« J'aurais dû les empêcher de prendre le volant. » je murmure à James. J'ai répété cette phrase une bonne dizaine de fois depuis notre arrivée à l'hôpital. On ne fait rien de beaucoup plus constructif que se faire un sang d'encre et chercher à nous blâmer depuis des heures. Depuis que mon homonyme, dernier resté à la maison, a reçu cet appel le prévenant de l'accident de ses deux frères. Quelques minutes à peine après qu'ils aient passé la porte d'entrée. Tout s'était pourtant si bien passé. Thomas et Ezra nous avaient simplement quitté ensemble, puisque c'est ensemble qu'ils étaient venus. Je ne les pensais pas alcoolisés au point d'être un danger pour eux-même. Je suis quelque part, noyé entre l'inquiétude et la culpabilité, rongé par ces deux émotions qui tordent mon estomac. Je soupire régulièrement, parvenant ainsi à réguler les quelques effluves de colère qui viennent piquer mon nez et seraient susceptibles de me faire partir au quart de tour. De la colère contre le monde entier, et contre moi tout particulièrement. C'est de ma faute. Je les ai laissé prendre le volant, trop confiant, et maintenant, les voici dans un lit d'hôpital. Ces deux membres de ma famille que je viens à peine de découvrir, et qui auraient pu m'être si rapidement arrachés. J'avoue que je n'ose même pas songer à l'état dans lequel je serais s'ils n'avaient pas survécu à leur accident. Je ne me vois pas surmonter la perte d'un proche avant longtemps. Deux, encore moins. Certes, les Beauregard, je ne les connais qu'à peine. Mais partager une soirée avec eux avait suffit à me sentir plus proches de cette fratrie. Et l'extrême valeur que je confère à la notion de famille suffit à les rendre précieux à mes yeux. Je ne devrais pas songer à des hypothèses à base de « et si », mon moral en prend toujours un coup. Pourtant, c'est que je ressasse à longueur de temps depuis hier soir. Ces regrets tournent en boucle dans ma tête comme un insupportable disque rayé, la musique me tenant éveillé. Je n'ai pas dormi.

Il suffit que les doigts de Tom viennent frôler ma main pour que je détourne mon attention de James. Mal en point, il a néanmoins les yeux ouverts. Un très léger rictus laisse deviner un sourire. Il susurre plus qu'il n'articule, mais au moins, il prononce des mots intelligibles. Un constat qui suffit à me faire sourire à mon tour -et même un peu plus largement lorsqu'il me traite de zombie. « Tu peux parler, Robocop. » je réponds. Il a fière allure avec sa minerve, son bras perfusé, tous ces tuyaux et ces câbles qui traînent de partout. Il ne peut pas vraiment bouger. Faible, il tousse un long moment. Le temps qu'il retrouve sa respiration, je me tourne vers James ; « Qu'est-ce qu'il attends, Sam ? » Le frère Beauregard n'est toujours pas arrivé. J'ai cru comprendre que le retard était un sport de famille entre lui et Ezra. Je jette d'ailleurs un coup d'oeil à celui-ci, toujours profondément endormi. Ni notre présence, ni nos voix ne semblent le tirer des limbes. Mais il se réveillera. Les médecins l'ont dit. Je suis loin de pouvoir comprendre tout le charabia qu'ils peuvent nous servir en pensant nous rassurer. A partir du moment où les types en blouse peuvent m'assurer que mes cousins vont bien, je me fiche des détails. Je suppose que Siobhan sera plus à même de comprendre ce dialecte d'une autre planète. Thomas demande ce qu'il s'est passé -et cela ne m'étonne pas vraiment. Son cerveau est passé à la machine à laver, je l'imaginais mal se réveiller avec de parfaits souvenirs d'un événement aussi traumatisant. « De ce que j'ai compris, un camion s'est épris de la voiture d'Ezra et a voulu lui faire un gros câlin, vous dedans. » Je souris en coin, essayant fort maladroitement de dédramatiser la situation. Pas besoin de souligner le fait qu'ils sont passés à quelques centimètres de la mort et d'une arrivée prématurée au purgatoire, histoire de rejoindre leur mère et leur frère sur la liste des Beauregard partis trop tôt. Ma main serre légèrement celle du blessé. « On a vraiment eu peur. Heureusement... » Difficile de trouver quelque chose de positif à dire dans un moment pareil. Pourtant, mon sourire s'agrandit. « … la voiture va bien. » Encore une bêtise. Comme dirait Madison, je n'en rate pas une. A vrai dire, l'ancienne auto d'Ezra ressemble à une boîte de conserve passée sous un rouleau-compresseur. Et les sortir de là a été franchement laborieux pour les secours. J'essaye de garder le coeur léger, mais la peine et la culpabilité me rattrapent toujours. Je soupire. « Ez' n'est pas encore réveillé. Il est juste là. » J'indique le lit d'à côté d'un signe de tête. Tom ne peut pas le voir, si ce n'est du coin de l'oeil, à moins de forcer sur son cou fragile. Il sera sûrement rassuré de savoir son frère près de lui, et non pas à la morgue. « James a appelé Ida et Rosalie. Sam ne devrait pas tarder. »

