31 décembre. Tu étais revenue de Kilcoy depuis deux jours et tu ne voulais pas y retourner pour la fête de nouvelle année. Tu savais que tes frères ne seraient pas là et tu n’avais pas envie que tes parents surveillent ton alimentation et tentent de te convaincre de manger les plats gras que ta mère et les voisins apporteraient. Comme à chaque année, ta mère avait invité les voisins à venir passer la soirée à la maison et le repas prenait forme de potluck. Les dernières journées à Kilcoy n'avaient pas été faciles. Tu avais dû leur expliquer ce qui n’allait pas, depuis quand tu étais anorexique, pourquoi tu ne leur en avais jamais parlé. Tu avais vu dans le visage de ta mère qu’elle était anéantie. Tu avais également vu dans le visage de ton père qu’il ne comprenait pas, qu’il tentait de ne pas juger après ce que tu avais dit à Rhett, mais qu’il avait de la difficulté à percevoir que tu n’étais pas capable de mettre une fourchette dans ta bouche. Bien que tu ne voulais pas passer cette soirée seule, tu ne savais pas encore qu’est-ce que tu allais faire. Tu étais chez toi, dans le salon de ton petit appartement à faire défiler ton facebook lorsque tu tombas sur une publicité d’un petit salon de thé qui avait l’air d’avoir une ambiance douce et chaleureuse. Tu décida d’aller faire un petit tour et voir si c’était un endroit que tu pouvais adopter pour travailler tranquille et pour peut-être, qui sait, te faire de nouvelles connaissances.
Ça faisait maintenant une heure que tu étais arrivé à l’Atelier du Thé. Tu t’étais commandé un London Fog au lait d’amande ainsi que des petits feuilletés aux champignons. Le thé n’était pas mauvais, mais tu étais vraiment une femme de café. Par contre, tu appréciais bien le breuvage, sans dire que ça remplacerait ta tasse de caféine lorsque tu te levais le matin. Les feuilletés étaient un peu plus difficiles pour toi à manger. Ils étaient très bons, mais tu avais de la difficulté à manger toute ton assiette. Tu ne pouvais t’empêcher de te demander la quantité de gras qu’il y avait à l’intérieur. Tu pris quelques grandes inspirations, te dépêcha à terminer et leva le regard vers le restant de la salle à manger. Tu constata alors que l’endroit était bondé. Tu voyais la jeune femme qui avait à peine ton âge faire le plus vite qu’elle le pouvait le relais entre les cuisines et les tables de ses clients. Tu la regardais avec attention pour éviter que ton estomac était plein. Tu ne voulais pas finir l’année 2023 en vomissant tes tripes dans la toilette du salon de thé. Puis, une idée te traversa l’esprit. Tu suivis la jeune femme lorsqu’elle se dirigea dans la cuisine et tu entras derrière elle. ”Excuse-moi, mon nom c’est Ethel. J’ai déjà travaillé dans un café, je vais t’aider à servir. Dis-moi quoi aller porter où et je m’occupe de le faire. Je peux même prendre les commandes, mais je te laisse t’occuper de faire les commandes et de faire payer les gens. Dis-moi je commence avec quoi ?” Tu ne laissas pas le choix à la femme de dire quoi que ce soit. De toute manière, de ton point de vue, elle n’avait pas vraiment le moyen de refuser ton aide.

