau, ça devrait lui assurer une certaine sécurité… pour le moment. A quelques mètres de chez elle à peine, elle hésite. C’est qui ce type qui fume une clope adossé au mur ? Il m’attend, c’est sûr, il va me faire la peau ! Mais non, il se détourne, jette le mégot au sol sans chercher à l’éteindre et continue sa route. Le soupir de soulagement n’a pas le temps de franchir ses lèvres qu’une main rude se pose sur son épaule. « Ha ! » Qu’elle crie sans pouvoir s’en empêcher. Le type à la casquette semble un peu surpris et ses joues la brûlent. « J’voulais pas vous faire peur ma p’tite dame ! Vous bossez bien ici non ? J’ai un colis pour l'patron et j'sais pas bien à qui l'donner alors voilà. » Pas le temps de protester ou de bredouiller une explication : Aisling se retrouve avec un gros carton sur les bras et le type déjà remonte dans sa camionnette et trace la route avec l’empressement des utilitaires qui ont pris un peu de retard sur leur planning. Quelle merdier. Aisling soupire, lève les yeux vers les portes qu’elle a franchi tant de fois par le passé, et qu’elle évite désormais avec autant de déférence que celles de l’enfer. Je rentre, je dépose le colis, je pars. Je rentre, je dépose le colis, je pars. Elle se répète pour se donner du courage.

Mais à peine a-t-elle pénétré le bar que l’effluve agréable du bois imbibé de bière lui chatouille les naseaux, l’appelle, la tente. Mon Dieu pardonne mes défauts de caractère et donne-moi la force de résister cette fois encore. Elle se prend à prier, et une petite chaleur grandit dans son être comme pour la protéger, juste à temps car déjà Eavan la jolie Barmaid lui propose un verre et par le même biais des heures supplémentaires à ses côtés. Aisling lui rend son sourire : ça fait du bien de la voir. Trop de temps s’est écoulé depuis leur dernière rencontre, et elle s’accroche à ce sentiment positif pour taire l’anxiété qui menace de l’étouffer. « Non, merci je suis juste venue déposer un- » Pas le temps de finir sa phrase, déjà la jolie blonde est harcelée de commandes qu’elle s’empresse de servir à un rythme effréné, inhumain. Le cœur d’Aisling se serre alors que son amie revient vers elle, l’air épuisé et le cœur pareil. Elle a revu Cian. Aisling ne connait pas tout les détails de cette histoire mais elle la sait mouvementée, et nul doute que le café brûlant sur ses cuisses n’a pas dû arranger leur relation. « Merde, désolée. » Elle répond mais ne peut retenir un petit rire en imaginant la scène, parce que c’est tout Eavan ça : la jeune femme a les meilleures intentions du monde mais lorsque les événements s’acharnent contre elle, elle accepte le tout avec un joli cynisme dont Aisling se sent incapable.

Saisissant un moment de calme, la brune juge qu’il est temps de procéder à sa mission et de se retirer dans les règles. « En fait j'suis juste venue déposer un colis. Le livreur a cru que je bossais là, c’est pour le patron. » Elle explique en déposant l’imposant carton sur le bar. Tu la salues poliment, tu fais un signe de la main et TU TE TIRES GODDAMMIT ! Mais les cernes de la blonde et son teint cireux la clouent sur son tabouret aussi surement que les clients qui tapent leurs choppes vides sur le bar pour un refill (et qui lui donneraient bien envie de distribuer quelques baffes si elle était aussi courageuse que Robin). « Ça va Eavan ? T’es genre pâle comme mon cul et crois-moi c’est un sacré indicateur comme je suis rousse sous cette teinture. » Elle murmure en passant derrière le bar, entraînant le tabouret sur lequel elle avait posé le dit fessier avec elle. « Tu sais quoi, repose-toi cinq minutes, je prends le relais. Mais juste pour ce soir, hein ? » Elle affirme en installant son amie sur le siège. Une femme enceinte devrait pas avoir à travailler. Pas comme ça, pas debout et pas avec toute cette énergie masculine tout sauf propre à la sérénité, elle se lamente en attrapant un des tablier pour l’enfiler. « Une pinte de blonde ! » « Un whisky on ice ! » Les commandes fusent et Aisling s’exécute, l’esprit vide, la gorge qui s’assèche à mesure que les litres de son poison remplissent les verres d’étrangers plutôt que son gosier. « C’est quoi l’embrouille avec Cian alors ? » Elle demande, autant pour se changer les idées que parce qu’elle se dit qu’Eavan aura peut-être besoin d’en parler.  

