N'en déplaise aux clichés, un piano attirait toujours la convoitise de ceux qui voulaient exhiber leurs années de solfège pour briller lors des soirées mondaines. Celui que Micah avait fait transporter sur la terrasse qui surplombait le jardin avait attiré les badauds, qui poussaient la chansonnette contre quelques dons à la Fondation. Selon le dernier décompte, que l'organisateur de l'événement suivait avec obsession, ces derniers s'élevaient à quelques dizaines de milliers de dollars, suffisamment pour ne pas rougir de cette grande première. Les invités étaient venus en nombre, parfois moins par altruisme que par pure stratégie de communication. Les motivations des personnes présentes importaient bien peu à Micah ; seul le résultat comptait à ce stade. Il s'était d'ailleurs étonné de constater que, contrairement à ses attentes, sa mère avait fait preuve de beaucoup de retenue. Elle s'était montrée sociable et intéressée par les discussions souvent superficielles des autres, bien moins méprisante que le souvenir certainement perverti par le ressentiment qu'il gardait d'elle. A distance, il l'avait observée avec une pointe de soulagement – et peut-être même un brin de fierté qu'il s'abstiendrait de lui partager – manoeuvrer avec charme, distinction et finesse. Ce fut ainsi vigilant qu'il avait remarqué la présence de Lena, dont il s'était inquiété d'une potentielle collision inopinée avec sa mère. Malgré son supposé manque d'intérêt pour son fils, Nicole suivait sans doute ses tribulations, comme tout le monde, dans la presse. Elle n'en savait pas plus, pas moins, mais bien assez pour reconnaître le minois de Lena dans une foule uniformisée. Fatalement, et aussi parce que leurs agendas étaient chargés, ils ne s'étaient plus recroisés depuis qu'ils s'étaient entendus pour prendre un peu de distance. Si Micah n'avait pas été si occupé, il aurait pu remarquer que la présence de la jeune femme dans sa vie lui manquait bien plus que leurs machinations. Entre Lena, Lincoln et sa mère, il ne savait plus où donner de la tête, si bien qu'il s'était refugié un moment dans l'obscurité du jardin, prétextant avoir affaire pour se dérober à ses derniers interlocuteurs, un couple de neurochirurgiens qui saluaient sa démarche et avaient promis de regarder ses films.

La flamme du briquet brilla dans une nuit privée d'étoiles. Du bout des lèvres, Micah aspira une première bouffée de cigarette, isolé dans un bosquet. D'où il était, il entendait le ruissellement de l'eau d'une fontaine qui éclairait comme une lune au centre d'une l'allée. En dépit de son succès, l'entreprise avait des allures de commémoration. Son père n'était pas mort et enterré que Micah avait la dérangeante impression de lui rendre un hommage prématuré. Cette impression ne le quittait plus maintenant que la Fondation avait franchi le cap de la simple intention. Et pourtant, Micah avait fait le deuil de ce père qui ne le reconnaissait plus, et auquel il refusait désormais de rendre visite. Parmi les invités, quelques personnes le comprenaient, et leurs discussions d'une extraordinaire banalité lui faisaient un bien fou. Le bruissement d'une branche le tira de sa mélancolie. Même s'il devait plisser les yeux dans la pénombre, Micah pouvait facilement reconnaître la démarche gracile de Lena. Il ignorait si elle l'avait suivi, avait voulu s'isoler elle aussi, ou alors se retirer en toute discrétion avec l'espoir qu'il ne l'avait pas aperçue parmi la foule de gens qui lui avait graissé la patte. « T'as pas renvoyé le RSVP. Je pensais pas te voir ce soir. » avait-il déclaré. Son ton était factuel, dénué de tout jugement. Il tira à nouveau sur sa cigarette avant d'ajouter. « Je suis content que tu sois là. » Compte tenu de ses accointances avec Jo, et le rôle qu'elle avait accepté d'endosser pour la Fondation, Lena avait toutes les raisons de vouloir s'en éloigner. Devait-il considérer sa présence comme une preuve d'attachement ? Ou bien une tactique comme les autres ? « Tu es venue seule ? » avait-il demandé sans la moindre naïveté. La question n'était pas mal posée. Bien-sûr qu'elle était venue seule, par respect pour lui, mais ce n'était bien entendu pas ce qui l'intéressait. Lors de leurs derniers échanges, Micah lui avait reproché d'être proche d'un autre comme s'ils s'étaient promis la moindre proximité. Il voulait savoir si quelqu'un avait réussi, encore une fois, à prendre une place qu'il n'avait jamais envisagée avant de la voir filer entre ses doigts.

