and if i get burned at least we were electrified
@Micah Tomlinson ☆ crédit/ssoveia

"Je commence déjà à m’y habituer." Fait sur le ton de la confidence, l’aveu de Jo se perdit dans le bord du verre qu’elle ramena à ses lèvres sans en boire une gorgée, les yeux posés sur un Micah qu’elle savait interdit par ce qu’elle lui disait sans préambule. Ils se grossirent juste un peu lorsqu’elle précisa dans un léger rire "Au luxe, aux voyages." Ses chevilles se scellant entre elles alors qu’elle était assise sur son flanc gauche, en bonne diva qu’elle était, se satisfaisant dans un soupir indolent de la longueur de la chaise longue qu’elle avait investi lorsqu’ils avaient rejoint la piscine du Beverly Wilshire pour profiter plus tranquillement de leur dernière soirée à Los Angeles.

A l’assistanat aussi, elle commençait à s’y faire. Encore que penser et agir à la place de Jo restait une tache compliquée à accomplir quand on la connaissait un peu. Au moins là, elle n’avait pas rechigné à se faire dicter la marche à suivre, prise en charge de l’aéroport jusqu’à son installation dans sa chambre d’hôtel. Son séjour ici était le résultat d’une campagne particulièrement bien menée par son équipe de communication qui avait profité de son amitié avec Micah pour mettre sur la table l’éventualité d’une Une les réunissant tous les deux. Ils se connaissaient depuis longtemps, c’était su de tout le monde depuis que l’acteur l’avait publiquement soutenue lors du Revival. Ils avaient fait parler plusieurs fois déjà, et les commentaires qu’ils se laissaient sur leurs réseaux sociaux respectifs étaient une preuve évidente de leur complicité qui ne partait que d’un constat basique en vérité : ils étaient amis, et aucun d’eux ne comptait présenter les choses autrement que comme ça. C’était suffisant pour faire vendre un peu de papier, inutile de rentrer dans les détails poussés expliquant leur rencontre ou leur histoire passée.
Si Jo n’était encore qu’une moitié de débutante, Micah avait le mérite d’avoir déjà une sacrée carrière pour endosser le rôle de guide, surtout de celle en qui il avait toujours cru assez pour sceller un pacte de réussite avec elle il y avait des années de ça. Ils s’en sortaient bien, tous les deux. Jo avait mis plus de temps que lui, et si les choses semblaient on ne peut mieux parties que ça, elle avait encore ses preuves à faire, attendue au tournant par ceux qui la jugeaient bonne qu’à être la plus-value des bonhommes de qui elle s’amourachait sans en avoir l’air ; ils verraient bien, tous. Ça grouillait à l’intérieur d’elle, l’envie de prouver de quoi elle était capable.

C’était d’une extravagance à faire vomir finalement, de les forcer à faire plusieurs heures d’avion pour une séance photo qui n’avait pris qu’une journée et qui avait été oubliée aussitôt terminée, alors l’équipe de Jo avait mis en place tout un parcours du combattant pour qu’elle rencontre les bonnes personnes et étoffe son carnet d’adresses dans l’espoir que l’écriture imminente de son premier album appâte ceux qui lorgnaient éhontement sur les espoirs émergeant de la scène musicale internationale. Elle en était, caressée dans le sens du poil par producteurs, auteurs, compositeurs qui espéraient tomber sur une sombre idiote tout juste capable de poser sa voix sans donner son avis, plus intéressée par la célébrité que par la musique. Les pauvres, ils s’étaient rendus compte que non seulement, elle était une musicienne aguerrie, mais qu’en plus elle écrivait — difficile de rendre malléable une artiste comme elle, mais elle savait qu’ils essaieraient. Elle y penserait plus tard, quitte à s’en faire des noeuds au cerveau. Mais pour l’heure, elle était heureuse de ce que ça avait donné, de ce qu’elle avait appris, et elle était enthousiaste aussi dans une certaine mesure, n’osant admettre que c’était terrifiant d’un côté de voir tout ce qu’elle avait toujours voulu voir se concrétiser uniquement parce qu’elle avait gagné quelque chose qu’on lui avait  tout simplement donné en vérité.

Le destin, ça tenait à peu de choses. Le sien avait été décidé selon des désirs exprimés sans gêne, sûre qu’elle n’avait qu’une seule option dans la vie et que c’était de devenir quelqu’un qui compte dans l’industrie musicale. Ses ambitions avaient été entendues, et pas par n’importe qui, quand bien même ce pas n’importe qui basait son geste sur une culpabilité difficile à porter pour lui. Elle le savait Jo, qu’elle n’avait même pas remercié Midas pour ce qu’il avait fait, mais elle y pensait de plus en plus malgré ce que lui inspirait ses mensonges, même à plusieurs milliers de kilomètres, là où elle avait espéré ne pas trop penser à lui, à comment il avait vécu les choses de son côté à l’époque, quand il avait connu le même parcours qu’elle à six ans d’intervalles. Elle aurait aimé que ce soit lui qui la guide, mais à défaut de s’en sentir capable, comme il le lui avait dit, elle s’était rabattu en toute cohérence sur la valeur sûre qu’avait toujours été Micah pour elle. Pendant une seconde, elle regretta d’avoir laissé son téléphone dans sa chambre, ressentant le besoin compulsif de vérifier son écran à la recherche d’une notification particulière. Ce besoin, elle le fit passer en buvant cette fois une gorgée de son verre avant de laisser un nouveau soupir filer de sa poitrine. Jo en profita pour détourner son regard de Micah et le poser sur l’étendue translucide qu’était la piscine, et puis se sommant de ne pas se laisser couler au fond, elle posa son verre sur la petite table à ses côtés pour se redresser complètement et rabattre ses jambes dénudées pour que ses pieds retrouvent la terre ferme alors que malicieusement, elle demandait à Micah, ses paupières se plissant en même temps  qu’elle le regardait de nouveau.

"Tu voudras bien faire partie du casting de mon premier clip ?" Jamais fatiguée quand il s’agissait de manifester ses moindres désirs, Jo se lança avec un soupçon d’euphorie dans le ton, ses mains s’agitant devant elle pour balayer des détails invisibles "Je sais, j’ai encore rien enregistré. Mais j’ai beaucoup écrit, et je sais déjà que je veux un lead archi sexy pour vendre mon premier tube — ce sera un tube. J’espère que t’en doutes pas sinon je serais obligée de te remplacer par un mannequin sans saveur." Un doigt surmonté d’un ongle arrondi pointé  droit dans sa direction, Jo le menaça sans penser un instant qu’il puisse douter de son succès comme le prouva le sourire graduel qui vint fendre son visage la seconde d’après.