Eavan prend plutôt bien le diagnostic. Avec humour elle demande quand même à voir le dit cul pâlichon pour se donner une idée de son teint et Aisling se réjouit brusquement de la densité de la clientèle qu’elle s’empresse de servir pour ne pas avoir à répondre. C’est que le popotin en question, il suffit de taper son nom dans n’importe quel moteur de recherche pour le voir en haute définition. Aisling en est pas fière, ça non, mais les photos érotiques, c’est tout ce qu’elle a trouvé pour payer ses dettes et son loyer. La tête dans les bouteilles d’alcool, la brune lutte contre le feu qui s’est allumé dans sa gorge. Heureusement, la voix de son amie l’arrache à ses démons par un petit mot tout simple pour lui témoigner son affection. Aisling lui jette un regard par-dessus son épaule et lui offre un beau sourire tout timide qui vient rembourrer ses joues roses. Elle aimerait lui dire qu’elle l’aime aussi, mais ce mot là il reste bloqué dans sa gorge. Elle sait pas faire, c’est pas dans sa culture ni dans ses habitudes d’exposer ainsi ses sentiments, alors elle espère qu’Eavan comprendra encore une fois et surtout qu’elle ne s’en formalisera pas.

La vague de client servie, le calme retombe un instant sur le bar et Aisling en profite pour nettoyer quelques verres vides et les essuyer dans le torchon. Servir à Brisbane ou à Londres, c’est du pareil au même quand on est derrière un bar, et les gestes lui reviennent comme par réflexe. Elle est étonnée de les retrouver avec une telle clarté, après des années de brume, volées par les drogues dures qu’elle consommait comme des bonbons. Eavan, sa drogue du jour ça semble être les regrets. Aisling l’écoute lui raconter comme elle a rencontré Cian dans un café, sa colère et puis sa fuite face à son honnêtement. Le cœur d’Aisling se serre et elle secoue doucement la tête. « C’est pas ta faute. » Elle affirme avec sincérité. « N’importe qui aurait fait la même chose dans ta situation. T’as pensé à ton bébé qu’avait besoin d’un père. Et t'as été honnête avec Cian. Je vois pas ce que tu aurais pu faire d'autre. » Ça lui semble logique à Aisling, ça fait écho à son éducation bien catholique. Une femme seule, c’était pas vraiment accepté dans sa communauté alors les femmes enceintes elles avaient tendance à se marier rapidement avec le premier type qui voulait bien d’elles. Souvent un ami de la famille pour qui elles finissaient par développer des sentiments à force de vivre avec. « Moi ? » Elle demande, comme s’il peut y avoir la moindre ambiguïté sur la question. Moi, j’ai mon ancien boss chef de gang qui m’a remis la main dessus et qui me presse comme un citron pour se venger de la trahison mon ancienne amie de galère (qui me déteste maintenant parce que je l’ai balancée pour sauver ma peau). Ah et sinon je suis sobre aussi mais ça risque pas de durer vu l’état de stress dans lequel je me trouve ! La gorge d’Aisling se serre. Non, ce n’est pas le genre de sujet qu’elle a envie d’aborder ce soir. Pas comme ça, dans un bar où trop d’oreilles indiscrètes pourraient l’entendre. Parce que Mitchell il est dangereux, il est recherché, et ses ennemis comme ses alliés se cachent partout, des deux côtés de la loi. « Moi je comprends rien à ce que je ressens pour mon meilleur ami. Tu sais, Sid. Dès qu’il est trop proche je panique du genre à prendre mes jambes à mon cou et dès qu’il est trop loin il me manque affreusement. C’est débile non ? » Elle soupire, sert une bière à un type qui tend le bras et attrape son billet qu’elle glisse dans la caisse d’Eavan. « Y’a quelques semaines, sa sœur a eu un accident de moto. Grave le truc, j’étais avec lui à l’hôpital. Il a fait une crise de panique, je savais pas quoi faire pour l’aider, je l’ai embrassé. » Elle lâche un soupir, se passe la main sur le front et se laisse tomber sur un tabouret à côté d’Eavan. « Mais qu’est-ce qu'il m’a pris ?! C’était complètement idiot ! Enfin… je crois que ça a marché parce qu’après il s’est un peu calmé. Seulement voilà depuis tout ce temps j’ai pas de nouvelles alors qu’on s’écrivait souvent avant. Je me dis qu’il doit être pris avec sa sœur et tout mais quand même tu vois j’ai un peu peur d’avoir tout gâché et je sais pas quoi faire. » Elle avoue avec une moue dépitée. Les mecs, c’est quand même foutrement compliqué. « Et toi ? Tu vas faire quoi avec Cian et et Ian ? »    
 