Tu te sentais fragile et tu refusais catégoriquement de terminer l’année 2023 et de commencer 2024 en vomissant le maigre repas que tu avais ingéré assise seule à la table de l’Atelier du Thé. Pas que ce que tu avais mangé n’était pas bon, au contraire. Tu avais vraiment apprécié les petites bouchées aux champignons que tu avais choisis, mais tu sentais qu'elles étaient dans ton estomac et tu détestais cette sensation. Tu étais beaucoup plus habituée à ressentir la douleur du vide à l’intérieur de toi dernièrement. C’est d’ailleurs pour cette raison que tu décidas de te rendre en cuisine et de donner un coup de main à la femme qui semblait être la propriétaire de l’endroit. Tu savais qu’en t’occupant l’esprit et les mains, c’était beaucoup moins dangereux de terminer à genou devant les toilettes. « Je… Oui… ok… » Tu sentis l’hésitation dans sa voix, mais la brune avait bien dû se rendre compte qu’elle n’avait pas vraiment le loisir de refuser ton aide. « Il faudrait remplir le lave-vaisselle et lancer un cycle rapide histoire de récupérer quelques assiettes parce que je vais en manquer… » Tu hocha de la tête et entreprit de mettre la vaisselle dans le lave-vaisselle en question. Tu étais chanceuse, c’était le modèle qu’il y avait lorsque tu avais travaillé au café en question. Tu savais exactement comment il fonctionnait. « T’es pas obligée de faire ça… » Tu relevas la tête vers elle. Ce qu’elle ne savait pas, c’était qu’elle te rendait elle-même un service en acceptant ton aide. Tu ne pouvais pas te permettre de perdre plus de poids que maintenant. Tu savais que chaque séance de jeûne, chaque vomissement te rapprochaient un peu plus vers un problème de santé grave, vers une hospitalisation. « Je t’assure que ça me fait plaisir. J’étais toute seule assise à ma table et je vais être plus utile ici à faire ta vaisselle que de te regarder courir toute seule. » Tu rinças quelques ustensiles et plats un peu trop sale pour être mis comme ça dans le lave-vaisselle et te rendit compte que ta phrase pouvait être mal interprétée. « Pas que je pense que tu ne te débrouilles pas bien, mais ça te donnera l’occasion de plus en profiter avec tes clients. » Lorsque toute la vaisselle fut en train de se faire laver, tu passas à côté d’elle, te rendit en salle et entreprit de débarrasser les clients qui avaient terminé de manger, reviens en cuisine. Le cycle de nettoyage déjà terminé, tu ouvris la porte pour que ļe tout refroidisse pendant que tu jetais ce qui restait dans les toilettes. Tu rangeas ce qui était propre où ça allait, non sans difficulté puisque tu ne connaissais pas du tout la cuisine de Catarina, mais tu te débrouillas plutôt bien selon toi. Lorsque cette dernière repassa dans la cuisine, tu levas ton regard vers elle. « Tout est propre et rangé, j’ai débarrasser les clients qui avaient terminé de manger. Qu’est-ce qui t’aiderais par la suite ? » Tu étais quand même surprise de ne pas avoir rien brisé et de n’avoir rien échappé sur les clients. Il fallait croire que ta maladresse était restée à ton appartement ce soir-là et ça t'arrangeait plutôt bien. Tu n’aurais pas voulu faire mauvaise impression alors que c’était toi qui avait insisté pour donner un coup de main.

« Je vais préparer les assiettes et si tu te sens de les rapporter en salle, je veux bien que tu le fasse. Tout est noté sur les bons de commandes et tu as le numéros des tables sur le porte juste là. » En attendant que la jeune femme remplissent les dites assiettes, tu te dirigeas vers l’endroit où les numéros de tables étaient inscrites et commença à l’analyser en regardant dans la salle pour essayer de se faire des repères. « Avant d’apporter les assiettes, tu peux noter sur le panneaux à l’entrée que nous n’avons plus de plat et qu’on accepte plus personne ? » Tu partis avec un crayon et prit le temps d’écrire de ta plus belle main, ajouta des petits dessins de fleurs simples pour agrémenter le panneau. Tu retourna par la suite en cuisine et attrapas les premières commandes et te dirigea vers les clients dans la salle à manger. Tu partais seulement avec deux assiettes à la fois pour ne pas rien échapper et marchais tranquillement pour ne pas te prendre les pieds et tomber. Tu voulais aider Catarina et non pas lui ajouter du travail en l’obligeant à recommencer. Tu prenais quelques instants pour parler aux clients. Tu ne te pressais pas vraiment, te disant que ce que tu faisais l’aidait de toute manière même si tu n’étais pas la plus rapide. Lorsqu’elle t’annonça que les dernières assiettes étaient faites, tu repassas en salle à manger pour aller chercher les assiettes sales. Tu les mis dans le lave-vaisselle, retourna chercher le restant de la vaisselle sale au fur et à mesure que les clients partaient et lança une dernière machine avant de t’asseoir sur le comptoir de la cuisine. Tu avais comme idée d’attendre que la vaisselle soit terminée de laver pour la ranger au bon endroit et partir vers ton appartement. Tu attrapa ton téléphone, regarda rapidement les réseaux sociaux, lança un regard à ta boîte sms qui était vide. Tes frères n’avaient pas encore daigné faire signe de vie depuis votre repas du 24 décembre qui avait frôlé le désastre. Tu releva la tête lorsque tu entendis la brune entrer en cuisine. « Je dois t’avouer que les petites bouchées aux champignons que j’ai pris ce soir étaient vraiment délicieuses. » Et ton cerveau avait mieux toléré de les garder dans ton estomac que si tu avais mangé quelque chose avec de la viande. En fait, c’était peut-être là le secret de ta guérison ? Devenir végétarienne ?