A l'abri sous l'ombre d'une alcôve, Micah paraissait absorbé dans sa lecture de la biographie de Rhett Hartfield qu'il tenait d'une main sereine, tandis que l'autre dormait paresseusement derrière sa nuque encore humide. Le vent chariait la fraicheur de la piscine qui ondulait dans son indifférence la plus totale. Pour leur dernière soirée ensemble, Jo et lui avaient décidé de mettre les excès de côté pour se recentrer sur leur travail ; raison pour laquelle ils étaient blanchis depuis plusieurs jours dans un luxueux hôtel de Los Angeles. Ici, leurs problèmes les plus futiles étaient traités avec le plus grand soin. Lorsque la voix de Jo brisa le silence, Micah ne fut pas plus surpris de la teneur de ses propos, ni même de leur allure de confidence, que de la résonnance qu'ils avaient dans le contexte de leur routine nouvellement installée. Il fallait de fait beaucoup d'aise pour autoriser ce genre de moments de tranquillité à deux, où chacun s'affairait à ses propres activités. Micah s'y était habitué lui aussi. A ce rythme de vie. A la présence de la chanteuse dans son quotidien tantôt dense, tantôt paisible. Ce voyage lui laissait un goût étrange. Celui d'une existence parallèle où il aurait choisi Jo plutôt que Penny, à l'heure où il ne réalisait pas tout à fait l'importance de sa compagnie. Auraient-ils vécu cette existence riche et soutenue ? Jo aurait-elle enduré ces années d'inertie dans les limbes de son art si elle l'avait suivi à Los Angeles à l'époque ? Il abaissa son livre sur ses cuisses tandis que Jo dissipa l'ambiguité de sa confession derrière un rire nerveux. L'espace d'une seconde, Micah avait failli espérer qu'elle reste sérieuse. Qu'elle confirme s'être habituée à lui et au duo assorti qu'ils formaient sous le soleil californien. Il sourit de bonne grâce néanmoins, heureux de constater que Jo ne serait pas la dernière à l'accompagner dans ses abus de luxe. « Je pensais que tu parlais de moi. » répondit-il sur le ton de l'humour, froissant le coin de la page de son livre pour le déposer cette fois-ci au niveau de son flanc.

Son livre n'était pas qu'un accessoire avec lequel se donner un air intelligent au bord de l'eau. On lui avait soufflé l'idée car la vie chaotique de cet ancien athlète intéressait visiblement les studios de cinéma. Micah devait bien avouer que, du peu qu'il avait lu, il y avait assez de matière pour émouvoir les ménagères de moins de 50 ans. Cela dit il avait du mal à imaginer quel rôle il pouvait bien jouer dans cette histoire dramatique, car malgré son obsession pour ses abdos, il était loin d'avoir la carrure d'un rugbyman. Les moments de calme s'étaient fait rares, si bien qu'il n'avait pas beaucoup avancé dans sa lecture. La campagne à laquelle ils avaient participé Jo et lui était le parfait prétexte pour des vacances tous frais payés. Lui-même n'aurait pas mieux organisé leur séjour s'il avait voulu profiter de la chaleur sempiternelle de la Californie. Le timing était parfait, car il pouvait enchainer avec la fin du tournage pour Fates and Furies, que son réalisateur zélé avait repoussé à l'été. Encore deux semaines à sillonner le pays avant de pouvoir rentrer pour de bon au bercail, où l'attendaient ses responsabilités de jeune philanthrope. Amusé, il observait Jo s'agiter sur sa chaise longue comme une enfant qui s'apprêtait à demander une faveur. La diva avait l'air satisfaite de son séjour, tant sur le plan professionnel que personnel. Elle s'était intégrée sans difficulté aux groupes que Micah lui avait présentés, non sans se départir de sa franchise légendaire. Raison pour laquelle il avait cru un instant qu'elle s'était imaginée poser ses valises ici pour conquérir l'Amérique comme il l'avait fait avant elle. De but en blanc, elle formula enfin la question qui semblait lui brûler les lèvres depuis cinq minutes. Micah se déterra de son coin d'ombre pour s'asseoir au bord de l'eau où il trempa ses mollets. Son buste pivota en direction de Jo. « J'ai presque cru que tu me poserais jamais la question. » s'était-il exclamé un peu insolent, sous-entendant évidemment qu'il n'attendait que ça, de jouer dans son clip. « Bien-sûr que ce sera un tube. Mais il parlera de quoi, ce tube ? » demanda-t-il, curieux d'avoir droit à quelques exclusivités. « J'espère que t'es prête à ce que je te vole la vedette dans les commentaires Youtube. Tout le monde ne parlera que de ma sexytude. » ajouta-t-il en se penchant en arrière pour contracter ses muscles. « Est-ce que ça risque pas de faire d'autres jaloux ? » L'allusion à Midas était à peine voilée. En l'invitant à faire partie de sa musique, Jo faisait une déclaration forte : celle qu'elle refusait de l'écarter de sa vie pour des raisons marketing.

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"Et pourquoi tu pensais ça ?" Le rire qu’elle laissa filer, il serait sûrement pris comme un affront par quiconque ne connaissant pas Jo, une chance alors que Micah faisait partie de la courte liste des privilégiés qui l’avait pratiquée pendant des années. Elle ne s’inquiétait pas qu’il prenne mal sa question rieuse, comme elle ne s’inquiétait pas que sa réponse ne lui plaise pas. Pour Jo, son amitié avec Micah n’était que ça : elle n’alimentait pas de regrets concernant leur idylle, comme elle ne s’était jamais perdue dans des songes qui mettaient en parallèle leur relation aujourd’hui et celle qu’elle aurait pu devenir si les étoiles avaient été alignées autrement. Elle le voyait comme un guide, lui qui était passé par toutes les étapes de la célébrité avant elle et qui faisait de sa nonchalance une force pour avancer fièrement sur le sol pavé d’étoiles qui s’étendait sous ses pieds. Elle s’en remettait à lui non pas pour obtenir son aval, assez caractérielle pour imposer sa loi à défaut d’être assez grande, mais pour avoir l’impression de faire les choses comme il fallait les faire.

Si elle pouvait glaner un ou deux encouragements pour la route, elle ne s’en privait pas. Personne ne s’imaginait que Jo avait besoin d’être rassurée de temps à autres, et pourtant c’était le cas, surtout en ce moment. Tout s’enchaînait à un rythme qu’elle n’avait pu que se représenter mentalement durant toutes ces années. Tout prenait des allures de mauvais rêve dans un sens, parce qu’elle ne les vivait pas selon ses propres termes, que le voile rose doré posé sur tous les mirages qu’elle s’en était fait n’existait pas dans la réalité, que la lumière était parfois aveuglante. Elle était naïve finalement, d’avoir toujours cru que ce qu’elle vivrait potentiellement si elle réussissait à percer collerait à la vision fantasmée qu’elle en avait eu toute sa vie. Elle était pourtant la mieux placée pour savoir que ce qui se passait dans l’envers du décor était loin d’être une partie de plaisir, mais elle s’était laissée charmer par les songes de la petite-fille rêveuse qu’elle avait été, et qui se retrouvait bien déçue aujourd’hui qu’elle avait enfin ce qu’elle voulait.

Elle s’en relèverait, elle ne se laissait pas le choix. Alors que son enthousiasme se lisait sur ses traits, elle se laissa asseoir sur sa chaise longue pour confronter le regard de son acolyte "J’attendais le bon moment, tu sais combien j’ai besoin de faire un spectacle de tout." Ça n’était qu’une proposition faite sur le ton de la conversation pour l’heure, un moyen de briser un instant la glace et de recentrer le débat autour de sa petite personne tandis que le jeune homme avait le nez fourré dans un bouquin qui ne lui inspirait rien d’autre qu’un peu de mépris à Josephine. Se joignant à lui au bord de la piscine, elle s’assit à ses côtés après avoir délaissé son semblant de peignoir un peu plus loin, et battit doucement des jambes en réfléchissant un instant à la question qu’il lui posa en retour et qui concernait le sujet de son prochain tube "Certainement de moi, je reste mon sujet préféré." Elle eut un rire presque pudique Jo, dévoilant sans le vouloir l’idée qu’elle mentait peut-être un peu. La vérité, c’était qu’elle ne savait pas encore, que les lignes qu’elle avait écrites parlaient autant d’elle qu’elle parlait de quelqu’un d’autre, et que son nom n’avait pas vocation à être cité ici sans qu’elle ne se sente un peu coupable.
Elle haussa les épaules après un instant, repassant rapidement la panoplie de la peste de base quand Micah sous-entendit qu’il pourrait lui voler la vedette "Ça c’est ce que t’espères. Mais est-ce que tu m’as bien regardée ?" Et l’épaule remontée, le menton posé dessus, ses longs cils battant doucement, Jo lui offrit son profil qui ne souffrait d’aucun défaut, si ce n’était celui de ne toujours pas avoir été immortalisé par un sculpteur. S’il fallait établir un classement de ceux à qui la victoire allait bien au teint, Jo en ferait sûrement partie. Elle n’avouerait pas qu’elle cachait ses insomnies sous de bons soins et un bon maquillage, ses angoisses sous trois fois deux doses de Xanax éparpillées au petit bonheur la chance tout au long de la journée : restait qu’elle était belle, c’était à peu près tout ce qui comptait, qu’importait au fond ce que ça cachait.

