counting clouds
Megan Williams & @Ginny Williams ☆ crédit/ fuckyougifs

« À quel moment est-ce que tu as arrêté de lui pardonner ? » J’ignore à quel moment mes yeux se sont embués de larmes mais c’est la seule explication à pourquoi le monde parait bien flou tout d’un coup. Je ne pleure pas en public ou rarement. J’ai appris que mes trop nombreux sentiments sont une faiblesse ou en tout cas qu’ils seront perçus contre tel et qu’il convient au maximum d’enfermer les sentiments jusqu’au moment où je me retrouve seule et où je peux enfin les laisser s’échapper. Jeune femme à fleur de peau, cruellement empathique, cette décision – ou plutôt ce mode de vie, puisque c’est bien plus ça qu’une simple résolution – a toujours été ma croix mais, excepté à de rares occasions, je m’y suis toujours tenues. Je n’ai pas pleuré lorsque l’on a enterré Billie. Je ne l’ai fait qu’une fois à l’intérieur des quatre murs de l’appartement que Damon et moi possédons, ayant depuis longtemps appris à faire de mon jeune Italien une exception à cette règle de ne jamais pleurer devant autrui. D’un geste rageur, j’essuie mes joues et le dessous de mes yeux du dos de la main. « Quand je suis devenue capable de reconnaître la façon de frapper à la porte de l’agent des services sociaux les yeux fermés. » Quand j’ai été emmenée trop de fois pour rester capable de les compter. Quand j’ai appris par cœur que, dans ces cas-là, il fallait que j’aille sous l’évier chercher un sac poubelle pour y fourrer toutes les affaires que je voulais emmener, parce qu’elle ne s’encombrait pas d’un sac à dos à me prêter quand elle venait me chercher et que ma mère ne m’en a jamais acheté. Peut-être avait-elle peur que cela signe la fin de quelque chose, que cela leur donne l’autorisation de m’emmener. Ils ne l’ont jamais attendue pour le faire, de toute façon.

« Tu t’en veux plus que tu lui en veux, à elle. N’est-ce pas ? »
« Non. »

Je serre mes mâchoires, agacée que quiconque puisse sous-entendre que l’enfant était la coupable dans toute cette histoire. Agacée que, plutôt que de m’affirmer que rien n’était de ma faute, elle pose ce genre de question. Mais la réponse n’est pas aussi simple qu’un non. « Plus maintenant en tout cas. » En revanche, je m’en veux de ne pas avoir assez essayé quand je suis devenue une adulte. D’avoir été si fermée à l’idée qu’elle puisse faire partir de ma vie, de l’en avoir exclue sans jamais lui laisser une chance de me prouver qu’elle pouvait changer. Sans doute n’aurait-elle jamais réussi à le faire - elle n’a jamais réussi à changer quand j’avais besoin d’elle, pourquoi les choses auraient-elles été différentes ? – mais je n’aurais pas eu à l’enterrer en me sentant étranglée par ma culpabilité. « Mais ça pourrit la vie pendant longtemps. » Plus grand, Sloan comprendra qu’il n’est pas la raison de l’abandon de sa maman. Mais, d’ici là, il morflera bien plus que cela ne devrait être permis.

« Je veux faire mieux qu’elle. »
« C’est pas vraiment une grande ambition. »

C’est le strict minimum, et j’attends d’elle que me croie sur parole et qu’elle ne m’interroge pas plus à ce sujet. Elle a toutes les clés en main pour comprendre d’où je viens maintenant, davantage que la plupart des gens. Me demander de préciser, ce serait retourner le couteau dans la clé. « Mais je peux pas, pas toute seule. » Je laisse échapper un soupir, avant de reporter mon regard sur Sloan qui s’amuse comme un petit fou en demandant de temps à autre à sa mère de le regarder. « Pourquoi moi ? » Pourquoi me demande-t-elle de l’aide ? Je dois être à peine une enfant à ses yeux. Et quant à mon rôle dans la famille aux yeux de la plupart des membres qui la composent, ils ont fait savoir leur avis de la plus claire des façons. Le propre père de Sloan me voit à peine comme un nuisible. « Je suis à peine de la famille. » Ce n’est pas comme ça que je le vois, ce n’est pas ce que je veux. Mais Ginny est la femme d’Auden, Ginny n’est pas particulièrement proche de Damon, alors elle n’a pas de raison de voir les choses autrement.

