chasing echoes
Raelyn Blackwell & @Spencer Blackwell

«  La dernière famille d’accueil qui s’est occupée de moi, j’y suis restée genre cinq ans, jusqu’à mes dix-huit ans. Quand je suis partie de chez eux, j’ai pas trop gardé contact alors heu… J’me voyais mal revenir en rampant chez eux.  » Elle n’a donc personne qui compte la blonde, ou en tout cas à cette époque là elle n’avait pas l’impression de compter assez pour qui que ce soit pour lui demander ce genre de faveur. On n’était pas si différentes elle et moi, deux gamines à peine entrée dans l’âge adulte faisant les mauvaises rencontres et se laissant influencer par le monde de la nuit, des soirées alcoolisées, des drogues et de tout le reste : ça brillait trop pour nous laisser indifférentes. Ça donnait trop envie après une jeunesse pourrie pour elle, et bien trop morne pour moi. « Disons que se faire virer de jobs qui rapportaient déjà pas beaucoup n'a pas aidé à payer les loyers. Et le peu que j’arrivais à gagner, ça partait dans des fêtes ou dans la came. » - « Ouais. J’ai failli me retrouver sans toit au-dessus de la tête aussi à un moment.  » Avant le Club. Ca a failli m’échapper puisque c’est la suite logique. Le gang m’a mise à l’abri du besoin, à défaut de m’avoir mise à l’abri des drogues dures. « J’crois que j’aurai préféré crever plutôt que demander de l’aide à qui que ce soit. » J’éclate de rire face à sa sincérité. « Je comprends. » Je comprends puisqu’à nouveau je me retrouve dans cette déclaration.

« Même pas contre lui en particulier, c’est juste… En général. » - « Ca sert à rien d’être en colère pour des choses sur lesquelles t’as aucune prise. » Il m’a fallu du temps pour apprendre à ne pas dépenser d'énergie pour des choses sur lesquelles je n’ai aucun pouvoir. J’apprends encore à vrai dire, surtout lorsque cela touche quelque chose qui me tient à cœur. « Il était plus grand. » - « Il a pas besoin de lui. Et t’as pas besoin de lui non plus. » Et c’est pour ça aussi qu’en grandissant je n’ai jamais ressenti de colère : parce que j’ai toujours estimé que je n’avais besoin de personne, jusqu’à Amos, jusqu’à Micah. Je n’avais certainement pas besoin de ceux qui ne partagaient avec moi qu’une partie de mon code génétique, et certainement pas mes aspirations ou ma personnalité. « Oh tu sais, pour plein de raisons. » Je penche la tête sur le côté comme pour l’inviter, l’encourager à développer. Elle ne s’en sortira pas avec des explications si fumeuses : j’aime aller au fond des choses. « Le départ du vieux ça a sans doute été un truc douloureux pour lui et pour heu… Rose. Je suis pas sûre qu’ils aient super envie de rencontrer la petite bâtarde qu’il a pondu après les avoir abandonnés. Et puis ma place est pas là-bas.» Le reste, je l’aurais balayé d’un revers de la main. Mais ça, ce ma place n’est pas là-bas, je le comprends puisque je l’ai un jour dit à un gamin qui avait le béguin pour moi, en haut d’une citerne d’eau, alors que je n’avais que quinze ans : tout le monde est trop bien pour ce trou paumé. « Tu rates rien. » Ce sera mon unique conclusion : je cherchais à comprendre, certainement pas à la convaincre de changer d’avis. « Nous, c’est arrivé par accident. On sait toutes les deux que j’serai pas rentrée par moi-même. » - « Peut-être. » J’esquisse un sourire amusé. Je ne crois pas au destin, comme elle, j’ai l’impression. Je ne crois pas que nous nous serions retrouvées d’une façon ou d’une autre. C’était le hasard, ou bien c’était elle, son subconscient qui cherchait à se faire pincer pour m’être présentée. « Je compte pas tellement les recontacter, de toute façon. T’as pas à t’en faire du coup, ils sauront pas pour toi non plus. » Elle a l’air sincère et je choisis de lui faire confiance. « C’est important. » Je ne veux ni avoir à rendre des comptes, ni me retrouver face à des gens qui pensent que maintenant que je suis quelqu’un, je leur dois quelque chose, de les aider d’une quelconque manière et de renvoyer l’ascenseur. J’ai réussi à la sueur de mon front, pas grâce à ma parfaite éducation. « De toute façon… » Et sans vouloir me jeter des fleurs, évidemment. « T’as parié sur le meilleur cheval. » Je secoue la tête en riant, avant de me redresser. « Remets toi sur pieds, tu veux ? » Ma visite de courtoisie est terminée : elle a de toute façon eu le droit à bien plus d’égard que la grande majorité des gens. « Et pour le centre, je t’enverrai une date de rendez-vous pour aller le visiter, quand tu seras sortie d’ici. » Pour aller le visiter en ma compagnie, il n’est guère utile de le préciser, pas plus que de pointer du doigt le fait que je me sens bien plus concernée et impliquée que pour n’importe quel quidam.