Elle roula des yeux en le voyant contracter ses muscles, et faillit mimer un vomissement provoqué par deux doigts enfoncés dans sa gorge quand ce qu’il ajouta la fit tiquer, mais pas assez pour lui faire perdre son sourire qui s’accompagna d’un léger rire et d’un froncement de sourcils, déjà convaincue par anticipation par ce qu’elle lui dit "Sûrement des tas." Elle ne ferait jamais taire son manque d’humilité Jo, ça faisait partie du personnage. Feignant la suspicion, elle accentua l’attention qu’elle portait à Micah qu’elle toisa brièvement avant d’arrêter ses yeux sur son visage "Ça t’inquiète ? Je pensais que le privilège d’être associé à mon nom suffisait à apaiser tes craintes d’être détesté par la terre entière." Pas par la terre entière, mais par le microcosme des relations de Jo, ce qui venait de nouveau à ne parler que d’une personne. Elle savait où il voulait en venir le jeune homme, elle ne lui ferait pas ce plaisir alors que la soirée était agréable.

La question de Jo le désarçonna. Micah ne laissa pour autant pas paraître la moindre hésitation. Sa boutade n'appelait à aucune réponse, ni même à lui faire penser une seule seconde qu'elle dissimulait une part de vérité. Alors peut-être avait-il sous-estimé la perspicacité de Jo, ou du moins sa capacité à toujours tirer sur la corde sensible. « Parce que je suis d'une incroyable compagnie ? » avait-il rétorqué pour sauver la face. La moindre étincelle de romance entre Jo et lui était morte à Sydney. Micah le savait, il avait tendance à vénérer les instants complices lorsqu'il se sentait seul par ailleurs. Cette solitude avait la vilaine manie de lui faire considérer les petites attentions avec le miroir grossissant du manque. Manque d'affection. Manque de reconnaissance. Manque de chance parfois. Tout ce temps son père lui avait donné l'illusion de répondre à des besoins décuplés, maintenant qu'il n'était plus capable de lui faire croire qu'ils étaient illégitimes et potentiellement un frein à sa carrière. « Et que j'ai trouvé ça fun de te faire découvrir mon monde. » avait-il ajouté pour noyer le poisson sans y laisser trop de fierté. Finalement, Micah trouvait surtout que ce tableau de Jo et lui, installés au bord de cette piscine, avait des allures de fin heureuse. Une sorte de fierté égoïste et totalement déplacée qu'il ressentait chaque fois qu'elle dépassait un nouveau stade de sa carrière, comme s'il avait une quelconque responsabilité à tirer de ses succès. Elle ne le devait qu'à elle et à son talent, mais lui ressentait toujours ce droit et ce privilège d'avoir participé à son éclosion.

Forcément, lorsque Jo décidait de l'impliquer de façon officielle et surtout tangible, il ne se faisait pas prier. Elle considérait ça comme une faveur, lui comme une récompense. « Tu as bien choisi ton moment, j'avoue. J'imagine pas un meilleur décor que ça pour dire oui. » Leur présence ici, ensemble, était presque providentielle. Les éditorialistes qui les avaient réunis l'avaient fait par cupidité, sans véritablement réaliser à quel point leurs destins étaient liés bien au-delà de cette analogie qui servait de ligne directrice à leur article. Leur histoire n'était pas parallèle. Elle s'entrelaçait. S'inspirait de leur assurance respective pour masquer parfois – souvent – leurs complexes. « Et celui que tu maîtrises certainement le mieux. Je sais que tu rigoles à moitié, mais c'est même pas une réponse égocentrique. T'es la mieux placée pour parler de toi, et il y a des tas de gens qui pourront s'identifier à ce que tu racontes. » avait-il répondu en enrayant la plaisanterie. « Je serais presque jaloux. » avait-il ajouté, battant des jambes pour se laisser bercer par le clapotie de l'eau. « En tant qu'acteur, il faut savoir incarner les émotions d'un autre, alors que tu n'as qu'à rester toi-même pour plaire aux gens. » Micah ne regrettait pas son métier, mais peut-être était-il temps d'envisager de raconter son histoire pour changer. Sa Fondation, qu'il avait hâte de retrouver, était la première pierre à cet édifice.

« Je t'ai biiiien regardée Jo. » Il continua de la toiser sans gêne, de la tête aux pieds, s'imaginant sans peine ce qui se cachait sous ces quelques pièces qui couvraient sa peau. Malgré un nombre incalculable de conquêtes, Micah avait une excellente mémoire tactile et visuelle. C'était ce qui le rendait si prodigieux sur certains tournages. « Je crois même que toi dans ce petit déshabillé, ça ferait une belle couverture. » Son regard n'était pas lubrique néanmoins. Il trouvait de bonne guerre de rappeler à Jo ce à quoi pouvait ressembler dans la vraie vie leur petit jeu sur les réseaux sociaux. Lui-même s'en voulait d'avoir ne serait-ce qu'insinué le sujet qu'elle était si douée pour éluder en sa présence. Il ignorait cependant si elle le préservait lui ou Midas, lorsqu'elle prenait grand soin de l'éloigner de leurs conversations. « Non je m'en fous. Je suis assez droit dans mes baskets pour savoir que c'est pas qu'une faveur que tu me fais. C'est un peu comme si la boucle était bouclée. Et j'ai vraiment hâte d'entendre tes premiers extraits. » Il n'aurait pas cette primeur. Il n'était pas dupe. Lui n'était pas musicien, il n'avait pas cette sensibilité. Lentement, comme si on le filmait au ralenti, il se laissa glisser le long de la paroi pour immerger le reste de son corps dans l'eau encore tiède de la piscine. Il se tourna alors pour subtilement inviter Jo à le rejoindre.

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@Micah Tomlinson ☆ crédit/ssoveia

La moue qu’elle offrit à Micah était un mouais qu’elle exagéra pour plaisanter. Encore. Le problème de Jo — l’un des problèmes de Jo — c’était qu’à vouloir garder le contrôle de ses sentiments, toute effrayée qu’elle était de les ressentir et de les accepter, elle oubliait souvent que tout le monde n’avait pas sa rudesse. Elle apprendrait à être plus délicate, elle avait encore de la marge pour consentir un jour à ce qu’on lui inculque au moins un peu les bonnes manières. Pour l’instant, elle ne voyait pas l’intérêt de dériver de sa ligne de conduite. Micah la connaissait, il savait comment elle fonctionnait et ce qu’elle disait vraiment sous ses sarcasmes.

