Evelyn est celle qui donne le plus de son temps pour préparer le match de rugby sans que cela ne soit une surprise, autant parce que Rhett ne sait pas comment gérer un tel événement que parce que l’excuse l’aide bien: il n’a tout simplement pas à coeur de gérer paperasse, sécurité, gestion du prix. Annonces, publicité, protocoles, … Tout lui semble d’être un ennui mortel alors que sa seule envie se résume à jouer un peu sur le terrain, et si possible avec des amateurs qui, il le sait, ne risquent pas de le tourner en dérision. Il est sans doute plus vieux qu’eux, mais il sera surtout le seul à avoir connu une formation professionnelle, ce qui prime sur tout le reste. Pas vrai ? C’est avec d’autant d’excuses qu’il quitte à chaque fois Evelyn et son éternel besoin de perfection, ayant de son côté prévu de rentrer chez lui et de passer la soirée avec sa petite soeur. Après avoir hébergé Ruben durant de longs mois, c’est Ethel qui joue désormais sa colocataire, bien que de son côté la situation s’avère être bien différente et qu’elle a à tout instant la possibilité de rentrer chez elle - et fort heureusement, à en juger par la propension de Rhett à lui demander de rentrer chez elle certains week-ends lorsqu’il avait été prévu que Mickey passe un peu de temps chez lui à son tour. Désormais, cela semble bien moins probable d’arriver.

« J'espère que tu as faim. J'ai fait le mijoté de bœuf de maman et on a de quoi nourrir une armée ! Penses-tu qu'Evie voudrait venir manger avec nous ? » Les mots de sa petite soeur l’accueille à la seconde même où il actionne sa clé dans la serrure de la porte et il mentirait s’il disait que cela le dérange, finalement. Au contraire, il est heureux de pouvoir passer un peu de temps avec elle et surtout de voir en sa présence l’assurance de sa sobriété, parce que toucher à l’Oxycodone est une chose mais décevoir ses proches en est une autre, bien différent, à laquelle il ne veut pas (plus) avoir à faire. “Elle ne dirait sûrement pas non, elle t’aime bien.” Et elle aime vraiment bien Rhett aussi, sans que cela ne soit une surprise. Leur histoire n’a pas été un long fleuve tranquille mais elle commence doucement mais sûrement à s’étendre en longévité, contre toutes attentes. “Je devrais m’inquiéter que tu me voles ma petite-amie, à force ?” Il note cependant avec humour, posant son portefeuille sur un coin de la table et les clés presque à leur place. A dix mètres près, il était bon. Sa sœur a souvent le prénom d’Evelyn à la bouche ce qui, loin de le déranger, a cependant tout pour l’amuser doucement. “Tu es sortie aujourd’hui ?” Est-ce qu’elle a travaillé, aujourd’hui ? Il ne le sait même pas et, dans la conjecture actuelle, il ne risque pas de le demander à Hassan.

“Tu sais bien que personne ne peut me résister.” Tout comme il ne craint pas un seul instant qu’Ethel puisse envisager de mettre le grappin sur sa petite-amie, raison pour laquelle il sourit avec insouciance. Cette idée n’a rien de proche de la réalité, alors il peut dormir en paix et utiliser toute son énergie à essayer de ne pas trop plomber sa relation par lui-même. “Mais je te promets de ne pas faire usage de mon charme sur ta petite amie. De toute manière, il y a beaucoup trop de mecs qui seraient en détresse si je décidais de m’intéresser aux femmes.” Et tel le parfait cliché du grand-frère qu’il est, Rhett mime le dégoût et la supplie de ne pas en dire davantage quant aux charmes qu’elle exerce sur les hommes. Il se doute qu’elle n’est pas la Vierge Marie, mais il ne veut rien savoir de plus.

Il se relève pour l’aider avec le repas lorsqu’elle lui en fait la demande. Il n’en aurait pas eu l’initiative, mais il ne se plaint pas de mettre un minimum la main à la pâte, bien conscient qu’il en doit beaucoup à sa petite soeur, même si en retour elle est soulagée de pouvoir avoir un œil sur lui au quotidien et de savoir exactement comment il se porte. Lui aussi, en retour, est soulagé de partager un peu de ce poids sur ses épaules. “Non, quand j’ai vu qu’il faisait froid et gris dehors aujourd’hui j’ai appelé Hassan pour lui dire que je travaillerais d’ici. Je pouvais tout faire à distance et je n’avais vraiment pas le goût de sortir.” Il hoche la tête, bien que toujours ébranlé par l’utilisation du prénom d’Hassan. Les contacts avec son meilleur ami sont rares pour ne pas dire inexistants et cela commence à fortement lui peser. Jamais il n’aurait pensé que cette situation s’éternise autant. « Mais t’as pas envie de sortir ? C’est relatif, “gris et froid” en Australie, tu sais. » Il a appris cela bien malgré lui lorsqu’il a dû vivre à Londres durant quelques hivers rudes. Maintenant, il profite plus que jamais de la météo australienne et de sa douceur, raison pour laquelle il ne sait faire autrement que s’inquiéter quelque peu de la propension de sa petite sœur à toujours s’enfermer quelque part sans juger utile ou nécessaire de mettre le nez dehors.