Dans son esprit, le programme de la soirée était simple. Lena arriverait à la soirée de la Fondation Tomlinson juste assez en retard pour se fondre dans la masse des invités déjà présents afin de se faire le plus discrète possible et de ne surtout pas attirer l'attention sur elle. Peut-être aurait-elle mieux fait de ne pas venir du tout, mais elle avait jugé important de soutenir la cause qui tenait à cœur à Micah - de le soutenir, lui. Alors elle s'était contentée de converser à droite à gauche, se retenant de rire en voyant certains de ses interlocuteurs s'empêcher de poser des questions sur sa relation actuelle avec l'hôte du jour, mais surtout sans jamais oublier de le surveiller discrètement pour réussir à s'en tenir à distance. Elle avait fini par supposer que Micah faisait la même chose de son côté puisqu'ils étaient parvenus à ne pas se croiser pendant toute la soirée, confirmant les craintes de la blonde : elle aurait mieux fait de rester chez elle. Malgré tout, elle n'avait pu s'empêcher de suivre ses pas lorsqu'elle avait aperçu l'acteur s'éloigner de la foule d'invités pour s'isoler un instant. « T'as pas renvoyé le RSVP. Je pensais pas te voir ce soir. » Seule face à lui, le voile d'assurance qu'elle portait brillamment lors de chacune de ses apparitions publiques commençait à s'évaporer. Elle avait passé des années à le parfaire, mais ne pas savoir comment elle allait être reçue l'inquiétait plus qu'elle ne l'aurait admis. « Je t'avais dit que viendrais. » Dès l'instant où Micah avait parlé d'organiser cette soirée, Lena lui avait promis d'être présente. Cette discussion, ils l'avaient eue avant de décider de ce break ; avant qu'ils finissent par ne plus se donner de nouvelles du tout. Elle était consciente qu'il aurait pu imaginer qu'elle ne viendrait pas, elle même avait longuement pesé les pours et les contres de sa venue ce soir. Pour autant, elle aurait espéré qu'il la connaisse assez pour savoir qu'elle ne romprait pas une promesse. Et elle était presque vexée de savoir qu'elle n'était qu'une invitée comme tous les autres, ceux desquels on attend une réponse à un carton d'invitation des plus impersonnels. Peut-être qu'elle n'avait jamais apporté de réponse en craignant qu'on lui demande finalement de ne pas venir ? En tout cas elle aurait aimé compter un peu plus que ça et la déception qu'elle commençait à afficher de façon inconsciente l'illustrait parfaitement. Jusqu'à ce que Micah s'exprime à nouveau. « Je suis content que tu sois là. » Elle répondait machinalement, un doux sourire sur ses lèvres. « C'est vrai ? » Lena était contente de l'entendre. Le silence qu'ils s'étaient infligés avait eu le don de faire douter la blonde sur leur relation, sur le fait qu'il accepterait de la revoir un jour. Et bien qu'elle aurait aimé l'entendre affirmer une fois encore que sa présence lui faisait plaisir ou même à quel point ça lui faisait plaisir elle ne lui laissait pas le temps de répondre à sa question posée bêtement et risquant de les amener vers des sujets sensibles. « Je suis contente d'être là. C'est une superbe soirée, tu as vraiment fait les choses bien. » Il pouvait être fier du travail accompli et elle espérait qu'il en soit conscient. Le féliciter au sujet de sa soirée pourrait passer pour de la politesse stratégique, surtout que nombre d'autres avaient dû le faire ce soir avant elle mais il n'en était rien, elle était sincère et son expression encline de fierté. Évidemment elle aurait aimé avoir été là pour organiser cette soirée avec lui, mais elle avait raté l'occasion de le faire en compliquant les choses.  « Tu es venue seule ? » Il était clair que la question était loin d'être innocente et Lena ne s'attendait pas à ce qu'il la pose aussi frontalement. « Oui. » Elle aurait bien agrémenté sa réponse d'un commentaire au sujet de Jo ou du fait qu'elle était seule constamment depuis un moment, mais il semblait risqué de s'aventurer en terrain miné. « Je ne voulais pas risquer d'attirer l'attention en venant accompagnée, ça aurait été déplacé. » Qu'elle ajoutait comme pour se justifier, comme si sa solitude avait été un choix stratégique et qu'elle était toujours coincée dans ce jeu de faux semblants qu'avait été leur relation alors même que si elle était venue seule, c'était aussi et surtout parce qu'elle n'avait envie d'être accompagnée de personne d'autre que lui. « Rien que ma présence risque de faire parler, c'est pour ça que j'ai gardé mes distances. Je n'étais pas sûre que tu apprécierais que je vienne te saluer devant tout le monde. » Micah avait bien des choses à penser ce soir et elle n'avait pas voulu en rajouter une couche en lui imposant des retrouvailles peut-être gênantes en public, où leurs moindres réactions auraient été scrutées. C'est pour cette raison qu'elle avait sauté sur l'occasion de le voir s'éclipser : au moins ici ils avaient un peu d'intimité et pouvaient se parler ouvertement, même si Lena préférait encore se cacher derrière un simulacre de bon sens et de stratégies fumeuses. Elle n'était pas sûre de comment elle devait se comporter avec lui tout court.