Elle était heureuse d’être ici avec lui. Encore que, s’il lui posait explicitement la question, elle serait obligée de lui dire la vérité et de lui avouer que, s’il était de bonne compagnie en effet, elle en préférait une autre qui ne découlait pas d’un deal passé avec ceux qui flairaient le bon filon pour vendre du papier sur leur dos. Ou bien, dans ce cas-là, elle ferait peut-être en sorte d’être plus délicate justement, de préserver l’ego rutilant d’un homme qui en avait autant qu’elle et qui ne supporterait certainement pas qu’elle lui avoue regretter au moins un peu d’être ici avec lui tout en en profitant pourtant, la nostalgie d’une époque révolue se rappelant à elle à intervalles réguliers. C’était contradictoire, sauf que là était un autre problème de Jo : l’inconséquence de son raisonnement la rendait difficile à suivre, et comme elle n’était qu’une fière égoïste, elle partait du principe que tant qu’elle, elle se comprenait, les autres pouvaient toujours aller se faire foutre si ça leur chantait.

"Si j’étais du genre champagne, j’aurais choisi ce moment pour claquer des doigts et faire venir un serveur avec une bouteille." Le oui que lui donna Micah la fit sourire, la conversation se déroulant avec instinct sans qu’ils ne se sentent obligés d’être la meilleure version d’eux-mêmes. Ça avait été toujours comme ça avec Micah. Jo avait toujours su qu’elle pouvait lui avouer ses ambitions sans craindre qu’il ne lui rit au nez. Il avait à peu près les mêmes, dans un domaine qui lui était propre, mais qui résultait d’une envie aussi farouche que la sienne de laisser sa marque et de rentrer dans la légende. Ça avait toujours été un réconfort de l’avoir lui pour parler de tout ça et encore là, alors qu’elle se mettait en avant pour vendre l’oeuvre qu’elle écrirait bientôt, il la comprenait sans donner l’impression que c'était tortueux. Ça paraissait facile, naturel, résultat d’heures passées à discuter comme ils le faisaient maintenant "À croire que c’est le thème de la soirée, la jalousie." lui fit-elle remarquer dans un léger rire, sa langue scannant rapidement sa rangée de dents du haut, sa tête se tournant dans sa direction pour continuer à l’écouter parler. Plus attentive, elle le dévisagea sans vraiment le voir, secouant la tête pour amener un désaccord qu’elle lui délivra avec honnêteté "Je suis pas sûre de ça. J’ai été moi il y a sept ans, tout le monde a eu l’air de le regretter. Je passais mieux quand je faisais semblant d’être une poupée qui se laisse dicter quoi faire. En tout cas, les gens paraissaient m’apprécier plus quand je jouais ce rôle-là." Elle en jouait en autre désormais, et il fallait qu’elle compose avec.

Clignant des cils, elle sortit de sa courte réflexion pour se recentrer sur la suite de leur discussion "Tu sais combien tu gagnerais si t’avouais à la presse que tu m’as vu nue ? C’est pas une invitation à balancer des dossiers salaces, mais si jamais t’as besoin d’argent de poche." Elle joua des épaules et des sourcils en même temps, n’ayant pas besoin de tirer sur la corde de la séduction tant la sensualité perlait de tous les pores de sa peau brillante de l’huile pailletée qu’elle avait appliquée avant de le rejoindre — rien au hasard, même ses chevilles sentaient le Lost Cherry. Là où d’autres auraient joué les effarouchées, Jo se mit à rire au contraire, l’entendant parler du semblant de tenue qu’elle portait sur le dos, et profita de cette mention pour baisser un peu plus l’échancrure de son décolleté sur sa poitrine. Tactique comme une autre de ne pas s’arrêter sur l’ange qui passa à l’instant où Micah mentionna Midas sans le faire "Tu sais que ce sera pas pour tout de suite ? Tu vas devoir patienter un moment." Le travail qui l’attendait pour écrire et enregistrer son album n’ayant pas encore tout à fait débuté, les extraits dont il parlait tarderaient. C’était sûrement aussi long que mettre un film sur pieds tout ça, aussi ne lui ferait-elle pas l’affront de rentrer dans les détails. Elle se contenta juste de le regarder glisser dans l’eau translucide de la piscine, ses jambes battant doucement au moment où elle surprit son invitation silencieuse qu’elle accepta en se levant sans marquer d’hésitation.

Elle rejoignit les quelques marches qui lui permirent d’entrer dans l’eau comme la sirène qu’elle était, non sans jouer avec une nonchalance à peine étudiée alors qu’elle lui disait, ses mains caressant la surface turquoise dans laquelle elle s’enfonça en le cherchant des yeux à distance "Ça m’arrive de penser à Sydney." Son corps s’immergea dans l’eau, son épiderme se rétracta sous la fraîcheur relative qui l’enveloppa, et un soupçon de sous-entendu s’étira avant qu’elle n’explicite sur le même ton, ne donnant pas l’impression de vouloir corriger quelque chose quand c’était bel et bien le cas. Elle ne voulait surtout pas que Micah se fasse des idées sur ce à quoi elle pensait exactement "Tu sais, à toutes ces fois où on s’est retrouvés ensemble dans mon petit appartement au-dessus du Soultrain Bar, à discuter de ce qu’on voulait pour nos carrières, à comment on voyait notre avenir sur le devant de la scène. Je me rappelle du goût dégueulasse de la glace que Laurie ramenait pour mieux supporter ses chagrins d’amour. C’était quoi comme parfum déjà  ? Menthe et pépites de chocolat." fit-elle à la dernière seconde, se souvenant soudainement, son regard s’éclairant et un léger rire lui échappant. Ils parlaient tellement avec Micah que ça lui avait manqué lorsqu’il avait fini par s’installer pour de bon à Los Angeles.

Elle nagea jusqu’à lui, et puis s’arrêtant à bonne distance, elle continua "Je me souviens aussi de ce que tu voulais devenir, et quand je te regarde aujourd’hui, je me dis que de nous deux, c’est toi qui a le mieux réussi." Le bleu du fond se reflétait sur sa peau bronzée, ses yeux sombres trouvant ceux du jeune homme sans les lâcher "T’as tenu tous tes engagements envers toi-même, t’as jamais rien lâché." Il avait été aidé, il avait eu la chance de naître dans la bonne famille. Qui s’en souciait ? Il était plus qu’un espoir du cinéma aujourd’hui, il était une valeur sûre qui pouvait faire vivre un projet rien qu’avec l’apparition de son nom dans la liste des pressentis pour un rôle : c’était une putain de star, et c’était ce qu’il avait voulu être. Un nouveau rire échappa à Jo qui, rompant enfin le contact visuel, bascula la tête en arrière pour se mouiller les cheveux en prenant garde à ne pas ruiner le maquillage qu’elle portait. Elle finit par se redresser avec les sourcils froncés par la malice. Une nouvelle observation rapide du visage de Micah lui fit marquer plusieurs points de son profil. Le contournant en reprenant sa nage, Jo alla s’adosser contre la paroi de la piscine en lui disant, son ton permutant en léger murmure qu’il n’entendrait que s’il s’approchait "Je te l’ai jamais dit, mais je suis fière de toi."

