Toutes les messes n'étaient pas bonne à dire. Micah l'avait appris à ses dépens. Lui qui s'était pourtant persuadé d'avoir la presse à sa botte, offrant volontiers aux photographes le cliché vendeur de ses frasques scénarisées, croyait les quelques secrets de sa vie privée à l'abri. Comme souvent le téléphone avait sonné sans discontinuer, et une marée de messages avait succédé à son silence. C'était son père qui l'avait prévenu en premier. Malgré la retraite à laquelle son fils l'avait contraint, ce dernier continuait de surveiller ses agissements dans les médias, bien conscient que la vérité était souvent déformée pour intéresser les lecteurs, ces insatiables consommateurs de ragots. Pas cette fois. Cette fois les journalistes avaient tapé dans le mile. Micah les imaginait sans mal célébrer la victoire de mois d'investigation, euphoriques à l'idée d'avoir été les premiers à faire la lumière sur les visites intempestives de l'acteur à l'hôpital, étonnamment toujours en compagnie de son père. Le personnel de l'hôpital avait sans doute été gracieusement récompensé en échange de quelques confidences. C'était du moins ce qu'en avait conclu Micah, tandis que son père tempérait, curieusement détendu pour quelqu'un qui s'était affolé pendant plus de 20 ans sur le retentissement médiatique des agissements de son fils. Les exercices de méditation auxquels il devait se plier semblaient porter leur fruit. Si Micah était à cran, son père était d'un calme olympien, et le trentenaire était bien forcé de constater qu'il avait déjà changé, même si ce n'était pas encore la décadence à laquelle on l'avait préparé. Assis dans la salle d'attente, ils s'étaient tous les deux terrés dans un mutisme de circonstance, chacun s'interrogeant sur les pensées de l'autre. Micah était en colère. Triste également. Ce n'était pas par honte qu'il avait voulu préserver sa seule famille de l'intérêt intrusif des médias, mais bien parce qu'une fois que cette réalité serait dévoilée au monde, il ne serait plus possible de la nier.

Son père déposa une main consolatrice sur son épaule avant d’emboîter les pas de l'infirmier. Micah resta interdit de longues secondes, continuant délibérément d'ignorer le téléphone qui vibrait sans sa poche. Son agente avait appelé à peu près 50 fois, et laissé autant de messages qu'il avait parcourus distraitement, sans même se soucier de cette mention méprisante qu'il semait à chaque lecture. Il n'avait pas envie de lui parler. Pourquoi les gens insistaient-ils autant dans les moments où la solitude était de rigueur ? Pourquoi l'indiscrétion de gens qui n'avaient aucune éthique nécessitait toujours des justifications de sa part ? Il le savait, elle allait orchestrer une conférence de presse ou une interview dans un magazine, où il serait contraint de donner sa version des faits, avec juste ce qu'il fallait de pathos pour émouvoir les lecteurs. Micah ne doutait pas de ses capacités à redresser la barre, se servir de cette intrusion dans son intimité à son avantage, et gagner quelques fans au passage. Pour l'heure, il avait besoin de faire le deuil de son secret le plus cher. Il s'échappa de l'enceinte de l'hôpital, puis se laissa caresser par la douceur du printemps avant d'allumer une cigarette de réconfort. Négligemment, il parcourut les centaines de mots qui inondaient sa messagerie, et le rassuraient plus ou moins sur la bienveillance de son entourage. Ce fut avec autant