“Tu as eût une grosse journée toi aujourd’hui ?” Rhett hausse les épaules. Il ne connaît plus vraiment de “grosse journée”, maintenant, à vrai dire. « J’ai aidé Evie sur quelques trucs pour le match et le réalisateur du film m’a envoyé des papiers. Que j’ai pas encore lu, mais c’est sûrement pas important. » Disons surtout qu’il s’en moque, encore occupé à digérer qu’ils aient décidé d’embaucher une actrice féminine pour jouer son rôle dans sa biographie. « La gamine qui prend mon rôle fera sans doute l’ouverture du match, si tu veux voir à quoi elle ressemble. » Et qui sait, peut-être qu’elle sera cette fois-ci un peu plus habillée que toutes ces séances photos qu’elle a déjà faites - il n’y croit pas vraiment mais un espoir persiste malgré tout. « Je crois que Ben a dit qu’il viendrait, aussi. » La fratrie sera présente au complet, raison pour laquelle il espère qu’Ethel viendra à son tour. Elle verra un peu autre chose et, surtout, il pourra lui prouver qu’il est encore capable de quelque chose et qu’il va mieux, véritablement mieux ; au point où il peut jouer au rugby, comme avant ou presque.

“Je pense que tu devrais te pencher dessus rapidement. Ou même les faire lire à un avocat pour être sûr de ne rien signer que tu ne devrais pas.” Elle est attachante, Ethel. Elle prend toujours soin de tout le monde et de Rhett le premier, ce que ce dernier sait parfaitement et ce dont il profite parfois sans doute aussi, sans même s’en rendre compte ni le vouloir. Il attrape les mains qu’on lui tend et va parfois jusqu’à agripper le bras tout entier sans s’en rendre compte, c’est toujours plus fort que lui. Avec la famille, il est toujours facile de se cacher derrière de nombreuses excuses. Le sourire que Rhett partage avec sa cadette est suffisant sans même le vouloir, mais il marque surtout tout l’attachement qu’il lui porte face à la boule d’empathie qu’elle représente, à toujours se préoccuper des autres, parfois bien avant de penser à sa propre personne. « Je vais m’en occuper rapidement, c’est promis. » Il finit par annoncer dans l’objectif de la rassurer, n’ayant pas réellement prévu de s’occuper au plus tôt de ce papier alors qu’il est encore simple et rapide de repousser le problème à une date indéterminée. A bien y réfléchir, il préfère effectivement cette façon de faire, et de loin. Il sait à quoi ressemblent des contrats à signer, il a déjà marqué de nombreuses feuilles de sa signature noire.

Plutôt que de se concentrer sur les aspects de la vie d’adulte, il préfère donner de l’importance à ce qui l’amuse davantage. Ainsi, convier ses proches à un match est bien plus apaisant que parler contrats et signatures, comme le prouve la pirouette qu’il exécute rapidement pour changer de sujet de discussion. “Je ne manquerai ça pour rien au monde ! Et si Benny ne compte pas venir, j’irai le chercher moi-même jusque chez lui pour le ramener au match.” Elle ajoute un clin d’œil pour ponctuer ses mots sans que Rhett ne nourrisse réellement l’envie de voir leur petit frère traîné jusqu’au match: s’il préfère courir les jupons, qu’il y reste. L’ego de Rhett n’a pas la moindre envie que qui que ce soit soit forcé d’assister à un match où il joue, que ce soit officiel ou bien simplement caritatif. « Il viendra sûrement si son travail le lui permet. » Et s’il le répète assez de fois, il finira par le croire lui-même, alors qu’il est en réalité encore coincé dans un « peut-être » duquel il ne sort pas avec beaucoup d’espoirs. Leur relation connaît ses hauts et ses bas, mais elle manque surtout cruellement de véritables « hauts » depuis de longs mois. Il n’y a rien que leur colocation temporaire ait pu miraculeusement sauver. Il sait que le choix de Ruben est vite fait si on lui présente face à lui son travail ou bien son frère, et il ne lui en veut pas réellement à ce sujet: à une époque, lui aussi a fait passer son travail avant tout le reste, même les yeux clairs et les cheveux bouclés de son cadet. “D’ailleurs, est-ce que tu as invité maman et papa ? On pourrait en profiter pour faire une réunion de famille après avec Evie et Nina ? Les occasions de se voir tous ensemble sont plus que rare.” Et Ethel s’emballe, le prévoit de grandes choses et lui, il grimace quelque peu, pris dans la vague de ses éternelles idées. « On verra, hm ? C’est juste un petit match, pas besoin d’en faire des caisses. » Pas besoin de faire se déplacer leurs parents depuis Kilcoy, ni d'invoquer l'idée d’un immense repas de famille qui n’a sans doute pas lieu d’être. Il est le premier à vouloir jouer ce match mais aussi le premier à vouloir le laisser derrière lui, parce qu’il prouve que sa grande carrière de joueur professionnel est enterrée, loin dans son passé. « Et je suis pas sûr que Ruben soit prêt à passer une soirée avec Nina et toute la famille. Tu sais, ils ont eu des moments difficiles dernièrement. » Il a au moins le mérite de ne pas souligner que leur frère est le goujat ayant trompé Nina, mais c’est bel et bien ce à quoi il pense, sans savoir en retour ce qu’on a pu juger bon de préciser ou non à Ethel. De son côté, il se contente de préciser qu’ils se remettent à peine de l’année écoulée et qu’ils méritent sans doute encore un peu de temps avant d’être jetés dans le bain des repas en famille. « A Noël, peut-être. On se fera quelque chose à Kilcoy, avec Nina et Evelyn. » Leur mère en particulier a toujours aimé recevoir beaucoup de monde, elle sera la première heureuse de pouvoir questionner les petites-amies de ses fils chéris. « Et tu inviteras qui tu veux toi aussi. » Si jamais elle a quelqu’un à inviter, en tout cas, la personne en question sera évidemment la bienvenue. Rhett espère simplement qu’elle n’ aura pas froid aux yeux.