En dépit de ses humeurs vagabondes, de sa tranchante honnêteté, que ceux qui ne la connaissaient pas suffisamment associaient à de l'impolitesse, Jo avait le don de lire entre les lignes, et dans les silences qui pesaient parfois comme une évidence implicite. Micah trouvait souvent injuste les jugements un peu trop catégoriques qu'on pouvait se faire sur ce bout de femme qu'il savait profondément empathique. Comme à l'époque où elle demeurait un joyau qui, à tort, ne brillait que dans la lumière tamisée des bars, il aurait voulu crier au monde à quel point elle était humainement aussi douée qu'elle savait chanter. Le devinant à fleur de peau, elle avait changé son fusil d'épaule sans se départir d'un soupçon de sarcasme, derrière lequel elle se réfugiait pour ne pas se montrer trop vulnérable, trop elle-même. Sa proposition tombait à point nommée. Une touche de légèreté pour conclure ce voyage qui était resté chargé à bien des égards. Intentionnellement ou non, Jo était toujours précise dans son timing. « Va falloir t'y mettre, le champagne c'est le meilleur allié lors de événements mondains. » avait-il conseillé avec le plus grand sérieux. Le champagne s'invitait toujours en souverain dans les galas, les projections et les défilés, symbole d'opulence. Comme tous les alcools, il pouvait être aussi mauvais que divin, à condition de savoir le choisir. « Et pour le reste, il y a la tequila. » Quant à la tequila, elle était sublimée par le sucre et l'ivresse des soirées dans lesquelles elle coulait à flot.

Il laissa d'ailleurs couler sa remarque taquine sur la jalousie, moins par crainte de s'embarquer dans un débat stérile que parce qu'il était foncièrement convaincu qu'elle avait raison. En revanche, il ne pouvait pas la laisser croire qu'elle avait eu tort d'avoir eu un avis sur sa carrière à une époque où n'importe quelle autre artiste aurait aquiescé sans opposition. « T'avais pas le même âge. » répondit-il sur un ton péremptoire. Contrairement à lui, Jo n'avait eu personne pour l'aiguiller et faire des choix à sa place. Avec les bons contacts, elle aurait pu devenir la petite prodige du jazz, plutôt qu'être considérée avec le mépris que les hommes qui dirigeaient les maisons de disque réservaient à n'importe quelle jeune chanteuse, aussi douée fût-elle. « Les gens étaient pas prêts, ou le timing était pas encore le bon. T'as vécu entre temps, et même si tu avais déjà des choses à raconter à l'époque, la maturité te rend plus crédible. » Aux yeux de ces mêmes hommes, qui accordaient plus de crédit à l'argent qu'à l'art. Avec un prix en poche et des millions de fans, ils finiraient par lui manger dans la main.

L'assurance de Jo lui arracha un sourire. Il s'était fait la réflexion inverse plusieurs fois. « Je gagnerais moins que toi si tu faisais la même chose. D'autres l'auraient fait à ta place, juste pour le buzz. Tu sais pas à quel point ça te rend intègre. » Et à quel point cela faisait de lui un homme chanceux. Certains de ses amis n'avaient pas été épargnés par les calomnies, surtout à l'heure où la parole de la femme était digne de l'évangile. « T'étais jeune, tu aurais pu dire tellement de conneries sur moi pour enfoncer ma carrière au profit de la tienne. J'ai eu de la chance que ce soit toi. » Il n'était pas trop tard. Micah vivait toujours avec cette peur rationnelle qu'un jour, une de ses conquêtes décide de le trainer dans la boue. Il suffisait d'une seule fois. Jo aimait jouer de ses charmes, et alors qu'elle se dandinait devant lui, sa peau sucrée luisant dans les dernières lueurs du soleil, lui ne pensait qu'à ce pouvoir qu'elle avait exercé sur lui, et dont ils s'amusaient désormais au nez et à la barbe de tous. Il mentirait en niant qu'à la moindre opportunité, il refuserait ses avances, mais à ce moment précis, il ne la voyait que comme une sirène prête à l'engloutir sous l'eau turquoise de la piscine. « Je sais, c'est un long processus. Mais moi je bouge pas, j'ai pas prévu de quitter l'Australie pendant plusieurs mois. » Le film de Gary Blake serait son dernier film holywoodien avant cette pause qu'il s'était engagé à faire pour se concentrer sur la Fondation. Les distractions du cinéma, aussi tentantes que les scripts que continuait à lui présenter Donna, lui avaient déjà volé les derniers instants qu'il s'était promis de passer avec son père.

Jo ne tarda pas à le rejoindre dans l'eau avec une grâce allusive. Elle faisait tout pour qu'il la regarde avec concupiscence. Son introduction avait d'ailleurs bien failli lui faire croire qu'elle était elle aussi en proie à des rêves érotiques, stimulés par leurs échanges évocateurs sur Instagram. Lui n'avait pas honte de l'admettre. Comme le contact de l'eau après la brûlure du soleil, elle s'empressa de dissiper ses espoirs. « Elle avait déjà des goûts de vieux. » avait-il répondu, se remémorant le goût infâme de cette glace que Jo lui offrait avec un mélange d'amusement et de dépit. Il la fixa avec nostalgie, tandis que se jouaient avec précision ces moments qu'elle relatait avec le même enthousiasme que celui qu'il ressentait quand il pensait à leur passé commun. Il resta muet un instant, un sourire béat étirant ses lèvres satinées par l'eau. « Tu te rends même pas compte à quel point ça me touche d'entendre ça. » avait-il entamé, aussi comblé qu'il était ému. « Ce qui me fait le plus peur en voyant mon père s'éloigner, c'est de n'avoir plus personne à rendre fier. Il était le seul à le penser sincèrement, pas juste pour l'argent, les prix ou le prestige. » Bien entendu que Donna était fière de lui lorsqu'il obtenait un rôle, parce qu'elle pensait à sa commission. Plus personne autour de lui le connaissait suffisamment pour être fier de lui au-delà de ses accomplissements présents. « Moi aussi ça m'arrive de repenser à Sydney. » avait-il fini par confier à son tour, trempant son buste dans l'eau jusqu'au menton. « Je m'en veux de t'avoir laissée moisir là-bas. Mais regarde où tu es aujourd'hui, le meilleur est devant toi. » Une façon de lui dire qu'elle ne déméritait pas, et qu'aujourd'hui ils étaient ici, ensemble.

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@Micah Tomlinson ☆ crédit/ssoveia

Jo ne se mettrait pas au champagne, comme elle ne se mettrait à rien d’autre non plus. Elle maîtrisait les codes de la notoriété uniquement parce qu’elle avait un prodigieux don d’adaptation que son mauvais caractère annulait quand elle décidait de ne faire aucun effort. Agir comme si elle avait la science infuse, c’était une technique qu’elle avait mise en place beaucoup trop jeune pour que ce ne soit pas indécent d’en parler, obligée de composer avec des adultes qui ne lui voulaient pas que du bien. En fait, elle restait relativement nouvelle dans ce jeu grandeur nature dans lequel elle se retrouvait aujourd’hui, à côtoyer les mondains, les célébrités, les petites silhouettes qu’elle découpait dans les magazines qu’elle volait au drugstore de Dalby quand elle avait 12 ans et qu’elle aidait Laurie à se constituer des tableaux d’idoles pour la mettre sur le chemin de celle qu’elle voulait devenir, de celles qu’elles voulaient devenir puisqu’elle n’avait pas été épargné par la crise identitaire, oscillant entre la Lolita et la femme fatale alors qu’elle avait encore du lait qui lui dégoulinait du lait.