de négligence qu'il releva les yeux, que son regard s'était perdu au loin avant de remarquer la présence d'un indésirable. Dinis Irish. Micah ne portait pas le photographe dans son cœur autant que Megan. D'ailleurs, si cette dernière avait déniché le scoop à sa place, elle aurait certainement accepté de marchander avant de le donner en pâture à la presse. L'acteur rangea son portable dans une poche, aspira une dernière bouffée de fumée, puis de se diriger avec un calme apparent vers celui qu'il soupçonnait déjà d'avoir mis le feu aux poudres. « Mon cher Dinis. Décidément il suffit de suivre l'odeur du fumier pour te trouver. » l'avait-il salué une fois effacés les mètres qui les séparaient. « J'imagine que c'est toi qui viens de ruiner ma vie. J'espère que t'as été grassement payé pour ça. » accusa-t-il pour ouvrir les hostilités. Megan n'avait pas plus d'empathie que lui, il fallait en être dépourvu pour exceller dans leur prétendu métier, mais elle avait au moins la décence de prévenir avant la détonation. « T'as donc vraiment aucun scrupule ? Sans parler de moi, tu sais à quel niveau de stress ça peut mettre mon père de se faire harceler dans la rue parce que tu penses qu'à ton putain de chèque ? »

A vrai dire, c’était tout à fait par hasard que Dinis était tombé sur l’étoile montante qui sortait de l’hopital. Si dans un premier temps, le cliché volé n’était pas d’une grande valeur, lorsque le paparazzi avait décidé de venir camper plusieurs jours de suite devant l’hopital, il avait pu voir alors que ce passage n’était pas anecdotique. Sans jamais savoir pourquoi le jeune homme s’y rendait si régulièrement, il commençait à accumuler plusieurs photos dans son dossier qui comportait le nom de Micah. Une dizaine, jusqu’à ce que Dinis s’en lasse. Les café du bar en face de l’hopital avaient beau être très bon, il y perdait aussi beaucoup trop de temps lorsque le jeune homme ne pointait pas son nez. Il avait fini par envoyer les clichés par mail après négociation sur le prix, pour que les journaux se chargent de mener leur enquête ensuite. Son téléphone en main, Dinis souriait en voyant enfin ses photos ressortir et les gros titres qui accompagnaient les différents articles. « Tout ça pour ça. » lui, il aurait préféré parié sur une maladie que l’acteur devait soigner pour lui-même. Mais son père… franchement. C’était pas si croustillant. Enfin, peu importe les résultats, Dinis lui, avait empoché son argent et c’était le principal, le reste ne le regardait absolument pas.
Aujourd’hui, si l’Irish se trouvait à proximité du Saint Vincent’s Hospital c’était à nouveau une coïncidence les plus totale. En fait, par chance, ou pas, sa plus jeune sœur habitait dans le quartier. Il avait donc une très bonne excuse pour s’en approcher. C’est d’ailleurs comme ça qu’il avait vu Red sortir d’une ambulance, accompagné de son frère complètement inconscient. C’est ce soir là qu’il avait compris que ce n’était pas son mec, comme il avait pu le penser, surtout par provocation, mais qu’il s’agissait à nouveau d’un membre de sa famille. Si en soit, Dinis partait du principe qu’il se foutait de la vie des starlettes et de leur famille, c’était tout autre pour le public, qui était à l’affut de la moindre information intime. Dinis surfait sur cette soif de curiosité mal placée. Chacun faisait ce qu’il voulait, lui, il profitait et s’en faisait des tunes. La suite n’était plus son problème.