Les médecins, qui avaient vu Micah et son père défiler dans leurs bureaux, de plus en plus désemparés, alors que ce dernier se débattait semaine après semaine avec ses instincts pour retenir trois petits mots, ne formaient qu'une petite partie de l'assemblée. Leur sollicitude sincère, et leur compréhension évidente des difficultés traversées par Micah, ne leur suffisaient pas à comprendre réellement ce qu'il avait ressenti quand son père s'était réfugié comme un enfant sous la table pour échapper à des voix imaginaires, ou quand il ne l'avait pas reconnu pour la première fois. Que dire alors des attentions ampoulées de celles et ceux pour qui Alzheimer leur évoquait davantage un compositeur allemand qu'une véritable tragédie ? Si leurs discours obligés étaient attendus dans un tel contexte, il ne le rendait pas plus supportable. Bon acteur, Micah souriait sans un mot, car que pouvait-il répondre à des gens qui s'excusaient de l'inévitable comme s'ils étaient assez importants pour l'empêcher ? Ce n'était pas le cas de Lena, qui était trop douce, trop pure pour avoir ces intentions. Peut-être que Micah devait cesser de la considérer comme cet être à la fois fragile et sans failles, tout d'abord parce que c'était condescendant, et surtout pour arrêter de tomber des nues à chaque fois qu'elle faisait preuve d'humanité. Il échappa un rire jaune lorsqu'elle invoqua sa parole pour expliquer sa présence ce soir. Elle n'aurait pas été la première à trahir une promesse. « Les gens disent beaucoup de choses. » avait-il rétorqué en fronçant les sourcils, se remémorant toutes ces fois où on l'avait lâchement abandonné, pour bien moins que ça. On l'appréciait pour son côté frivole et son porte-monnaie généreux, mais au premier obstacle il ne restait plus grand monde derrière lui. « Je devrais savoir que tu n'es pas tout le monde, mais disons que j'ai eu mon lot de déception quand tout n'était plus tout rose dans ma vie. » Mais quand il y repensait, Micah avait un don pour s'enticher des femmes les plus loyales qui existaient. Penny avait été la première à qui il avait confié la véritable raison de son retour à Brisbane, et Jo le prouvait sans arrêt en soutenant la moindre de ses entreprises. A l'évidence, une partie de Lena était vexée de savoir qu'il avait douté, mais il ne pouvait faire autrement s'il voulait protéger un tant soit peu ses sentiments. Lui, aurait pu être vexé de constater que Lena doutait de sa sincérité, si ses doutes n'étaient pas aussi légitimes. Il en était lui-même à l'origine, en décidant de s'éloigner d'elle le temps de remettre de l'ordre dans sa vie. « Oui c'est vrai. » l'avait-il rassurée, cherchant son regard dans la pénombre des arbres. « Il y a tellement de personnes qui sont là pour le paraître. Je m'en fous, ça fait de l'argent. Mais ça me rassure de savoir que certaines personnes sont là pour moi. » C'était évidemment le cas de Lena, du moins il voulait s'en persuader. Elle n'avait pas compris sa détresse des mois plus tôt, mais elle était là ce soir. Ce recul lui avait peut-être fait du bien à elle aussi. Savoir qu'elle n'était pas accompagnée l'aurait rassuré si la formulation n'était pas si ambigue. Etait-elle venue seule par respect ou par choix ? « Parce que tu aurais pu venir accompagnée ? » demanda-t-il pour écarter tous ses doutes. Quoiqu'il en soit, sa jugeote le touchait, car il aurait été bien embarrassé de causer du drame à sa propre soirée si l'homme avec lequel Lena couchait était venu à son bras. « C'est pour ça que tu étais le cerveau de notre... entreprise. » Il avait hésité à dire couple, puis s'était ravisé. Même si Lena lui avait affirmé à demi-mot qu'elle était prête à s'engager, lui ne l'était pas assez pour la combler. « J'étais trop naïf pour mesurer les implications de la liste des invités. J'aurais été extrêmement déçu que la presse ne retienne de cette soirée que ta présence. D'ailleurs, c'est pour ça qu'elle n'est pas conviée. » avait-il clarifié pour que la jeune femme se libère de sa bienveillante retenue. « J'ai besoin qu'on me prenne au sérieux pour une fois. »