Lorsque qu'Ezra a pris le volant en partant de chez Jamie, il avait à son actif une bière et une verre de vin bus. Il avait également fumé trois cigarettes au cours de la soirée. Suite à l'accident, Ezra comme son frère Thomas a été admis au St Vincent's Hospital de Brisbane. Cependant, contrairement à son frère, il n'a pas tellement eu de chance si l'on peut dire. L'accident ayant était plutôt violent, Ezra s'est retrouvé avec un hématome sous-dural qui a forcé les médecins, après un temps conséquent de délibération, à plonger le jeune homme dans un coma artificiel pour qu'il ait le temps de se reposer et pour que cet hématome se résorbe plus rapidement. En parallèle, sa seule vraie autre blessure qui a inquiété les médecins fut une fracture du col du fémur, qui aurait pu mal finir si elle n'avait pas été traitée à temps. On dénombre également trois côtes cassés ainsi qu'une épaule démise, mais ces blessures restent, si l'on peut dire, superficielles. Les médecins pensent que le jeune homme en aurait pour environ une à deux semaines pour se remettre de son hématome sous-dural, suite à ça il pourra être réveillé. Sa fracture du col du fémur l'obligera à rester alité pendant au minimum trois semaines, à prolonger si nécessaire. Les côtes et l'épaule devraient être stabilisées au bout de deux semaines. Les médecins préviennent la famille, par précaution, que des pertes de mémoire à plus ou moins court termes sont possibles.

Je ne peux plus respirer. Du moins c’est l’impression que ça me donne, celle que je vais m’étouffer, que je suffoque. Je ne peux pas y croire, je ne veux pas y croire. Tout comme je ne veux pas rentrer dans cet hôpital et le voir de mes propres yeux. Thomas et Ezra ont eu un accident. Quand j’ai reçu cet appelle j’ai cru défaillir, comme si la maison toute entière venait de me tomber sur la tête. Ca ne pouvait pas être vrai, pas ce soir, pas alors que nous venions ne les laisser partir, pas après une telle soirée. Je rentre dans la bâtisse en suivant Jamie – j’ai l’impression que je ne sais plus rien faire d’autre que de le suivre. Je passe des coup de fil à Ida, à Sam, à notre père, à Rosalie même à Sio bien que je sache pertinemment qu’elle ne répondra pas puisqu’elle travail. Je dis les mêmes mots sans vraiment vouloir moi-même les entendre ou les assimiler. Dans ma tête l’inquiétude se mêle à la culpabilité. « J'aurais dû les empêcher de prendre le volant. » Je déglutis difficilement, qu’est ce que je peux répondre à ça ? Oui nous aurions du, pourquoi avons-nous été si laxistes ?