« Mon cher Dinis. Décidément il suffit de suivre l'odeur du fumier pour te trouver. » J’me retourne sur une voix qui semble s’adresser à moi. Toujours un plaisir d’avoir un compliment de la part d’une de mes cibles. « J’aurai du m’en douter. » bah oui à côté de l’hôpital, c’était ici qu’il semblait avoir signé son dernier bail. « J'imagine que c'est toi qui viens de ruiner ma vie. J'espère que t'as été grassement payé pour ça. » ah ces dramaqueen, toujours les grands mots. Une vie ruinée ? Rien que ça ? Ma foi, une de plus visiblement. Quel pouvoir j’ai entre mes doigts… « T'as donc vraiment aucun scrupule ? Sans parler de moi, tu sais à quel niveau de stress ça peut mettre mon père de se faire harceler dans la rue parce que tu penses qu'à ton putain de chèque ? » est ce qu’il pourrait pas au moins m’offrir une clope quitte à me faire perdre mon temps ? « ton père ? » moi aussi, je sais faire l’étonner, à force de les voir à l’œuvre, ces petits acteurs, j’pourrais avoir un gros contrat pour un film aussi. « Rien de trop grave, j’espère ? » je sens qu’il a envie de vider son sac, le gamin. « T’en fais pas pour mon compte en banque, les affaires sont bonnes, en ce moment. »

La coïncidence était peu probable, et les nerfs de Micah trop à vif ne serait-ce que pour la considérer. Croiser Dinis au détour de l'hôpital, au moment opportun où plusieurs articles délateurs s'emparaient de la maladie de son père pour en faire une affaire publique, n'avait rien d'un malheureux hasard. Le photographe avait probablement rôdé des semaines, des mois peut-être, en quête du cliché le plus évocateur. Il avait laissé la presse déduire à sa place, inspecter les plans du bâtiment, interroger quelques témoins, sans se soucier de la pertinence de leurs déclarations, pour finalement se risquer à une théorie qui de toute manière n'était préjudiciable que pour celui qui en faisait l'objet. La presse à scandale se fichait bien de viser à côté. Les fausses conjectures n’entachaient jamais leur réputation, et au contraire faisaient office de ligne éditoriale. Une stratégie perfide pour contraindre les victimes à rétablir la vérité. Et lorsque, par miracle, les théories étaient justes, le retentissement n'en était pas moins pénible. L'air faussement candide de Dinis était sans doute une provocation de plus. Et Micah, déjà éprouvé par cette histoire qui ne regardait que lui et sa famille, tombait bien évidemment dans le piège. Le manque de sommeil n'arrangeait rien. « Il te suffit de lire les magazines que tu fournis en scoops pour en savoir plus. Me fais pas croire que tu t'intéresses pas à la merde que ces soi-disant journalistes brodent autour de tes photos. » s'était-il emporté, écrasant sa cigarette sous la pointe de son pied comme il aurait aimé piétiner le visage satisfait de Dinis. Il ne serait pourtant pas étonné que l'homme lui affirme le contraire. Qu'il se déculpabilisait en fermant les yeux, comme s'il n'avait aucune responsabilité dans la désolation qu'il semait sur son passage. Il était pourtant bien coupable, et devrait assumer à un moment ou un autre le fait de n'être qu'un fauteur de troubles. « Mais c'est assez grave, de fait, donc j'aimerais autant ne pas te voir traîner dans le coin. Je suis sympa, je te laisse une chance de partir dignement. Sinon j'irai en toucher un mot à la sécurité qui se fera sans doute un plaisir de te raccompagner à la sortie. » La menace n'était pas lancée sans intention de l'exécuter. Il restait encore des gens au sein de l'hôpital qui se souciaient du bien-être des patients. Micah soupçonnait le photographe de ne pas en être à son coup d'essai, et il serait très facile de convaincre n'importe qui que sa présence était néfaste. Son sang ne faisait qu'un tour dans ses veines. Il l'entendait cogner contre ses tempes, crisper tous ses muscles, serrer ses poings et sa mâchoire dans un geste hostile. « Les gens comme toi connaissent vraiment pas les limites. Vous profitez du malheur des gens pour faire votre blé. T'es pathétique. » L'entendre se féliciter de la prospérité de ses affaires avait achevé de l'agacer. Micah ne comprenait pas comment les gens de son espèce pouvaient dormir sur leurs deux oreilles. « Tu veux quoi maintenant ? Me faire passer pour un colérique qui s'en prend aux paparazzi ? » avait-il demandé en soutenant son regard, prêt à en découdre. A l'évidence Dinis faisait partie de ces gens qui se flattaient de recevoir des coups pour s'ériger en victimes. Micah souffla un bon coup. Il ne comptait pas lui rendre ce service.