Lorsque tu avais décidé d’aller passer la soirée à L’Atelier du Thé, tu étais loin de penser que tu allais consacrer une partie de la soirée à faire le service. Toutefois, tu avais eût l’impression d’être utile et ça t'avait fait oublier que personne avait pensé t'inviter à te joindre à eux pour la dernière soirée de l’année. Tu avais pu parler à des gens, avoir du plaisir et les sourires des clients inconnus t’avaient fait du bien. Lorsque la propriétaire des lieux te retrouva en cuisine, tu étais assise sur le comptoir, en train de regarder ton facebook. Le coeur te serrait à voir tes connaissances mettre des photos de leur soirées du nouvel an avec le sourire sur leurs lèvres. Tu décidas de fermer ton application et de ranger ton téléphone portable. Tu ne passais pas une mauvaise soirée et tu devais te concentrer là-dessus. «Merci, mais c’est tout ce que tu as mangé ? » Sa question te perturba légèrement. Tu ne t’attendais pas qu’une inconnue questionne la quantité de nourriture que tu avais ingéré. Tu figeas quelques secondes et te rendu compte qu’elle n’analysait pas ta silhouette et que sa remarque n’avait probablement rien à avoir avec ton poids. « Avec un london fog ! » Tu ne portas pas de commentaire sur le thé que tu avais bu puisque tu ne l’avais pas trouvé mauvais, mais il fallait dire que rien ne battait une bonne tasse de café. Tu n’étais pas vraiment type thé à la base. « Tu veux manger autre chose ? Je n’ai pas mangé, je pensais le faire après le service. Il reste des bouchées aux champignons si tu veux et des parts de gâteaux.» Tu pris quelques instants pour réfléchir. Tu ne savais pas trop si tu réussirais à supporter de manger encore. Quoi qu’il s’était passé un certain moment depuis que tu avais terminé de manger les bouchées de champignons. Tu allais être capable de supporter de manger un peu encore. Ce n’était pas comme si tu t’étais gavé toute la journée. « Je peux bien te prendre un carrot cake. Lorsque je les servais ce soir, l’odeur m’attirait. » Et tu avais la dent plutôt sucrée. Tu savais que c’était jouer avec le feu de manger une pâtisserie, mais si tu restais avec Catarina encore un bon instant, tu réussirais probablement à le garder dans ton estomac. « Je ne sais pas comment te remercier Ethel et je suis vraiment désolée que tu te sois sentie obligée de m’aider plutôt que de profiter de ton repas. » Tu lui fis un sourire bienveillant. Tu ne voulais pas que Catarina ait l’impression que tu l’avais pris en pitié. Tu l’avais fait parce que tu en avais envie. « Je n’ai rien fait par obligation. J’étais seule à ma table et t’aider m’a permis de parler avec les autres clients et passer un bon moment. Si je n’avais pas eût envie de t’aider, je ne te l’aurais pas proposé. » Tu avais un sourire bienveillant sur ton visage. Tu voulais qu’elle comprenne que tu étais sincère et que tu n’essayais pas seulement de la rassurer avec tes paroles. « Tu n’as pas des gens à retrouver pour fêter la nouvelle année ? » Sa curiosité était désarmante, mais tu goûtais à ta propre médecine. Tu faisais pareil avec les autres et tu comprenais maintenant que ça pouvait être un peu agaçant. Par contre, tu choisis d’être sincère avec elle. « Mes parents habitent à l’extérieur de la ville, mon frère cadet doit être de garde à l’hôpital et mon frère aîné doit être occupé avec des amis ou bien avec sa petite amie. Je suis toute seule ce soir. Mais toi, j’imagine que tu attends que je quitte pour aller retrouver les tiens ? » Tu n’avais pas hésité à lui retourner sa question. Après tout, elle devait être capable de faire face également à de la curiosité.