Dans cette grande chambre prône les corps de mes frères, tous les deux inconscients. Sans nous concerter Jamie et moi nous dirigeons chacun vers l’un d’eux. J’écope d’Ezra, je regarde son corps qui semble avoir souffert me forçant à ne pas laisser les émotions prendre le dessus. Ma main attrape la sienne que je serre délicatement. « T’es vraiment un imbécile Ezra, qu’est ce que vous avez fait encore ? » Je sens mes yeux s’embuer mais je n’ai pas envie de pleurer, pas avant d’en savoir plus, pas avant d’avoir vu un médecin. « Vous avez pas intérêt à mourir je vous préviens ! Vous n’avez vraiment pas intérêt ! Je pourchasserais vos esprits pour leur faire la peau si il le faut ! »  J’ai à peine fini ma phrase qu’un médecin rentre pour nous en dire plus. Je ne comprends pas la moitié des termes qu’il utilise, je ne sais pas si c’est le choc, l’alcool ou la fatigue mais suivre son discours est un vrai effort de concentration. Tous ces mots débités les uns après les autres me font pâlir un peu plus – coma – hématome – fracture – cervicale… Pourtant j’ai beau me concentrer à aucun moment je ne l’entends parler de pronostic vital, je pose une deux question pour être bien sur et le médecin nous quitte déjà. S’en suit des navettes entre mes deux frères – des regards échangés avec Jamie dans un silence de plomb. Je ne sais pas quoi dire, j’ai juste envie de me réveiller de ce cauchemar.

Je perds la notion du temps. Heure ? Minutes ? Pourquoi Thomas ne se réveille pas ? Pour Ezra nous avons été mis au courant mais Thomas il devrait être réveillé, il devrait reprendre conscience. J’essaye de ne pas paniquer mais c’est pire encore.   « T'as une tête de zombie »  Au chevet d’Ezra je me retourne en reconnaissant la voix de mon frère avec un soupire de soulagement non dissimulé. Je me poste à côté de Jamie sentant à nouveau mes yeux s’embuer, je déteste ça, cette foutue sensibilité mais c’est comme ça, je dois faire avec… « Qu'est-ce qu'il attends, Sam ? »  Je laisse un petit rire sortir de ma bouche en entendant la question de notre cousin. «  C’est la question qu’on se pose tous les jours. »  Sam est un éternel en retard, on ne le changera pas. Je laisse Jamie trouver les mots pour parler à Thomas puis un bruit de pas se fait entendre dans nos dos et c’est Ida qui nous rejoint dans la pièce. Son inquiétude encore plus puissante que la notre réveille en moi une certaine angoisse et je me pousse pour lui laisser une place près de son mari. « Mon dieu… Qu’est-ce qui s’est passé ? Qu’est-ce que les médecins ont dit ? »  Je voudrais pouvoir lui dire exactement ce que les docteurs ont dit mais je suis à peine sur d’avoir tout compris. « Ils… C’était un peu flou mais ils ont dit qu’Ezra ne se réveillerait pas tout de suite… Et que Thomas avait… »  Je n’ose pas parler de cette fameuse fracture des cervicales car rien que le nom me donne des frissons dans le dos. Au lieu de ça je repose mon regard sur Thomas. « Que c’était un gros accident… Comment tu te sens toi… Est ce que… T’as mal ? »  C’est presque con mais j’espère que oui, j’espère qu’il a mal aux jambes et que ce que je pense comprendre en entendant fracture des cervical n’est qu’un idée qui c’est construite en moi parce que j’ai regardé trop de mauvais films…