« Il te suffit de lire les magazines que tu fournis en scoops pour en savoir plus. Me fais pas croire que tu t'intéresses pas à la merde que ces soi-disant journalistes brodent autour de tes photos. » Oh, le gamin s’emporte, la cendre voltige sous mes yeux, sa clope écrasée au sol, faudrait lui rappeler que c’est mal de jeter ses mégots par terre, la pollution toussa ? Parce qu’après, il ira faire un meeting avec des inconnus pour aller nettoyer les plages de Brisbane. On appelle pas ça du green washing ? « Mais c'est assez grave, de fait, donc j'aimerais autant ne pas te voir traîner dans le coin. Je suis sympa, je te laisse une chance de partir dignement. Sinon j'irai en toucher un mot à la sécurité qui se fera sans doute un plaisir de te raccompagner à la sortie. » je regarde autour de nous, pas certain d’avoir l’impression de ne pas être à ma place. Je dérange personne, je suis ici comme quiconque peut l’être et je ne trouble pas l’ordre public. Alors, c’est surement pas Monsieur Tomlinson qui va sonner l’alerte pour qu’on me raccompagne plus loin. Et si quelqu’un doit me faire partir, dans ce cas, ce sera lui. Mais je suis pas certain qu’il ait la carrure pour ça. C’est marrant comme la célébrité donne des ailes. J’ai toujours ce sourire sur le visage qui, légèrement dissimulé qui fait l’innocent, comme s’il ne voyait toujours pas de quoi il parlait. Il est agacé le gamin et mon calme résistant à toute épreuve avait tendance à énerver encore un peu plus. Ils perdent patience, moi, jamais.« Les gens comme toi connaissent vraiment pas les limites. Vous profitez du malheur des gens pour faire votre blé. T'es pathétique. » L’honnêteté ça n’a jamais payé, j’ai compris ça dès le premier cliché volé que j’ai vendu à un magazine. Une seule photo m’avait rapporté autant que quatre mois de travail dans un laboratoire de photo, c’était suffisant à me convaincre d’aller toujours plus loin. Il a raison, c’est sans doute pathétique, mais au moins, c’est pas hypocrite. J’ai absolument aucun scrupule à vendre mes photos. « Tu veux quoi maintenant ? Me faire passer pour un colérique qui s'en prend aux paparazzi ? » il me fait rire, cette fois, j’ai du mal à me contenir. « T’es colérique. » pas la peine de moi pour le faire surjouer. « Je suis là, ici, tranquillement et toi, tu débarque et tu t’en prends à moi. J’ai même pas d’appareil photo dans les mains. » je lève mes deux paumes, faces vers le ciel. « tu parles tout seul depuis tout à l’heure et je suis déçu que tu n’ai pas proposé une cigarette en dédommagement. » et puisqu’il fallait tout faire soit même, j’en sors une de ma veste pour la griller sous ses yeux. « J’te propose pas. » manquerait plus que ça. « Alors, c’est quoi le problème ? avec ton père ? Une célébrité qu’il n’arrive pas à gérer ? » qui peut bien se foutre du père d’un acteur comme lui, franchement ? « J’me demande qui sont les plus tordus, ceux qui lisent les magazines pour vivre par procuration des vies qu’ils n’auront jamais ou ceux qui s’occupent d’alimenter ces magazines pour gagner leur pain ? » pour moi, la réponse tombe sous l’sens. S’il n’y avait personne pour acheter ces magazines, il n’y aurait personne pour m’acheter mes photos.