« Les gens disent beaucoup de choses. » Beaucoup parlaient sans réellement croire à leurs mots, trop peu tenaient leurs promesses. Lena en était consciente, mais penser qu'elle ne représentait rien de plus aux yeux de Micah la rendait triste. « Je devrais savoir que tu n'es pas tout le monde, mais disons que j'ai eu mon lot de déception quand tout n'était plus tout rose dans ma vie. » Et en même temps, avec l'inconstance de leur relation, elle pouvait imaginer que Micah s'attendait à une désillusion de plus. Elle espérait secrètement ne pas déjà faire partie de ces déceptions, mais craignait que ce ne soit déjà le cas. Alors elle préférait s'assurer que sa présence lui convenait. « Oui c'est vrai. » Le plus dur pour Lena, maintenant qu'elle lui faisait face, était de ne pas savoir comment se comporter. Avoir eu la confirmation que sa présence lui faisait plaisir ne signifiait rien sur l'état de leur relation à l'heure actuelle, à son plus grand regret. « Il y a tellement de personnes qui sont là pour le paraître. Je m'en fous, ça fait de l'argent. Mais ça me rassure de savoir que certaines personnes sont là pour moi. » Elle hochait timidement la tête pour le lui confirmer. « Parce que tu aurais pu venir accompagnée ? » Lena aurait pu jouer à l'idiote et continuer sur sa lancée pleine de sous entendus, prétendant qu'elle n'aurait eu qu'à claquer des doigts pour avoir un homme à son bras ce soir, mais ça sonnait trop faux pour qu'elle ne laisse subsister un doute. « Non, évidemment que non. » Si ce n'était pas assez clair jusque là, l'intention qu'elle avait mis dans sa voix devait finir de convaincre Micah que c'était la stricte vérité. En fait, Lena n'avait même pas songé à l'idée de venir accompagnée avant d'arriver à la soirée et de se trouver un peu trop seule à son goût. « C'est pour ça que tu étais le cerveau de notre... entreprise. » Après réflexion et au vu de l'état de leur relation, Lena n'était pas certaine d'avoir été si bonne dans son rôle attribué de cerveau de l'opération. Elle se contentait de d'un sourire gêné, évitant de faire cette remarque à voix haute. « J'étais trop naïf pour mesurer les implications de la liste des invités. J'aurais été extrêmement déçu que la presse ne retienne de cette soirée que ta présence. D'ailleurs, c'est pour ça qu'elle n'est pas conviée. » Elle n'avait pas remarqué l'absence de journalistes auparavant. Certains des invités devaient être déçus que leurs généreux dons ne soient pas immortalisés comme ils l'auraient espéré. « C'est une excellente idée d'avoir choisi de te passer de leur présence. » Ça donnait à l'évènement un ton un peu plus privé et c'était rassurant, en un sens. Peut-être que sa venue passerait inaperçu, après tout.  « J'ai besoin qu'on me prenne au sérieux pour une fois. » « C'est déjà le cas. » Qu'elle avait répondu sans réfléchir. L'image de Micah était encore loin d'être celle qu'il essayait de se construire, personne ne pouvait le nier. Alors il comprendrait sans mal qu'elle exprimait son propre opinion et qu'elle ne parlait pas au nom de la société. Elle avait appris à le connaître et elle le voyait sous un tout autre jour qu'auparavant. Il était bien plus que ce que les médias affichaient de lui. « Et avec le temps tout le monde reconnaîtra ta vraie valeur. » Ajoutait-elle, sincère et pleine d'espoirs pour l'avenir de l'acteur désormais philanthrope. Sans croiser son regard à nouveau, elle soupirait, perdue dans l'obscurité. « Tu sais, cette façon que tu as de te convaincre que tu n'es pas assez et que tu as sans cesse tes preuves à faire me surprend toujours. Avant de te connaître, j'avais toujours l'impression que tout était facile pour toi. » Micah s'était toujours affiché sûr de lui, un peu trop parfois. Il avait appris à jouer de cette image qu'on lui avait collée - qu'il s'était collée lui même. Lena avait fini par comprendre qu'il n'était rien d'autre qu'un imposteur, comme elle et comme probablement tout ceux qui gravitaient dans leur univers.