Une moue dépitée sur ses lèvres roses, Aisling laisse tomber sa carcasse et son désespoir sur un siège haut derrière le bar. Contrairement à elle, Eavan a l’air carrément enjouée par son initiative qu’elle ne manque pas d’encourager. Elle se montre compréhensive pourtant, et ne manque pas de bons conseils quand à ce qu’elle devrait faire pour rattraper le tir. « Au culot ? » Aisling s’horrifie en se relevant brusquement pour aller servir un client qui vient de finir sa pinte et en réclame déjà une autre. « Je peux pas, j’en aurai jamais le courage. » Elle proteste, mais Eavan la connait trop bien et immédiatement elle enchaîne en lui disant qu’elle ne risque pas grand-chose, qu’il faut qu’elle sache tout simplement. Aisling n’est pas tout à fait de cet avis mais sa gorge se serre lorsque la jolie blonde lui demande si elle serait prête à rejouer les amies. Et malgré la tristesse qui lui serre les tripes, la réponse fuse : « Carrément. Je préfère être dans sa vie en tant qu’amie que le perdre pour toujours parce que j’en demande plus qu’il veut bien me donner. » C’est rassurant d’être l’amie de Sid, agréable de savoir qu’elle a toujours une place sur son canapé et dans ses bras pour regarder un film et partager une pizza. L’idée de le voir prendre de la distance la terrifie et elle préfère largement vivre avec un éternel point d’interrogation que de recevoir une réponse qui briserait ce qu’ils ont déjà. « En plus j’vais être honnête avec toi, je sais même pas si j’ai envie d’être sa nana. » Elle avoue dans un soupir tandis que sa main déjà attrape la bouteille de Jägermeister, serre une rasade aux étudiants qui se pressent pour une nouvelle tournée. Une goutte tombe sur son doigt qu’elle porte machinalement à ses lèvres, geste qu’elle regrette aussitôt comme il allume une soif dévorante dans sa gorge. « Les amitiés c’est solide, mais les histoires d’amour, ça finit toujours mal. J’ai pas envie de le perdre en me rendant compte que je suis pas capable de l’aimer comme il faut. Merde alors, je suis même pas certaine de l’aimer de cette façon-là tout court. » Elle soupire, essuie le plan de travail, rince quelques verres. « J’ai jamais eu de copain, tu sais ? Ça me fait grave flipper. » Ce qui est bien avec Eavan c’est qu’elle n’a pas de mal à s’ouvrir. Elle sait qu’elle ne sera pas jugée, et elle peut compter sur une réaction authentique qui vient des tripes. L’une et l’autre, elles se reconnaissent à l’intérieur, et même quand elles ne se comprennent pas, elles s’acceptent, tout simplement. Peu concentrée sur ses gestes mécaniques, Aisling écoute désormais Eavan qui se confie à son tour. Elle sent un sourire lui étirer les lèvres alors que la belle blonde lui expose son plan, qui consiste à faire en sorte que les deux hommes se sa vie ne finissent pas par entre-tuer. « Ça me paraît une bonne option. » Elle approuve avec un petit hochement de tête. Elle sent bien l’abattement dans le rire d’Eavan. Elle est crevée, elle est à bout émotionnellement et enceinte jusqu’au cou. Et bien sûr Cian et Ian ne trouvent pas mieux à faire que de rajouter une complication dans sa vie. Voilà qui ne remonte pas vraiment son estime des hommes. « Tu me parles d’eux là, mais tu me parles pas de toi. » Elle tente d’une voix douce en posant une main sur son avant-bras. « Si tu pouvais tout avoir, tu ferais quoi, toi ? » Elle demande de but en blanc, parce qu’Ambroise lui avait demandé ça et qu’elle avait pas su répondre, mais qu’elle avait trouvé ça vachement intelligent comme question sur le moment. Mais déjà Eavan lui parle de Sid à nouveau – c’est fou comme il est plus facile de se concentrer sur les problèmes de son amie plutôt que de regarder en soi. Aisling la comprend, elle est pareille et ce changement de discussion lui froisse l’estomac. « T’es gentille de me dire ça, si tu savais comme je culpabilise depuis des semaines. » Elle avoue avec un sourire sincère. « C’est que d’habitude on s’écrit assez souvent, alors ce silence, j’ai pas l’habitude et ça me fait vraiment peur de l’avoir froissé. Tu sais il est tellement doux, je sais pas s’il oserait me le dire si j’ai merdé… et moi je suis bien trop lâche pour oser lui demander ! » Elle lâche avec un rire un peu nerveux. « Je vais attendre qu’il revienne vers moi je crois. Et s’il tarde trop je lui proposerai une soirée Netflix et pizza, genre comme avant. T’en penses quoi ? »    
 