On apprenait le flegme à l'école des paparazzi. On apprenait à prendre des coups avec dignité, et un sourire impertinent, à écoper des insultes méritées la plupart du temps, à provoquer par le simple fait d'exister. Dinis aurait beau jouer les innocents, il ne pouvait pas effacer le jugement d'un procès qu'on lui avait déjà fait, preuves à l'appui. Les preuves, c'était lui qui les fournissait chaque jour, des clichés volés de la vie des autres, vendus pour son bonheur égoïste. Sa vie à lui, Micah s'en fichait à cet instant. Il se fichait de savoir ce qui pouvait bien pousser un homme de son âge à se réduire à de telles vilenies contre de l'argent. Il se fichait de savoir s'il avait une famille à nourrir, des parents à assister lui aussi, ou des cicatrices qui avaient engourdi sa compassion. C'était son intimité qui en payait le prix, et cette réalité l'empêchait d'éprouver la moindre sympathie. Quelle était la prochaine étape ? Immortaliser son deuil le jour où il devrait enterrer celui qui avait toujours gravité dans sa vie ? Quelles étaient donc les limites ? « Arrête tes conneries Dinis, on sait tous les deux que les gens comme toi vous êtes toujours en alerte. Puis c'est pas comme si vous faisiez de l'art, n'importe quel portable ferait l'affaire pour prendre vos photos. » avait-il rétorqué, taclant au passage le talent dont il se croyait pourvu. Il ne suffisait pas d'acheter un bel objectif pour être un artiste, et de toute évidence le travail de Dinis ne requérait rien d'autre qu'une bonne dose de patience. Qualité dont Micah était dépourvu quand on avait le malheur de le contrarier. « Dédommagement de quoi ? C'est toi qui devrais m'en proposer, justement. » répondit-il en secouant la tête. La fausse naïveté de Dinis commençait à perdre de ses effets, comme une blague gênante qu'on s'acharnait à répéter. Micah dégaina son portable pour lui exposer l'article de la discorde. On pouvait y lire « Début d'Alzheimer pour le père de Micah Tomlinson : quel avenir pour l'acteur ? ». Les médias connaissaient très bien la relation qu'il entretenait avec son père, Micah n'avait cessé de le rabâcher à chaque entretien, quand ce dernier ne l'accompagnait pas aux cérémonies et autres événements publics. Ils connaissaient le bagage de cet homme qui avait révélé d'autres stars avant lui, et qui continuait d'exercer une vénérable influence dans le milieu du cinéma. Si Dinis l'ignorait, c'était bien la preuve qu'aucune passion ne l'avait animé dans sa misérable carrière. « J'en ai rien à foutre, vous êtes tous aussi tordus les uns que les autres. Suffirait juste d'un peu d'empathie de votre part pour éviter certains sujets très personnels. J'ai pourtant pas beaucoup de pudeur. » avait-il déclaré. Avec du recul, la situation avait des allures de trahison. Micah était souvent un très bon sujet de commérages, même étonnamment volontaire quand il était question d'étaler les détails de sa vie privée dans les journaux. Et voilà comme il était remercié. « Qu'est-ce que tu fais ici, alors ? » avait-il conclu pour confondre le photographe dans ses contradictions.