Une lumière s'alluma au loin, comme un projecteur qu'on aurait braqué sur eux. Micah l'interpréta comme un avertissement. Y compris dans l'intimité de son propre jardin, au beau milieu d'un événement privé, sa vie continuait d'intéresser les gens. La presse avait beau être bannie de chez lui, il n'était pas à l'abri de l'objectif mal intentionné d'un téléphone. Le pire dans cette histoire n'était pas tant d'avoir à se défendre que sa rupture avec Lena était toujours d'actualité que de se voir rappeler constamment qu'il ne la méritait pas, et qu'il était peut-être temps de s'y résigner. Pour de vrai comme pour de faux, c'était tout simplement au-dessus de ses forces. Il n'était jamais parvenu à renoncer suffisamment à lui pour aimer quelqu'un d'autre, et ses rares tentatives avaient tristement échoué. Lena demeurait silencieuse. Il la devinait acquiescer dans le clair-obscur, potentiellement aussi déçue que ses affirmations étaient cyniques. Ce soir, il n'était pas là pour la rassurer. C'était même l'inverse. Sa présence semblait indiquer que le bien attirait le bien. Elle brisa son monologue avec une certaine assurance, soutenant qu'elle n'avait eu besoin de personne pour l'accompagner ce soir. Contrairement à ce qu'elle supposait, sa réponse n'avait rien d'évident, mais elle était bien assez spontanée pour arracher à Micah un sourire flatté. « Alors j'espère que tu ne t'ennuies pas trop. » opposa-t-il alors que son sourire s'évanouissait, comme un nuage obstruant la lune. Ils avaient connu des soirées plus festives tous les deux, mais Micah pouvait tout de même se féliciter d'avoir pu faire passer un message optimiste plutôt que de faire de ce gala un hommage pathétique. Un savant mélange de sérieux et de légèreté, qui avait finalement toujours rythmé sa vie. Lena s'attacha d'ailleurs à lui rappeler, ou lui exprimer tout simplement, qu'on le prenait déjà au sérieux. Il n'avait pas besoin d'en faire des tonnes, ni de s'accommoder de manières trop guindées, pour convaincre les autres que tout ceci n'était pas qu'une lubie, ou la rédemption d'un homme plus riche que de raison. Toutes les personnes comme lui finissaient, à un stade de leur vie, par céder à la charité pour rentrer dans les bonnes grâces du peuple. Passer pour un escroc, un samaritain préfabriqué, serait un échec bien moins consolable à ses yeux que celui de ne pas fédérer autour d'une cause qui lui était chère. La naïveté de Lena avait beau le toucher, lui n'était pas assez crédule pour se bercer d'illusions. « Si seulement tout le monde était aussi indulgent que toi. » dit-il sans la moindre condescendance. Il admirait ça chez elle, cette façon qu'elle avait de croire que le monde n'était pas systématiquement hostile envers les gens qui, comme lui, avaient de l'ambition. « Au mieux on me traitera d'opportuniste qui veut se refaire une réputation sur le dos des gens malades. » Il l'avait déjà lu quelque part. Sur les réseaux sociaux certainement, ce tribunal sans foi ni loi. « Moi je sais pourquoi je le fais, mais c'est pas moins vexant pour autant. » Pour tout dire ces spéculations le blessaient profondément. Comment pouvait-on l'imaginer assez malhonnête pour capitaliser sur la déchéance d'un père qui avait incarné son monde depuis sa naissance ? C'était bien mal le connaître. Bien moins que Lena le connaissait désormais. Pour une fois, il aurait aimé qu'on puisse le considérer avec autant de compassion que les femmes avec qui il s'était montré vulnérable. Ce n'était pas dans son intérêt de garder une rancune envers Lena, et encore moins qu'elle reste sur l'image peu reluisante qu'il lui avait laissée le jour de leur fausse vraie séparation. « Je me suis jamais vraiment excusé d'avoir été un connard la dernière fois. Je veux dire, tu me devais rien du tout, et encore moins fidélité. » Pour un homme bouffi d'orgueil, c'était ce qui ressemblait le plus à des excuses, sans qu'elles ne soient tout à fait prononcées. « Faut croire que j'étais un peu jaloux. » conclut-il, comme si la jalousie pouvait finalement légitimer la passion des hommes au moment d'exiger un attachement servile. Il aurait été bien moins à cheval sur la fidélité si les rôles avaient été inversés. D'ailleurs, c'était bien ce qu'elle lui avait reproché en évoquant sa proximité effrontée avec Jo.