Il répond aimer le repas, oui, bien sûr. Il n’est au moins pas difficile lorsqu’il s’agit de choisir quoi manger et il sait que cela fera plaisir à Ethel que de savoir sa recette appréciée, alors il répond sans même y réfléchir, surtout alors qu’il n’avait sans doute pas fait le lien entre la recette qu’elle lui présente aujourd’hui et celle que leur mère avait pour habitude de leur cuisiner, du temps où ils étaient en âge d’habiter sous le même toit. Il y a bien longtemps, donc. « Bon, je laisse tomber l’idée d’une grande rencontre de famille, de toute manière, Evie n’avait pas l’air partante non plus quand je lui en ait glissé un mot l’autre fois, mais s’il te plaît, invite maman et papa. Je suis sûre qu’ils seront déçus si tu ne le fait pas. » Rhett souffle doucement mais lui concède déjà la demande. Ethel a le don de toujours obtenir ce qu’elle veut parce qu’elle le fait avec douceur et bienveillance, et aux yeux de Rhett cela s’oppose évidemment aux manières de son frère, qui ne sont bien souvent ni douces ni bienveillantes. « Je les appelerai demain. » Ils ne répondent pas aux messages, c’est bien connu, alors il promet à sa manière de leur trouver un moment dans son emploi du temps. « Je savais pas que t’en avais parlé à Evie. » Et il ne sait pas non plus s’il est heureux ou absolument terrifié que l’entente entre sa sœur et sa compagne semblent autant être au beau fixe. Oh, terrifié sans doute.

Plutôt que d’organiser une réunion de famille pour un match de rugby qu’il ne juge pas si important que ça, Rhett préfère encore reporter le problème à plus tard. Noël, par exemple. Noël est une bonne excuse pour tous se retrouver le temps d’un soir et, surtout, Noël est dans assez longtemps pour que le sujet ne revienne pas de si tôt sur le tapis. Noël, ce serait parfait donc. « Pour que vous donnez la chance de vous mettre ensemble toi, Ruben et papa et lui faire peur ? Alors ça non. Je suis sûre en plus que Nina, Evelyn et maman se mettraient de la partie pour lui poser toutes les questions imaginables et me faire honte. » - « Donc y’a vraiment quelqu’un ? » Après tout, il avait surtout posé la question comme ça. Il n’était pas certain qu’un poisson mordrait à l’hameçon, mais il est au moins heureux pour elle que cela semble être le cas. « On s’est assez tenus pour que Nina décide de rester et Evelyn tout autant. » Leur famille n’est pas si terrible, à bien y repenser. Les frangins sont horribles entre eux uniquement, voilà tout. « Tu l’invites si t’en as envie, mais personne te forcera. Et promis, on lui fera pas peur non plus. Il ou elle ? » ll ne demande pas même un prénom et se tient à carreaux, soucieux de savoir comment genrer la personne en question - comme quoi il essaie d’être une bonne personne, et parfois il s’en rapproche assez bien. « T’as le temps d’y réfléchir. » Mais il serait heureux qu’elle le soit aussi, au moins pour le soir de Noël.