Eavan semble comprendre son dilemme et ça la rassure quelque part, Aisling. La blonde lui dit avoir agit d’une façon similaire sauf qu’à la différence d’Aisling, elle a vu le gars en question tout nu. A cette allusion, la brune sent le rouge lui monter aux joues. Les seules zones de peau de Sid qu’elle a déjà vu sont ses mains, son visage et ses bras. Même à la mer, ils ne sont jamais allés ensemble. Et évidemment, prude comme elle est, Aisling n’a même pas imaginé deux secondes que les sentiments qui l’agitent, et la direction qu’ils pourraient prendre après ce baiser innocent pourrait mener à une exploration de ce genre. Finalement c’est peut-être pas plus mal qu’il ne me recontacte pas… Elle panique intérieurement, calme ses nerfs en profitant du calme éphémère pour préparer un cocktail de fruits à sa compagne d’infortune. Clairement, Eavan voit clair dans ses doutes, comme d’habitude, parce que direct elle pointe du doigt ce qui fait mal, cherche à savoir si sa peur c’est de ne pas l’aimer d’une façon plus romantique ou la peur de se lancer tout simplement. Elle lui dit la même chose qu’Ambroise, dans les grandes lignes, et Aisling sait bien dans le fond qu’ils ont tous les deux raison de la pousser à tenter malgré ses peurs. Sauf qu’elle ne s’en sent ni la force, ni le courage. La blonde lui dit qu’elle sera là quoi quelle que soit sa décision, et ses paroles touchent Aisling en plein cœur. « Thank you, for sayin’ all that. I’m lucky to have you. » Elle avoue, et la discussion se reporte sur Eavan. Aisling en profite pour souffler un peu, oublier ses sentiments emmêlés et se concentrer sur ceux de son amie qui a autant besoin de soutien qu’elle, peut-être même plus ! Elle se confie enfin, avoue que tout ce qu’elle veut c’est avoir Cian dans sa vie à nouveau. Elle rentre dans un niveau de détail qui colore la peau d’Aisling couleur pivoine et elle laisse un petit rire amusé et gêné à la fois franchir ses lèvres. Elle le ravale rapidement cependant, parce que l’heure est plutôt grave et non pas aux plaisanteries. Elle voit bien la peine dans le regard de son amie lorsqu’elle se résigne et se dit qu’on a pas toujours ce qu’on veut. Le cœur serré, Aisling finit la décoration du cocktail de fruits (une demi-rondelle d’ananas et quelques cerises confites sans alcool empalées sur un cure-dent) et vient le déposer en face d’Eavan. « Honestly babe, what’s stoppin’ you? If you love him and he loves you… then it’s worth a shot, don’t you think? And I want you to know I’m here for you like you are for me. Whatever happens. » Eavan ne semble pas avoir envie d’en parler d’avantage, mais Aisling sait que ses paroles font leur chemin, que la future maman reviendra dessus quand elle en aura envie, peut-être ce soir, peut-être un autre jour. En attendant elles reviennent sur Sid, une prise de distance pour le laisser se dépatouiller avec ses émotions, une éventuelle future soirée Netflix et pas chill du tout, juste entre potes avec une pizza, comme pour effacer le baiser dans le bus, retourner dans le rôle confortable de l’amitié inébranlable. Mais là encore Eavan voit tout, et elle challenge encore, demande si c’est vraiment ça qu’Aisling veut. « Honestly? I don’t even know what I want… I’ve never felt that way about anyone before. ‘Tis nerve rackin’ really. » Elle soupire en reprenant son torchon sur le plan de travail. Il faut qu’elle s’occupe les mains, alors elle nettoie les verres encore, l’évier, tout ce qu’elle peut trouver. « I can’t lose him yer know? I’d much rather keep my unstable stupid feelings to meself. » Elle avoue, avec l’impression d’être vraiment lâche, de passer à côté de tout. Quand Eavan reprend la parole pour lui proposer d'envoyer un texto à sa place, Aisling stoppe toutes ses activités et écarquille brusquement les yeux, coincée entre un fou rire et une panique totale. D’ailleurs elle exprime un peu des deux : « Hahahaa wait what?! » Elle s’exclame en revenant vers Eavan, une lueur de curiosité mêlée de terreur dans le fond de ses prunelles. « And, er… hypothetically, what is it that you’d say? » Le seul moyen pour qu’Aisling lui laisse envoyer un message à Sid depuis son téléphone, ce serait d’être bourrée. Mais elle n’a pas l’intention de boire, ni ce soir ni jamais… Bon sang, ma vie était quand même moins compliquée quand j’étais tout le temps défoncée !                     