Dans un monde parfait, Lena se serait présentée à cette soirée comme la partenaire de celui qui l'avait organisé. Dans leur monde à eux, elle était venue sans personne à son bras. « Alors j'espère que tu ne t'ennuies pas trop. » Lena vint hausser ses épaules pour mimer une fausse indécision. « C'est vrai que la musique manque un peu de rythme.. mais non. Comme je te l'ai dit, c'est une belle soirée. » Essayer de mêler un peu d'humour à sa réponse n'était qu'une tentative d'alléger un peu l'ambiance de leur échange, craignant qu'il ne prenne une tournure pesante si elle baissait sa garde un peu trop longtemps. Après tout, certaines conversations étaient restées en suspens et même si elle aurait trouvé intéressant d'aborder le sujet de leur relation, elle préférait se concentrer sur l'instant présent et les réussites de Micah qu'il s'agissait de souligner. « Si seulement tout le monde était aussi indulgent que toi. » Plus optimiste qu'indulgente, d'après elle. « Au mieux on me traitera d'opportuniste qui veut se refaire une réputation sur le dos des gens malades. » Il était regrettable que chacun de ses agissements puisse être jugé par des personnes qui ne connaissaient rien à ses véritables intentions. « Moi je sais pourquoi je le fais, mais c'est pas moins vexant pour autant. » Elle opina du chef machinalement, ne pouvant que comprendre ce sentiment. « Ils finiront par comprendre. Et ceux qui continueront à vouloir te critiquer malgré tout auront au moins l'avantage de faire parler de la fondation. » Si les médias s'amusaient constamment à se faire de l'argent sur leur dos, c'était plus que naturel de s'en servir au mieux. « Je me suis jamais vraiment excusé d'avoir été un connard la dernière fois. Je veux dire, tu me devais rien du tout, et encore moins fidélité. » L'entendre prononcer ces mots venait de soulager Lena d'un poids qu'elle n'était pas consciente d'avoir eu dans sa poitrine. Micah s'était montré cinglant, et ses remarques avaient eu le don de faire naître en elle une certaine culpabilité pour cette histoire avec Adrian. « Faut croire que j'étais un peu jaloux. » Avoir la confirmation qu'il ait pu développer quelques sentiments à son égard parvenait à adoucir Lena ; autant que ça l'attristait de ne pas avoir su le comprendre plus tôt et d'être restée trop longtemps noyée dans ses doutes. Aussi perspicace qu'elle pouvait être d'habitude, elle avait fait preuve de bien trop de naïveté dans ce cas. « Toi, jaloux ? » Qu'elle avait lancé d'un air taquin pour souligner le fait que cet aveu était inédit venant d'un tel personnage. « Tu sais, je suis pas certaine que tu sois le seul à devoir t'excuser dans cette histoire. J'ai pas agi très intelligemment non plus. » Et, comme pour se justifier de ce fait, elle ajouta : « J'ai été jalouse moi aussi. » Inutile de la citer. Il l'avait certainement compris au vu du nombre de fois où Lena avait parlé de Jo, de façon plus ou moins claire et avec plus ou moins de questionnements et de reproches dans la voix. Peut-être Micah l'avait interprété comme de simples inquiétudes de sa part au sujet de l'image que cela pouvait donner de leur relation, mais puisqu'il s'était montré franc, elle voulait le faire à son tour. « Et même si t'as dit des choses que t'aurais pas dû, tu avais raison sur le fond du problème. » Ainsi que sur la conclusion qu'avait apportée leur dernière conversation. Lena s'éclaircissait la voix et détournait les yeux, fixant l'horizon du regard pour se donner le courage de continuer. « J'ai manqué d'honnêteté avec toi, je me suis menti à moi même. On s'est perdus dans cette mise en scène et plus rien de bon ne pouvait en sortir au stade où on en était arrivés. Prendre nos distances, c'était la seule chose à faire. » Elle regrettait ce fait. Elle regrettait de ne pas avoir joué la carte de la franchise plus tôt, par peur d'être rejetée. Elle regrettait d'avoir joué à l'idiote en prenant ses distances pour protéger son égo, laissant Micah dans un flou artistique plus grand encore que celui dans lequel elle se trouvait. En somme, elle éprouvait du regret pour chaque mauvaise décision qu'elle avait prise dans la gestion de cette relation qui comportait plus de vrai que ce qu'elle n'aurait pu admettre quelques mois plus tôt. Et à présent, elle voyait mal comment les choses pourraient reprendre entre eux alors qu'ils étaient parvenus à tout gâcher en un rien de temps, alors même que c'était son souhait le plus cher.