« Non, j’ai prévenu ma famille que je ne pourrais pas être avec eux puisque j’ouvrais le salon de thé pour la soirée. Techniquement j’aurais pu fermer beaucoup plus tard… » Tu hocha de la tête. Tu avais déjà travaillé pendant les fêtes dans le temps que tu étais encore aux études et tu ne t’ennuyais pas vraiment de ça. Pourtant, ça te permettrait de ne pas être seule pendant Noël et le jour de l’an alors que tes frères avaient clairement autre chose à faire que de passer du temps en famille. D’aider Catarina t’avais permis de refaire une petite excursion dans le monde du service à la clientèle et bien que tu n’avais pas détester, tu t’étais rendue compte que tu ne t' ennuyais pas vraiment. « Ce n’est pas trop mal, tu vas pouvoir profiter du restant de la soirée plus tranquille et faire le grand saut vers la nouvelle année sans avoir à te préoccuper que tout le monde ait de quoi se satisfaire. » Tes paroles se voulaient bienveillantes. Tu avais la forte conviction que peu importe dans quel domaine travaillait les gens, tout le monde devrait pouvoir passer le cap du nouvel an en compagnie de ses proches. Tu savais toutefois que ce n’était pas tout le monde qui pensait comme toi. En fait, tu avais l’impression que tu étais une des rares personnes qui accordaient encore beaucoup d’importance aux fêtes. « Mes parents sont à Longreach et je ne suis pas certaine de ce qu’on prévu mes frères et sœurs, je crois que certains le font entres amis… » Tu haussas les sourcils. Même si tu étais née en Australie, tu ne savais pas où se situait Longreach. Tu avais l’impression que c’était plutôt loin puisque tu connaissais quand même assez bien les villes et villages autour de Brisbane et de Kilcoy. « Humm… Longreach… Je ne pense pas connaître. C’est loin d’ici ? » Ta grande curiosité naturelle faisait en sorte que tu ne t’étais pas demandé si ta question était indiscrète avant de la poser. Pour toi, c’était naturel de t’intéresser à la vie des autres même s’ils étaient en fait de parfait inconnu comme Catarina. « Je crois que j’étais tellement stressée par cette soirée que j’en ai oublié ce qu’ils avaient prévu, j’ai honte… » Tu lui fis un petit sourire compatissant. Tu pouvais comprendre que d'ouvrir le salon de thé le 31 décembre demandait beaucoup de planification et que la charge mentale était suffisante pour oublier de se préoccuper d'autre chose. « Tu vois, je suis sûre qu’ils ne t’en tiendront pas rigueur. Ouvrir le salon de thé ce soir a du te demander énormément de préparations. Ça va vous donner une occasion et une raison de vous appeler ou de vous voir pour vous demander ce que vous avez fait chacun de votre côté pour la fin d’année. » Tu espérais seulement que les frères et soeurs de Catarina n’étaient pas seuls comme tu t’étais retrouvée. Enfin, tu n’étais plus vraiment seule puisque tu étais maintenant avec la brunette. « Tu fais quoi dans la vie Ethel ? Je peux t’appeler Ethel ? » Tu avais l’impression de te retrouver face à une possible nouvelle amie. Tu te sentais bien assise sur ce comptoir en train de dévorer ton gâteau à la carotte à discuter tranquillement avec la jeune femme. « Bien sûr que tu peux m’appeler Ethel. Je suis l’assistante pro d’un homme qui est doyen à l’université de Brisbane et qui a une émission à ABC. Hassan Jaafari. Est-ce que tu sais qui il est ? »