« Quand je suis devenue capable de reconnaître la façon de frapper à la porte de l’agent des services sociaux les yeux fermés. » Megan laisse aller tout ce qui doit l’être, sans jamais permettre à sa voix de craquer. Elle garde les yeux vissés vers l’avant, elle sait exactement ce qu’elle va répondre avant de le faire, elle est en plein contrôle de ses moyens. « Non. » puis, elle ne l’est plus du tout. Je n’esquisse pas le moindre mouvement pour la rassurer, ne baisse par le regard vers la larme qui coule sur sa joue non plus. « Plus maintenant en tout cas. » la rage qui pointe sur ses lèvres n’a rien de celle qu’elle me dédie depuis le début de notre conversation ; elle appartient à sa mère et à elle-même, elle appartient à son histoires et à toutes les séquelles que je vois poindre dans ses iris même lorsqu’elle ravale avec détermination. « Mais ça pourrit la vie pendant longtemps. » je me doute qu’elle s’en veut de lui avoir laissé tant d’importance, tant de contrôle sur sa vie. Qu’elle s’en veut de permettre à sa mère même à distance et même dans la mort d’avoir autant de pouvoir sur son histoire, sur son passé, sur cette enfance qui l’a forgée et qui la laisse la langue gelée, à demi-mot.

Megan est exactement ce que je ne veux pas reproduire. Elle est, millimètre par millimètre, le rappel constant que de partir laissera Sloan dans l’éternelle remise en question à savoir s’il a fait quelque chose de mal. S’il a dit ce qu’il ne fallait pas. S’il n’était pas assez bien, s’il l’était trop, s’il méritait que cela lui arrive, s’il n’était pas ce que sa mère rêvait de lui. Toutes ces affirmations sont fausses, évidemment, mais jamais Sloan ni Megan n’accepterait la réponse après s’être répété un discours aussi abominable pendant des années. À chaque anniversaire d’absence, à chaque promesse brisée. « C’est pas vraiment une grande ambition. » « J’ai pas énormément confiance en mes capacités en ce moment, tu t’en doutes. » la pointe n’est pas assez piquante pour faire mal à sa mère ou pour me faire mal à moi. Mais elle est un constat que tout le monde n’aura pas de mal à croire. La Ginny solide dans ses bottes et mère célibataire de Noah son meilleur allié, la Ginny qui revit avec des yeux brillants la grossesse et l’arrivée dans sa vie d’un Sloan incroyablement parfait. Elles sont très, très loin. Cachées à quelque part là-bas, avec les lettres et les espoirs de revenir meilleure et plus forte encore, plus solide. Devant Megan se trouve une ombre de mon adolescence, terrifiée au moment où elle avait appris qu’une nuit Ezra et elle avaient créé un petit être humain qui allait tout changer. Megan l’ignore sûrement, mais dans ma tête ce sont des questions auxquelles je croyais avoir trouvé des réponses depuis une décennie qui remontent, qui me pointent du doigt, qui me confirment que je ne sais plus rien. Que tout ce que j’ai bien pu faire de bon par le passé n’était que des coïncidences. Des coups de dés.

Ma question semble la surprendre, mais pas pour la raison pour laquelle je l’aurais crue. « Pourquoi moi ? Je suis à peine de la famille. » j’étais persuadée qu’elle me trouverait ingrate, qu’elle serait hilare d’entendre ce que je lui demande après ce qu’elle a bien pu me dire et les jugements qu’elle a portés sans le moindre filtre sur mon retour et mon départ. Pourtant Megan se questionne sur sa légitimité, et le regard que je lui lance veut probablement tout dire. « Justement. » les Williams ont la rancune facile et les reproches prêts à être renvoyés. Mais Auden n’a pas nourri sa rage quand il a vu à quel point Sloan était heureux de mon retour. Auden a ouvert la porte et m’a laissée revenir pour Sloan, uniquement pour lui, et ne maintiendra pas sa colère en épée de Damocles au-dessus de ma tête tant que Sloan est heureux de passer du temps avec moi. Megan ne se laissera pas berner. Elle a une vendetta personnelle contre moi, elle me déteste pour les mêmes raisons qu’elle abjecte sa mère. Elle est exactement celle qu’il faut. « Parce que chaque fois que je te regarderai, je saurai ce que ça fait d’être devant un enfant au coeur brisé. » ma voix est douce mais encore une fois, mes mots sont durs. J’imagine que cette discussion l’est depuis très longtemps déjà de toute façon. Ni l’une ni l’autre ne la quitte pour autant. Ces choses doivent être dites. « Ce que ça lui fera, si je l’abandonnais toute sa vie. » Megan me donne des allures de boussole, de piqûre de rappel. Mon phare.