chasing echoes
Spencer Blackwell & @Raelyn Blackwell

Si c’est pas encore tout à fait une discussion à coeur ouvert, ça s’en rapproche. C’est bizarre de pouvoir parler de ces sujets là sans avoir à craindre de quelconques remontrances ou jugements hâtifs et bien tranchés, subir le regard inquisiteur teinté de mépris et d’on ne sait quoi encore. Pas non plus de pseudos conseils en mode “ah mais t’aurais dû aller voir machin ou machine”, “mais je vois même pas comment c’est possible de se laisser autant aller et de finir comme ça”, qu’ils aillent se faire voir, ceux-là. Ils savent rien, n’ont pas la moindre idée de ce que c’est. Spencer explique, se justifie, Raelyn écoute, acquiesce. « Ouais. J’ai failli me retrouver sans toit au-dessus de la tête aussi à un moment. » finalement elle aussi a fini par trouver un ange gardien ou quelque chose qui s’en rapproche. Chance insolente, intervention divine, tout le monde s’en fout vu qu’au final, elle en est là aujourd’hui malgré un parcours aussi chaotique. Qui sait, tout espoir n’est peut-être pas perdu pour la plus jeune non plus. « Je comprends. » la conclusion à tout ça, c’est surtout qu’elles ont encore plus en commun que ce qu’on pourrait penser, les deux filles Blackwell. Ca rapproche, l’air de rien.

« Ca sert à rien d’être en colère pour des choses sur lesquelles t’as aucune prise. » « Je sais, c’est juste… Je contrôle pas, ça. » aussi loin qu’elle se souvienne, elle a toujours été en colère pour tout et n’importe quoi. Surtout n’importe quoi. Ca va du gamin au foyer qui voulait pas prêter son jouer à l’ado idiot du lycée qui se trouvait super drôle à la bousculer dans les couloirs. Ca l’énervait quand on lui disait quoi faire, mais ça l’énervait encore plus qu’on l’ignore. Et par-dessus tout, ce sont ses propres actions qui l’ont toujours passablement mises dans des états colériques. Mauvaise décision sur mauvaise décision, conséquences souvent désastreuses, elle était la seule à blâmer. Alors elle s’en prenait à tout le monde parce que c’était plus facile que d’assumer. « Il a pas besoin de lui. Et t’as pas besoin de lui non plus. » Charleville, sa famille, c’est un sujet un peu sensible. Visiblement rien qui se soit mal passé, c’est juste qu’elle a l’air d’avoir complètement tourné la page sur ce chapitre de sa vie, et Spencer aimerait être capable de faire de même. « Tu rates rien. » sûrement pas. Encore que, peut-être qu’une vie à la campagne ça lui plairait bien. Enfin elle en est encore loin pour l’instant. Et puis si jamais elle arrive à ce point là de sa vie, promis elle foutra pas les pieds dans ce trou paumé là, elle en trouvera un autre. « De toute façon… T’as parié sur le meilleur cheval. » « Pour une fois. » qu’elle ricane. Vu son habitude de se rapprocher des mauvaises personnes, fallait bien que la tendance change à un moment donné. « Remets toi sur pieds, tu veux ? » « Ouais. » nul doute qu’elle va profiter du service cinq étoiles de l’hôpital pour bouffer à l’oeil et se faire servir. Elle a surtout hâte de se tirer d’ici et de retrouver son chez elle. L’air de rien, une vie plus posée, ça lui convient quand même au final. « Et pour le centre, je t’enverrai une date de rendez-vous pour aller le visiter, quand tu seras sortie d’ici. » « J’ai hâte. » qu’elle raille, un dernier trait d’humour à peine convainquant. Bien sûr qu’elle n’a pas hâte à ce genre de rendez-vous, mais il est trop tard pour changer d’avis maintenant. Elle a fait une promesse et pour une fois, elle compte bien faire son maximum pour la respecter. « Merci. D'être venue et pour heu... Le reste. » ajoute-t-elle avec un sourire fatigué avant que l'aînée ne prenne congé.