Elle était trop mal élevée pour ce genre de milieu, mais depuis quelques mois maintenant, elle ne refusait pas d’apprendre. Micah était un bon guide. Il était né dans ce monde, ça le rendait fascinant aux yeux bordés d’étoiles de la gamine élevée dans le culte des idoles qu’elle avait été, qu’elle était encore dans une certaine mesure. Si elle avait été du genre à se fier à la valeur de l’argent, elle aurait profité de l’attirance évidente qu'il lui réservait pour cumuler les cadeaux, les promesses, profiter des accès qu'il avait sans avoir besoin de lever le petit doigt et le plumer pour en ressortir avec un contrat prénuptial qui l’aurait rendue riche à l’instant même où elle se serait décidée à le signer. Simplement, le succès restait plus important que le pactole que ça induisait de devenir quelqu’un. Elle ne voulait pas être riche Josephine, elle voulait être reconnue pour son talent, pour son travail. Elle était intéressée par l’attention évidemment, mais ce pourquoi elle frissonnait, ce n'était qu’une seule chose : la musique, tout le monde la côtoyant d’assez près le savait, et Micah en particulier "J’avais pas les mêmes blessures non plus." osa-t-elle objecter pendant qu’elle remettait en doute la manière dont elle avait mené son semblant de carrière après sa première participation au télé-crochet qu’elle avait finalement remporté cette année. Elle se reprit, haussant les épaules pour mieux se corriger "Enfin si, globalement. Mais ce que je veux vraiment dire, c’est que d’autres se sont ajoutées il y a sept ans. Ça m’a changé, je suis différente de celle que t’as connue à Sydney. Je suis plus dure encore, et pas seulement parce que j’ai pris de l’âge." Elle avait morflé, sévèrement, et personne ne semblait vraiment le prendre en compte, ou chercher à le comprendre. Perdre il y a sept ans, ça avait eu un effet dévastateur sur elle, sur ce qu’elle croyait être capable de faire. L’amertume, la déception, le sentiment d'abandon et la tristesse l’avait rendue inaccessible au fil du temps, et gagner aujourd’hui ne l’avait pas rendue plus tendre parce qu’elle n’avait pas gagné ce trophée par elle-même. Si ça avait été le cas, la réconciliation avec elle-même aurait été complète et pérenne, mais là, devoir quelque chose à quelqu’un, c’était le genre de contrat pour lequel elle n’aurait jamais signé en toute connaissance de cause. Elle avait trop besoin de démontrer que sa réussite ne dépendait de personne d’autre qu’elle, de ce qu’elle avait à offrir. Après tout, elle s’était enfuie de chez elle avec cette idée en tête ; aujourd’hui, elle se retrouvait dans la même situation, et ça lui faisait du mal.

C’était trop tard de toute façon, on avait décidé à sa place. Aussi, elle préféra enchaîner sur autre chose, faire poindre la malice, et reprendre la main. Micah était le premier à la saisir et à ne pas considérer que c’était une porte pour d’autres choses dont elle, elle n’avait pas besoin. Elle fronça le nez quand il choisit pourtant d’être sérieux, trop, et lui fit avec un léger sourire en coin "Je crains pour faire des promesses, mais tu sais quoi ? Je peux quand même essayer de t’en faire une qui sera pas trop difficile à tenir : je te ferai jamais ça." Raconter des histoires sur lui, vendre des anecdotes limites à son sujet, profiter de leur relation, passée et présente, pour faire parler. On l’avait déjà accusée de le faire, et pas n’importe qui d’ailleurs, ça rendait l’affront plus difficile à avaler, et pourtant c’était une vérité immuable. Si elle taquinait Micah sur les réseaux sociaux, c’était parce qu’ils l’avaient toujours fait et que ne pas changer ces habitudes, c’était un réconfort qu’elle puisait dans la constance d’un lien qu’elle savait indéfectible, sûrement pas parce qu’elle se complaisait dans l’idée de rameuter les curieux — ou les jaloux prêts à remettre en doute ses intentions pour voir le mal là où il n’y en avait pas.

Un passif n’était pas l’assurance d’un avenir. Jo n’en démordrait jamais, pas même quand la fierté qu’elle disait avoir pour Micah fit permuter l’ambiance en quelque chose de dense. Une tension sur laquelle elle ne camperait pas, enfoncée dans l’eau translucide de cette piscine au bord de laquelle elle s’adossa finalement, le regard invariablement posé sur Micah "Je le pense aussi sincèrement que ton père." Elle voulait le rassurer. C’était stupide, d’autant que le poids de la fierté qu’elle ressentait pour lui ne pesait pas aussi lourd que celle que son père ressentait pour lui, seulement elle le sentait touché. Par extension, parce qu’ils n’étaient pas bien différents, qu’ils avaient les mêmes craintes à ce sujet, elle l’était aussi. Ses doigts jouant à caresser la surface de l’eau, elle ajouta  dans la foulée "Et ça changera pas. Même si tu te mets à tourner des navets et à gagner des Razzies, je réussirais toujours à trouver des qualités à ton jeu d’acteur. Je parle pas de tes abdos, même si franchement, ils pèsent quand même vachement lourd dans ta palette d’émotions." Elle plaisantait pour ne pas donner à l’instant une signification particulière. Jo restait, et resterait, objective, Micah le savait mieux que personne. Seulement il semblait s’enfoncer dans ses souvenirs et Jo était tout sauf naïve.

Lui dire lui aussi qu’il lui arrivait de penser à Sydney, ça ne partait pas des mêmes intentions qu’elle, elle le sentait autant que l’air tiède sur sa peau mouillée. Elle se souvenait de fois où il lui avait semblé amoureux d’elle, quand il lui demandait à la dérobée si aimer deux personnes étaient possibles, ce genre de choses qui la faisait paniquer étant donné qu’elle était jeune, à vif, et qu’elle se savait trop concentrée sur autre chose pour s’aventurer à songer à un avenir avec quelqu’un. C’était bizarre d’y repenser quand de son côté, elle avait sa cause acquise ailleurs malgré la trahison, et qu’elle avait toujours été claire en lui disant ouvertement que ce n’était pas son cas, qu’elle l’aimait beaucoup bien sûr, mais qu’à défaut d’être platonique, leur relation consommée sous bien des formes, tourner la page, se trouver une gentille fille, c’était encore ce qu’il ferait de mieux pour qu’elle ne se sente pas obligée de lui briser le coeur. Néanmoins, dans une autre réalité, elle restait persuadée d’une chose qu’elle partagea avec lui dans un léger rire, son dos s’agglomérant au bord de la piscine pour trouver un équilibre précaire, toujours dans l’eau "On serait certainement mariés aujourd’hui si t’étais resté. Je crois pas que ça aurait été une bonne chose pour toi et moi, on l’aurait fait juste à cause de l’image que ça donne et des trucs qu’on a a réglé avec nos parents." Autant rester honnête. Jo jouait parfois la comédie, elle n’oubliait pas d’être franche sous ses performances. Cette vérité, elle préférait la donner toute crue à Micah pour que rien ne vienne entacher ce moment qu’ils partageaient là. Elle ne rit pas cette fois, mais elle sourit en biais en détournant brièvement les yeux sur ce qui s’étalait au-dessus d’elle ; le champ de possibilités infinies offert par les étoiles qu’elle voyait briller dans le ciel de Los Angeles "On aurait un enfant aujourd’hui. Le deuxième serait en route et je te haïrais de m’obliger à torturer mon corps à un aussi jeune âge au détriment de ma carrière qui aurait réussi à décoller en même temps que la tienne, mais c’est moi qui me coltinerais l’éducation pour compenser mes traumas d’enfance. Typique." Elle secoua la tête en continuant dans un petit rire "Je te laisserais partir pendant des mois pour tes tournages et je serais tellement envieuse de la vie que tu mènes sans moi et les enfants. Je te tromperais avec ton garde du corps et le deuxième gamin serait de lui d’ailleurs. Hey, tu sais ce que c’est d’être une mère au foyer de 27 ans avec un mari superstar ?" Elle non plus de toute évidence "Fais-moi pas croire que tu serais pas tapé J.Lo au moins une fois." Le regard qu’elle lui décocha voulait dire à d’autres, Tomlinson, et s’adoucit quand elle conclut juste après avec un peu plus de sérieux et de conviction sereine, se basant sur la réalité qu’ils vivaient tous les deux aujourd’hui et qui était très éloignée de celle qu’elle venait de dépeindre — pas de Lena, mais surtout pas de Midas dans cette autre vie, ce qui constituait une infamie à son humble avis "C’est une bonne chose que tu sois parti. Nos vies auraient été trop différentes aujourd’hui." La tête inclinée, elle le fixa sans but particulier, mais avec une volonté certaine de chercher à savoir si ça lui aurait plu de compter là-dessus. Elle reprit vie pour continuer, le clapotement de l’eau accompagnant sa sentence "La mienne en particulier. Ça aurait été un cauchemar, t’as bien fait de pas me l’imposer." Elle n’aurait pas supporté d’être une version actuelle de sa propre mère. C’est ce qu’elle serait devenue, trop consciente d’être difficile à aimer, de ne pas avoir beaucoup d’options tant il était difficile de supporter ses mécanismes de défense ; ça aurait été facile de se laisser conter la formidable histoire de l’âme-soeur providentielle qui vient la sauver de la débâcle — tiens, comme une vague ressemblance quelque part, ou ce n’est qu’une impression ? À nouveau, elle secoua la tête en souriant en demi-teinte. Micah ne devait pas s’en vouloir et surtout, il ne pas regretter d’avoir fait son choix. Si les rôles avaient été inversés, elle aurait fait exactement le même choix que lui à l’époque, à la différence qu’à sa place, ça aurait été sans aucune trace de regret.