Malgré sa minerve, la volonté de Tom de voir son frère, s'assurer qu'il va bien, le fait se tortiller et se crisper. Non, il ne peut pas bouger, il ne le doit pas. Je pose une main sur son épaule, essayant d'être rassurant -mais au fond, difficile de l'être. Le mot « coma » a le don de jeter un froid. Je préférerais être honnête avec mon cousin, mais pas moyen de prononcer ce terme. Alors, quand il demande comment va Ezra, je réponds vaguement ; « Difficile à dire. Sa tête a pris un sacré coup. » Et moi qui me plaignais de migraines après m'être fait passer à tabac il y a quelques semaines. Un coin de table avait bien failli embrasser ma tempe, et au final, je m'en suis sorti avec une minuscule cicatrice dissimulée par mes cheveux, deux semaines de maux de têtes et de bourdonnements. Pas de quoi jouer au guerrier. Néanmoins, cela me permet de mettre en perspective la situation d'Ezra, et d'imaginer qu'il n'est vraiment pas bon état.
Ma tête se tourne vers la porte qui s'ouvre soudainement. Apparaît Ida, la femme de Tom, visiblement paniquée. Elle se jette sur l'autre chaise à côté du lit et se penche sur son mari, lançant des questions dans l'air pour évacuer sa peur. James semble aussi perdu que moi. Il n'y a pas de mode d'emploi pour apprendre à gérer ce genre de situation. « Ils ont percuté un camion. » j'ajoute un peu plus clairement aux explications d'un James qui patauge avec le dictionnaire. Ida m'adresse le genre de regard désespéré d'en savoir plus, de comprendre, d'avoir des réponses. Le problème, c'est que je suis au moins aussi doué que son beau-frère pour comprendre tout ce qui touche à la médecine. Je déglutis, cherche mes mots quelques secondes ; « Je n'y connais rien en termes médicaux, mais le médecin qui vient de partir n'a pas dit que qui que ce soit est condamné. Ils ont de belles blessures, ça prendra du temps pour réunir tous les morceaux. Mais en soi, ils vont bien. » Je suppose que je ne peux pas faire mieux pour la rassurer tout en étant au plus proche de la réalité. Me concernant, tant qu'aucun pronostic vital est engagé pour l'un de mes deux cousins, je considère qu'ils vont bien, et qu'ils iront de mieux en mieux. Au moins, Thomas sent ses jambes.
Une rouquine rencontrée au barbecue familial nous rejoins. Liv. J'espère que son arrivée signifie que Sam n'est pas loin. Mais il n'est pas avec elle. Monsieur se fait désirer encore quelques minutes. Je soupire, m'efforçant quand même d'adresser un sourire à la jeune femme. Tom et Ezra auront la chance d'avoir leur belle-sœur pour changer leurs couches. On pourra dire que cette expérience leur donnera pas mal d'anecdotes à raconter à chaque Noël, histoire de passer pour des héros de guerre auprès des gosses qu'ils feront sauter sur leurs genoux.
Une silhouette que je connais un peu plus fait son apparition. Et jette un froid monumental. Je sens Thomas qui se crispe sous mes doigts toujours posés sur son épaule. Je quitte à mon tour ma chaise pour suivre Ida qui s'occupe d'accueillir la jeune femme. Mon cerveau mouline déjà pour trouver le moyen d'éviter la troisième guerre mondiale entre Beauregard et Nora. « Tu vas bien ? » je lui demande maladroitement. Non, je suis bien placé pour savoir qu'après avoir vu un proche dans un lit d'hôpital, on ne va jamais bien. D'ailleurs, petit à petit, cet endroit et cette ambiance m’oppresse. Bon Dieu, je hais les hôpitaux. Je prends une grande inspiration. « Bon, c'est ma tournée à la machine a café. Qui veut quoi ? » J'attrape les commandes au vol, s'il y en a. Je tuerais pour un thé. N'importe quoi qui puisse me détendre. J'attrape ensuite la main de Nora pour l'attirer hors de la chambre. « Tu viens avec moi ? » je demande avec un sourire amical, mais sans réellement lui laisser le choix. Je ne doute pas que ma diversion est absolument évidente. Ils me remercieront plus tard. Nous faisons ensemble quelques pas dans les couloirs aseptisés du bâtiment jusqu'à trouver cette fameuse machine à café, dans une salle d'attente, pas trop loin de la chambre de mes cousins. Je glisse quelques pièces, fais ma sélection. « Ezra n'est pas encore réveillé. J'ai cru comprendre que les médecins vont le garder ainsi quelques jours encore. » dis-je afin d'exposer la situation pendant que le gobelet marron se remplit peu à peu d'eau chaude. « Ca va aller, d'accord ? » Ca peut difficilement être pire. Nous devrions tous nous sentir terriblement chanceux d'avoir encore ces deux énergumènes à nos côtés. En miettes, mais en vie.