Si je m’écoutais, il y avait bien longtemps que j’aurais arrêté ce travail, il y a bien longtemps que j’arrêterai de passer mon temps à traquer des célébrités dont les vies n’avaient absolument rien de trépident. La débauche, l’alcool, le misérabilisme, la démesure, la vie privée, l’intimité, j’en avais strictement rien à faire. En creusant un peu, je pourrais avoir plus de peine pour ces jeunes qui ne font que vivre à travers ce qu’on pense d’eux, à travers ce qu’on veut d’eux. Aucun libre arbitre, tout leur faits et gestes sont conditionnés à un monde d’apparence. Quelle tristesse. Plus le temps passait, plus ça en été ennuyant a mourir. Les galas, les sorties de films, les événements, les hôtels, les hôpitaux, les courses de taxis, les aéroports, les allées et venues ici et là. Tout le temps la course, tout le temps à leur courir après, ma vie est calquée sur la leur, j’en ai assez. Mais Oz, lui, Oz en redemande souvent, il est toujours accro à ça et pourquoi ? Parce que ça rapporte et que sans ça, pas de voiture, pas de moto, plus d’appart. Je roule pas sur l’or, je vis bien, j’ai un appartement qui me convient, pas un loft à Bayside, pas un studio au dessus d’un bar miteux qui n’en finis pas de passer de la mauvaise musique jusqu’à deux heures du matin avec son lot de viandes saoules qui veut jouer à la bagarre tous les soirs. Mon logement me convient. Je transpire pas le luxe, mais je sais me faire plaisir. Mon argent passe surtout dans les photos, celles que je fais pour moi, pas celles que je fais pour les autres. « Arrête tes conneries Dinis, on sait tous les deux que les gens comme toi vous êtes toujours en alerte. Puis c'est pas comme si vous faisiez de l'art, n'importe quel portable ferait l'affaire pour prendre vos photos. »  Un jour, peut être que je gagnerai ma vie en faisant de l’art et pas en prenant des clichés que n’importe qui pouvait se permettre. Il avait pas tord, le jeune Tomlinson. Un jour, Oz arrêtera de l’emmerder. Mais pas aujourd’hui. Et Oz s’en foutait pas mal de savoir si son père allait s’en sortir ou pas. Moi, je préférais ne pas y penser. Mais, j’ignore ce que Micah cherchait actuellement, mais il savait comme moi qu’on perdait notre temps à discuter ici. « Y a des métiers qui se perdent, faut vraiment se battre pour réussir à garder sa place. » ma chance, c’est d’être encore invités aux soirées pour couvrir des événements et de pas seulement à avoir à courir pour être là où il faut quand il faut.
L’acteur me montre sous le nez un article où je reconnaissais bien la photo, prise du bar juste en face, là. Le titre était aguicheur. C’est vrai que ça donnait envie d’en savoir un peu plus. Alzheimer donc… je l’avais pas encore vu celui-là. Pauvre Micah, sans la tête de son père, c’est un peu comme s’il perdait la sienne. Il va se retrouver dans une sacrée merde à devoir gérer sa vie tout seul. Il doit pas avoir l’habitude de ça. « J'en ai rien à foutre, vous êtes tous aussi tordus les uns que les autres. Suffirait juste d'un peu d'empathie de votre part pour éviter certains sujets très personnels. J'ai pourtant pas beaucoup de pudeur. »  quinze ans de métier, ca fait bien longtemps que j’avais laissé de côté l’empathie. Même dans ma vie personnelle, je savais pas faire preuve d’empathie. « Qu'est-ce que tu fais ici, alors ? » Je regarde autour de moi, sans avoir l’impression d’être dans un lieu privé. « Je suis de passage. » dis-je sans une once de mauvaise fois, d’ailleurs ça me fait rire. « Vraiment ! » on pourrait croire que j'me fou de lui. « Ma sœur habite à côté. » que j’me sens presque obligée de justifier parce que je pouvais lui accorder le bénéfice du doute.
Une dernière question me brûlait les lèvres, redevenant sérieux, puisque Micah avait abordé lui-même le sujet…  « Alors, tu vas devenir quoi ? » si là, il m’en collait une, j’avoue que ce serait bien mérité.