La plaisanterie de Lena sur la subtilité de la musique acheva de le faire sourire. Lui non plus n'était pas un partisan des notes de piano en toile de fond, mais c'était finalement le meilleur compromis qui existait entre ambiance et dialogue. Dans d'autres circonstances, Micah aurait proposé à ceux qui le voulaient de finir la soirée au rythme des rires enivrés et des tintements de verre, mais ce n'était pas vraiment le souvenir qu'il voulait laisser de cet événement. Le sien s'évapora rapidement, trop léger  par rapport aux doutes qui ne cessaient de l'obséder. Nommer la Fondation d'après son père était une évidence, mais n'était-ce pas non plus sa principale faiblesse ? Comment s'effacer, gommer son image de jeune homme immature et volage si l'entreprise devait à jamais être associée à son nom ? Si elle se voulait rassurante, Lena n'était pas assez impartiale pour le convaincre. « Ouais... j'ai toujours un peu marché avec cette devise qu'il n'y a pas de mauvaise publicité, mais j'ai pas envie que les gens associent la Fondation à ce que je dis ou fais dans ma vie privée. Et c'est pour ça que j'ai besoin de gens pour la représenter, parce que j'ai peur que mon image lui porte préjudice. » dit-il, lui-même encore trop perplexe à l'idée de changer. Lui avait les fonds et l'expérience personnelle. Le reste appartenait à ceux qui en profiteraient. Se montrer honnête avec Lena était le meilleur moyen de jauger ce qu'elle pensait en retour. Elle n'avait pas eu besoin de parler lorsqu'il s'était excusé, car son corps tout entier s'était détendu. Micah la devinait même un peu flattée d'avoir pu le faire flancher, notamment en remettant en question ses propensions à la jalousie. Elle n'était pas la première ni même la dernière à en faire les frais. « Ça m'arrive. » rétorqua-t-il avec un sourire attendri. Il n'était pas très utile pour Lena de s'appesantir sur les raisons de sa jalousie. On lui avait assez reproché sa proximité avec Jo pour qu'elle en devienne la source d'au moins deux péchés capitaux. Mais Micah tenait trop à leur amitié pour promettre d'y renoncer. Il était encore trop égoïste, ou peut-être pas assez amoureux, pour ménager les problèmes de confiance de ses partenaires. « Si on était un couple normal, on se serait juste parlé. » conclut-il, comme si finalement leur marché était devenu l'obstacle le plus insurmontable de leur relation. « Je suis un mec intense. Plutôt un brasier qu'un feu de cheminée. Quand j'apprécie quelqu'un, je suis incapable de faire dans la demi-mesure. Je savais plus trop où poser la limite avec toi. Si même il devait y avoir une limite. » Sous ses airs charmeurs, Micah était tendre et respectueux. Il n'avait jamais véritablement perçu les signes que Lena attendait plus de sa part, et était bien trop fier pour se risquer à de mauvaises interprétations. Cette zone grise avait eu raison de leurs sentiments à tous les deux. « Le timing était pas le bon. Ni le contexte. Mais tu crois qu'on pourrait recommencer à zéro... Un jour ? » La promesse n'était pas immédiate. Malgré les mois qui s'étaient écoulés, Micah demeurait incertain, et la fin de l'année s'annonçait trop mouvementée pour y ajouter les rebondissements de sa vie sentimentale. Il lançait plutôt l'idée comme une éventualité. Un projet futur qui serait amené à se concrétiser lorsque toutes les conditions seraient remplies.