Il allait très certainement avoir des problèmes au travail. Peut-être le lendemain son patron lui remonterait-il les bretelles, ou peut-être pour une fois se montrerait-il un tant soit peu compatissant et se contenterait-il de lui demander comment vont ses frères, dans le ton respectueux de celui qui comprend, à défaut de compatir. Mais pour l'instant, ce que son supérieur pouvait bien penser de ses agissements, Samuel n'en avait que faire. Accroché au volant de sa voiture, il fonçait à travers la ville aussi vite que la mécanique et la circulation le lui permettaient, de manière à ce qu'un troisième accidenté Beauregard ne finisse pas lui aussi à l'hôpital. Une voiture un peu trop lente le fit pester une énième fois, puis un feu rouge qu'il ne pouvait décemment pas griller lui laissa le temps de s'allumer une cigarette. Il en avait bien besoin. Avant de repartir au triple galop en direction de St Vincent's Hospital. Là où Ezra et Thomas avaient été emmenés un peu plus tôt…
Un coup d'oeil à l'horloge de l'auto-radio, une nouvelle fois il pesta. Il était trop tard depuis que James lui avait passé son coup de fil, et même depuis que Liv avait réussi à le joindre. Travail, travail et encore travail. Trop de travail en fait, voilà ce à quoi cela l'avait mené. S'il avait dû ne pas être en retard une fois, il aurait aimé que ce soit celle-ci. Comme chaque fois qu'il se trouvait au bureau, Samuel avait laissé son téléphone en silencieux afin de ne pas être coupé dans son travail ou dans l'un ou l'autre de ses rendez-vous, ainsi il n'avait pas fait attention au message vocal que lui avait laissé son frère cadet, puis lorsque sa femme avait décidé de l'appeler, entendant cette fois son téléphone vibrer, il avait choisi de ne pas y répondre en premier lieu -elle savait bien, après tout, que s'il ne lui répondait pas en journée ce n'était pas parce qu'il avait décidé de l'ignorer mais parce que son travail ne lui permettait pas de répondre. En revanche, suite à quelques désagréments qu'ils avaient déjà eu suite à cela, ils avaient convenu que si elle le rappelait plusieurs fois de suite au lieu de simplement lui laisser un message ou attendre qu'il ne la rappelle, c'était que la raison pour laquelle elle essayait de le joindre était assez importante pour qu'il lui faille répondre immédiatement.

Et putain, elle l'était. Il n'avait pas compris la moitié de ce qu'elle lui avait dit, son cerveau étant resté focalisé sur les informations les plus graves : Thomas et Ezra étaient à l'hôpital. C'était suffisant. C'était déjà trop. Avant même qu'il n'ait raccroché, le banquier avait déjà rassemblé ses affaires et, en même temps qu'il fourrait son portable dans sa poche, franchissait la porte de son bureau. Son patron, le voyant sortir ainsi en trombe s'était précipité à sa rencontre pour savoir "où il allait comme ça", ce à quoi Samuel s'était contenté de lui répondre sans même se retourner que ses frères étaient à l'hôpital avant de quitter son lieu de travail pour rejoindre sa voiture. La suite, vous la connaissez. Un trajet interminable jusqu'à cette bâtisse trop blanche, suffisamment long pour qu'il ait le temps de se faire un sang d'encre pas possible et que d'autres souvenirs tout aussi désagréables lui reviennent en mémoire. Sarah, Ian… Eux aussi, qui avaient été hospitalisés pendant des moments de douleur insoutenable. Les membres de la famille Beauregard manquants, ceux dont l'absence ne pouvait qu'être remarquée à chaque réunion de famille, sans que le manque que cela provoquait ne semblait vouloir s'atténuer avec le temps. Et putain, voilà que deux de ses frères s'y trouvaient en même temps. Il ne voulait pas revivre ça avec eux, il ne voulait pas les perdre eux aussi. Non, il ne voulait pas que d'autres personnes de sa famille ne les quittent avant l'heure.

Enfin, il arriva devant l'hôpital. Là encore il se précipita jusqu'à l'accueil et pressa peut-être un peu trop la pauvre dame de l'accueil, qui n'avait rien demandé elle, de lui indiquer dans quelle chambre se trouvaient Thomas et Ezra Beauregard -ayant totalement oublié que sa femme lui avait dit qu'il la fasse demander à son arrivée. Immédiatement après il rejoignit ladite chambre en courant à moitié dans les couloirs. Enfin, il arriva devant la porte. Quelque peu essoufflé par sa course, un air de pure panique sur le visage. Thomas et Ezra étaient tous deux allongés dans leur lit, seulement l'un des deux conscients remarqua-t-il, ce qui arrangea et aggrava en même temps son angoisse. James était le seul à leur chevet, lui-même ne pouvant savoir que Liv avait accompagné le reste des personnes présentes à l'extérieur de la chambre. Lentement, comme s'il s'agissait d'un effort monumental, il passa enfin le pas de la porte et observa ses frères, légèrement sous le choc et ne sachant plus vraiment que dire, quoi faire. Sonné par ce qu'il voyait, ce qu'il avait tout de même espéré ne pas être vrai.