Le principal intérêt de prêcher un convaincu était de se conforter soi-même ; dans ses convictions, mais aussi dans ses choix. Micah n'avait plus besoin de déployer beaucoup d'efforts pour faire comprendre à Jo qu'il la soutenait, et qu'il la comprenait mieux que personne. Il ne pouvait la préserver des erreurs que l'expérience de son père l'avait empêché de faire, mais se garderait toujours de la juger d'avoir pu, à un moment donné de sa carrière, faire preuve de mauvais discernement. A l'époque, et peut-être encore aujourd'hui, en dépit des apparences, Micah l'avait trouvée bien plus mature que lui. Dans son talent, mais aussi dans la capacité qu'elle avait à le défendre, aussi bien sur scène que dans les coulisses. Le discours qu'elle lui servait, sur ses bagages surchargés en sept ans de jachère musicale, avait moins pour but de le persuader lui que de la rassurer que ce temps infiniment long n'avait pas été vain. Encore aujourd'hui elle paraissait résignée, comme si cette victoire ne lui avait été accordée que pour réparer une injustice. « Personne ferait de l'art de qualité sans blessures. Je dis pas que c'est facile, mais c'est ce qui nous permet de mieux incarner nos émotions. » N'importe qui d'autre lui aurait ri au nez, sous prétexte qu'il n'avait jamais dormi dans sa voiture entre deux castings, et qu'il ignorait donc tout de la véritable souffrance. Il serait devenu un acteur bien peu versatile, s'il était passé au travers des émotions négatives qu'on lui demandait de reproduire face à la caméra.

Non satisfaite de s'être rassurée elle-même, Jo lui certifia à quel point elle serait loyale, si jamais l'opportunité se présentait un jour de le pousser sous les roues du bus pour le bien de sa carrière. « Je te crois, et c'est bien pour ça que je t'ai jamais fait signer d'accord de confientialité. Mon père a fait rédiger un modèle quand j'avais 18 ans. » avait-il répondu avec une triste indifférence. Une partie de son cadeau de majorité, un appartement à Sydney et un contrat à présenter à quiconque en franchirait le seuil. « T'imagines bien que ça craint, de partager des choses intimes et de se dire que ça doit faire l'objet d'un contrat. Evidemment que personne n'a envie de te faire confiance après ça. » avait-il ajouté, comme s'il tenait l'explication de toutes ses tentatives infructueuses de s'engager. Les informations que Jo détenait sur lui, confiées dans l'intimité de leur relation, étaient si précieuses et dangereuses que Micah était lui-même surpris de la naïveté avec laquelle elle promettait de ne jamais rien en faire. Et il la croyait avec tout autant de naïveté, comme il la croyait lorsqu'elle lui assurait être fière de lui. De la part de Josephine Carter, cet aveu était tout sauf anodin. « J'espère que tu me diras quand même si je commence à tourner dans des films de merde. Ce sera le signe qu'il faut que je change d'agent. Ou de métier. » Parce qu'il avait toujours eu son père pour l'aider dans ses choix, et qu'il n'avait de fait jamais pu se fier à ses propres instincts.

Quand ils évoquaient le passé, Jo faisait toujours preuve de retenue, comme elle l'avait fait au moment de parler de leurs sentiments, à l'évidence pas réciproques, une décennie plus tôt. Loin d'en pâtir désormais, Micah aimait considérer cette extraordinaire indulgence comme une preuve de son amitié. Il l'écouta attentivement lui dérouler leur vie, celle-là même qu'il avait contemplée parfois, dans des instants de solitude, et réalisait alors qu'elle n'était pas si romanesque que ça. Jo avait beau forcer le trait, il restait qu'un soupçon de lucidité suffisait à le convaincre que ce premier enfant, accidentel, contrairement à ce qu'elle affirmait, aurait de fait instillé une frustration dans leur mariage imaginaire. « Quel enfer. J'ai revu Penny récemment, et tu décris pratiquement sa vie. » Il avait cru comprendre que cette vie – sans lui, elle aussi – lui convenait, mais si un premier enfant pouvait être un accident, le deuxième était un choix, consenti ou pas. « Je l'aime beaucoup, mais c'est vraiment pas la vie qui me fait rêver à l'heure actuelle. J'ai envie d'avoir des enfants, mais si ça devait arriver aujourd'hui, j'aurais peur que ça me frustre par rapport au reste. » Autrement dit, il n'aurait aucun mal à plaider l'avortement, et se sentirait extrêmement contraint si on devait le contredire. « J'avoue que si j'ai cette vie un jour, je pourrais pas garantir d'être tout à fait fidèle. Tu dirais quoi toi, si un mec te proposait d'être un couple libre ? » demanda-t-il sans arrière pensée. Comme souvent, une des deux partis se sentait lésée dans ce genre d'accords, mais Micah imaginait Jo assez sexuellement indépendante pour se plaire dans cette dynamique. « Je crois pas forcément au destin, mais je pense qu'on a tous les deux fait les bons choix. Je regrette pas d'être parti, j'aurais pas la même carrière si j'étais resté ici. Mais je sais pas, j'aurais bien aimé partager cette ambition avec quelqu'un à l'époque. » dit-il pour se justifier de vouloir refaire l'histoire. Foncièrement, il n'avait pas le moindre doute qu'il serait parti dans tous les cas, que Penny ou Jo aient accepté de se balader à son bras ou pas. Ce qui continuait de le tarauder, c'était de n'avoir pas eu assez d'arguments pour les faire quitter l'Australie elles aussi. Se hissant hors de l'eau, il se laissa caresser par le vent encore chaud de la fin de journée. Il s'ébouriffa les cheveux avant de se retourner en direction de la piscine. « Je commence à avoir faim, t'as pas envie de manger quelque chose ? Je t'ai pas encore fait goûter les tacos de Santa Monica Boulevard. C'est une tuerie, j'y allais au moins une fois par semaine. Surtout en sortie de club. »