 

Le rouge remonte aux joues d’Aisling lorsque qu’Eavan lui avoue avoir merdé juste un tout petit peu en ayant trompé sur son gars pendant une année. Les lèvres pincées en une ligne fine, la brune se détourne pour ne pas laisser paraître sa désapprobation. Se sentir jugée, c’est bien la dernière chose dont Eavan a besoin pour le moment, et Aisling est plutôt mal placée pour donner des leçons, avec sa vie chaotique et ses mauvaises décisions. Mais elle ne peut pas s’empêcher de se mettre à la place du cocu, d’imaginer ce qu’il a pu ressentir en apprenant que la femme de sa vie batifolait dans son dos avec un autre. Eavan veut croire qu’ils pourront dépasser ça, et Aisling se demande si elle aurait pardonné, elle, une trahison dans le genre. Imaginer Sid avec une autre lui baigne les tripes dans l’acide. Mais j’ai pas le droit de ressentir ça, parce que Sid est pas mon mec. Pourtant, elle n’a personne d’autre d’assez proche d’elle pour servir efficacement de comparaison. Alors malgré elle, elle réfléchit quand même à la question s’il étaient ensemble et la réponse la surprend lorsqu’elle s’impose d’elle-même : bien sûr qu’elle lui pardonnerait. Ça ferait mal et elle aurait l’impression de le voir lacérer son cœur avec un couteau de cuisine, mais ce serait toujours préférable à l’autre alternative : une vie sans lui.  « Yea, I mean if that’s what yer both want am sure you’ll work it out eventually. » Elle raisonne à haute voix en relevant les yeux vers son amie. La réponse semble la satisfaire et le sujet est clôt pour ce soir. De toutes les façons, elles ne pourront pas en être certaine tant qu’il ne se sera pas manifesté de son côté. Et alors forcément ce problème évincé, se pose à nouveau la question de Sid, terrain sur lequel Aisling progresse à tâtons tandis qu’Eavan est plutôt du genre à enfoncer la porte. « Damn right there’s somethin’. I just don’t bloody know what… It’s drivin’ me crazy I swear! What the hell am I feelin’? » Elle désespère avec un soupire à fendre l’âme en se laissant retomber sur un tabouret. Autour d’elles, les clients commencent enfin à se disperser et désormais le calme retombe sur le bar. Les derniers clients sont partis finir leur alcool dans les coins où ils se livrent eux aussi à quelques discussions à demi-mot autour des lumières tamisées. C’est peut-être l’ambiance qui inspire comme ça Eavan, qui se met déjà à réfléchir à haute voix au potentiel texto qu’elle pourrait envoyer à Sid pour « démêler la situation ». La seule chose qui empêche Aisling de se liquéfier en l’entendant, c’est bien sa curiosité. Et puis dans le fond, les propositions de la jolie blonde sont plutôt censées. Il est pas là parce qu’il s’occupe de sa sœur ! Elle a envie de répondre. C’est certain, mais est-ce vraiment la seule raison ? Dans le fond, elle ne pourra pas en être certaine tant qu’elle ne le lui demande pas… sauf que bien évidemment c’est là qu’elle bloque, parce qu’elle n’est pas sûre d’oser. Elle n’a pas le temps d’émettre sa réserve que déjà Eavan se lance dans une nouvelle proposition, bien plus osée celle-ci. « NOOOOO you crazy?! I’d never let yer write that oh my god. OH! My god! » Elle éclate de rire et cache son visage dans ses mains pour étouffer sa gêne et son hilarité. Puis brusquement elle claque ses paumes sur ses cuisses et arrondit les yeux. « And what if he thinks I’m shite, you thought about that?! » Elle lui attrape l’épaule comme pour appuyer son propos, le visage toujours aussi outragé et amusé à la fois. « I’m definitely NOT letting you text him for me. » Elle conclue avec un éclat de rire. Enfin l’heure vient de fermer le bar. Les derniers clients sortent et Aisling aide Eavan à remettre les chaises par-dessus les tables, comme elle l’avait fait des centaines de fois en Angleterre. Sauf que ce soir elle ne fredonne pas une mélodie, seule avec une bouteille qu’elle compte voler et terminer chez elle. Non, elle virevolte le rire aux lèvres, comme une adolescente excitée, ravie de parler avec son amie des garçons qui font peut-être battre leurs cœurs.