« Ouais... j'ai toujours un peu marché avec cette devise qu'il n'y a pas de mauvaise publicité, mais j'ai pas envie que les gens associent la Fondation à ce que je dis ou fais dans ma vie privée. Et c'est pour ça que j'ai besoin de gens pour la représenter, parce que j'ai peur que mon image lui porte préjudice. » Dans un monde où aucune erreur ne pouvait réellement être oubliée pour de bon, Lena ne comprenait que trop bien la position de Micah, même si elle regrettait qu'il ne soit forcé à agir ainsi pour le bien de son projet. Elle aurait aimé qu'il puisse recevoir tout le crédit de son travail et qu'il puisse être vu par tous pour les bons côtés qu'elle avait eu la chance d'apercevoir en privé et qu'il lui offrait encore aujourd'hui en s'excusant de son comportement. « Ça m'arrive. » Et elle regrettait amèrement d'avoir cru le contraire. Les interprétations qu'ils avaient faites l'un de l'autre avaient eu le don de tout détruire. « Si on était un couple normal, on se serait juste parlé. » Elle avait haussé les épaules sans réfléchir. « Et encore, j'aurais pu trouver un moyen de tout faire foirer. J'ai beau ne pas avoir peur de dire les choses la plupart du temps, parler de ce que je peux ressentir c'est encore quelque chose que j'apprends. » C'est justement pour ça qu'elle n'avait aucune envie de se lancer dans une relation sérieuse, qu'elle avait eu besoin de temps pour se redécouvrir loin de ce que les médias pourraient dire de sa vie amoureuse. C'était de ça, que leur écran de fumée organisé avec Micah devait la protéger et au final, leur expérience lui aura appris bien plus. Elle ne regrettait certainement pas les leçons apprises de ce désastre, seulement la façon dont les choses s'étaient terminées. Mais au fond, elle était presque sûre qu'ils auraient fini par trouver un moyen de se faire du mal même avec plus d'honnêteté, parce qu'elle avait eu besoin de ça pour ouvrir les yeux. « Je suis un mec intense. Plutôt un brasier qu'un feu de cheminée. Quand j'apprécie quelqu'un, je suis incapable de faire dans la demi-mesure. Je savais plus trop où poser la limite avec toi. Si même il devait y avoir une limite. » L'ironie résidait dans le fait qu'elle avait posé bien plus de limites avec lui, son faux petit-ami, qu'avec n'importe quel homme qu'elle avait pu fréquenter jusqu'ici. « Le timing était pas le bon. Ni le contexte. Mais tu crois qu'on pourrait recommencer à zéro... Un jour ? » Le fait qu'il l'envisage la soulageait d'un poids. Lena savait qu'il ne s'agissait pas d'une promesse, mais savoir qu'elle n'était pas seule à espérer que les choses puissent reprendre entre eux un jour était salvateur. « Peut-être bien ? J'en sais rien. On a qu'à se laisser surprendre. » Elle ignorait s'ils étaient capables de dépasser les rôles qu'ils s'étaient si bien dessinés pour créer quelque chose de vrai. Elle ignorait si elle parviendrait à le croire un jour sincère alors qu'elle l'avait si longtemps pensé trop parfait dans son rôle de faux amoureux. Elle ignorait aussi si elle était capable de passer outre sa peur d'être encore trahie. Et malgré tout ça, elle avait envie de rêver à un avenir où ce serait possible. « Ça me plairait en tout cas. Mais loin des flashs des photographes ce coup ci. » Parce qu'ils avaient été un trop grand frein jusque là. Et bien que Lena aurait apprécié pouvoir clôturer cette conversation sur de beaux espoirs, elle avait besoin d'en savoir plus sur la façon dont cette crise allait être gérée. « D'ailleurs en parlant d'eux... qu'est-ce que t'a conseillé ton équipe de RP ? On en avait pas parlé, au final, mais je suppose que la meilleure chose à faire c'est de se faire oublier en ne se montrant plus ensemble et en évitant le sujet ? » De son côté, ça l'aurait bien arrangée de voir Micah prendre la parole à son sujet et de se savoir soutenue. Ils auraient pu maintenir ensemble qu'il ne s'était rien passé de grave entre eux et continuer d'apparaître publiquement en amis, ou ils auraient même pu continuer leur mise en scène un moment. Mais ces possibilités, ils les avaient perdues après avoir pris de la distance l'un avec l'autre et en n'ayant pas apporté de réponse officielle immédiatement après la sortie des photos. A présent, Lena se doutait bien que Micah ne pouvait plus faire de déclaration au sujet de cette histoire sous peine d'éveiller les soupçons sur leur arrangement. Ils marchaient sur des œufs et risquaient d'empirer les choses au moindre faux pas.