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@Micah Tomlinson ☆ crédit/ssoveia

La conversation oscillait entre plusieurs sujets sur lesquels il n’était pas si difficile que ça de se pencher, encore que Jo se sentit un peu fébrile de soulever ses blessures sans les nommer toutefois. Micah comprendrait — et il comprenait, sa réponse lui faisant hocher la tête sans qu’elle ne juge bon d’en rire ou de la relever. Ils étaient de bons artistes à cause de leurs blessures, c’était d’un pathétique à taire pour ne pas attirer la sympathie, chose que Jo détestait plus encore que devoir se justifier à propos des barrières qu’elle dressait autour d’elle pour se protéger. Tout était lié, et si c’était difficile à admettre d’un côté, de l’autre ce n’était qu’un secret de polichinelle. Tout le monde savait ce qui constituait l’art de ceux qui le partageaient avec le monde entier. La transparence n’était pas toujours évidente, il fallait être subtile et un peu écorché aussi, mais les métaphores étaient de mise pour exorciser ses maux. Il n’y avait pas d’artistes heureux selon la légende, et visiblement, ils en faisaient tous les deux partis.

"Je suis douée pour garder les secrets." A un point tel que ça devenait pesant, mais si elle devait flancher à un moment donné, si elle devait libérer son coeur de tout ce qu’elle gardait pour elle, du traitement qu’elle avait subi de la part de son père, à l’existence de la fille de Midas, elle tacherait de ne pas inclure les secrets de Micah dans son grand déballage. Elle avait confiance en elle, elle se savait loyale. Mais elle se savait aussi un peu revancharde, de fait qui savait vraiment dans le fond ? Personne n’était à l’abri de violer ses propres règles, Jo elle-même le ferait bien en pardonnant à Midas de lui avoir menti. Que le père de Micah se rassure — si tant était qu’il en avait encore quelque chose à faire de voir les honteux secrets de son fils exposés — elle n’en était pas à vouloir nuire au jeune homme qu’elle regarda la tête penchée, un soupçon de tendresse passant sur son visage quand elle se rendit compte qu’au fond, il souffrait d’une forme de solitude inhérente au statut qu’il avait mis du temps à polir, idole inaccessible qui s’accrochait à des souvenirs pour se donner l’impression d’avoir fait les bons choix, façon comme une autre de se rassurer et d’avancer avec la certitude d’avoir évolué dans le bon sens . Elle aurait pu le prendre dans ses bras à ce moment-là, elle aurait pu s’amuser un peu plus de l’idée d’être une privilégiée de qui il se méfiait pas même un peu, mais elle savait ce que la solitude nourrissait comme espoir ; et à la surface de l’eau, elle voyait briller celui de Micah dont les yeux trouvèrent les siens sans qu’elle ne s’en dérobe sur l’instant, le faisant une poignée de secondes plus tard seulement en lui rétorquant "Si tu m’offres les 10% que tu réserves à ton agent, je peux même les choisir à ta place tes projets." Dans une autre vie, elle aurait été sa conseillère de génie,  la petite voix dans son oreille, c’était évident.

Et c’était dans la vie qu’elle lui dépeignit sans faire de la dentelle, lui tirant une remarque qui la fit ouvrir grand la bouche et froncer les sourcils avec un amusement significatif sur le visage "T’as revu Penny ? C’est toujours pas terminé votre truc ?" Votre truc, ce qui lui avait coûté de ne pas terminer avec la bague au doigt, comme quoi dans le fond, Micah avait toujours été tiraillé entre deux feux dont il continuait de recevoir la chaleur aujourd’hui, qu’importait s’il jugeait l’éclat de l’un d’entre eux moins vif qu’à l’époque. Ça avait tendance à faire camper Jo sur l’idée qu’eux deux, ça n’aurait pas été une bonne idée. Le coeur de Micah était scindé, elle ne savait pas tout à fait si la partie qu’il lui réservait était plus grosse que celle qu’il réservait à Penny, mais son ego lui soufflait que c’était le cas, qu’elle avait l’avantage. Elle n’avait pas le moyen de le savoir pourtant, elle savait en revanche plongeant dans ses yeux quel regard il portait sur elle, elle s’en satisfaisait dans une certaine mesure, mais c’était comme avec tous les autres finalement, et ce n’était pas sans la blesser un peu : il y avait une théorie selon laquelle les hommes catégorisaient les femmes de deux façons bien distinctes. Maintenant que Penny était maman, elle ne pouvait plus qu’être une sainte. Jo, par contre, il suffisait de l’entendre parler, de la voir agir et de se référer à la longueur de ses robes pour savoir qu’en comparaison, elle ne pouvait pas être grande chose qu’une pute — et Micah était un homme comme les autres, qui avait déjà goûté aux multiples talents de la jeune femme qui ne doutait pas qu’il l’aimait beaucoup, qu’elle comptait à ses yeux autant qu’il comptait aux siens, mais encore une fois, elle n’était pas naïve. Pas assez en tout cas pour ne pas voir en ses propos suivant une forme de proposition qui la fit rire avant de lui répondre "Tout dépend du mec. Si je suis amoureuse et qu’il me fait ce coup-là, ça me vaudrait certainement une rupture, mais je lui dirais d’aller se faire foutre." Micah sous-estimait les travers de jalouse de Jo. Elle n’avait peut-être pas de mal à exprimer sa sexualité, elle restait une possessive auto-proclamée qui préférait fermer ce genre de portes rapidement histoire de ne pas laisser s’insinuer quoi que ce soit. Elle ajouta, se décollant du bord de la piscine pour nager vers Micah qu’elle contourna finalement "J’ai jamais été une option, je le deviendrais pas en m’abaissant à accepter de partager la personne que j’aime avec qui que ce soit d’autre. Mon attention se mérite tu sais, si je la confie à quelqu’un, c’est pour que ce soit exclusif." Ça la bouffait déjà de l’intérieur de savoir que Midas avait réservé sa paternité à l’enfant d’une autre, elle ne tolérerait pas autre chose encore — elle savait oui, qu’ils n’étaient plus ensemble, mais qu’est-ce que ça pouvait bien faire, elle n’avait personne d’autre dans le coeur que lui. Elle ne s’investissait pas pour entendre dire à un moment donné que ce ne serait pas une mauvaise idée de voir quelqu’un d’autre dans tous les cas, pas même pour plaisanter. Et là, ça avait le mérite de remettre l'église au milieu du village avec peut-être pas autant de subtilité qu’elle l’aurait voulu, mais on lui reprochait parfois de ne pas être claire quand il s’agissait de ce genre de choses, et bien elle l’était sur le moment, et elle profita de ça pour sortir de la piscine par les quelques marches qui fermaient le bassin, sentant l’air de la nuit lui picorer la peau pendant que Micah concluait ses réflexions sur son passé sans que là encore, elle ne juge bon relever qu’elle avait l’impression qu’il tentait de lui faire passer un message qu'elle fit mine de ne pas avoir reçu, un peu gênée finalement. À la place, elle balaya ses cheveux mouillés de son visage, les plaqua derrière ses oreilles en se tournant pour le regarder sortir de la piscine à son tour, et intercepter sa proposition d’un hochement de tête "On se sèche, on se prépare, et on y va." Un programme méthodique qui les empêcherait de s’arrêter à nouveau sur le reste, sur les versions multiples d’une relation qui était vouée à rester celle qu’elle avait toujours été depuis près d’une décennie.

rp terminé.