« Je… je suis arrivé dès que j'ai pu, quand j'ai eu le message de Liv… qu'est-ce qu'il s'est passé ? » Son regard passa de l'un à l'autre de ses frères, s'arrêtant finalement sur l'aîné. « Tu… tu vas bien ? »

Certainement la pire question à poser dans un tel moment. Mais il était le seul à être encore éveillé, et il avait besoin de se rassurer au moins sur son état, puisqu'il lui faudrait attendre une précision extérieure pour en savoir plus celui d'Ezra. Et puis, il n'était pas exactement en état de chercher meilleure chose à dire.

J’ai de la peine à respirer, de la peine a réaliser. Je regarde mon frère mais quand les mots devraient sortir simplement ils restent coincés dans ma gorge. Je ne sais pas comment expliquer, ni même comment conforté et je me contente de rester debout droit comme un « i » mon regard cherchant un point ou se fixer dans tout ces appareillages. Petit à petit la chambre se remplit, d’abord Ida, puis Liv dont la simple caresse me rassure et me détend. La prochaine à faire son entrée dans la chambre est une invitée que nous n’attendons pas. Je regard Nora entrer sans trop savoir ce qu’il faut lui dire. Je n’ai jamais eu de réel problème avec Nora, je sais que les choses se sont compliquées entre mon frère et elle, que la vie les a séparé mais contrairement au reste de la famille j’ai été incapable de couper le pont avec mon neveu… Toujours ce sens de la famille étrange qui a continué à m’habiter. Mais si je suis habitué à voir Nora en cachette sa présence dans cette pièce, avec ma famille et plus particulièrement Thomas me met mal à l’aise. Je voudrais pouvoir l’aider mais dans la famille je suis toujours resté discret sur se que je pensais de la situation, quand le grand débat Nora venait sur la table je me contentais de hoche la tête comme pour approuver tout ce qui était dit, et j’omettais de parler des visites que je lui rendais de temps à autre pour prendre des nouvelles de mon neveu.

Alors aujourd’hui dans cette chambre d’hôpital je ne suis même pas capable de lui adresser un bonjour, parce qu’il aurait fallut choisir un ton de voix et c’était déjà bien trop demander. Heureusement Ida est là pour gérer, pour la prendre dans les bras sans chercher à savoir ce qu’il est bon de faire pour toute la famille. Son geste me rassure un peu et quand Jamie nous propose d’aller chercher à boire je lui passe commande et le regarde partir en tirant Nora avec un certain soulagement. . « Tu viens avec moi Ida. On va les laisser se reposer un peut, puis James et près d'eux s'il y a quoi que soit il m'appelle j'ai mon biper sur moi. » Je hoche la tête même si je n’ai aucune idée de comment la joindre sur son biper, il n’y aura pas besoin, il n’y a pas de raison. Puis la chambre se vide complètement et je reste seul avec mes deux frères. « Vous êtes vraiment trop cons ! » Ce la première phrase que je sors une fois la porte fermé et en tête à tête avec Thomas. « C’est pas une idée de nous faire des frayeurs pareilles ! » Je sens une certaine émotion me gagner, je ne pourrais pas supporter de perdre un frère de plus pas maintenant… Peut-être même jamais.

Une nouvelle fois la porte s’ouvre et cette fois c’est Samuel qui rentre dans la pièce. « Je… je suis arrivé dès que j'ai pu, quand j'ai eu le message de Liv… qu'est-ce qu'il s'est passé ? Tu… tu vas bien ? » Je fais une place à mon frère proche du lit alors que mes lèvres se pincent un peu. Combien d’entre nous allons lui poser cette question des plus stupides ? Comme pour nous rassure, mais ce n’est pas rassurant c’est évident qu’il ne va pas bien et le contraire serait plutôt étonnant. «Et donc, c'est l'Antarctique ou  l'Amazonie qui m'attendent maintenant? J'espère que tu as fait ton choix » Je me doute que la référence m’échappe et regarde mes deux ainés l’un après l’autre attendant que quelqu’un m’explique le sens de cette question.