En dépit des ses apparences frivoles, Micah n'était pas né de la dernière pluie. Aussi forte fut la tentation de céder à l'émotion, il savait qu'ajouter une polémique au récit larmoyant de sa vie familiale serait une erreur stratégique. Trop absorbé par les expressions monocordes de Dinis, il n'avait pas pris le temps de balayer le reste du paysage en quête d'un complice qui, dissimulé derrière un bosquet luxuriant, attendait la première impulsivité de sa part. Les photographes tels que Dinis étaient de nature solitaire, cupide, des rapaces qui ne travaillaient en groupe que lorsque la récompense était de taille. Micah aurait pu bondir sur lui comme ses sourires inconsidérés lui intimaient, mais ce geste aurait été à l'encontre de la ruse médiatique que fomentait déjà son esprit. Une fois la colère retombée et ses sentiments apaisés, il lui serait judicieux de capitaliser sur la présumable compassion du public pour se racheter une image. Faire pleurer dans les chaumières était un coup de filet qui fonctionnait à tous les coups. Dinis ne sembla pas s'offusquer de la façon dont il avait dénigré ses talents. S'il en avait un, de talent, il se limitait à une patience honorable, limite tragique, et une manie de toujours se trouver au bon endroit au bon moment. A défaut d'avoir de l'empathie, il était au moins lucide sur l'amateurisme de sa profession, qui était à la portée de n'importe quel idiot dont le temps n'avait a priori aucune valeur. Micah ne put réprimer un rire jaune lorsque Dinis qualifia sa lubie de métier. C'était bien parce qu'il était si accessible que son prétendu métier était convoité. « Je m'en fais pas pour toi. Le drame remonte à la nuit des temps, tu risques pas de manquer de matière. Ton erreur c'est de te borner à croire qu'on est forcés d'être des ennemis. Grâce aux réseaux sociaux, les gens comme moi peuvent maintenant raconter leur version de l'histoire. » Un luxe dont Micah ne se privait jamais, les fans préférant désormais se renseigner à la source plutôt que de croire les ramassis de mensonges tissés par les magazines. Plus personne ne lisait de toute façon.

Mis au pied du mur, Dinis ne pouvait plus se dérober. L'arroseur arrosé, en quelque sorte, car avant lui Micah s'était retrouvé acculé face à la vérité, maintenant que s'était effondrés les remparts du déni. Il avait l'air surpris néanmoins, preuve que son métier ne requérait pas la moindre investigation, corvée qu'il reléguait à la presse. Il n'était qu'un outil interchangeable conscient de la précarité de son importance. Sa réponse semblait sincère, mais Micah savait bien qu'un homme comme lui, même de passage, restait à l'affût. Son attention, constamment sollicitée, n'avait pas le droit au répit. C'était le prix à payer pour ne pas voir filer un scoop particulièrement lucratif. La vie des stars ne prenait jamais de vacances. Micah roula des yeux dans ses orbites. « Ah, et tu aimes faire des balades dans les jardins de l'hôpital juste pour le plaisir ? » Sous-entendu que son cynisme n'avait aucune limite. Comment pouvait-on décider de profiter de son temps libre en côtoyant la mort et le chagrin ? Il se montra curieux, un trait évident de son caractère qui relevait de l'opportunisme malsain plutôt que de la philanthropie. Dinis se doutait bien que personne d'assez influent dans les médias n'irait lui faire des révélations sans l'ambition secrète de les voir faire la une des journaux le lendemain. « J'en sais rien Dinis. Et franchement, sauf ton respect, c'est pas à toi que j'irais faire des confidences sur ma vie privée. » avait-il répondu, plus las qu'agacé par l'indiscrétion du photographe. Qu'avait-il espéré en posant cette question ? Qu'ils finiraient par s'asseoir sur un banc pour une séquence émotion ? Micah doutait même qu'il fût capable de prodiguer la moindre sagesse malgré la maturité de sa quarantaine. « J'ai déjà un nouvel agent, si c'est de ma carrière dont tu t'inquiètes. Trois films en post-prod, des plateaux télé et des dizaines de scripts à éplucher. Ça va, la Terre a pas arrêté de tourner et moi non plus. » qu'il avait confessé néanmoins. Un euphémisme pour garder la face. La Terre n'avait pas arrêté de tourner, mais elle s'était bel et bien dérobée sous ses pieds. « Va falloir faire un peu plus d'efforts que ça pour te dégoter un scoop. » C'était à l'évidence ce qu'il attendait, et Micah trouvait sa démarche bien fainéante en plus de manquer de subtilité.

Le jeune acteur avait pointé du doigt un sujet intéressant, presque tabou dans le monde auquel je fais partie. Les paparazzis n’avaient plus la côte et à l’heure où tout le monde avait la possibilité de faire des clichés en un clic, ma place à moi était de plus en plus en danger. Merci les shooting, merci les soirées mondaines, les galas, les cérémonies. Ma réputation me précédait et je n’avais plus mes preuves à faire sur les tapis rouge, bien ma veine. Et en même temps, peut être que je ferai mieux de m’en contenter, courir après l’exclusivité et les scoops, ça commençait sérieux à m’emmerder et je m’essoufflais à le faire. Peut-être qu’il était temps de laisser la place, les jeunes comme Megan s’en chargeait très bien et j’avais même le sentiment qu’ils étaient plus malin que moi à ce sujet. « Je m'en fais pas pour toi. Le drame remonte à la nuit des temps, tu risques pas de manquer de matière. Ton erreur c'est de te borner à croire qu'on est forcés d'être des ennemis. Grâce aux réseaux sociaux, les gens comme moi peuvent maintenant raconter leur version de l'histoire. » il peut bien raconter sa version des faits et faire pleurer dans les chaumières. « J’ai aucune version à raconter, avec une photo, les médias se chargent d’écrire l’histoire. » autrement dit, j’ai pas ma part de responsabilité dans la suite, du moins, je prends pas ma part. je suis pas journaliste, ni auteur des torchons qui me sont bien utiles.

« Ah, et tu aimes faire des balades dans les jardins de l'hôpital juste pour le plaisir ? » à mon tour de rouler des yeux, mimant la mimique faciale de mon interlocuteur. « Chacun ses passe-temps. » en l’occurrence j’en avais rien à faire de devoir me justifier davantage. Le fait est que quand on sait que les jardins de l’hôpital coupent la rue et qu’on peut aller de l’autre côté bien plus rapidement en passant par ici, oui, c’est pour le plaisir. Et oui aussi, pour le fait que si au passage, je peux prendre un ou deux scoop, sait-on jamais, je m’en prive pas non plus. L’hôpital nous dévoile bien plus de secret qu’on ne peut le penser. « J'en sais rien Dinis. Et franchement, sauf ton respect, c'est pas à toi que j'irais faire des confidences sur ma vie privée. » tentative échouée, tellement dommage. « Moi qui pensais qu’on avait tout intérêt à être dans le même camp. » pour reprendre ses mots exactes : se border à croire qu’on était forcés d’être ennemis, c’est maintenant qu’il devait bien me prouver le contraire. Qu’avait-il à m’offrir pour ne plus avoir à être ennemis, s’il ne voulait pas me donner quelques petites informations croustillantes à vendre. « J'ai déjà un nouvel agent, si c'est de ma carrière dont tu t'inquiètes. Trois films en post-prod, des plateaux télé et des dizaines de scripts à éplucher. Ça va, la Terre a pas arrêté de tourner et moi non plus. » Une mine presque déçue s’afficha sur mon visage. Déçu de ne pas avoir réussi à le piquer, comme je le souhaitais, je m’attendais surtout à recevoir une droite de sa part, mais le jeune Thomlinson semblait bien moins impulsifs que certains de ses comparses. « Va falloir faire un peu plus d'efforts que ça pour te dégoter un scoop. » un regard furtif sur ma montre démontrant que j’avais d’autres chats à fouetter s’il n’avait rien de plus intéressant pour moi. « Contacte-moi, quand t’auras une proposition à me faire. Du sex-revenge, un prank, j’ai tout sur mon CV. En attendant, si tu veux bien. » je lance un coup de menton vers la sortie pour pouvoir continuer ma route. « Bon rétablissement à papa. » un clin d’œil en sa direction, encore un peu déçu que sa carrière soit déjà entre les mains d’un autre.